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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 31

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XVI
LA FAVORITE

Louis XIII n'éprouvait pas pour Saint-Germain la répugnance superstitieuse que devait ressentir son successeur. De ce palais, où pourtant il devait mourir, il contemplait, sans en témoigner aucun effet, les flèches de Saint-Denis, cette nécropole des rois trépassés.

Lorsqu'il n'était ni à Fontainebleau, ni au Louvre, il aimait à partager son temps entre cette résidence et la maison de chasse de Versailles, avec cette distinction qu'il paraissait affectionner Saint-Germain dans ses rares périodes de gaieté et de plaisir; et qu'il se retirait volontiers à Versailles, comme dans une thébaïde, au milieu de ses plus noires humeurs ou de ses ennuis politiques. On voit que c'était précisément tout l'opposé de ce que devait faire Louis XIV.

Dans la situation de ces deux étapes royales, Louis XIII avait incontestablement raison: Versailles existait, à peine, mais Saint-Germain était déjà, ce qu'il est resté, un séjour splendide.

Le château actuel date de François Ier, qui le fit élever sur les fondations de l'ancien, dont l'origine remontait au roi Robert. La France n'a pas compté un monarque qui se soit plu davantage à embellir ce palais, tout peuplé de souvenirs historiques, où les chroniques galantes se mêlent aux drames les plus sombres.

Ce n'est pas notre tâche d'évoquer ces mémoires, ni même de nous étendre sur la description de ces lieux célèbres à tant de titres. Qui ne connaît pas d'ailleurs cette construction de plan, si bizarre et d'aspect si pittoresque, à la fois élégante comme une villa et imposante comme un donjon? Quatre de ces cinq faces, bâties alternativement, par assises et par compartiments, en pierre avec brique, forment une sorte de mosaïque qui attire l'œil; la cinquième, la principale, est en pierre et d'un aspect tout autre.

Mais les grilles, les fossés, les tourelles qui les protègent en effacent bien vite le côté riant, et rappellent que toutes les résidences royales étaient naguère en même temps des citadelles. A l'époque où se passe notre récit, presqu'au milieu du dix-septième siècle, le Louvre lui-même n'était-il pas encore flanqué d'innombrables tours, couronné de créneaux, percé de meurtrières, entouré de fossés?

Les mœurs et les usages avaient habitué chacun à ces accessoires, et la gaieté de la cour, quand il était permis à la cour d'être gaie, n'en subissait aucune atteinte.

Or, pour l'instant, la cour manifestait le plus vif entrain. En désignant Saint-Germain pour théâtre des chasses annoncées, le roi avait implicitement entendu inviter chacun à se montrer joyeux, et quoique l'enjouement ne fût guère à l'ordre du jour, on n'avait eu garde de manquer à cette consigne.

Tout le monde était là, c'est-à-dire tout le personnel éminent de cette cour si profondément divisée en deux camps. Les champions sentaient l'approche d'un engagement sérieux; c'était l'heure de se tenir prêt et de ne rien perdre des chances de chaque parti.

D'une part, donc, on remarquait les deux reines, car Anne d'Autriche n'avait pas moins à se plaindre de Richelieu que Marie de Médicis, et leurs griefs, étant pareils, les avaient rapprochées. Autour d'elles, leurs dames d'honneur, leurs confidentes; à la tête de toutes, la belle et intrigante duchesse de Chevreuse, mesdemoiselles de Vieux-Pont, de Saint-Georges, de Clémerault, la princesse de Conti. Puis, parmi les gentilshommes, Bassompierre, l'ami avéré de cette dernière dame, et déjà presque aussi antipathique au cardinal que Châteauneuf. C'est dire que le maréchal avait amené avec lui le plus grand nombre possible des ennemis du ministre.

D'un autre côté, on pouvait apercevoir l'inévitable, l'ubiquiste franciscain, le père Joseph, le cardinal de Lavalette, autre doublure de Richelieu; Bullion, son surintendant; ses favoris ou plutôt les créatures dont il était le Mécène: Boisrobert, Beautru, Raconis, dont le zèle devait être le marchepied pour l'évêché de Lavaur; sa nièce, madame de Combalet, et, à la suite de ces beaux esprits, un essaim d'ambitieux et d'intrigants.

Nous signalons, dans un paragraphe à part, un personnage dont le nom a déjà figuré dans notre récit; c'est-à-dire ce Boisenval que chaque parti croyait pouvoir revendiquer; un homme serviable à l'excès, souriant et saluant toujours.

Si le cardinal fût venu, on n'eût pas manqué de s'occuper de sa présence, mais il avait jugé à propos de rester au Louvre, et son absence était bien autrement commentée! Personne ne croyait aux prétextes qu'il avait allégués, on le connaissait trop pour ne pas voir une tactique dans cette abstention, mais laquelle? Nul n'eût su le dire.

Enfin, il y avait deux personnes qui dominaient l'attention: c'était le roi d'abord, et, presque à l'égal du roi, la fille d'honneur de la jeune reine, Louise de Lafayette.

Par une exception sans précédent, Anne d'Autriche, qui se montrait volontiers jalouse des préférences platoniques du roi pour quelques dames, voyait sans déplaisir la faveur qui tendait à descendre sur mademoiselle de Lafayette. Elle ne s'en montrait que plus gracieuse pour la belle enfant, et à chaque prévenance du monarque vis-à-vis de celle-ci elle en ajoutait une de sa part.

Les courtisans en étaient étonnés; les uns en éprouvaient quelque scandale, les autres en tiraient des conséquences ironiques; le lecteur, plus éclairé, n'y verra sans doute qu'un résultat des adroites manœuvres de la duchesse de Chevreuse, qui, maîtresse de l'esprit de la reine, savait lui prouver que la fortune de Lafayette devait entraîner la ruine de l'ennemi commun. La duchesse n'avait pas de peine non plus à démontrer, car c'était vrai, qu'en tout ceci la généreuse enfant se laissait pousser par ses amis et guider par son cœur, ne voyant dans la protection royale que le bonheur et le salut de ses amis.

La partie était donc fortement engagée, et Richelieu eût été nécessaire pour soutenir sa propre cause, sans ses fidèles représentants, et surtout sans le plus tenace de tous, le père Joseph.

Louise n'intriguait pas, elle en eût été incapable; sa grâce, sa douceur séraphique, son exquise beauté étaient ses seules armes; ses sourires et ses regards reconnaissants et mélancoliques, ses arguments. Mais les deux reines, mettant à profit l'absence de Richelieu, ne manquaient pas une occasion de semer, dans l'esprit de leur époux et de leur fils, la désaffection et le mépris pour cet antagoniste odieux.

Pour ne rien omettre de cet imbroglio, Marie de Médicis, qui avait pour son second fils, Gaston d'Orléans, une de ces tendresses aveugles qu'éprouvent parfois les mères pour les plus mauvais sujets de leurs enfants, visait à un rapprochement des deux frères. C'eût été un échec éclatant et décisif pour le ministre, qui avait déployé des trésors de diplomatie afin d'entretenir l'antagonisme entre eux, et qui détestait le frère du roi à l'égal de tous ses ennemis en bloc.

Pour être juste, il est bon d'ajouter que si le cardinal n'avait eu que de ces antipathies, elles eussent pu se justifier. Gaston, ou Monsieur, suivant le langage de la cour, était un des libertins les plus fous et les plus dangereux; toutes les extravagances coupables et honteuses formaient ses distractions favorites. Ses hauts faits en ce genre, – le seul qu'il cultivât d'ailleurs, – sont demeurés relégués dans les bas-fonds de la chronique scandaleuse, où la plume qui se respecte ne saurait les évoquer sans des haut-le-cœur.

Prises en elles-mêmes, les intrigues de cour qui caractérisèrent à cette époque le règne de Louis XIII n'eussent été que misérables; mais au-dessus des tactiques et des passions ambitieuses elles avaient comme enjeu l'honneur des familles, le saint respect de l'innocence, le repos et la vie des gens.

Que faisait Richelieu, resté seul dans son terrible repaire? Comme la bête féroce qui prépare ses massacres, après avoir rempli de blancs-seings les mains de son pourvoyeur, il dressait les plans des chambres ardentes, des tribunaux criminels, des commissions extraordinaires qui devaient, à la Conciergerie, au Châtelet, à Vincennes, et jusque dans ses châteaux particuliers de Rueil et de Bagnères, rendre à huis clos ces arrêts sinistres où les plus illustres victimes, condamnées sur un soupçon, sur un doute, ne sortaient des tortures de l'audience que pour passer par le fer du bourreau.

Terrible époque, comparable seulement aux jours les plus sombres de l'Espagne.

Cependant on riait à Saint-Germain: un regard de jeune fille avait réveillé dans l'âme du jeune roi le sentiment de la vie, de la beauté et du plaisir. L'absence de l'Homme-Rouge lui donnait un peu de répit. Il se rassérénait à l'air pur de cette résidence splendide. Ses scrupules se détendaient au respir de cette nature si large et si plantureuse. Il redevenait meilleur à la pensée que lui aussi, comme tous ses sujets, pouvait être aimé pour lui-même.

Étonné de ce bien-être nouveau, il écartait l'idée d'un retour à Paris; les créneaux du Louvre lui apparaissaient comme un méchant rêve. Il avait voulu une chasse, il voulait une fête de nuit, après la fête un concert, après le concert une de ces représentations scéniques dont Boisrobert et Bautru étaient les organisateurs privilégiés en des temps plus heureux. Si bien que, de plaisir en plaisir, de distraction en distraction, il s'arrangeait mentalement un programme de plusieurs semaines.

En résumé, ces joies ne duraient encore que depuis trois jours; – il est vrai que c'est beaucoup ou bien peu, quand on n'en a pas l'habitude. Le roi s'y abandonnait avec d'autant plus d'entraînement qu'il n'était pas sans de vagues appréhensions, et que, s'étonnant avec tout le monde de la résignation de Richelieu, il s'attendait à le voir survenir, comme un mauvais génie, au plus beau moment.

Soit timidité, soit entrave inconnue, soit malencontre, il n'avait pu se trouver encore, à son désir, seul avec Lafayette. Mais il lui faisait parvenir mille petits présents; il l'entourait d'attentions délicates, il lui prodiguait les distinctions les plus enviées; il ne se passait pas un matin qu'elle ne trouvât sur sa toilette un écrin, un bijou, une parure, ou que Boisenval ne se tînt dans son antichambre, attendant son apparition, pour lui remettre des fleurs au nom du plus auguste personnage de la cour.

Les façons obséquieuses et pliantes du courtisan avaient gagné la confiance du faible monarque, plus faible encore depuis qu'il était sincèrement amoureux, et Boisenval, devenu son confident, servait d'intermédiaire entre lui et l'inexpérimentée jeune fille.

Le roi, du naturel qu'on lui connaît, n'était pas fâché de faire faire sa cour par procuration; l'embarras qu'il aurait eu à exprimer les choses galantes qu'il ressentait pour mademoiselle de Lafayette disparaissait quand il n'avait plus qu'à les communiquer à un commissionnaire qu'il connaissait insinuant et plein de paroles dorées.

Louise, guidée par ses mobiles secrets, ne manquait pas de répondre en termes bienveillants. Si l'amour était impossible de sa part, du moins il est probable qu'elle était sincère dans l'assurance de son dévouement, de sa gratitude, car sa générosité innée ne pouvait pas rester indifférente à tant d'affection, et sa bonté lui inspirait une commisération douce pour ce pauvre prince dont elle appréciait mieux les soucis et le délaissement.

A ce degré, il était impossible qu'un tête-à-tête ne devînt pas facile entre le roi et la fille d'honneur. Boisenval était là, d'ailleurs, qui sut le préparer si adroitement que la reine Anne elle-même n'en eut aucun soupçon.

Ce fut, non pas dans une partie de chasse, mais le soir même de la fête musicale, entre le commencement du concert et la collation qui la séparait de la seconde partie.

La grande galerie regorgeait d'autant plus de monde qu'il avait fallu en réserver un bon tiers pour l'estrade improvisée accordée aux chanteurs et aux instrumentistes. Malgré tout le respect dû à l'étiquette, les rangs s'étaient trouvés confondus et houleux dans le personnel des auditeurs, lorsque le roi avait donné le signal d'un entr'acte en se levant de son siège.

Il en avait profité pour gagner la terrasse; Boisenval s'était rencontré tout à point auprès de Louise pour lui offrir son bras et la conduire, sans éveiller les doutes, jusqu'au bas du perron, où il était demeuré en vigie pendant que la fille d'honneur et le souverain se réunissaient.

Cette petite manœuvre s'opéra si promptement que Louis XIII n'attendit pas cinq minutes.

En apercevant Louise arrêtée à deux pas du perron et n'osant s'avancer, il franchit la distance, et par un excès de hardiesse dont il s'émerveilla lui-même:

– Mademoiselle, balbutia-t-il, refusez-vous mon bras?

– Oh! sire, répondit-elle, quelle faveur…

Nous serions très embarrassé de dire lequel tremblait le plus. Mais le roi était lancé décidément.

– La faveur est pour moi… répliqua-t-il.

Et ils marchèrent quelques pas sans rien ajouter.

La soirée était magnifique, le lieu divinement choisi.

Derrière eux, de longs parterres dont les senteurs enivrantes se dégageaient à profusion à cette heure propice, et embaumaient l'atmosphère. A gauche, les clairières du parc, dominées par les massifs de la forêt, avec le bruit vague des feuilles et des branches. Sur la droite, par un contraste tout poétique, le palais débordant de clartés et d'harmonies.

En face, à perte de vue, le panorama féerique sur lequel le ciel étoilé étendait un voile de gaze lumineux, prêtant aux vallées, aux coteaux, aux plaines ou aux bois une physionomie nouvelle, dont le vague apportait de mystérieuses rêveries.

– Oh! que c'est beau ici!.. s'écria Louise enthousiasmée.

– Et qu'il ferait bon y être aimé!.. répondit le roi, dont le bras pressa imperceptiblement celui de sa compagne.

Ce mouvement si léger la réveilla de sa contemplation, et se rappelant pourquoi elle était venue:

– Aimé, sire! Doutez-vous donc que vous le soyez?.. Votre cour, vos sujets…

Il soupira en secouant sa longue chevelure noire.

– Vous non plus, vous ne voulez pas me comprendre.

– Si fait, mon prince; je sais qu'il y a en vous une âme généreuse, un grand cœur, de nobles aspirations, et que vous méritez qu'on vous aime.

– Oui, reprit-il avec obstination, mais on ne m'aime pas.

– Vous vous trompez, sire, ou plutôt vous ne voyez pas que l'affection qu'on éprouve pour les rois n'est pas faite comme celle qu'inspire le commun des hommes; la majesté de la couronne inspire un respect…

– Non, interrompit-il avec un peu d'amertume, il n'y a pas deux sortes d'amour; ce sont les courtisans qui adorent la tête couronnée, mais c'est le cœur d'où vient la tendresse.

Il lui avait fallu plus d'un effort pour achever cette longue phrase, la timidité se joignait à son infirmité naturelle pour embarrasser sa langue.

La bonne et brave Louise, loin d'y voir un sujet de raillerie, sentit sa commisération s'en accroître, et d'un ton convaincu:

– Croyez-vous donc, sire, fit-elle, que ce soit l'intérêt ou l'égoïsme qui me retienne ici, à cette heure, aux dépens de ma réputation, et que dans cette démarche imprudente il n'entre pas un dévouement sincère pour votre auguste personne?

Il se sentit plus ému encore.

– Oh! merci!.. dit-il.

Puis ils firent de nouveau quelques pas silencieux, et ce fut lui qui reprit:

– Votre dévouement pourtant ne va pas jusqu'à la franchise.

– Que voulez-vous dire, mon prince?..

– L'autre soir, au Louvre, vous aviez entamé un entretien dont j'attends encore la fin et l'explication.

– Excusez-moi, Majesté, si je n'ai point osé revenir sur cette question. Je vous ai assuré de mon dévouement, et le dévouement évite d'être importun.

– Oui, mais le dévouement vrai est confiant, et vous voyez bien que c'est là ce qui manque au vôtre.

– Je saurai donc vous prouver le contraire.

– Parlez, non comme à un roi, mais, ainsi que vous le disiez, comme à tout autre de mes sujets.

– Cependant, sire, vous êtes le maître.

– Le maître?.. répéta-t-il avec une légère ironie; puis s'animant: Eh bien, oui, pour vous, pour vous servir, je saurai l'être.

– Voilà un beau mot.

– N'aviez-vous pas une grâce à me demander?

– Oui, sire, une grâce qui intéresse plus encore la dignité et l'intérêt de Votre Majesté que ceux qu'elle consolerait.

– Qui donc sont ceux-là?

– Au milieu des joies qui se succèdent ici, des surprises charmantes qui éclosent sous vos pas, répondez à votre tour avec la sincérité que vous exigez de moi, sire. La foule qui se presse dans ces salons, l'harmonie de cet orchestre exercent-elles sur vous une telle influence qu'elles vous empêchent de remarquer des vides, de constater des absences, de regretter des voix respectueuses et fidèles qui manquent à ce concert?..

Un nuage envahit les traits du faible monarque, et trahissant sa préoccupation:

– En effet, M. de Richelieu manque à ces fêtes…

– Qui vous parle de M. de Richelieu, sire?.. répliqua-t-elle avec une chaleur croissante. Il se retrouvera bien, lui; n'en soyez pas en peine!.. Mais que Votre Majesté cherche autour d'elle où sont MM. de Châteauneuf, de Jars, de Marillac, de Thou? L'élite de votre noblesse disparaît une à une, écartée par une puissance ténébreuse…

– Prenez garde, fit-il en portant autour de lui un regard inquiet, si le cardinal venait à savoir!..

– N'êtes-vous pas le maître, sire? ne le disiez-vous pas tout à l'heure? L'amour vient plus souvent qu'on ne pense de l'estime et de l'admiration. Vous voulez qu'on vous aime… veuillez régner, alors. On aimera le monarque magnanime, mais on ne saura jamais que plaindre le prince faible qui délègue son autorité à un ministre indigne.

Les conseils persistants des deux reines avaient préparé le roi à entendre ce langage.

– Et si ce ministre perdait sa puissance, que me demanderiez-vous?

– Je vous dirais encore, sire: Ce ne sont pas seulement les gentilshommes de la naissance, ce sont ceux du talent que l'on persécute! Les écrivains et les artistes sont une des gloires de votre règne; eh bien, sans raison, sans justice, on les frappe, on les écrase!

– Mais, murmura Louis XIII, cet homme a donc juré de me rendre odieux au monde entier. Citez-moi les noms de ces persécutés.

– Pour l'heure, je me contenterai d'un seul, parce que celui qui le porte est le protégé de Madame Mère, et qu'on ne connaît pas d'autre motif à la persécution qui l'atteint… Il se nomme Philippe de Champaigne…

– Et vous souhaitez la liberté de ce prisonnier?

– En l'accordant, sire, c'est aussi à Madame Mère, que vous serez agréable.

– Il suffit. Holà! monsieur de Boisenval! appela-t-il.

Le courtisan accourut.

– Qu'est-ce que j'entends? s'écria le roi, avec la véhémence qui est le courage des caractères pusillanimes, surtout quand ils ne sont pas en face de la personne dont ils ont à se plaindre. Que se passe-t-il donc dans le Louvre monsieur? Quelles persécutions exerce donc M. le cardinal à mon insu qu'il détienne sans raison les fidèles serviteurs de ma mère?..

– Ah! fit le courtisan avec un sourire mielleux. Votre Majesté veut parler de ce jeune peintre?..

– Vous prenez cela d'une façon bien légère, ce me semble…

– Votre Majesté et mademoiselle de Lafayette le comprendront et m'excuseront, quand je me serai accusé d'une inconcevable étourderie. J'ai là, dans mon pourpoint, une lettre de la fille du maître peintre de Madame Mère, annonçant à mademoiselle de Lafayette l'élargissement de ce jeune homme.

Il tira, en effet, le billet de sa poche et le remit à Louise.

– On avait cru, continua-t-il en appuyant sur les mots et en affectant de plonger son regard félin sur celui de la fille d'honneur, on avait cru surprendre un criminel d'État, on n'avait mis la main que sur un amoureux.

– Un amoureux!.. répéta Louis XIII.

Heureusement pour Louise, le crépuscule la protégeait, car sa rougeur et son émotion n'eussent pas échappé au roi.

– Il suffit, dit celui-ci, désireux de couper court à cette matière galante qu'il évitait toujours, et de reprendre sa promenade avec la jeune fille.

Mais on pense bien que la distraction de Boisenval n'était pas très sincère, et qu'il y avait quelque machination. Aussi, feignant de ne pas voir l'impatience du monarque, il continua implacablement, avec une fausse bonhomie:

– Oui, sire, ce jeune homme est amoureux… amoureux fou de la fille de son maître Duchesne.

Ce fut un coup de stylet qui mordit Louise en plein cœur.

Le hasard lui vint en aide au moment où, dans l'excès de son trouble, elle se fût perdue. On avait fini par remarquer l'absence du roi, et des gentilshommes de la chambre, armés de flambeaux, se montraient au haut du perron, cherchant Sa Majesté.

– Rentrez avec Boisenval, dit-il à Louise, il est inutile qu'on surprenne notre entrevue; mais promettez-moi que ce ne sera pas la dernière.

– Et vous, sire, murmura-t-elle à son oreille, souvenez-vous que vous m'avez promis de régner.

Tandis que le monarque regagnait seul le palais, Boisenval offrait son bras à la fille d'honneur.

– Avant de l'accepter, lui dit-elle, parlez franchement, monsieur; dois-je voir en vous un allié ou un traître!

– O ciel!.. se récria-t-il, quel doute injurieux! lorsque je vous apporte cette nouvelle heureuse de la délivrance de notre jeune peintre…

– Et celle de ce prétendu amour?.. car c'est une invention, n'est-ce pas?.. une fable?..

– Franchement, répondit-il, je ne puis vous éclairer sur ce chapitre… J'ai répété ce que les gens qui se croyaient bien instruits m'ont dit, un peu au hasard peut-être… Mais que vous importe?..

– Ce qu'il m'importe!.. fit-elle sans achever sa phrase.

– Allons, dit-il avec une certaine expression de cynisme et d'effronterie, qui le montra tout à coup à l'esprit effrayé de Louise sous un nouveau jour, vous êtes une jeune personne d'intelligence et de moyens; votre double jeu en ce moment en est garant…

Elle se redressa avec une dignité qui eût imposé à tout autre qu'à ce traître.

– C'est assez, monsieur; vous oubliez, je pense, que le roi vous a ordonné de me reconduire, et que c'est lui que vous représentez ici.

– Ne m'avez-vous pas demandé de vous parler à cœur ouvert? Eh bien, je vous obéis. Le roi vous aime, mademoiselle; par cet amour vous marchez vers une position bien enviée. Mais pour le conserver, il faut que Sa Majesté ignore vos relations avec M. Philippe de Champaigne…

Elle voulut interrompre, il ne lui en laissa pas le moyen.

– Il les ignorera, je m'en porte garant, tant que vous n'essayerez pas d'user de votre faveur au détriment de monseigneur de Richelieu.

Elle aperçut comme un abîme entr'ouvert sous ses pas.

– Est-ce donc au nom du cardinal que vous parlez ainsi?

– Comme il vous plaira, répondit-il. Mais il faut que vous le sachiez, absent ou présent, monseigneur sait tout ce qui se passe à la cour, entend tout ce qui s'y dit, voit tout ce qui s'y prépare… Or, il veut bien que vous grandissiez à côté de lui, mais non au-dessus de lui.

– Quel excès d'insolence!..

– Voici donc les conditions que je vous propose, continua-t-il sans s'émouvoir: nous ne troublerons pas par une révélation indiscrète la confiance du roi… en retour, vous abandonnerez la cause de M. de Châteauneuf et du chevalier de Jars près du monarque… Et comme vous avez beaucoup d'influence vis-à-vis de la duchesse, vous lui direz un mot en faveur du cardinal…

– Infâme!..

– C'est à prendre ou à laisser.

– Arrière!.. lui dit-elle en arrachant son bras du sien.

– Vous réfléchirez, osa-t-il dire encore avant de s'éloigner.

Au lieu de regagner les galeries, elle se laissa tomber, accablée, sur un banc de pierre caché dans l'ombre du perron.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
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