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Kitabı oku: «Monsieur de Camors — Complet», sayfa 7

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Comment on passa du sermon sur la superstition au mariage du général de Campvallon, je l'ignore; mais on y vint, et on devait y venir, car c'était le bruit du pays à vingt lieues à la ronde. Ce texte d'entretien réveilla l'attention chancelante de M. de Camors, et son intérêt fut même piqué au vif quand le sous-préfet insinua, sous toutes réserves, que le général, occupé d'autres soins, pourrait bien abdiquer son mandat de député.

— Mais cela serait fort embarrassant! s'écria M. Des Rameures: qui diable le remplacerait? Je vous préviens formellement, mon cher sous-préfet, que, si vous prétendez nous infliger ici quelque farceur parisien avec une fleur à la boutonnière, je le renvoie à son cercle, lui, sa fleur et sa boutonnière! Voilà une chose que vous pouvez considérer comme positive, monsieur!

— Mon oncle! dit à demi-voix madame de Tècle en désignant de l'œil M. de Camors.

— Je vous entends, ma nièce, reprit en riant M. Des Rameures; mais je supplierai M. de Camors, qui ne peut me supposer en aucun cas l'intention de l'offenser, je le supplierai de tolérer la manie d'un vieillard, et de me laisser toute la liberté de mon langage sur le seul sujet qui me fasse perdre mon sang-froid.

— Et quel est ce sujet, monsieur? dit Camors avec sa grâce souriante.

— Ce sujet, monsieur, c'est l'insolente suprématie de Paris à l'égard du reste de la France! Je n'ai pas mis les pieds à Paris depuis 1823, monsieur, afin de lui témoigner l'horreur qu'il m'inspire!.. Vous êtes un jeune homme instruit et sensé, monsieur, et, je l'espère, un bon Français... Eh bien, vous paraît-il juste et convenable, je vous le demande, que Paris nous envoie chaque matin nos idées toutes faites, nos bons mots tout faits, nos députés tout faits, nos révolutions toutes faites... et que toute la France ne soit plus que l'humble et servile faubourg de sa capitale?.. Faites-moi la grâce de me répondre à cela, monsieur, je vous prie!

— Mon Dieu! monsieur, il y a peut-être quelque excès dans cette extrême centralisation de la France; mais enfin tout pays civilisé a sa capitale, et il faut une tête aux nations comme aux individus.

— Je m'empare à l'instant même de votre image, monsieur, et je la retourne contre vous... Oui, sans doute, il faut une tête aux nations comme aux individus; cependant, si la tête est difforme et monstrueuse, le signe de l'intelligence devient le signe de l'idiotisme, et, au lieu d'un homme de génie, vous avez un hydrocéphale! — Faites bien attention, monsieur, à ce que va me répondre M. le sous-préfet tout à l'heure!.. Mon cher sous-préfet, soyez franc. — Si demain la députation de cet arrondissement devenait vacante, trouveriez-vous dans cet arrondissement, ou même dans le département tout entier, un homme apte à remplir les fonctions de député tant bien que mal?

— Ma foi, dit le sous-préfet, je ne vois personne dans le pays... et, si vous persistiez, pour votre compte, à refuser la députation...

— J'y persisterai toute ma vie, monsieur! Je n'irai certes pas, à mon âge, m'exposer aux gouailleries de vos farceurs parisiens!

— Eh bien, dans ce cas-là, vous seriez bien forcé de prendre un étranger et probablement même un farceur parisien.

— Vous avez entendu, monsieur de Camors! reprit M. Des Rameures avec éclat. Ce département, monsieur, compte six cent mille âmes, et, sur ces six cent mille âmes, il n'y a pas l'étoffe d'un député!.. Je mets en fait, monsieur, qu'aucun pays civilisé au monde ne vous donnerait, à l'heure qu'il est, un second exemple d'un scandale pareil! Cette honte nous est réservée, et c'est votre Paris qui en est la cause! C'est lui qui absorbe tout le sang, toute la vie, toute la pensée, toute l'action du pays, et qui ne laisse plus qu'un squelette géographique à la place d'une nation!.. Voilà, monsieur, les bienfaits de votre centralisation, — puisque vous avez prononcé ce mot aussi barbare que la chose!

— Pardon, mon oncle, dit madame de Tècle en poussant tranquillement son aiguille, je ne connais rien à cela, moi... mais il me semble vous avoir entendu dire que cette centralisation qui vous déplaît tant était l'œuvre de la Révolution et du premier consul... Pourquoi donc vous en prendre à M. de Camors?.. Je trouve cela injuste.

— Et moi aussi, madame, dit Camors en saluant madame de Tècle.

— Et moi également, monsieur, dit en riant M. Des Rameures.

— Cependant, madame, reprit le jeune comte, je mérite un peu que monsieur votre oncle me prenne à partie à ce sujet; car, si je n'ai pas fait la centralisation, comme vous l'avez suggéré très justement, j'avoue que j'approuve fort ceux qui l'ont faite.

— Bravo! tant mieux, monsieur! dit le vieillard, j'aime qu'on ait une opinion à soi et qu'on la défende!

— Monsieur, dit Camors, c'est une exception que je fais en votre honneur; car, lorsque je dîne en ville et surtout lorsque j'ai bien dîné, je suis toujours de l'avis de mon hôte; mais je vous respecte trop pour ne pas oser vous contredire. Eh bien, je pense donc que les assemblées révolutionnaires, et le premier consul après elles, ont été bien inspirés en imposant à la France une vigoureuse centralisation administrative et politique; je pense que cette centralisation était indispensable pour fondre et pétrir notre corps social sous sa forme nouvelle, pour l'assujettir dans son cadre et le fixer dans ses lois, pour fonder enfin et pour maintenir cette puissante unité française, qui est notre originalité nationale, notre génie et notre force.

— Monsieur dit vrai! s'écria le docteur Durocher.

— Parbleu! sans doute, monsieur dit vrai! reprit vivement M. Des Rameures. — Oui, monsieur, cela est vrai, l'excessive centralisation dont je me plains a eu son heure d'utilité, de nécessité même, je le veux bien; mais dans quelle institution humaine prétendez-vous mettre l'absolu et l'éternel? Eh! mon Dieu, monsieur, la féodalité aussi a été à son heure un bienfait et un progrès... mais ce qui était bienfait hier ne sera-t-il pas demain un mal et un danger? Ce qui est progrès aujourd'hui ne sera-t-il pas dans cent ans une routine et une entrave? N'est-ce pas là l'histoire même du monde?.. Et si vous voulez savoir, monsieur, à quel signe on reconnaît qu'un système social ou politique a fait son temps, je vais vous le dire: c'est quand il ne se révèle plus que par ses inconvénients et ses abus! Alors, la machine a fini son œuvre, et il faut la changer. Eh bien, je dis que la centralisation française en est arrivée à ce terme critique, à ce point fatal... qu'après avoir protégé, elle opprime: qu'après avoir vivifié, elle paralyse; qu'après avoir sauvé la France, elle la tue!

— Mon oncle, vous vous emportez, dit madame de Tècle.

— Oui, ma nièce, je m'emporte; mais j'ai raison! Tout me donne raison, — le passé et le présent, j'en suis sûr... l'avenir, j'en ai peur! Le passé, disais-je... Tenez, monsieur de Camors, je ne suis pas, croyez-le bien, un admirateur étroit du passé: je suis légitimiste par mes affections, mais franchement libéral par mes principes... tu le sais, toi, Durocher?.. Mais enfin autrefois il y avait, entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, un grand pays qui vivait, qui pensait, qui agissait, non seulement par sa capitale, mais par lui-même... Il avait une tête sans doute, mais il avait aussi un cœur, des muscles, des nerfs, des veines, — et du sang dans ces veines, et la tête n'y perdait rien! Il y avait une France, monsieur! La province avait une existence, subordonnée sans doute, mais réelle, active, indépendante. Chaque gouvernement, chaque intendance, chaque centre parlementaire était un vif foyer intellectuel!.. Les grandes institutions provinciales, les libertés locales exerçaient partout les esprits, trempaient les caractères et formaient les hommes... Et écoute bien cela, Durocher! Si la France d'autrefois eût été centralisée comme celle d'aujourd'hui, jamais la chère révolution ne se serait faite, entends-tu, jamais car il n'y aurait pas eu d'hommes pour la faire... D'où sortait, je te le demande, cette prodigieuse élite d'intelligences tout armées et de cœurs héroïques que le grand mouvement social de 89 mit tout à coup en lumière. Rappelle à ta pensée les noms les plus illustres de ce temps-là, jurisconsultes, orateurs, soldats. Combien de Paris? Ils sortaient tous de la province... du sein fécond de la France!.. Aujourd'hui, nous avons besoin d'un simple député pour des temps paisibles, et, sur six cent mille âmes, nous ne le trouvons pas!.. Pourquoi, messieurs? Parce que, sur le sol de la France non centralisée, il poussait des hommes, et que, sur le sol de la France centralisée, il ne pousse que des fonctionnaires!

— Dieu vous bénisse, monsieur! dit le sous-préfet.

— Pardon, mon cher sous-préfet; mais vous comprenez bien que je plaide votre cause comme la mienne quand je revendique pour la province et pour toutes les fonctions de la vie provinciale plus d'indépendance, de dignité et de grandeur. Au point où ces fonctions sont réduites aujourd'hui, dans l'ordre administratif et judiciaire, également dépourvues de puissance, de prestige et d'appointements... vous souriez, monsieur le sous-préfet!.. elles ne sont plus comme autrefois des centres de vie, d'émulation, de lumière, des écoles civiques, des gymnases virils... elles ne sont plus que des rouages inertes!.. et ainsi du reste, monsieur de Camors!.. Nos institutions municipales sont un jeu, nos assemblées provinciales un mot, nos libertés locales rien!.. Aussi pas un homme... Mais pourquoi nous plaindre, monsieur? Est-ce que Paris ne se charge pas de vivre et de penser pour nous? Est-ce qu'il ne daigne pas nous jeter chaque matin, comme jadis le sénat romain à la plèbe suburbaine, notre pâture de la journée, du pain et des vaudevilles, panem et circenses!... Oui, monsieur, après le passé, voilà le présent, voilà la France d'aujourd'hui!.. Une nation de quarante millions d'habitants qui attend chaque matin le mot d'ordre de Paris pour savoir s'il fait jour ou s'il fait nuit, si elle doit rire ou pleurer! Un grand peuple, jadis le plus noble et le plus spirituel du monde, répétant tout entier le même jour, à la même heure, dans tous les salons et dans tous les carrefours de l'Empire, la même gaudriole inepte, éclose la veille dans la fange du boulevard! Eh bien, monsieur, je dis que cela est dégradant, que cela fait hausser les épaules à l'Europe, autrefois jalouse, que cela est mauvais et funeste, même pour votre Paris, que sa prospérité grise, que son trop-plein congestionne, et qui devient, permettez-moi de vous le dire, dans son isolement orgueilleux et dans son fétichisme de lui-même, quelque chose de semblable à l'empire chinois, à l'empire du Milieu... un foyer de civilisation échauffée, corrompue et puérile!.. Quant à l'avenir, monsieur, Dieu me garde d'en désespérer, puisqu'il s'agit de mon pays. Ce siècle a déjà vu de grandes choses, de grandes merveilles, — car je vous prie de remarquer encore une fois, monsieur, que je ne suis nullement l'ennemi de mon temps... J'admets la Révolution, la liberté, l'égalité, la presse, les chemins de fer, le télégraphe... Et, comme je le dis souvent à M. le curé, toute cause qui veut vivre doit s'accommoder des progrès de son époque et apprendre à s'en servir. Toute cause qui hait son temps se suicide... Eh bien, monsieur, j'espère que ce siècle verra une grande chose de plus, ce sera la fin de la dictature parisienne et la renaissance de la vie provinciale; car, je le répète, monsieur, votre centralisation, qui était un excellent remède, est un détestable régime... C'est un horrible instrument de compression et de tyrannie, prêt pour toutes les mains, commode à tous les despotismes, et sous lequel la France étouffe et dépérit. Tu en conviens toi-même, Durocher; dans ce sens, la Révolution a dépassé son but et même compromis ses résultats; car, toi qui aimes la liberté, et qui la veux non pas seulement pour toi, comme quelques-uns de tes amis, mais pour tout le monde, tu ne peux aimer la centralisation: elle exclut la liberté aussi clairement que la nuit exclut le jour! — Quant à moi, messieurs, j'aime également deux choses en ce monde, la liberté et la France... Eh bien, aussi vrai que je crois en Dieu, je crois qu'elles périront toutes deux dans quelque convulsion de décadence, si toute la vie de la nation continue de se concentrer au cerveau, si la grande réforme que j'appelle ne se fait pas, si un vaste système de franchises locales, d'institutions provinciales largement indépendantes et conformes à l'esprit moderne ne vient pas rendre un sang nouveau à nos veines épuisées et féconder notre sol appauvri. Oh! certes, l'œuvre est difficile et compliquée: elle demanderait une main ferme et résolue; mais la main qui l'accomplira aura accompli l'œuvre la plus patriotique du siècle! Dites cela au souverain, monsieur le sous-préfet; dites-lui que, s'il fait cela, il y a ici un vieux cœur français qui le bénira... Dites-lui qu'il subira bien des colères, bien des risées, bien des dangers peut-être, mais qu'il aura sa récompense quand il verra la France, délivrée comme Lazare de ses bandelettes et de son suaire, se lever tout entière et le saluer!..

Le vieux gentilhomme avait prononcé ces derniers mots avec un feu, une émotion et une dignité extraordinaires. Le silence de respect avec lequel on l'avait écouté se prolongea quand il eut cessé de parler. Il en parut embarrassé, et, prenant le bras de Camors, il lui dit en riant:

— Semel insanivimus omnes, mon cher monsieur, chacun a sa folie... j'espère que la mienne ne vous a pas offensé? Eh bien, prouvez-le-moi, monsieur, en m'accompagnant au piano cette chaconne du XVIe siècle.

Camors s'exécuta avec sa bonne grâce habituelle, et la chaconne du XVIe siècle termina la soirée; mais le jeune comte, avant de se retirer, trouva moyen de plonger madame de Tècle dans un profond étonnement: il lui demanda à demi-voix avec beaucoup de gravité de vouloir bien lui accorder, à son loisir, un moment d'entretien particulier. Madame de Tècle ouvrit démesurément les yeux, rougit un peu et lui dit qu'elle serait chez elle le lendemain, à quatre heures.

VI

En principe, il était parfaitement indifférent à M. de Camors que la France fût centralisée ou décentralisée; mais, en fait, il préférait de beaucoup la centralisation par instinct de Parisien et d'ambitieux. Malgré cette préférence, il ne se fût fait aucun scrupule de se ranger sur cette question à l'avis de M. Des Rameures, s'il n'eût pressenti tout d'abord, avec la supériorité de son tact, que le fier vieillard n'était pas de ces hommes que l'on gagne par la souplesse. Il se réservait au surplus de lui donner l'honneur d'une conversion graduelle, si les circonstances l'exigeaient.

Quoi qu'il en soit, ce n'était ni de la centralisation ni de la décentralisation que le jeune comte se proposait d'entretenir madame de Tècle quand il se présenta chez elle le lendemain à l'heure qu'elle avait fixée. Il la trouva dans son jardin, qui était, comme la maison, d'un style vieilli, sévère et claustral. Une terrasse plantée de tilleuls s'étendait sur un des côtés de ce jardin et le dominait de la hauteur de quelques marches. C'était là que madame de Tècle était assise sous un groupe de tilleuls formant une sorte de berceau. Cette place lui était chère: elle lui rappelait cette soirée où son apparition imprévue avait inondé soudain d'une joie céleste le visage pâle et meurtri de son pauvre fiancé.

Elle avait devant elle une petite table rustique chargée de laines et de soies; elle était plongée dans un fauteuil bas, les pieds un peu élevés sur un tabouret de canne, et elle faisait de la tapisserie avec une grande apparence de tranquillité. M. de Camors, déjà fort versé à cette époque dans la connaissance et même dans la divination de toutes les finesses et de toutes les ruses exquises de l'esprit féminin, sourit secrètement à cette audience en plein air. Il crut en comprendre la combinaison. Madame de Tècle avait voulu enlever à leur rendez-vous le caractère d'intimité que donne le huis clos. C'était la vérité pure. Cette jeune femme, qui était une des plus nobles créatures de son sexe, n'était nullement naïve. Elle n'avait pas traversé dix ans de jeunesse, de beauté et de veuvage sans recevoir, sous une forme plus ou moins directe, quelques douzaines de déclarations qui lui avaient laissé des impressions justes et généralement peu flatteuses sur la délicatesse et la discrétion du sexe adverse. Comme toutes les femmes de son âge, elle connaissait le danger, et, comme un très petit nombre, elle ne l'aimait pas. Elle avait invariablement fait rentrer dans le grand chemin de l'amitié tous ceux qu'elle avait surpris rôdant autour d'elle dans les sentiers défendus; mais cette tâche l'ennuyait. Depuis la veille, elle était sérieusement préoccupée de l'entretien particulier que M. de Camors lui avait fait la surprise de lui demander. Quel pouvait être l'objet de cet entretien mystérieux? Elle eut beau se creuser l'esprit, elle ne put l'imaginer. Il était sans doute invraisemblable au plus haut point que M. de Camors, dès le début d'une connaissance à peine ébauchée, se crût autorisé à lui déclarer ses feux; toutefois, la renommée galante du jeune comte lui revint en mémoire, elle se dit qu'un séducteur de cette taille pouvait avoir des façons extraordinaires, et qu'il pouvait se croire, en outre, dispensé de beaucoup de cérémonie en face d'une humble provinciale. Bref, ces réflexions faites, elle résolut de le recevoir dans son jardin, ayant remarqué dans sa petite expérience que le plein air et les grands espaces vides n'étaient pas favorables aux téméraires.

M. de Camors salua madame de Tècle comme les Anglais saluent leur reine; puis, s'étant assis, il approcha sa chaise, avec un peu de secrète malice peut-être, et, baissant la voix sur le ton de la confidence:

— Madame, dit-il, voulez-vous me permettre de vous confier un secret, et de vous demander un conseil?

Madame de Tècle souleva un peu sa tête fine, attacha sur les yeux du comte la lumière veloutée de son regard, sourit vaguement, et termina cette mimique interrogative par un léger mouvement de la main, qui signifiait: «Vous m'étonnez infiniment, mais enfin je vous écoute.»

— Voici d'abord, madame, mon secret: je désire être député de cet arrondissement.

À cette déclaration inattendue, madame de Tècle le regarda encore, laissa échapper un faible soupir de soulagement et s'inclina avec gravité.

— Le général de Campvallon, madame, poursuivit le jeune homme, me montre une bonté paternelle. Il a l'intention de se démettre de son mandat en ma faveur; il ne m'a pas caché que l'appui de monsieur votre oncle était indispensable au succès de ma candidature. Je suis donc venu dans ce pays sur l'inspiration du général, avec l'espérance de conquérir cet appui; mais les idées et les sentiments que monsieur votre oncle exprimait hier me paraissaient si directement contraires à mes prétentions, que je me sens véritablement découragé. Bref, madame, dans ma perplexité, j'ai eu la pensée, fort indiscrète sans doute, de m'adresser à votre bonté, et de vous demander un conseil que je suis déterminé à suivre, quel qu'il soit.

— Mais, monsieur... vous m'embarrassez beaucoup, dit la jeune femme, dont le joli visage sombre s'éclaira d'un franc sourire.

— Je n'ai, madame, aucun titre particulier à votre bienveillance... au contraire peut-être... mais enfin je suis un être humain et vous êtes charitable... Eh bien, madame, sincèrement, il s'agit de ma fortune, de mon avenir, de ma destinée tout entière. L'occasion qui se présente ici pour moi d'entrer jeune dans la vie publique est unique; je serais au désespoir de la perdre... Voulez-vous être assez bonne, madame, pour m'obliger?

— Mais comment? dit madame de Tècle. Je ne me mêle pas de politique, moi, monsieur... Qu'est-ce que vous me demandez au juste?

— D'abord, madame, je vous demande, je vous supplie de ne pas me desservir.

— Pourquoi vous desservirais-je?

— Mon Dieu! madame, vous avez plus que personne le droit d'être sévère... Ma jeunesse a été un peu dissipée; ma réputation, à quelques égards, n'est pas très bonne, je le sais; je ne doute pas qu'elle ne soit arrivée jusqu'à vous, et je pourrais craindre qu'elle ne vous eût inspiré quelques préventions.

— Monsieur, nous vivons ici fort retirés... nous ne savons guère ce qui se passe à Paris... Au surplus, cela ne m'empêcherait pas de vous obliger, si j'en connaissais les moyens, car je pense que des travaux sérieux et élevés ne pourraient que modifier heureusement vos occupations ordinaires.

— C'est véritablement une chose délicieuse, se dit à part lui le jeune comte, que de se jouer avec une personne si spirituelle. — Madame, reprit-il avec sa grâce tranquille, je m'associe à vos espérances... mais, puisque vous daignez encourager mon ambition, croyez-vous que je parvienne un jour à triompher des dispositions de monsieur votre oncle?.. Vous le connaissez bien... que pourrais-je faire pour me le concilier? Quelle marche dois-je suivre? car je ne puis certainement me passer de son concours, et, si j'y dois renoncer, il faut que je renonce à mes projets.

— Mon Dieu! dit madame de Tècle en prenant un air réfléchi, c'est bien difficile!

— N'est-ce pas, madame?

Il y avait dans la voix de M. de Camors tant de soumission, de confiance et de candeur, que madame de Tècle en fut touchée, et que le diable en fut charmé au fond des enfers.

— Laissez-moi y penser un peu, dit-elle.

Elle posa son coude sur la table, et sa tête sur sa main. Ses doigts un peu écartés en éventail cachaient à demi un de ses yeux, tandis que les feux de ses bagues jouaient au soleil, et que ses ongles nacrés tourmentaient doucement la surface brune et lisse de son front. — M. de Camors la regardait toujours avec le même air de soumission et de candeur.

— Eh bien, monsieur, dit-elle tout à coup en riant, moi, je crois que vous n'avez rien de mieux à faire que de continuer.

— Pardon, madame... continuer... quoi?

— Mais... le système que vous avez suivi jusqu'ici avec mon oncle: ne rien lui dire quant à présent, prier le général de se taire de son côté, et attendre tranquillement que le voisinage, les relations, le temps — et vos qualités, monsieur, aient préparé suffisamment mon oncle à votre candidature. Quant à moi, mon rôle est bien simple; je ne pourrais en ce moment vous aider sans vous trahir... par conséquent, mon assistance doit se borner, jusqu'à nouvel ordre, à faire valoir vos mérites aux yeux de mon oncle... C'est à vous de les montrer.

— Vous me comblez, madame, dit M. de Camors. En vous prenant pour confidente de mes projets ambitieux, j'ai commis un trait de désespoir et de mauvais goût... qu'une nuance d'ironie punit bien légèrement; mais, pour parler très sérieusement, madame, je vous remercie de grand cœur. Je craignais de trouver en vous une puissance ennemie, et je trouve une puissance neutre, presque alliée.

— Oh! tout à fait alliée, quoique secrètement, dit en riant madame de Tècle. D'abord, je suis bien aise de vous être agréable, et puis j'aime beaucoup M. de Campvallon, et je suis heureuse d'entrer dans ses vues... —Come here, Mary!

Ces derniers mots, qui signifient: «Venez ici!» s'adressaient à mademoiselle Marie, qui venait d'apparaître sur un des escaliers de la terrasse, les joues écarlates, les cheveux en broussaille, et tenant une corde à la main. — Elle s'approcha aussitôt de sa mère en faisant à M. de Camors un de ces gauches saluts particuliers aux jeunes filles qui grandissent.

— Vous permettez, monsieur de Camors? reprit madame de Tècle.

Et elle donna en anglais à sa fille quelques ordres que nous traduisons:

— Vous avez trop chaud, Mary, ne courez plus... Dites à Rosa de préparer mon corsage à petits bouillons... Pendant que je m'habillerai, vous me direz votre page de catéchisme...

— Oui, mère.

— Vous avez fait votre thème?

— Oui, mère... Comment dit-on en anglais joli... pour un homme?

— Pourquoi?

— C'est dans mon thème... pour un homme beau, joli, distingué?

— Handsome, nice, charming, dit la mère.

— Eh bien, mère, ce gentleman notre voisin est tout à fait handsome, nice and charming!

— Mad... foolish creature! s'écria madame de Tècle pendant que l'enfant se sauvait en courant et descendait l'escalier comme une cascade.

M. de Camors, qui avait écouté ce dialogue avec un calme impassible, se leva.

— Merci encore, madame, dit-il, et pardon... Ainsi vous me permettrez de vous confier de temps en temps mes peines ou mes espérances politiques?

— Certainement, monsieur.

Il la salua et se retira. — Comme il traversait la cour de la maison, il se trouva en face de mademoiselle Mary, et, lui adressant une inclination respectueuse:

— Another time, miss Mary, lui dit-il, take care... I understand english perfectly well. (Une autre fois, miss Mary, prenez garde: j'entends l'anglais parfaitement bien.)

Miss Mary demeura tout à coup droite sur ses hanches, rougit jusqu'aux cheveux, et jeta à M. de Camors un regard farouche, mêlé de honte et de fureur.

— You are not satisfied, miss Mary? reprit Camors. (Vous n'êtes pas contente, miss Mary?)

— Not at all (pas du tout)! dit vivement l'enfant de sa grosse voix un peu enrouée.

M. de Camors se mit à rire, s'inclina de nouveau, et partit, laissant au milieu de la cour miss Mary immobile et indignée.

Peu de minutes après, mademoiselle Marie se jetait tout en larmes dans les bras de sa mère, et lui contait à travers ses sanglots sa cruelle mésaventure. Madame de Tècle, tout en saisissant l'occasion de donner à sa fille une leçon de réserve et de convenance, se garda de prendre les choses au tragique, et parut même en rire de si bon cœur, quoiqu'elle n'en eût pas trop envie, que l'enfant finit par en rire avec elle.

M. de Camors cependant regagnait ses foyers en se félicitant cordialement de sa campagne, qui lui semblait être, non sans raison, un chef-d'œuvre de stratégie. Par un mélange savant de franchise et d'astuce, il avait engagé tout doucement madame de Tècle dans ses intérêts, et dès ce moment la réalisation de ses rêves ambitieux lui paraissait assurée, car il n'ignorait pas la valeur incomparable de la complicité des femmes, et il connaissait toute la puissance de ce travail latent et continu, de ces petits efforts accumulés, de ces poussées souterraines qui assimilent les forces féminines aux forces patientes et irrésistibles de la nature. D'autre part, il avait mis un secret entre cette jolie femme et lui, il s'était établi auprès d'elle sur un pied confidentiel; il avait acquis le droit des regards mystérieux, des demi-mots clandestins, des entretiens dérobés, et une telle situation, habilement gouvernée, pouvait l'aider à passer agréablement le temps de son stage politique.

À peine rentré chez lui, M. de Camors écrivit au général pour lui rendre compte du début de ses opérations et pour lui demander un peu de patience; puis, à dater de ce jour, il mit tous ses soins à poursuivre le succès des deux candidatures qu'il avait posées à la fois, et qui lui tenaient déjà presque également au cœur. Sa politique à l'égard de M. Des Rameures fut aussi simple qu'adroite; elle était, d'ailleurs, si clairement indiquée, que le détail en offrirait peu d'intérêt. Profitant sans empressement affecté, mais avec une familiarité croissante, des relations de voisinage, il se mit pour ainsi dire à l'école dans la ferme modèle du vieux gentilhomme-pasteur; il lui abandonna, en outre, la direction théorique de son propre domaine. Par cette facile complaisance, ornée de sa courtoisie captivante, il s'avança sensiblement dans les bonnes grâces du vieillard. Toutefois, à mesure qu'il le connaissait mieux et qu'il éprouvait de plus près la fermeté granitique de ce caractère, il commença à craindre que sur certains points essentiels il ne fût radicalement inflexible. Après quelques semaines de relations presque quotidiennes. M. Des Rameures vantait volontiers son jeune voisin comme un gentil garçon, un excellent musicien, un aimable convive; mais de là à la pensée d'en faire un député, il y avait une nuance qui pouvait être un abîme. Madame de Tècle elle-même l'appréhendait beaucoup, et ne le cachait pas à M. de Camors.

Le jeune comte cependant ne se préoccupait pas autant qu'on pourrait le croire des déceptions qui semblaient le menacer de ce côté, car il était arrivé sur ces entrefaites que son ambition secondaire avait dominé peu à peu son ambition principale, en d'autres termes que son goût pour madame de Tècle était devenu plus vif et plus pressant que son amour pour la députation. Nous devons avouer, non à sa gloire, qu'il s'était d'abord proposé la séduction de sa voisine comme un simple passe-temps, comme une entreprise intéressante, et surtout comme une œuvre d'art extrêmement difficile, qui lui ferait, à ses propres yeux, le plus grand honneur. Quoiqu'il eût rencontré peu de femmes de ce mérite, il la jugeait assez bien. Madame de Tècle, il le comprenait, n'était pas simplement une honnête femme, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas seulement l'habitude du devoir, elle en avait la passion; elle n'était pas prude, elle était chaste; elle n'était pas dévote, elle était pieuse. Il entrevoyait chez elle un esprit à la fois très droit et très délié, des sentiments très hauts et très dignes, des principes réfléchis et enracinés, une vertu sans raideur, pure et souple comme une flamme. Toutefois, M. de Camors ne désespéra pas. Il avait pour principe qu'il n'y a de vertus infaillibles que celles à qui l'occasion suffisante a manqué, et il se flatta d'être pour madame de Tècle cette occasion efficace. Il sentit parfaitement, d'ailleurs, qu'avec elle les formes ordinaires de la galanterie seraient hors de saison. Par un raffinement suprême, il mit bas les armes devant celle dont il voulait faire la conquête: tout son art fut de l'entourer d'un respect absolu, laissant le soin du reste au temps, à l'intimité de chaque jour et au charme redoutable qu'il savait en lui.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
330 s. 1 illüstrasyon
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Public Domain
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