Kitabı oku: «Les Mystères du Louvre», sayfa 34
Aucune clameur, aucun bruit ne se manifesta. La stupeur était à son comble. La foule respectueuse croyait assister à un martyre.
De Jars franchit sans hésiter les degrés de la plate-forme. Là, comme le bourreau et son aide s'approchaient pour lui faire subir les derniers préparatifs, qui de nos jours ont lieu dans la prison, mais dont on tenait alors à ne pas frustrer le populaire, il se tourna vers son confesseur pour l'embrasser.
– Je vais prier pour vous, mon fils, lui dit celui-ci.
Et il tendait les bras pour lui donner cette dernière accolade lorsque les yeux du patient rencontrèrent le pavillon de l'hôtel royal et sa mystérieuse draperie.
Le même pressentiment qui régnait dans l'assistance lui vint à cette vue, et fixant sa pensée sur ce point, il étendit la main pour le montrer au prêtre.
– Priez pour ceux qui sont là, mon père, dit-il gravement; ils en ont plus besoin que moi!
Ces mots ne pouvaient arriver jusqu'à cet endroit, mais son regard et son geste y parvinrent assurément, car la draperie eut un frémissement et se plissa en plusieurs endroits, comme si quelqu'un s'y cramponnait.
L'ecclésiastique descendit lentement et d'un pas troublé par l'émotion les terribles gradins, tandis que le chevalier, s'adressant à l'exécuteur:
– Je suis à vous, maître, et besognez adroitement, c'est mon seul désir.
– Soyez docile, répondit l'homme rouge; je jure Dieu que vous n'aurez pas le temps de sentir le coup, et qu'il ne sera pas besoin d'user de la hache.
Il faut savoir que quand la tête n'était pas abattue du coup de revers appliqué à l'aide du sabre, le bourreau achevait de la couper sur le billot à l'aide de sa hache, comme un boucher détache une chair pantelante avec son couperet, en revenant autant de fois qu'il le faut à la charge.
Ces quelques mots échangés, il se livra avec un abandon entier à l'exécuteur et à son aide.
Ils lui ôtèrent d'abord son habit, sur lequel figurait encore la noble croix de Malte, insigne de sa consécration à la cause de la foi et de la royauté. Il demeura en bras de chemise et le col découvert; on lia ses mains par-devant, et le bourreau l'invita à se mettre à genoux, pour lui couper plus facilement les cheveux.
– Je n'ai rien à vous refuser, maître, répondit-il en souriant; j'ai déjà été tonsuré, mais je n'ai pas eu encore, j'en conviens, un valet de chambre qui me fît la toilette sur la place publique.
– Sur Dieu! monsieur le chevalier, répondit le maître des basses-œuvres, vous avez une tranquillité merveilleuse; mais ne me parlez plus de ce ton, je vous en prie, vous me rendez tout troublé; la sûreté de mon bras pourrait s'en ressentir, et je ne me consolerais de ma vie d'avoir fait pâtir un si brave homme que vous!
– Merci, maître. Voilà un sentiment miséricordieux que n'aurait jamais eu celui qui vous emploie. Vous valez mieux que lui, sur mon âme.
– Monsieur le chevalier, dit l'exécuteur, flatté de ce compliment, et s'approchant de son oreille, il m'est défendu de vous laisser parler au peuple, mais il en adviendra ce que pourra, je ne veux pas étouffer la voix d'un si vaillant gentilhomme. Souhaitez-vous dire quelques mots?..
– A quoi bon?.. Je ne pourrais crier à cette foule qu'une seule chose, c'est que je meurs innocent, et elle le sait aussi bien que moi et que mes juges!.. Finissons-en, l'ami; ce brouillard me fait froid, et si j'avais le frisson, on croirait que je tremble de peur.
L'exécuteur poussa un gros soupir, prit les ciseaux passés à sa ceinture et entama les longues boucles qui roulaient sur le cou du patient. Le fer grinça, les assistants frémirent; le chevalier seul resta imperturbable.
Mais voilà qu'au moment où la seconde boucle allait tomber, une clameur violente ébranla l'air. Un remous formidable fit onduler les masses, qui vinrent se heurter contre les hallebardiers, en forcèrent les rangs, et choquèrent si fort l'échafaud que ses étais en craquèrent.
Au milieu de ce tumulte on ne distinguait rien d'abord, mais bientôt un cri strident, lancé à pleins poumons, domina les rumeurs et s'éleva jusqu'au ciel, répété par l'assistance affolée:
– Grâce!.. grâce!..
Les ciseaux du bourreau restèrent en suspens.
– Achevez donc! lui dit de Jars; je vais m'enrhumer.
– Sang-Dieu! monsieur le chevalier, n'entendez-vous pas ces cris? Souffrez que je sois moins pressé que vous; mieux vaut un rhume qu'un coup de sabre.
Un jeune homme, tête nue, les habits en désordre, hors d'haleine, pouvant tout au plus articuler encore ce mot suprême: «Grâce!.. le roi fait grâce!..» un jeune homme accourait, ou plutôt il arrivait porté sur les bras, sur les épaules de la foule, agitant le plus haut qu'il pouvait un parchemin auquel pendait un sceau, – le sceau royal.
Aux clameurs du public, une porte basse s'était ouverte dans le voisinage du pavillon à la fenêtre masquée. Plusieurs personnages en robe noire en étaient sortis, protégés par des gardes, et s'étaient approchés de l'échafaud.
Dans les groupes des bourgeois, où ils étaient reconnus, on entendait prononcer à demi-voix:
– M. de Laffémas, le lieutenant civil! M. d'Argenson, le procureur général! Maître Dujardin, greffier de l'Arsenal!..
Le cri de délivrance avait tiré les bêtes fauves de leur antre; elles venaient voir si l'on osait réellement leur enlever leur proie.
De son côté, le messager de la bonne nouvelle arrivait sur la plate-forme, où, jetant son parchemin au bourreau, il s'élançait dans les bras du patient.
– Philippe!.. mon cher Philippe!.. s'écria de Jars en le reconnaissant.
– Sauvé, monsieur le chevalier! vous êtes sauvé!.. Dieu est bon, j'arrive à temps!..
Le peuple poussait des vivats frénétiques pendant que l'exécuteur parcourait l'écrit et vérifiait le sceau de cire jaune qui en affirmait l'exactitude.
De leur côté, Laffémas et ses acolytes, étant montés sur la plate-forme, s'emparaient du parchemin avec une rage qu'ils ne songeaient pas à contenir. A leur vue, des sifflets éclatèrent au milieu d'une tempête d'épithètes injurieuses.
Mais ils n'étaient pas gens à s'en émouvoir, et ce fut alors que se passa cet épisode fameux où Laffémas, s'adressant à de Jars, osa lui dire:
– C'est vrai, monsieur, l'ordre de grâce est dans les formes, rien n'y manque. C'est à vous d'en témoigner votre reconnaissance, en déclarant aujourd'hui librement ce que vous savez des projets de M. de Châteauneuf et des princes.
Le vaillant gentilhomme, les mains encore garrottées, et dans l'attitude du Christ couronné d'épines, avec la patience et l'humilité de moins, se redressa d'un air qui fit pâlir son interlocuteur:
– Allez dire à votre maître, prononça-t-il, que je suis reconnaissant envers le roi de sa clémence mais que je m'en croirais indigne si j'y trouvais un prétexte pour trahir mes amis.
Philippe, s'emparant des ciseaux que le bourreau avait laissés choir, coupa les liens de celui qu'il venait de rendre à la vie, et, se tenant enlacés, ils descendirent fièrement de la plate-forme, salués par les nouveaux vivats, par les applaudissements de la multitude.
Personne, pas même le chevalier, n'avait plus pensé à la fenêtre du pavillon royal.
Cependant il s'y passait une scène palpitante d'un sombre intérêt. Aux cris de: «Grâce!» lorsque Laffémas et ses séides venaient s'assurer de l'exactitude de cette amnistie inattendue, la draperie avait éprouvé des secousses violentes.
A la minute où de Jars et Philippe descendaient les gradins, un bras rouge s'était avancé en dehors par le coin de ce rideau, désignant l'artiste d'un geste menaçant.
Ce bras, c'était celui de Richelieu. Le front crispé, les lèvres livides, l'œil injecté de fiel.
– Ce jeune homme! dit-il au père Joseph, caché près de lui, c'est encore ce jeune homme!.. Était-ce pour cela que je t'avais dit de le délivrer?..
– Monseigneur… balbutia le franciscain, que cet événement prenait pour la première fois au dépourvu.
– Tu m'avais assuré qu'il devait quitter la France.
Déjà l'astucieux confident avait retrouvé sa présence d'esprit.
– Ce jeune homme ne sait ce qu'il fait, monseigneur. Patience; si j'ai permis qu'il restât, c'est qu'il importe à votre cause qu'il reste.
– Ma cause!.. elle est perdue de l'heure où l'on fait grâce à mes ennemis!.. Et ce téméraire enfant que j'avais voulu protéger!..
– Ne touchez pas à un cheveu de sa tête, Éminence. Si cette cause, qui n'est pas seulement la vôtre, mais la mienne aussi, peut être sauvée, c'est par lui, malgré lui!..
XXI
UNE PROTECTRICE
Au milieu du dédale des intrigues dont il était l'objet et de celles dont il était l'auteur, double labyrinthe aux sentiers inextricables, Richelieu avait eu à peine le loisir de songer en passant au jeune peintre, et encore était-ce seulement lorsque son regard tombait sur l'esquisse de son portrait, demeurée en suspens.
Ce n'est pas que, dans les premiers jours, en apprenant, à ne pouvoir plus en douter, qu'il n'avait pris aucune part à l'acte dont on l'avait accusé injustement, il ne se fût senti le désir de lui accorder une réparation. Il en avait même touché un mot au père Joseph.
Mais celui-ci avait habilement glissé sur ce chapitre, et était parvenu à en détourner l'attention du maître, en rappelant sur les exigences de la crise la plus redoutable qu'il eût encore rencontrée. C'est ainsi que le cardinal n'avait plus aperçu Philippe depuis sa sortie de prison jusqu'au moment où il lui apparut tout à coup, porteur du message royal, délivrant une de ses victimes et affrontant son courroux à la face de la ville entière.
Quelques détails rétrospectifs sont ici nécessaires.
On se souvient que nous avons laissé notre héros, dépouillé par les bravi qu'une main ténébreuse avait apostés, au coin du quai de l'École, où il venait de déboucher, pour gagner le Pont-Neuf et de là le collège de Laon, qu'il habitait.
Les bandits ne l'avaient pas précisément maltraité; ils s'étaient contentés de lui enlever le peu d'argent qui garnissait son escarcelle, le poignard de luxe devenu inutile pour sa défense, et surtout ce médaillon sacré, ce portrait de sa mère, pieux héritage qu'il eût racheté volontiers au prix des plus grands sacrifices.
Cet événement ne pouvait sans doute être considéré que comme un des mille épisodes de brigandage qui éclataient, ainsi qu'on sait, dans la capitale, mais surtout dans ce périlleux quartier du Pont-Neuf. N'eût été la perte de son médaillon, Philippe s'en fût d'autant moins affligé que ses larrons, par une distraction inaccoutumée, avaient oublié de s'emparer de son manteau et de son pourpoint.
Il éprouvait d'ailleurs bien d'autres perplexités. Le souci de sa sûreté personnelle s'ajoutait à celui du sort menaçant de ses amis et de ses protecteurs. Il s'était vu plongé sans motif dans un cachot; on l'avait relâché sans lui donner un éclaircissement plausible.
Rien n'indiquait que sa liberté fût mieux garantie aujourd'hui qu'auparavant; il avait présent à la pensée le sourcil crispé du cardinal. Il se sentait en butte à la persécution sourde du père Joseph. Ce moine disposait de moyens obscurs pour arriver à ses fins, et ceux qui lui portaient ombrage devaient, pour peu qu'ils possédassent de prudence et de sagesse, s'effacer devant lui et céder à ses volontés, sans en chercher les raisons.
Philippe avait espéré lui échapper, en se fondant sur son éloignement pour les intrigues qui occupaient la cour. Retenu au Louvre, à Paris, par une attraction de cœur, il avait rejeté les offres avantageuses du franciscain, parce qu'il n'y voyait qu'une sentence d'exil.
Nous ne dirons pas qu'il se repentit de sa résistance; c'était un esprit droit, qui n'agissait point à la légère; il trouvait dans sa bonne conscience la force et la supériorité. Mais il ne se dissimulait plus qu'un réseau de fils redoutables, parce qu'ils restaient invisibles, l'entourait de toutes parts, et que l'accomplissement de ses désirs ou de ses volontés était à la merci de cette influence.
Sous cette impression, malheureusement trop fondée, il s'était abstenu, pendant les premiers jours qui suivirent sa délivrance, de revenir au Louvre. L'absence de la reine-mère, sa protectrice, justifiait cette réserve.
Que de fois pourtant il fut tenté de l'enfreindre? Si ce palais abritait les ennemis qu'il devait le plus craindre, n'était-il pas aussi l'asile où il avait ressenti les atteintes les plus douces de ses premières affections? N'était-ce pas là qu'il avait commencé à aimer, à se sentir aimé?.. Il avait laissé attachées à ces murs ses émotions, sa joie, son espérance! Hors de là, que lui offrait la vie? Le désenchantement, le vide et les regrets.
Souvent il lui arriva de se mettre en route, au mépris de toute prudence, pour revoir son atelier, sa grande galerie des combles. Quelquefois, sorti de son modeste logis pour un but quelconque, il se surprenait sur le chemin de ce Louvre, qui l'attirait comme un mirage. Il advint même que, plein de bravoure ou d'impatience, il se mit en route pour y rentrer, et ne s'arrêta qu'à la vue des sombres portails qui y donnaient accès. Leur gravité, leurs voûtes surbaissées, leurs huis flanqués de guérites de pierre, s'offraient à lui comme des avertisseurs et le détournaient de son dessein.
Mais cette lutte ne pouvait durer sans que la prudence fût vaincue par le désir, et quel jour le téméraire choisit-il pour cela?.. Précisément celui qui suivit la grâce du chevalier.
Les impressions, les péripéties de cette journée avaient déterminé en lui une exaltation voisine de la fièvre. Il ne se dissimulait pas qu'en manifestant pour de Jars un dévouement aussi sérieux il se créait dans le parti contraire des haines terribles. Mais il en acceptait les conséquences. Il rompait avec la circonspection qu'il avait observée jusque-là pour ses propres intérêts, tandis qu'il travaillait généreusement en faveur des autres, et dût-il se heurter contre le cardinal ou se rencontrer avec le froc du capucin, il voulut rentrer dans le palais.
C'était une satisfaction qu'il s'octroyait, en récompense de ses épreuves de la veille. A ce point de vue, il la méritait bien. Cette grâce, il ne l'avait pas obtenue sans peine.
Nous avons dit comment le vent de la voix publique avait répandu, dans les coins les plus inaccessibles de la ville, le bruit de l'exécution qui se préparait sur la place Saint-Paul. Il était impossible que Philippe, à la piste de ce qui concernait le prisonnier, ne fût pas renseigné dès le premier instant.
Saisi d'horreur et de désespoir à l'idée du crime politique qui allait s'accomplir, il s'était élancé à cheval, et n'avait fait qu'un temps de galop de Paris à Saint-Germain.
On ne le connaissait pas là comme au Louvre. Les demeures des rois ne sont pas accessibles comme celles des particuliers. En voyant ce cavalier couvert de poussière, les vêtements en désordre, montant un cheval de piètre mine, exténué de fatigue, les factionnaires lui barrèrent le passage, et aucun laquais ne voulut d'abord se charger de l'entendre.
Il se désespérait, car les minutes avaient en cette circonstance le prix d'un siècle, le terrain brûlait sous ses pas; il allait se livrer à quelque scène de violence pour forcer la consigne, lorsqu'il fut reconnu par un serviteur de la reine-mère, attiré là par hasard.
Cet homme vit de suite à ses paroles qu'il s'agissait d'une affaire urgente, et le conduisit auprès de la duchesse de Chevreuse.
Mais là ce fut un autre embarras. En l'apercevant pâle, haletant, la pauvre Marie n'eut qu'une pensée; et quand le jeune homme, sans préambule, sans préparation, en homme qui a la tête perdue, s'écria:
– C'en est fait, madame la duchesse, le meilleur de vos amis va tomber sous la hache!..
Elle crut qu'il parlait de Châteauneuf, un nuage passa sur ses yeux, tout son sang reflua vers son cœur, elle se renversa sans connaissance sur son siège.
Des soins empressés la rappelèrent à elle, mais ce ne fut qu'après une scène terrible qu'on lui fit comprendre la vérité. – Hélas! elle était assez triste déjà. Si ce n'était son amant, c'était son plus cher allié que menaçait le bourreau.
Elle courut chez Louise, qu'elle entraîna chez la reine Anne d'Autriche, et qui, à la sollicitation de cette princesse, aux prières trempées de larmes de la duchesse, fit demander une audience au roi.
Louis XIII sortait précisément d'entendre la messe, suivant son usage à la campagne aussi bien qu'à la ville.
Cette demande lui causa une vive émotion, – on connaît son caractère anxieux et timide vis-à-vis des femmes mêmes qui lui plaisaient le plus. Pris ainsi à l'improviste, il balbutia et bégaya longtemps des syllabes incohérentes, avant de réussir à donner à l'huissier de service l'ordre de faire entrer mademoiselle de Lafayette.
Il se leva pour la recevoir; mais elle vint s'agenouiller à ses pieds, et de cette voix à laquelle il était impossible qu'il résistât:
– Grâce?.. grâce et justice, sire?.. implora-t-elle.
– Grâce, répéta-t-il; qui donc oserait vous menacer?..
Et son visage se couvrit de la pâleur ardente qui précédait les explosions de cette grosse colère qui était son courage à lui.
Puis, voyant que la fille d'honneur était toujours à genoux:
– Relevez-vous, mademoiselle, ajouta-t-il.
Il avança la main pour l'y aider; elle prit cette main et la retint sur ses lèvres.
Un feu inconnu circula sous ce baiser dans les veines de Louis-le-Chaste, son œil s'alluma, et, plus tremblant que la belle solliciteuse:
– Parlez, dit-il, ce que vous souhaitez est accordé.
Elle s'approcha d'une table, et lui présentant un parchemin:
– Sire, la grâce d'un innocent qui va mourir.
Il s'assit et prit une plume.
– Le nom?..
– Un de vos plus loyaux, de vos plus braves gentilshommes: monsieur le chevalier de Jars.
– De Jars… condamné!.. Quel est son crime?
– S'il en eût commis un, sire, on n'eût pas manqué de vous le faire connaître. Mais vous êtes Louis-le-Juste, et l'on a rendu en arrière de vous cette sentence inique, parce qu'on reconnaissait votre droiture.
– Oh! murmura le pauvre monarque, ce cardinal, ce tyran!.. Je ne suis pas heureux, mademoiselle…
– Une bonne action porte le bonheur avec elle, sire.
– Prenez donc cette grâce… et puissiez-vous dire vrai…
– Merci, mon roi, dit-elle en s'inclinant avec reconnaissance sur sa main, vous ne fûtes jamais plus grand qu'à cette heure, où vous venez d'accomplir l'œuvre de Dieu, en donnant comme lui la vie à un homme!
Gagné par l'enthousiasme de l'adorable enfant, il saisit à son tour sa petite main et fit le geste de la porter à ses lèvres; mais à moitié route, cette timidité étrange reparut, il rougit comme un novice, poussa un long soupir, et trouva tout au plus la hardiesse de balbutier entre haut et bas:
– Vous êtes bien belle, mademoiselle Louise!
Deux minutes après, sans que Philippe eût aperçu la fille d'honneur, madame de Chevreuse lui remettait l'acte royal, et lui faisait donner le meilleur cheval des écuries de la reine, sur lequel il regagnait Paris plus promptement encore qu'il n'était venu.
On sait le reste: il était arrivé à temps.
Eh bien, c'est le lendemain de cet événement qu'il ne craignit pas de rentrer au Louvre, malgré l'absence de ses protectrices, malgré la présence du ministre dont il avait contribué à déjouer les projets homicides.
Plus d'un lien rattachait l'âme et les aspirations du jeune artiste au Louvre. N'était-ce pas là, – faut-il le répéter? – que se trouvait son tableau de prédilection, l'œuvre où il avait mis son génie? N'était-ce pas là qu'étaient ses souvenirs, et qu'il avait déposé tout son cœur? Hors de là, que lui importait la vie? Cette visite pouvait lui être fatale, mais jamais autant que le doute et l'éloignement.
Il revit donc ce cher atelier!.. tout indiquait le délaissement de ce sanctuaire de l'art, et ce ne fut pas sans émotion qu'il s'approcha de son tableau.
Mais, ô surprise! tandis que la poussière recouvrait tous les objets de la galerie, pas un grain n'apparaissait sur ceux qui lui appartenaient. Ses boîtes, ses brosses, son tabouret, ses chevalets étaient rangés dans un ordre irréprochable. Un rideau vert s'étendait devant la vitrine prochaine, pour parer aux effets de la lumière trop crue ou aux rayons du soleil sur la peinture inachevée, et celle-ci, à laquelle il ne manquait que les dernières touches, se montrait, sous ce demi-jour, poétique et vivante comme un chef-d'œuvre.
Quelqu'un avait donc pris soin de l'atelier en l'absence de l'artiste? Un soin si touchant le pénétra d'une douce reconnaissance, mais il ne s'y absorba pas longtemps. La contemplation de son tableau, qu'il revoyait après de si dures épreuves, au milieu de tant de sujets d'appréhension, l'occupa bientôt.
Sur cette toile il avait déposé avec tout son talent le secret bizarre de cette affection géminée qui s'était produite en lui, sans qu'il fût le maître de s'en défendre ni de choisir entre deux cœurs également dignes d'amour, deux jeunes filles également charmantes.
Depuis quelques jours seulement il avait senti la nécessité de briser un des rameaux de son bonheur, pour se rattacher à celui qui, seul, s'offrait dans les conditions acceptables à un homme tel que lui. Et, bizarrerie détestable du sort, Henriette, à laquelle il se ralliait, était précisément celle devant qui se dressait le plus grand obstacle. Comment fléchir, en effet, la haine, le ressentiment de maître Duchesne.
Immobile, songeur devant cette toile, il revoyait dans les beaux bras, dans les mains suaves de sa nymphe, les attraits de Louise; puis, considérant sa physionomie, il rêvait aux regards séraphiques, aux appas éthérés d'Henriette.
Tandis qu'il roulait en son esprit ces pensers divers, quelqu'un se glissait dans la galerie, et, s'avançant à petits pas, venait s'arrêter derrière son siège.
Il n'avait rien vu, rien entendu, et parlant à sa peinture comme s'il eût parlé à l'original:
– Chère Henriette! murmura-t-il en souriant.
– Vous m'appelez, Philippe? dit une douce et timide voix; et il sentit une main tremblante prendre la sienne.
– Henriette!.. s'écria-t-il avec ferveur, vous! vous en ces lieux! Oh! merci! merci!
Retenant sa main pour la couvrir de baisers, il attira l'enfant à lui, et je ne sais comment cela se fit, il passa un bras autour de sa taille et se mit à la contempler, à l'admirer de si près, de si près, que leurs cœurs se sentaient battre, que leurs souffles se confondaient.
Ce fut une extase de plusieurs minutes, sans phrases, sans paroles.
Henriette rompit la première ce silence.
– Vous m'aimez donc? demanda-t-elle de cette voix enfantine qui est le gage de la virginité.
– Si je t'aime!..
Mais voilà qu'un regard commencé dans un sourire s'acheva sous une larme qui vint trembler au bord de ses longs cils, et cherchant à s'arracher du bras enlacé à sa taille:
– Hélas!.. soupira-t-elle, mon père ne le veut pas… S'il me surprenait ainsi, voyez-vous, il me tuerait!..
– Qu'il me tue d'abord! Vivre sans toi! Ah! de cette heure j'ai compris que je ne le pourrais plus!
Au milieu de leur ravissement, il se fit du bruit à l'entrée de la galerie, et quelqu'un toussa d'une façon significative.
– On vient! s'écria Henriette.
– Que je ne dérange personne, dit une voix protectrice; je vous savais ici, mon jeune ami, et j'ai voulu vous voir.
C'était Marie de Médicis, qui était venue passer une demi-journée au Louvre.
Elle se rapprocha des deux amoureux saisis d'émoi, et remarquant les yeux rougis d'Henriette:
– Eh quoi! reprit-elle, des larmes!.. Ah! je comprends, chagrins de cœur, anxiétés d'amour… Qu'il n'y en ait pas entre vous, mes enfants!.. Je me charge de les aplanir… Vous nous avez bravement servi, Philippe; vous en serez récompensé. Pour commencer de suite, je vous emmène aujourd'hui à Saint-Germain, où je veux que vous fassiez le portrait du roi; cela vous dédommagera de la clientèle d'un cardinal en disgrâce.