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Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 32

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XVII
LE SUPPLICE DE L'EAU

Deux mots auront frappé l'attention du lecteur dans le chapitre précédent: Philippe était libre, mais de Jars était arrêté.

Quelques détails à ce sujet sont donc indispensables avant de passer outre.

On se rappelle que le cardinal avait promis à son confident de lui livrer le chevalier en récompense du zèle qu'il apporterait à découvrir l'auteur de la caricature.

Ce père Joseph était tenace, et son ami, M. de Laffémas connaissait son métier. Cette poule mouillée de Barbou avait perdu la tramontane à la seule menace de la question honnête et modérée qu'on se proposerait de lui appliquer; mais il n'en pouvait pas être quitte à si bon marché.

Le désappointement du cardinal, son impatience d'éclaircir cette affaire, l'anxiété où le plongeait l'accusation portée contre Philippe, stimulèrent le lieutenant civil, qui se promit d'avoir, mort ou vif, le dernier mot du pauvre libraire.

Le jour suivant l'épreuve recommença, mais avec plus de soin. Un médecin fut adjoint aux deux tourmenteurs jurés chargés de la partie artistique du supplice, et l'on procéda dans toutes les formes.

Un auteur contemporain nous a conservé la description minutieuse de ces opérations, le lecteur peut donc croire que nous n'inventons rien.

Laffémas, du ton paterne qui convenait à un suppôt de Satan tel que lui, commença par exhorter le patient et par lui donner lecture de l'ordre qui le soumettait à la question. Mais il l'assura que les choses n'iraient que jusqu'où il voudrait, et que l'on se contenterait du supplice de l'eau, sans recourir à celui des brodequins, pour peu qu'il se montrât docile.

Le pauvre marchand, qui craignait toujours, en faisant une confession sincère, de s'exposer à la peine capitale, persista dans son système de dénégations.

– Alors, soupira Laffémas, j'en ai l'âme navrée, mais ces braves gens, – il désignait les tortionnaires, – vont être obligés d'user de rigueur… Si vous vouliez seulement avouer une partie, prononcer un nom propre… celui de ce jeune peintre élève de Duchesne, par exemple…

– Non, messire, c'est impossible; ce serait un mensonge… balbutia Barbou, en proie à un frisson général qui faisait claquer ses dents.

Le spectacle des apprêts à lui destinés n'était pas de nature à lui rendre son assurance.

Le caveau où la chose se passait était éclairé par deux torches à la lueur rougeâtre, fichées dans la muraille.

Les dalles étaient jonchées d'objets d'aspect répulsif, tels que marteaux, tenailles, chaînes, cordages, scies, planchettes et coins. Des tréteaux, des seaux pleins de liquide, des billots et des sellettes complétaient cet ameublement.

Indépendamment du lieutenant civil, vêtu de noir, et des bourreaux aux braies et aux casaques rouges, un moine, le visage dissimulé sous un capuchon, se tenait aussi assis près d'une petite table à portée de l'une des torches, prêt à écrire les réponses ou aveux de l'accusé.

Ce religieux n'était ni un clerc, ni un personnage vulgaire, car M. de Laffémas lui parlait avec toute sorte d'égards et ne donnait pas un ordre sans s'en entendre préalablement avec lui. C'était même sur son invitation que paraissait avoir eu lieu tout à l'heure la question insidieuse relative à l'élève de maître Duchesne.

– Allons, reprit Laffémas avec componction, puisque la douceur est inutile, emparez-vous de monsieur, vous autres, mais avec les égards dus à un digne bourgeois, chez lequel je me suis longtemps fourni de livres et d'estampes de piété.

Et s'adressant à Barbou:

– Laissez-vous faire, vous vous trouverez bien de votre soumission. On n'usera absolument à votre égard que des moyens les plus doux.

Les deux sacripants tenaient chacun le pauvre diable, qui ne songeait guère à se débattre, et qui répétait en grelottant:

– Rien, rien, rien… Monseigneur, je vous jure, je suis innocent.

– Alors, avouez, faites connaître les coupables, répétait obstinément le lieutenant civil. N'est-il pas vrai que vous êtes en relations avec ce jeune peintre? qu'il va fréquemment chez vous?

– C'est pour me vendre des esquisses ou m'acheter des planches; mais en vérité il est innocent et moi aussi. Messieurs, ayez pitié!.. Un malheureux père de famille!..

Mais on ne l'écoutait plus. Après l'avoir assis sur un bloc de pierre, on lui attacha les poignets à deux anneaux de fer distants l'un de l'autre et tenant à la muraille; puis on fixa ses pieds à deux autres anneaux, au bout opposé du cachot.

Les tortionnaires, usant de toute leur vigueur, tendirent alors les quatre cordes, et lorsque le corps de l'accusé commença à ne plus pouvoir allonger ils lui passèrent un tréteau sous les reins, après quoi ils recommencèrent à presser sur les cordes, de façon que le corps fût aussi en extension que possible.

Laffémas se rapprocha, et d'un ton câlin:

– Eh bien, cher monsieur Barbou, fit-il, vous ne voulez donc absolument pas convenir que c'est ce petit peintre?..

– Non, non, non!..

Et il allait se pâmer sans doute, si le médecin, demeuré jusque-là dans l'angle le plus obscur, ne fût venu lui mettre sous les narines un réactif si violent qu'il fit un soubresaut, dont ses quatre cordes craquèrent.

– Vous pouvez commencer, dit en même temps ce savant homme.

– Est-ce à l'ordinaire ou à l'extraordinaire?.. demanda le plus avancé en grade des deux exécuteurs, revêtu pour ces circonstances du titre de questionnaire.

J'espère que l'épreuve ordinaire suffira, prononça d'un ton dolent Laffémas, en échangeant un regard hypocrite avec le moine, immobile, la plume à la main.

Puis, se penchant vers Barbou:

– Vous savez, cher maître, que la question ordinaire consiste à faire avaler quatre pintes d'eau aux accusés, et que l'extraordinaire est du double.

– Rien!.. je ne sais rien… protesta le marchand.

Le moine haussa les épaules, le médecin eut un sourire d'amphithéâtre, et le lieutenant civil adressa du geste un ordre significatif au questionnaire.

Cet homme prit d'une main une corne de bœuf, creuse et percée, dont il plaça le petit bout entre les lèvres forcément entr'ouvertes du patient, et, de l'autre main, il commença à verser dans cet entonnoir le contenu d'une grande pinte d'étain contrôlée, avec une lenteur savante, et de manière à ne pas suffoquer son homme.

Le médecin tenait le pouls de celui-ci, et un peu avant la fin de cette première pinte il fit signe d'arrêter.

Laffémas renouvela son interrogatoire, mais le marchand secoua négativement la tête pour toute réponse.

Le questionnaire, imperturbable, saisit une nouvelle pinte, et commença à lui faire suivre la même voie qu'à l'autre.

Le patient allait être asphyxié, il fallut encore une suspension, et Laffémas, sans se décourager, renouvela ses éternelles demandes.

Pour le coup, le malheureux n'y tenait plus, il préférait la perspective d'un cachot perpétuel, ou même de la corde, à la continuation de cette épreuve barbare.

– Je parlerai… je parlerai, soupira-t-il.

Les assistants eurent un mouvement de joie et d'amour-propre. Le questionnaire seul, quoiqu'il pût s'attribuer la meilleure part de ce commencement de succès, jeta un regard de regret vers la pinte, encore pleine aux trois quarts, et vers les deux qui allaient rester sans emploi; car à sa trogne bourgeonnée on voyait bien que ce n'était pas lui qui les consommerait.

– A la bonne heure, cher maître, fit Laffémas, je savais bien que vous seriez raisonnable… Allons, parlez librement, nous vous écoutons.

– Ah! par grâce détachez-moi d'abord; ces cordes m'entrent dans les chairs; je sens craquer mes reins… Détachez-moi, je dirai tout!..

– Impossible, cher maître; une fois détaché, voyez-vous, vous perdriez la mémoire… Oh! nous en avons fait l'expérience en plus d'une rencontre… rien n'aide au souvenir comme cette position un peu gênée. Nous serions obligés de vous la faire reprendre, et cela nous fendrait l'âme. Croyez-moi, faites vos aveux le plus vite et le plus complètement possible, afin que nous vous détachions ensuite.

– Est-ce que je serai pendu? murmura Barbou en portant sur les visages féroces et sardoniques qui l'entouraient un regard effaré.

– Allons donc! pouvez-vous le croire! Qui donc vous a induit à ce point en erreur sur la clémence de monseigneur le cardinal? Faites des aveux entiers, vous serez récompensé, au contraire…

– Comme vous le méritez, marmotta dans sa barbe le questionnaire.

– Vous reconnaissez avoir imprimé et vendu la caricature dont il s'agit, n'est-ce pas? demanda le lieutenant civil.

– J'en conviens.

– Vous en avez livré aux seigneurs de la cour?..

– J'avoue.

– Indiquez un peu leurs noms, je vous prie, cela allégera votre cause.

Barbou était honnête homme, il manifesta de l'hésitation.

Le questionnaire se rapprocha, sa corne d'une main, sa pinte de l'autre.

– Arrêtez! s'écria l'infortuné, je me rappelle.

Laffémas échangea avec le moine un sourire lâche et cruel.

– Parmi vos acheteurs, M. de Jars ne figurait-il point?

– C'est vrai.

– Un peu de courage, nommez les autres… A qui en livrâtes-vous la plus grande partie?..

– A M. de Bassompierre… Par pitié, demanda Barbou, desserrez ces cordes… Je suis au martyre…

– Du courage… plus qu'un peu de patience… et de mémoire. Niez-vous encore que l'auteur soit ce jeune Philippe de Champaigne?

– Ce n'est pas lui!.. dit avec force le patient.

Le moine fit un soubresaut irrité; Laffémas devint plus doucereux encore, et l'homme à la corne de bœuf s'agita d'une façon menaçante.

– Cher maître, n'essayez pas d'en imposer à la justice… je vous en adjure par vos plus tendres intérêts, ne persistez pas dans cette voie.

– Je ne peux pourtant pas mentir!..

– Mais, alors, quel est l'auteur?

– C'est… c'est M. de Vitry…

– Vitry!.. répéta Laffémas décontenancé.

Mais le moine ne partagea pas ce dédain.

– Un ami de Bassompierre… murmura-t-il.

– Comme le lieutenant criminel le consultait de l'œil, il se leva et s'approcha de son oreille.

– Le jeune homme est innocent, c'est clair; mais ce n'est que demi-mal. Consolez-vous, ce que nous venons d'apprendre vaut bien ce que nous cherchions. Faites détacher ce misérable, et ce tantôt venez me voir, nous aurons quelques soins à accomplir ensemble.

– Pensez-vous que monseigneur le cardinal soit content?

– Je vous le garantis. Vous en jugerez d'ailleurs par la besogne qui va vous incomber sous peu.

Et ces deux hommes, si bien faits pour s'entendre, échangèrent une cordiale révérence.

XVIII
LE BILLET SANGLANT

En sortant de la salle de la question, le père Joseph, muni des aveux de Barbou, certifiés conformes par le lieutenant civil et les autres assistants, remonta d'un pas allègre l'escalier des caveaux. Arrivé à l'étage supérieur, le sous-sol que l'on connaît, il lui prit fantaisie de donner un coup d'œil à l'un des prisonniers dont il s'était fait le geôlier.

En bonne justice, il aurait dû commencer par rendre à Philippe la liberté à laquelle il avait droit, mais ce capucin était de ces hommes circonspects qui aiment à tenir des gens à leur disposition, et se hâtent lentement quand il s'agit de les lâcher.

Ce ne fut pas à celui-ci qu'il rendit visite, mais au captif privilégié installé dans sa propre cellule.

Labadie se tenait debout, les bras croisés sur sa poitrine, devant le crucifix, seule et solennelle décoration de cette retraite ascétique.

Il vit s'avancer vers lui le redoutable franciscain, sans se déranger, sans le saluer du geste ni de la parole.

Aux commissures de ses lèvres déprimées, sous son sourcil grisâtre, dans l'alacrité de sa démarche, il avait déjà lu les noirceurs nouvelles, le triomphe de quelque méfait inconnu.

– Dieu soit avec vous, frère Jean, prononça-t-il.

– Qu'il vous accorde sa sagesse, mon père, répondit froidement le captif.

– Vous paraissez soucieux aujourd'hui, frère Jean?

– Et vous plein de contentement, mon père.

– Éclairé d'en haut, comme vous l'êtes, n'en connaissez-vous point la cause?

– La lumière ne luit pas à toute heure; mais puisqu'il plaît à Votre Révérence de m'interroger, qu'elle me permette de lui dire ceci: Vous portez un habit consacré, et si vous êtes joyeux, il ne vous est permis de l'être que sous la condition d'avoir accompli une action bonne.

– Et vous êtes dans le vrai, frère Jean, répliqua avec cynisme le franciscain, c'est une bonne action qui cause mon contentement.

– Dieu en soit loué, mon père, répondit avec une expression marquée de doute le prisonnier.

– Vous ne me croyez point?.. N'est-ce donc pas chose excellente que d'arracher le masque à un courage, de faire éclater la vérité, de mettre la main de la justice sur le calomniateur?..

– Homme de sang! s'écria Labadie, dont les traits s'illuminèrent tout à coup de ce reflet étrange qui leur formait comme une auréole, vous profanez le nom de la justice, et jusqu'à celui du Très-Haut; cessez de les mêler à vos actes d'inclémence et de persécution!

– Frère Jean!..

– Vous m'avez mis en demeure de parler, je parlerai! Vos menaces, vous devez le savoir, ne m'émeuvent pas plus que vos prisons!..

– Malheureux!..

Mais d'un geste dédaigneux et d'un sourire souverain frère Jean arrêta le débordement de sa fureur, et frappant la dalle du pied:

– De la voûte qui s'élève sous ce cachot, continua-t-il, des cris, des sanglots, des prières ont monté tout à l'heure! C'est là que vous étiez, n'est-ce pas, épiant l'agonie de quelque victime, encourageant le tortionnaire, et surprenant les aveux arrachés par la torture? C'est là ce que vous appelez faire éclater la vérité!..

«La vérité?.. je vais vous la dire, moi!.. Vous me haïssez et ne me persécutez tant que parce que je vous fais peur!»

Le capucin eut un rire sauvage et provocateur, auquel il ne manquait que d'être sincère. C'était vrai, son prisonnier lui imposait plus qu'il ne voulait en convenir lui-même.

– Vous souhaitez que je vous dise l'emploi de votre temps, vos pensées, vos désirs?.. soit! Ceux qui m'ont envoyé vers vous m'ont prescrit de vous obéir, je fais suivant leur ordre.

«Depuis huit jours et plus, de sinistres desseins vous occupent. Vous dressez des listes de proscription contre l'élite du pays, sans distinction d'âge ni de sexe; les plus jeunes et les plus faibles sont compris, par vous, parmi les plus punissables. Vous n'avez même pas le respect du sang royal, et en vous courbant devant le faible monarque que vous rendez l'instrument de vos passions ténébreuses, vous extorquez des blancs-seings destinés à la proscription de sa mère, à la captivité de son frère!»

– Silence!.. exclama le franciscain.

– Vous m'avez enjoint de parler, j'irai jusqu'au bout, insista Labadie d'un ton qui n'admettait pas de réplique.

«Vous parlez de justice… dérision!.. Le pouvoir que vous usurpez, votre maître s'en sert pour la satisfaction de sa luxure et de son orgueil… vous pour celui de vos haines et de votre ambition!..»

– Misérable!.. vociféra le franciscain; tu parlais de tortures tout à l'heure, prends garde!..

– A la question, peut-être? riposta le captif avec une ironie sanglante. Je ne la crains point, et vous n'oseriez!.. Que dirai-je, en effet, si le questionnaire et ses assesseurs m'assujettissaient dans leurs étaux? Que votre dévouement à votre maître est un leurre… que vous ne l'aimez autant qu'à cette condition que sa puissance sera votre puissance, que sa pensée sera votre pensée, et que nulle affection, nul sentiment honnête et pur ne se glissera jamais entre sa condescendance pour vous et votre attachement pour lui!..

– Tu peux dire cela, pauvre fou! le cardinal, qui a les preuves de mon zèle, ne te croira pas.

– Non; mais il me croira peut-être quand je lui montrerai que j'ai mes preuves, moi aussi.

– Toi, imposteur!

– Il me croira, quand je lui apprendrai que pour maintenir entre vos mains cette faveur sans partage, pour empêcher son âme de connaître une impulsion généreuse qui peut-être l'eût fait changer de voie en substituant une influence bienfaisante à votre influence maudite, vous avez, – vous, un prêtre, vous, un moine! – au mépris de vos serments de l'autel, au mépris de la loi d'amour du Christ, vous avez étouffé la voix du sang… vous avez étendu votre bras entre ceux que le Ciel avait créés pour se connaître et s'aimer… vous avez dit au père: Tu ne connaîtras pas ton enfant, et au fils: Tu ne connaîtras pas ton père!..

Le moine, en proie à une de ces colères pâles qui injectent les yeux de bile, s'élança vers le prisonnier pour lui fermer la bouche.

Il lui semblait que les murs recueillaient ces paroles terribles, et que de mystérieux échos les murmuraient déjà autour de lui, grondant et grossissant comme la voix du flot qui monte.

De l'un de ces gestes fascinateurs dont il était doué, le visionnaire l'arrêta avant qu'il atteignît jusqu'à lui.

Il recula, gagné par ce prestige; mais il n'était pas non plus une de ces natures vulgaires qui se laissent impressionner d'une façon durable.

– Frère Jean, prononça-t-il d'une voix saccadée, vous êtes bien hardi pour un hérétique!..

– Hérétique!.. répéta ironiquement Labadie; ce sont les jésuites d'Amiens qui m'ont envoyé chez vous, et j'étais un de leurs élèves.

– Cela ne prouve rien, sinon que les dignes pères ont semé le bon grain en un terrain mauvais… Non, l'on n'emploiera pas pour vous châtier la torture, frère Jean, parce que vos aveux seraient autant de blasphèmes! Votre crime est avéré, d'ailleurs; vous l'avez tracé en toutes lettres dans vingt écrits, et vos propositions sacrilèges n'ont pas besoin d'autre témoignage.

– Ce que j'ai écrit, je le maintiens, répondit fièrement le novateur.

– Même vos huit propositions?..

Labadie ne répondit pas et se borna à un geste dédaigneux, ce que voyant, le père Joseph déroula un papier sur lequel il lut:

«Dieu peut et veut tromper les hommes, et il les induit effectivement en erreur.»

– C'est vous qui avez écrit cela?

– C'est moi, répondit avec calme frère Jean; c'est moi, et ce n'est pas à vous que je donnerai l'explication de ce texte.

– Ni de celui-ci peut-être?

Et le franciscain lut encore:

– «L'Écriture sainte n'est point indispensable pour conduire les hommes dans la voie du salut.»

Le novateur se tut, et son adversaire acheva de lire les six autres propositions, qui devaient en effet servir de base à la doctrine nouvelle, et qui étaient ainsi conçues:

«Le baptême ne doit être conféré qu'après l'âge de raison, parce que ce sacrement montre qu'on est mort au monde et ressuscité à Dieu.

«La nouvelle alliance n'admet que des hommes spirituels, et nous met dans une liberté si parfaite que nous n'avons plus besoin ni de la loi ni de ses cérémonies.

«Il est indifférent d'observer ou non le jour du repos; il suffit que ce jour-là on travaille dévotement.

«Il existe deux Églises: l'une, où le christianisme a dégénéré; l'autre, composée des régénérés qui ont renoncé au monde.

«Jésus-Christ n'est point réellement présent dans l'eucharistie.

«La vie contemplative est un état de grâce, une union divine pendant cette vie, et le comble de la perfection.»

– Ce sont bien là vos doctrines, n'est-ce pas?

– Je n'ai garde de les renier, car j'ai résolu de les prêcher par le monde.

– Et moi j'ai résolu que ce scandale et cette abomination n'auraient pas lieu; et pour cela, Jean, je veux vous décréter d'hérésie.

– Libre à vous, mon père; mais ce qui doit être ne sera pas moins.

– Or, savez-vous pourquoi je veux vous châtier ainsi?

– Je pourrais m'en douter.

– C'est parce qu'à l'hérésiarque on n'inflige pas la question, qui fait parler et amène des indiscrétions dangereuses… On le condamne sans l'entendre, sur l'énoncé de ses blasphèmes, et avant de le conduire à l'échafaud, le bourreau, armé d'un fer, lui tranche la langue.

La vibration de sa voix, la menace de son attitude, l'éclair implacable de son regard n'altérèrent pas une minute la tranquillité triomphante du nouvel apôtre.

– Merci, mon père, répondit-il; du moins avec moi vous y mettez de la franchise, et cet expédient pour m'empêcher de dénoncer la vérité étouffée par vous est d'un raffinement qui honorerait un inquisiteur espagnol.

«Ne triomphez pas encore, cependant, et sachez ceci: quand l'heure de la justice et de la lumière est venue, tous les obstacles humains sont impuissants pour les étouffer. La Providence se sert des plus petits et des plus faibles pour déjouer les embûches et les trames des puissants.

«Donc, ce secret que vous éloignez avec tant de soin de votre maître, cette révélation qui pourrait modifier son être, déjouer vos desseins et vous enlever une partie des victimes sur lesquelles vous comptez…

– Eh bien?

– Ce secret, à l'heure où je vous parle, il est en voie de parvenir au cardinal; il lui est parvenu peut-être.

A ces mots, le franciscain poussa un éclat de rire strident, qui grinça contre les aspérités de la voûte.

– Vous refusez de me croire?.. dit le prisonnier.

– Certes, je ne te crois pas, prophète imposteur! répartit le père Joseph.

– Le messager est parti, cependant…

– Partir n'est pas arriver, mon beau conspirateur!

Frère Jean chercha à lire sur ses traits le fond de sa pensée. Il avait le pressentiment d'un nouveau piège.

– Vous avez, reprit son antagoniste, évoqué, par je ne sais quels procédés diaboliques, cette jeune fille que je vous avais fait rencontrer; puis, comptant vous venger de vos griefs contre moi, et couvrant votre désir de liberté du prétexte de servir les amours de deux jeunes gens fous, vous avez eu l'imprudence, l'audace, de confier au papier une révélation qu'à tout prix il fallait étouffer.

– Enfin, ce message?..

Le père Joseph tira de son froc un feuillet que Labadie reconnut.

– Le voici… Vous l'avez écrit avec votre sang… et la flamme de cette lampe va en faire justice, comme le bûcher fera bientôt de celui qui reste dans vos veines.

Mais cette menace ne fut point ce qui attira l'attention du captif, et ne pensant qu'à ceux qu'il avait voulu protéger et réunir:

– Pauvres enfants!.. soupira-t-il.

– Gardez votre pitié pour vous-même, vous en avez plus besoin qu'eux.

– Ils s'aimaient, poursuivit mélancoliquement Labadie.

– Vous allez être décrété comme hérésiarque au premier chef.

– Henriette, Philippe… je ne sais de quels noms infortunés vous vous êtes appelés dans vos existences antérieures, mais votre destinée peut-elle donc se montrer impitoyable à ce point? Ah! si du moins…

Il s'arrêta en remarquant les regards avides de son ennemi; mais celui-ci, saisissant le reste de sa pensée:

– Si vous pouviez renouveler vos manœuvres sortilèges contre cette jeune fille, n'est-il pas vrai?.. Ne l'espérez pas. Mon devoir était d'y mettre bon ordre. Vous pouvez l'appeler, elle ne viendra pas, à moins que votre influence ne soit plus puissante que les verrous et les gardes, qui assurent désormais les issues du Louvre.

Le captif se contenta de répéter avec un soupir:

– Pauvres, pauvres enfants!..

– Eh bien! frère Jean, dit le franciscain triomphant et s'apprêtant à sortir, que pensez-vous de mon habileté à cette heure? Est-ce que je ne vous tiens pas à ma merci, ou bien croyez-vous encore m'échapper?

Labadie avait passé vivement la main sur son front, comme à l'impression d'une idée inattendue ou d'un souvenir retrouvé.

– Ne vous hâtez pas de triompher, dit-il, la science a plus d'une ressource, la Providence plus d'un agent.

– Nous verrons bien, fit le père Joseph; mais il faudra que la science et la Providence se dépêchent, car avant peu je me serai entretenu de vous avec M. de Laffémas.

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Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
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