Kitabı oku: «Gutenberg», sayfa 2
SCÈNE XI
ZUM, LE PETIT ZUM, ils ont, chacun, une longue plume derrière l'oreille.
La scène reste vide quelques instants; puis Zum et le petit Zum entrent, l'un par la droite, l'autre par la gauche. Ils traversent la scène, sans se voir, et se rencontrent, nez à nez, au second tour, au milieu du théâtre.
ZUM
C'est toi, grand frère? Où vas-tu ainsi, le nez en l'air?9
LE PETIT ZUM
C'est toi, petit frère? Où vas-tu ainsi, le poing sur la hanche?
ZUM
Chez Gutenberg, l'orfèvre.
LE PETIT ZUM
Et moi chez le père Grimmel, le marchand d'estampes.
ZUM
Gageons que nous venons tous les deux pour la même chose.
LE PETIT ZUM
Les feuillets gravés par Gutenberg, n'est-ce pas?
ZUM
Tout juste.
LE PETIT ZUM
Eh bien! Allons voir ça!
Ils vont prendre, à la devanture de la boutique du marchand d'estampes, les feuillets, et reviennent au milieu du théâtre.
ZUM, examinant les feuillets10
C'est vraiment extraordinaire! Quelle écriture admirable! Pas une lettre ne dépasse l'autre… Partout même largeur de lignes… Et s'il y a une faute, un trait singulier sur un feuillet, on trouve la même faute, le même trait, sur tous les autres… C'est la même page constamment reproduite… Que dis-tu de cela, petit frère?
LE PETIT ZUM
Je dis, grand frère, que si cette invention se répand, tout le corps de Mayence, dont nous avons l'honneur de faire partie (Ils saluent tous les deux, du pied droit, et en ôtant leur bonnet.) n'a plus de raison d'être, ni de moyen d'existence… et que nous n'avons plus qu'à nous faire moines ou soldats.
ZUM, allant à la boutique de Gutenberg, et lui montrant le poing11
Et c'est ce Gutenberg qui a fait cela!… Je ne l'aimais déjà pas beaucoup, ce jeune homme. Il est gentilhomme et de famille noble, et il s'est fait artisan. Il avait un bon et vieux nom, celui des Gensfleisch, et il l'a quitté, pour prendre le nom d'un petit domaine qu'il possède à Gutenberg. Enfin, voilà qu'il lui vient la déplorable idée de ruiner les copistes!
LE PETIT ZUM
Et aucune loi ne peut l'empêcher de mettre subitement sur le pavé une foule de pauvres diables, comme toi et moi?
ZUM
Aucune… Nous n'avons rien contre lui… Excepté ceci.
Il tire un poignard.
LE PETIT ZUM
Ou cela… (il tire un poignard plus grand.) Alors, grand frère, tu ne verrais pas d'inconvénients?
Il fait le geste de poignarder.
ZUM, bas
Au contraire!… morte la bête, mort le venin.
LE PETIT ZUM, il regarde si personne ne l'écoute, et amène son frère à l'extrême droite
J'ai pris, à tout hasard, quelques informations sur notre homme… Il sort, chaque soir, à huit heures, après son repas, et se rend à la brasserie du Rhin, pour deviser, avec ses deux amis, Conrad Hummer et André Dritzen, de choses de jeunesse et d'amour.
ZUM, même jeu: Zum amène son frère à l'extrême gauche
De sorte qu'il suffirait, ce soir, par exemple, de nous cacher dans un coin de la rue, et d'attendre notre cavalier.
LE PETIT ZUM
À ce soir, grand frère! J'aurai mon poignard.
ZUM
Et moi le mien… c'est-à-dire, non!… j'apporterai une dague: on frappe de plus loin.
LE PETIT ZUM
À ce soir!… Gutenberg est un homme mort.
SCÈNE XII
Les Mêmes, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN, sortant de la boutique de Gutenberg.
Conrad Hummer et André Dritzen sont entrés à la fin de la scène précédente, et ont entendu les dernières paroles des deux Zum. Ils s'approchent vivement des deux Zum, et chacun les prend par un bras.
CONRAD HUMMER
Ah! mes drôles, c'est l'assassinat de notre ami Gutenberg que vous complotiez ainsi12.
LE PETIT ZUM
Vous vous trompez! Vous avez espionné tout de travers. Nous ne parlions pas du tout de faire du mal à votre ami.
ANDRÉ DRITZEN
Et que disiez-vous donc?
ZUM, dégageant son bras de l'étreinte de Dritzen, et allant devant la boutique du marchand d'estampes, (avec force.)
Nous disions que celui qui a fait et exposé ces feuillets d'écriture, est un mécréant et un sorcier; car jamais main d'homme ne saurait en créer de pareils. J'en appelle à tout le monde13. Je demande à tous les bourgeois de la ville (Montrant les feuillets.) si ce n'est pas là une œuvre magique et diabolique.
SCÈNE XIII
Les Mêmes, FRIÉLO, DRITZEN, CONRAD HUMMER, Bourgeois, Peuple, puis FUST et GUTENBERG
Pendant les dernières paroles de Zum, des bourgeois, des passants sont entrés, et se sont peu à peu rassemblés devant la boutique de Grimmel.
LE PETIT ZUM
Mon doux Jésus! Que restera-t-il aux honnêtes copistes pour vivre, si les mécréants se mettent à faire leur besogne? En écrivant du matin au soir, et du soir au matin, la vie d'un homme ne suffirait pas à copier les manuscrits que Jean Gensfleich a livrés ce matin à ce marchand d'estampes.
FRIÉLO, à Gutenberg14
Hélas! maître, à quoi cela vous servira-t-il, sinon à vous faire brûler comme sorcier, de pouvoir écrire plus vite que personne? Le monde en ira-t-il mieux? Je crains qu'il n'aille, au contraire, plus mal, en commençant par nous. Renoncez à vos projets, il en est temps encore. Acceptez la protection du seigneur Fust, ou nous sommes perdus!
GUTENBERG, à Friélo
Si tu m'aimes, tais-toi, si tu as peur, va-t'en. (Au peuple.) Qu'y a-t-il? que me voulez-vous? Amis, répondez. De quoi m'accuse-t-on?
ZUM
On t'accuse de sorcellerie; car il n'y a que le démon qui ait pu, sans l'aide d'une main humaine, tracer des caractères semblables. Tes feuillets sentent le roussi: ce sont des œuvres d'enfer!
LE PETIT ZUM
Hésiterez-vous à condamner comme sorcier, celui qui écrit à l'aide de maléfices?
LE PEUPLE
Mort au renégat! mort à Gensfleisch!… mort à Gutenberg! À mort! à mort!
FUST, s'avançant vers Gutenberg
Eh bien! jeune homme, tu le vois, toi et ton œuvre allez périr ensemble. Un mot, et je te sauve: un mot, et ce peuple menaçant se prosterne devant toi. Une dernière fois, je t'offre mon appui. Veux-tu me confier ton secret?
GUTENBERG
Jamais!
Fust fait un geste d'encouragement aux deux Zum, et sort, par la droite.
LES DEUX ZUM et LE PEUPLE
Mort à l'hérétique!… À mort! à mort!
Annette et Hébèle sortent de la boutique d'orfèvre; Friélo leur montre le peuple en courroux; Conrad et Dritzen les rassurent.
SCÈNE XIV
Les Mêmes, DIETHER D'YSSEMBOURG
Diether est précédé de soldats, qui font reculer le peuple à droite et à gauche, et restent au fond.15
DIETHER D'YSSEMBOURG
Quel est ce tumulte? Pourquoi ces cris?… Silence, bourgeois et manants! C'est moi, votre chef, votre souverain, votre père, qui ai seul ici le droit d'accuser, de punir ou d'absoudre. Si Gutenberg est coupable, il sera condamné; s'il est innocent, pourquoi ces menaces? Justice sera faite. Retirez-vous un moment (Le peuple se retire au fond du théâtre. Friélo s'approche de Zum, et revient près de Conrad et Dritzen, qui le rassurent. Il baise le bas de la robe de Diether. Sur un mouvement menaçant de Zum, il s'écarte.—À Gutenberg.) Je sais, jeune homme, que tu es un bon et loyal ouvrier. Je sais, que tu n'as jamais fait aucune œuvre de sorcellerie, et qu'en te livrant à des essais nouveaux, tu obéis à une noble ambition. Il m'a été facile de te préserver tout à l'heure de l'émeute populaire; mais la bourgeoisie de Mayence, jalouse du rang qu'a su jadis conquérir ton père et de ton mérite personnel, ne te pardonnera pas de sitôt une découverte appelée à illustrer ton nom… Je ne te dirai pas de renoncer à une idée, que je tiens, moi, pour excellente; mais comme mon devoir est de faire régner l'ordre et la bonne harmonie dans la ville, je t'ordonne de partir, de quitter Mayence, sur l'heure. Ton absence peut seule calmer la surexcitation du peuple. (Mouvement de Gutenberg.) Pars pour la Hollande. Tu trouveras à Harlem l'imagier Laurent Coster; ses lumières et ses conseils te seront utiles. C'est l'homme le plus propre à comprendre et à encourager tes travaux. Présente-toi à lui de ma part. Sois toujours laborieux et honnête, et lorsque tu reviendras, la ville, apaisée, te fera bon accueil, je te le promets.
GUTENBERG
Mon intention était de partir, pour aller perfectionner mon invention loin de Mayence, loin des ennemis et des jaloux. Je l'ai annoncé ce matin à ma sœur, à mes amis; mais je n'avais pas encore de résidence déterminée. Vous me donnez, monseigneur, un excellent avis en m'engageant à me rendre chez Laurent Coster. Je travaillerai sous ses yeux, et je reviendrai un jour, pour rendre à mon pays l'art merveilleux dont j'emporte le germe.
DIETHER D'YSSEMBOURG
Compte toujours sur ma protection et mon appui.
Conrad va remercier Diether; Diether remonte près de Conrad.
GUTENBERG, à Diether
Merci, mille fois, monseigneur. (À Hébèle.) Ne pleure pas, Hébèle. La prière et le travail sont deux amis qui se retrouvent toujours: nous nous reverrons. (À Annette.) Ne veux-tu pas me serrer la main, Annette?
ANNETTE
Ah! Jean! ce n'est plus avec les larmes que je te dis adieu… c'est avec orgueil!
HÉBÈLE
Cher frère!
GUTENBERG, à Conrad Hummer et à André Dritzen, et saluant Diether
Adieu! Conrad. Adieu, André. Pensez un peu à l'ami absent, qui ne vous oubliera jamais.
Fausse sortie.
FRIÉLO, courant après Gutenberg, d'une voix piteuse
Vous oubliez quelqu'un, maître!
GUTENBERG, revenant
C'est vrai: je ne t'ai rien dit, mon pauvre Friélo. (Il lui tend la main.) Que la providence veille sur toi!
FRIÉLO
Ce n'est pas ça, mon cher maître; vos adieux ne me feront pas le cœur plus content. Ce que je désire, c'est aller avec vous chez Laurent Coster, l'imagier de Harlem. Comment avez-vous pu songer à partir seul? Croyez-vous que je me soucie de rester sans vous à Mayence!
GUTENBERG
Toi, Friélo, si casanier, si poltron et si amoureux des belles filles de ton pays, tu consentirais à aller jusqu'en Hollande?
FRIÉLO
Oui, car au-dessus de mes aises, de ma poltronnerie et de mes amourettes, il y a mon frère de lait, il y a mon maître. Me conduiriez-vous en enfer? (À part.) je sais bien qu'il n'ira jamais de ce vilain côté. (Haut.) je vous suivrais partout!
GUTENBERG
Eh bien, mon garçon, tu me suivras, puisque tu le veux.
LE PETIT ZUM, sortant de la foule restée au fond, à Diether
Monseigneur, les amis m'envoient vous demander ce que vous avez décidé contre ce mécréant.
DIETHER D'YSSEMBOURG
Je lui ai ordonné de partir, de quitter Mayence.
ZUM, s'avançant
Et de n'y jamais rentrer, nous l'espérons! (La foule vient se ranger autour de Gutenberg, de Diether et des autres personnes, avec un air menaçant.) Qu'il parte à l'instant, s'il ne veut pas tomber sous nos coups.
LE PEUPLE
À mort! à mort!
GUTENBERG
Malheur à qui oserait porter la main sur moi, ou sur cet enfant. (Écartant de la main le peuple qui se range aux deux côtés du théâtre.) Place, bourgeois ingrats et félons! Je méprise vos injures et brave vos menaces.... Viens, Friélo!
Il pose son bras sur l'épaule de Friélo, traverse la scène, et sort, entre la double rangée du peuple et des bourgeois.
TOUS
Vive monseigneur! monseigneur Diether d'Yssembourg!
ACTE DEUXIÈME
DEUXIÈME TABLEAU
L'IMAGERIE DE LAURENT COSTER, À HARLEM
Une salle de l'imagerie de Laurent Coster, à Harlem.—Au fond, une porte.—De chaque coté de la porte, un vitrage, sur lequel sont accrochées des images.—Portes latérales.—À droite, un dressoir, couvert de vaisselle.—À gauche, un bahut, sur lequel sont un vase de fleurs et un sablier.—Près du bahut, un guéridon, avec ce qu'il faut pour écrire.—Au milieu du théâtre, une table.—Escabeaux, etc.
SCÈNE PREMIÈRE
MARTHA, elle met le couvert, en allant du dressoir à la table.—Gaiment
Mon père m'a dit: «Martha, mets à la broche le poulet le plus gras; monte de la cave le meilleur vin; sors de l'armoire une nappe de la plus belle toile de notre Hollande, des assiettes de faïence et des gobelets d'argent, car j'ai à déjeuner quelqu'un que je désire bien traiter, et que tu ne seras pas fâchée de voir à notre table.» Pour accueillir ainsi un convive, il faut que mon père le tienne en grand estime. (Pensive.) Si c'était Gutenberg? Je n'ose le croire, et pourtant quel autre pourrait mériter mieux que lui l'amitié de mon père! Depuis que ce jeune homme est entré à l'imagerie, il ne s'est pas attiré un seul reproche, et j'ai souvent entendu dire à mon père qu'il est au-dessus du rôle de contre-maître qu'il remplit ici… Oui, oui, c'est de Jean Gutenberg qu'il s'agit. (Elle approche un escabeau de la table.) C'est Jean qui s'assiéra là. (Elle met un pâté sur la table.) Toutes ces bonnes choses seront pour lui… Il va venir!… (Elle regarde au vitrage.) Jamais le ciel ne me parut si beau. (S'approchant du vase, prenant une fleur et la respirant.) Jamais les fleurs ne m'ont paru aussi parfumées. (Elle met la fleur à sa ceinture.) Jamais enfin, je ne me suis sentie si heureuse de vivre, et si fière d'être la fille de Laurent Coster… Mais pourquoi suis-je pensive et distraite? J'aime à rêver pendant de longues heures… Pourquoi? (Elle s'assied.—Après un silence.) Puisque je trouve Gutenberg aimable et bon, comment se fait-il que je sois si craintive devant lui? Le son de sa voix suffit à me faire rougir, (Elle se lève.) et à la pensée de le voir, mon cœur bat à briser ma poitrine. (Elle s'approche du sablier.) Je renverserais ce sablier, si cela pouvait ralentir la marche du temps, et cependant je voudrais qu'il marquât déjà l'heure de midi!… Quel est donc le sentiment étrange, qui me fait à la fois redouter et souhaiter la présence de Gutenberg?… Pourquoi, en l'attendant, suis-je si émue? Je me sens frémir, comme une feuille qui tremble au vent…
SCÈNE II
FRIÉLO, MARTHA
FRIÉLO, entrant par la droite, portant des feuilles et des images
Pardine, damoiselle, ou je me trompe fort, ou ce mal mystérieux s'appelle l'amour. Pour le soulager, il ne faut ni médecin, ni sorcier.... Il faut seulement trouver un cœur qui réponde au sien. (Mouvement de Martha.) Ne baissez pas les yeux, damoiselle; votre amour est de ceux qui peuvent s'avouer à la face de tous. La fille de Laurent Coster, l'imagier, n'a point à se cacher d'aimer Jean Gutenberg! Vrai Dieu! heureuse sera la main mignonne que le prêtre mettra dans la main loyale de mon maître. (Plaçant les feuillets au vitrage.) Là!
Il sort par la gauche.
SCÈNE III
MARTHA, pensive
C'est de l'amour, a dit Friélo!… J'aurais de l'amour pour Gutenberg! Mais lui, m'aime-t-il?… Friélo ne l'a pas dit!…
Coster arrive par le fond.
SCÈNE IV
MARTHA, COSTER
COSTER
Tout est-il prêt, mon enfant?
MARTHA
Oui, mon père.
COSTER, il l'embrasse
Eh bien! va chercher, pour le dessert, un cruchon de vieux curaçao.
MARTHA
J'y vais, mon père.
Elle sort par la gauche.
COSTER, seul.—Il ferme la porte du fond, va à la porte de droite, puis à celle de gauche.—Regardant autour de lui
Je suis seul!… bien seul!… Vous savez, sainte dame, la vierge, si j'aime ma fille, l'ange consolateur de ma vieillesse. Eh bien! que je sois privé du salut éternel, si je ne regarde pas mon invention comme un second enfant, qui, autant que ma fille, a droit à ma tendresse… (Il ouvre un tiroir du bahut, et y prend une casse d'imprimerie.) Mon invention, la voilà! (Il pose la casse sur le guéridon.) Jusqu'ici, l'existence d'un pauvre copiste était à peine suffisante pour transcrire une bible ou un livre d'heures; mais désormais, grâce à mes caractères mobiles, on pourra reproduire mécaniquement les manuscrits. (Il prend quelques caractères dans la casse d'imprimerie, les regarde et s'assied près du guéridon.) Chers caractères, enfants de mon esprit, fruits de mes veilles et de mes labeurs, idée qui a germé dans ma tête, pendant quarante années, quel bonheur j'éprouve à vous contempler!… À vous appartiendra le pouvoir d'exprimer les sentiments les plus divers et les plus opposés de l'âme humaine!… La science, l'histoire, la poésie, naîtront, tour à tour, de votre arrangement multiple… En vous, l'écolier épèlera son rudiment, le savant consignera ses doctrines, le vieillard relira ses prières… Aux financiers, vous parlerez de chiffres; aux femmes, de parures; à la jeunesse, de plaisirs. Vous chanterez l'amour, après avoir célébré la gloire, et vous raconterez à l'avenir, les événements du passé… À vous reviendra l'honneur de régénérer le monde; car vous vous nommerez l'imprimerie, c'est-à-dire la voix universelle de l'humanité!… Puisse l'hypocrisie, le mensonge, ni la calomnie, ne jamais souiller vos empreintes!… (Il se lève et va remettre les caractères dans la casse, puis il replace la casse dans le tiroir du bahut.) Personne ne connaît mon secret. Si mon imagerie est ouverte et accessible à chacun, l'atelier où je cisèle et fonds mes caractères, est fermé à tous les regards. Là, comme en un sanctuaire, où l'on aime à prier seul, je travaille dans la solitude et le silence… Mais, à mon âge, la mort est proche, et je dois léguer ma découverte à un héritier capable de la faire grandir… Lorsque Gutenberg est arrivé à Harlem, il m'a semblé que le ciel l'envoyait; car le feu sacré de l'artiste brûle dans l'âme honnête de ce jeune ouvrier. Il aimera ma fille et perfectionnera mon œuvre. Je quitterai la terre avec moins de regret, lorsque j'aurai assuré le bonheur de Martha et l'avenir de l'imprimerie. (Apercevant à travers le vitrage Gutenberg, qui arrive du fond gauche.) Gutenberg!
SCÈNE V
COSTER, GUTENBERG
COSTER, tendant la main à Gutenberg
Arrive donc, mon ami… aurais-tu oublié que tu déjeunes avec moi?
GUTENBERG, souriant
Non, maître, je n'aurais garde de l'oublier. Et je vous remercie de tout mon cœur, de l'honneur que vous me faites.
COSTER
Alors, à table! (Ils se mettent à table.)16 Dès le jour où tu es entré ici, j'ai vu que tu n'étais pas un ouvrier ordinaire, et je t'ai voué une affection paternelle.
GUTENBERG
Je suis fier de posséder votre estime, maître Coster; et je me souviendrai toujours de l'accueil bienveillant que vous avez fait au jeune inconnu qui vint frapper, il y a trois ans, à la porte de votre maison.
COSTER
C'est moi qui dois te remercier; car, depuis ton arrivée, mon imagerie n'a cessé de prospérer.
SCÈNE VI
Les Mêmes, MARTHA
Elle entre par la gauche, portant, sur un plateau, un cruchon de curaçao, qu'elle place sur le bahut, à gauche.—Elle fait une révérence à Gutenberg.—Gutenberg la salue et ne la quitte pas des yeux, Coster regarde les deux jeunes gens, en se frottant les mains.
COSTER, à Gutenberg17
Une coutume qui nous est douce, à nous, bourgeois de la Hollande, c'est de nous faire servir par nos femmes et nos filles. Les mets et le vin semblent meilleurs lorsque c'est une main chérie qui vous les présente… Verse-nous à boire, Martha. (Martha remplit les verres de vin.—Élevant son verre.) À notre belle et bonne imagerie!
GUTENBERG, élevant son verre
Oui, à l'imagerie de Harlem!…
Martha sert Coster et Gutenberg.—Gutenberg mange, les yeux toujours attachés sur Martha.
COSTER, regardant Gutenberg d'un air satisfait.—À part
Allons, allons, je ne me suis pas trompé… (À Martha.) Martha, fais-moi passer ce curaçao. (Martha va prendre le cruchon.) Il date de ta naissance. Si notre convive a dans le cœur quelque tendre sentiment, qu'il n'ose nous dire, eh bien! un verre de cette précieuse liqueur lui donnera peut-être la force de l'exprimer.
Il verse du curaçao dans un petit verre, et le présente à Gutenberg.
GUTENBERG
Un tendre sentiment? Ah! oui, maître, (Il regarde Martha.) bien tendre!… (À Coster.) Et puisque vous le permettez, (Élevant son verre.) je boirai à… à… (Regardant Martha.—À part.) Non, je n'oserais jamais…
Il remet son verre sur la table.
COSTER
Eh bien!… Tu ne bois pas?
GUTENBERG, prenant une résolution subite
Si!… (Il se lève, prenant son verre.) À Hébèle, à ma chère, à ma bien-aimée sœur! (Il boit, mouvement de Coster.—À Coster.) Je suis orphelin, messire, et ma sœur a été la seule tendresse de mon enfance… (À Martha.) Quand je quittai Mayence, ma sœur avait votre âge, damoiselle. Tout en vous me la rappelle, et en buvant à elle, il me semble que c'est à vous que je bois… Voulez-vous me permettre de prendre votre main, comme je prenais la sienne, (Il lui tend la main.) et de vous dire qu'en m'apparaissant à travers votre visage, le souvenir de ma sœur me devient plus cher encore.
COSTER, à part
Il l'aime, mais il n'ose pas le lui avouer… Allons, c'est à moi de le faire parler. (Il se lève. Appelant à la porte de gauche.) Friélo! Friélo!
FRIÉLO, entrant par la gauche
Que voulez-vous, maître?18
COSTER
Que tu aides Martha à emporter cette table.
FRIÉLO, enlève la chaise de gauche: Gutenberg écarte celle de droite
Avec plaisir.
COSTER, à Martha
Mon enfant, le déjeuner est fini, et Friélo t'attend, pour desservir.
MARTHA, sortant comme d'un rêve
Ah!…
Elle emporte la table, avec Friélo, et sort, avec lui, par la gauche.—Gutenberg la suit des yeux.