Kitabı oku: «Gutenberg», sayfa 3
SCÈNE VII
COSTER, GUTENBERG
COSTER
L'heure que marque ce sablier (Il montra du doigt le sablier.) est solennelle, Jean; car elle va décider de notre bonheur à tous. J'ai cru comprendre que Martha ne t'est pas indifférente!
GUTENBERG, vivement
Qui pourrait rester insensible à la grâce, à la beauté, à la candeur, de cette nature angélique? Ce que j'éprouve pour Martha, c'est plus que de l'amour, c'est de l'adoration19.
COSTER
As-tu révélé à Martha ce tendre sentiment?
GUTENBERG
Non, car dans ma famille, on sait obéir au devoir, et refouler dans son cœur les désirs qu'on ne peut réaliser… Martha est riche, je suis pauvre. Elle entre à peine dans l'existence, et ma jeunesse s'est déjà à demi envolée. Elle a pour père le premier imagier de la Hollande, je ne suis moi, qu'un pauvre artiste… Voilà pourquoi j'ai gardé jusqu'ici en mon cœur le secret de cet amour.
COSTER
Eh bien! Jean, si je venais te dire: «Tu peux aimer ma fille…» Et si, avec la main de Martha, je te livrais le fruit de ma pensée, c'est-à-dire le procédé qui a servi à imprimer ces livres? (Il indique de la main les livres posés sur la bahut.) Si je te disais: «Sois doublement mon enfant, et par l'affection et par l'intelligence… Que me répondrais-tu?»
GUTENBERG
Vous me donneriez à la fois et la main de Martha et le secret de l'imprimerie?
COSTER
Oui, mon fils… (Il lui serre la main.) puisque je veux t'appeler ainsi.
GUTENBERG
Ah! messire, tous mes vœux sont donc comblés!
COSTER
Quand je pense que j'ai pu être jaloux de toi!
GUTENBERG
De moi?
COSTER
Oui, lorsque tu arrivas ici, tu te présentas avec la recommandation du prince électeur, l'archevêque de Mayence, et comme l'auteur d'un procédé mécanique pour imiter les manuscrits. J'eus peur, un moment, je l'avoue, que ta découverte ne fût rivale de la mienne. Mais cette crainte fit place à une satisfaction immense, lorsque je vis que tu n'employais que des planches de bois sculptées en relief!… (Avec dédain.) Des planches de bois sculptées!
GUTENBERG
Je sais combien ce procédé est imparfait, messire, mais, je n'en connais pas d'autre, et je ne peux comprendre encore le moyen merveilleux que vous avez trouvé… Et vous me livreriez ce secret?
COSTER
Oui, le jour de ton mariage.
GUTENBERG
Comment vous prouver ma reconnaissance?
COSTER
En faisant le bonheur de Martha.
Il lui prend les mains.
GUTENBERG
Ah! venez!20 Allons la trouver. C'est devant vous que je veux lui jurer un amour éternel.
SCÈNE VIII
Les Mêmes, FRIÉLO
FRIÉLO, arrêtant Gutenberg, au moment où il va sortir par la gauche, avec Coster
Maître, une dame voilée demande à vous parler.
GUTENBERG
C'est sans doute quelque étrangère qui vient acheter des missels… Montre-lui les plus beaux, Friélo, et prie-la de vouloir bien m'attendre. (À Coster.) Venez, messire, je ne veux pas retarder le moment de vous entendre répéter à Martha les paroles qui assurent le bonheur de ma vie.
Gutenberg et Coster sortant ensemble, par la gauche.
SCÈNE IX
FRIÉLO, puis ANNETTE, voilée
FRIÉLO, parlant à la cantonade, à Annette, qui entre par le fond
Par ici, damoiselle, par ici. (À Annette, qui entre et regarde autour d'elle.—À part.) Je ne connais pas cette acheteuse. (Haut.) Vous n'êtes pas de Harlem, n'est-ce pas, damoiselle21?…
ANNETTE
Non, j'arrive de Mayence, et je voudrais parler à messire Jean Gutenberg.
FRIÉLO
Messire Jean Gutenberg n'est pas là, en ce moment; mais, si vous désirez acheter des livres d'heures, je puis vous en montrer.
ANNETTE, sans l'écouter, à elle-même
C'est donc ici que Gutenberg oublie ses serments et renie sa patrie?
FRIÉLO
Est-ce un psautier fleurdelisé, qu'il vous faut? Je puis vous faire voir des psautiers.
Il va prendre un psautier, et l'apporte.
ANNETTE, sans l'écouter, à elle-même
La richesse et le bonheur l'attendent dans sa ville natale; et il préfère rester à travailler, obscur et pauvre, au fond d'une imagerie de la Hollande! Il y a là-dessous un mystère!
FRIÉLO
Si vous souhaitez une Bible en gros caractères, avec des encadrements, nous avons de fort belles Bibles!
Il va prendre une Bible, et l'apporte.
ANNETTE, sans l'écouter, à elle-même
Ce mystère, je le découvrirai!
FRIÉLO, présentant à Annette un missel
Tenez, damoiselle, voilà un missel rempli d'images… Si vous voulez le feuilleter.
ANNETTE, repoussant le missel
Je ne suis pas venue pour acheter des missels! (Friélo remet le missel au vitrage.) Je vous l'ai dit, je viens pour parler à Jean Gutenberg. Il n'est pas là, je l'attendrai!
Elle s'assied à gauche, près du guéridon, et ôte son voile.
FRIÉLO, la reconnaissant
Ah! mon Dieu! c'est damoiselle Annette de la Porte-de-Fer! Que vient-elle faire ici?… Le temps est à l'orage… Sauve qui peut!
Il sort par la droite.
ANNETTE, seule
Serait-il retenu dans les griffes du diable… je saurai l'en arracher!
SCÈNE X
ANNETTE, MARTHA, entrant par la gauche
MARTHA
Il m'a dit: «Je vous aime!» Mon père a ajouté: «Tu peux l'aimer!» Et devant tant de bonheur, je m'arrête, étonnée et craintive… (Apercevant Annette.) Ah! damoiselle!…
Elle fait une révérence.
ANNETTE, se levant, et toisant Martha avec méfiance
Qui es-tu, mignonne22?
MARTHA, avec dignité
Je m'appelle Martha, et je suis la fille de Laurent Coster, le maître de cette imagerie… Voulez-vous une belle image, représentant les anges du paradis, ou un almanach, avec messire saint Jacques, prieur de l'ermitage de Compostelle?
ANNETTE, brusquement
Non, ce n'est pas là ce que je veux.
MARTHA
Eh bien, damoiselle, Jean va venir; et mieux que moi, il trouvera dans l'imagerie, de belles miniatures qui vous plairont.
ANNETTE, vivement
Jean, dites-vous? Quel Jean?… Serait-ce messire Jean Gutenberg, de Mayence?
MARTHA
Oui, damoiselle.
ANNETTE, avec véhémence
Je trouve étrange que vous osiez parler avec cette familiarité d'un homme qui n'est ni de votre pays, ni de votre famille!
MARTHA, s'excusant
Mais, damoiselle, Jean Gutenberg est le contre-maître de cet atelier… mon père lui a accordé ma main, et je vais l'épouser.
ANNETTE
L'épouser?… Toi?… (Lui prenant brusquement les mains, et l'amenant au milieu du théâtre). Fille de Laurent Coster, sais-tu qui je suis?… Je suis, depuis huit ans, la fiancée de Jean Gutenberg. (Mouvement de Martha.) Et grâce à sainte Anne, ma patronne, j'arrive ici à temps pour faire valoir mes droits.
MARTHA
Vos droits? Mais Gutenberg m'a juré un amour éternel.
ANNETTE
C'est possible; mais à la Pâques fleuries de 1437, c'était à moi qu'il jurait un amour éternel. Ce jour-là, il passa à mon doigt, un anneau… «Ennel, me dit-il, voilà l'anneau d'argent des fiançailles. Je le remplacerai bientôt par l'anneau d'or du mariage.» Il y a huit ans de cela!… Je viens réclamer l'anneau d'or.
MARTHA, douloureusement, s'appuyant sur le dossier de la chaise, à gauche
Mon Dieu!
ANNETTE
Jean n'a pu te dire une seule parole d'amour qu'il ne me l'aie déjà dite à moi-même (Martha s'affaisse sur la chaise.) Il ne peut te faire un serment qu'il ne m'ait déjà fait. Et si ses yeux se fixent tendrement sur les tiens, c'est qu'ils ont conservé le reflet de mes yeux… J'ai été la passion et l'orgueil de sa jeunesse… Jamais il ne t'aimera autant qu'il m'a aimée… Pourrais-tu faire revivre en son cœur les souvenirs d'un premier amour? Pourrais-tu lui rappeler les danses du dimanche, dans la salle de la maison du Taureau-Noir, les promenades du soir, au bord de notre grand fleuve, et les doux refrains que nous chantions ensemble aux veillées de l'hiver? Pourrais-tu l'aimer comme je l'ai aimé?… comme je l'aime encore?
MARTHA, se levant
J'aime assez Gutenberg pour lui faire le sacrifice de ma vie!
ANNETTE
Fais-lui le sacrifice de ton amour, c'est plus simple.
Elle passe à droite23.
MARTHA
S'il me fallait renoncer à lui, j'en mourrais.
ANNETTE
Oui, mais Gutenberg vivrait pour la postérité!
MARTHA, anxieuse
Que voulez-vous dire?
ANNETTE
Écoute, jeune fille, celui que nous aimons toutes les deux a reçu du ciel le don du génie… C'est son génie qu'il faut aimer. Ton tranquille amour amollirait son âme; tandis que moi, je saurai le conduire à la fortune, à la gloire, à l'immortalité.
MARTHA
Et moi, damoiselle, je l'aurais conduit au bonheur.
ANNETTE
Ah! sache-le bien, toute lutte contre moi est impossible… J'aime Gutenberg sous la foi des serments; je l'aime de toute la force de mon droit, et rien, entends-tu, rien ne pourra m'empêcher de l'épouser.
MARTHA, s'incline et se dirige vers la porte de gauche
C'est bien, damoiselle, Gutenberg décidera entre nous deux. (Pleurant.) Ah! mon Jean adoré!
Elle sort.
ANNETTE, seule, elle hausse les épaules
Elle prétend aimer Gutenberg, et elle n'a rien dit de ses travaux, de son art, de son génie!… Elle prétend l'aimer, et elle courbe la tête, elle pleure, elle s'enfuit!… Ce n'est qu'une enfant.
SCÈNE XI
ANNETTE, GUTENBERG, il entre par la gauche, deuxième plan
GUTENBERG24
Friélo m'a dit qu'une étrangère me demandait.
ANNETTE, à part
Lui!… (Se retournant. Haut.) L'étrangère, c'est moi!
GUTENBERG, stupéfait
Annette!
ANNETTE
Vous ne m'attendiez pas?
GUTENBERG
Non, je l'avoue… Et quel motif vous amène?
ANNETTE
Vous le demandez?… (Tendrement et presque bas, se rapprochant de Gutenberg.) Tu le demandes?
GUTENBERG, embarrassé
Vous ne m'avez jamais écrit, Annette; et, ne recevant de vous aucune nouvelle, j'ai cru que vous m'aviez rendu ma liberté.
ANNETTE
Mais vous-même, vous ne m'avez jamais écrit, et je ne vous ai pas fait l'injure de douter de votre fidélité.
GUTENBERG, avec désespoir
Ah! si j'avais reçu une seule lettre de vous!
ANNETTE
Je n'avais pas promis d'écrire, j'avais promis d'agir, j'ai agi… «Ma vie appartient à l'art que j'ai créé,» m'as-tu dit, en quittant Mayence. Eh bien! si je suis venue à Harlem, c'est pour te soustraire à un labeur ingrat et subalterne; c'est pour te rendre à ton art.
GUTENBERG
Je ne vous comprends pas.
ANNETTE
Je vais m'expliquer… Vous savez que ma famille occupe un rang élevé à Strasbourg. Là, grâce à l'influence de l'échevin, mon oncle, j'ai décidé trois de nos amis, Jean Riff, André Dritzen, et André Heilmann, à s'associer avec toi, pour créer l'art nouveau de l'imprimerie. (Mouvement de Gutenberg.) Il y a près de Strasbourg, à la montagne verte, un vieux couvent abandonné. Ses murs silencieux se cachent sous un épais manteau de mousse. Les oiseaux font, sans bruit, leurs nids, sous ses ombrages, et tout autour, un ruisseau glisse doucement à travers la prairie. Le couvent de Saint-Arbogast est le refuge tranquille que j'ai choisi pour te servir d'atelier. C'est là que tu pourras, en toute sécurité, te livrer, avec tes trois amis, au perfectionnement de ton art. (Mouvement de Gutenberg.) Tes premiers essais à Mayence ont fait naître des défiances, des menaces! Il faut donc, pour assurer le succès de ton œuvre, travailler dans l'ombre. Tes futurs associés y sont bien décidés. Vous serez censés former une société pour exploiter quelque industrie. Riff étant marchand de papiers, Dritzen fabricant de miroirs, et toi, orfèvre, la chose sera toute simple. Cent soixante florins vous seront comptés le jour de ton arrivée à Strasbourg, afin que tu puisses te mettre à l'œuvre sans retard… Et maintenant hésiteras-tu à me suivre? Quel est ici ton avenir? Qu'as-tu appris? qu'as-tu recueilli, depuis cinq ans, que tu vis en Hollande, sous les ordres d'un vieil imagier?
GUTENBERG
Dites-moi, Annette, avant de récolter, n'est-il pas d'usage d'ensemencer? et ne doit-on pas préparer le terrain avant les semailles?
ANNETTE
D'accord.
GUTENBERG
Eh! bien, le moment de la moisson est arrivé pour moi. (Il prend les livres sur le bahut, et les lui montre.) Voyez ces livres, imprimés par Laurent Coster. Ne laissent-ils pas bien loin mes pauvres feuillets de Mayence? Ne trouvez-vous pas leurs caractères nets, précis, admirables? Eh! bien, ce matin même, maître Coster m'a promis de me révéler le secret de son art. Ce secret, Annette, vaut mieux que l'or de mes amis de Strasbourg. Remerciez-les donc pour moi, et dites-leur que je reste à Harlem, à Harlem, le berceau de l'imprimerie.
ANNETTE, froidement
Vous oubliez de me dire une chose, Jean, c'est qu'en vous promettant son secret, Coster vous promet aussi la main de sa fille. (Se dressant devant Gutenberg.) Et moi, je ne compte donc pour rien?… Vous avez cru pouvoir me jurer un amour éternel, puis m'abandonner, me renier, et donner votre nom à une étrangère? Heureusement, la tendre et timide Ennel est devenue une femme énergique et résolue? Reconnaissez-vous cette promesse de mariage. (Elle lui montre un parchemin, qu'elle retire de son corsage.) Ignorez-vous que cet écrit me donne le droit de vous poursuivre en tous lieux, et de vous imposer ma main? Voulez-vous que j'aille trouver les juges, et préféreriez-vous le scandale d'un procès à l'association honorable que je viens vous proposer?
GUTENBERG, se laissant tomber sur une chaise, près du guéridon, et posant sa tête sur sa main
Ah! doux mirage d'un bonheur paisible, qu'êtes-vous devenu? Vers quels horizons lointains vous êtes-vous à jamais envolé?
ANNETTE, posant la main sur son épaule
Tu crois aimer la fille de Laurent Coster, tu te trompes. Un jour viendra où tu comprendras que Martha n'est qu'une de ces poupées charmantes dont l'unique rôle est d'embellir le logis… Crois-moi, ce n'est pas un de ces timides anges du foyer qu'il te faut pour compagne: c'est une femme énergique et fière, qui puisse s'associer à tes pensées, encourager tes travaux, te soutenir dans tes luttes, applaudir à tes succès…
GUTENBERG, se levant
Quitter Martha, me serait impossible. Annette, je vous en supplie, n'exigez pas de moi ce sacrifice.
ANNETTE, amèrement
Vous m'aimiez bien aussi, à la Pâques fleuries de 1437! Je veux apprendre à Martha la durée de vos serments. Je veux lui montrer la promesse de mariage écrite, il y a huit ans, par la main que vous lui offrez aujourd'hui.
GUTENBERG
Ah! Annette! par pitié! pas un mot à Martha! Son âme est frêle et délicate. Qu'elle ignore les chaînes qui m'attachent à vous.
ANNETTE
Je garderai le silence, mais à une condition. Adressez vos adieux à Martha, écrivez-lui et partons. (Elle donne une plume à Gutenberg, qui s'assied près du guéridon. Annette penchée sur son épaule, le regarde d'un air inspiré.) Sache-le, Jean, ce n'est pas un sentiment égoïste, ce n'est pas une jalousie mesquine, ce n'est pas un calcul personnel, indigne de mon cœur, qui m'ont conduit vers toi. La passion qui m'anime est plus sainte et plus ardente que l'amour même. Ce qui me fait abaisser mon orgueil à les pieds, c'est ma foi, c'est mon enthousiasme, pour ton art et pour ton génie. (Elle se penche vers lui et, peu à peu, se met à genoux à sa droite.) Reviens dans notre vieille Allemagne. Qu'as-tu besoin du secret de Coster? Ne sauras-tu pas trouver toi-même ce qu'il a découvert? Voudrais-tu que l'art de l'imprimerie, déjà conçu dans ton esprit, aux jours de ta jeunesse, eût deux pères, au lieu d'un, et partager avec un autre l'honneur d'une aussi noble invention? (Elle se relève.) Vois-tu, Jean, la meilleure partie de l'âme d'un artiste passe dans son œuvre. Travaille, et cherche toi-même à pénétrer un secret dont la découverte rendra ton nom immortel!
Gutenberg qui a relevé peu à peu la tête, écoute attentivement et se lève.
GUTENBERG25
Ta voix me rend à l'honneur; elle me rappelle dans ma patrie. Le cœur de l'artiste est tissu de cordes sensibles, que le moindre choc fait vibrer: elles dormaient en moi, tu les as réveillées!… Annette, je consens à te suivre!
Il écrit.
ANNETTE
Merci pour toi-même, Jean! Ce que tu traces en ce moment c'est le premier sillon de ta gloire. (À part.) Je savais bien que je te ramènerais.
GUTENBERG, lui montrant la lettre
On remettra à Martha cette lettre, après mon départ.
ANNETTE, prenant vivement la lettre
Je me charge de la faire parvenir… Et maintenant je vais tout disposer pour notre départ.
Elle sort par la gauche.
GUTENBERG, seul
Et en perdant Martha, je perds aussi le secret de l'imprimerie. Tout m'accable à la fois!
Il s'assied à droite, accablé.
SCÈNE XII
GUTENBERG, COSTER, entrant par le fond
COSTER
Non!… en même temps qu'il t'avait promis la main de sa fille, le vieil imagier t'avait promis le secret de son art. Il tiendra sa parole… Tu ne peux plus épouser Martha, ma fille vient de me le déclarer en pleurant; mais tu restes toujours mon élève bien-aimé… Je veux que dans l'avenir, les noms de Coster et de Gutenberg soient unis, comme le furent leurs cœurs… Je suis vieux, la mort me menace: c'est à toi que je laisse le soin de continuer et de faire vivre éternellement mon œuvre. (Il lui remet un rouleau de parchemin.) Tiens! voilà le secret de Coster, voilà le secret de l'imprimerie! Tu trouveras dans cet écrit, l'explication complète de cet art, qui se résume dans les caractères mobiles, que j'ai le premier inventés et appliqués à composer des livres. Mais mon invention a besoin de grands progrès. Je m'en rapporte, pour la développer et la perfectionner, à ton naissant génie.
GUTENBERG
Merci, Laurent Coster! Je partirai puisqu'il le faut, mais mon âme restera ici! Ah! nous étions tous si heureux ce matin!
COSTER
Le bonheur, mon fils, n'est pas fait pour nous, inventeurs et savants! Le ciel ne t'a pas envoyé sur la terre pour goûter les charmes de l'existence. Il t'a envoyé pour consacrer les forces de ton corps à un travail opiniâtre, et pour livrer ton âme à toutes les souffrances… À ceux qui cherchent, à ceux qui pensent, à ceux qui créent, reviennent les difficultés, les tortures, les amertumes de la vie. À eux la jalousie des grands, la haine des petits, le mépris des ignorants. Mais à eux aussi le rayon divin qui réchauffe, élève et fortifie les âmes. À eux les nuits sans ténèbres, illuminées par le travail et l'espérance. À eux les illusions suprêmes, qui donnent à l'esprit une jeunesse éternelle. À eux les joies de l'artiste, les extases du poète et le sourire des anges!… Pars, Gutenberg! Pendant que je m'endormirai de l'éternel sommeil, tu traceras le sillon glorieux dans lequel l'humanité doit marcher aux siècles à venir!…
GUTENBERG
Merci, Laurent Coster. Je jure d'achever votre œuvre, et de répandre par toute la terre le trésor que vous léguez, par mes mains, à la postérité!
Il sort par le fond.
SCÈNE XIII
COSTER, MARTHA, entrant par la gauche
COSTER
Te voilà toute triste, ma chère enfant!26
MARTHA
Oui, ces préparatifs de départ, que je viens de voir, l'air embarrassé de Friélo, et cette lettre qu'il m'a remise, en s'empressant de me quitter aussitôt, tout cela m'émeut et m'inquiète… Qui peut m'écrire?… L'écriture de Gutenberg!… Ah! ma main tremble, et je puis à peine lire… (Lisant.) «Chère Martha… c'est le cœur déchiré que je vous adresse ces lignes; mais un serment m'oblige à retourner immédiatement à Mayence! Adieu donc, et pour toujours! Dieu fasse que je survive à ma douleur!…» (Elle laisse tomber la lettre.) Ah! mon père! (Ou entend un bruit de grelots.) Il est parti!… Je ne le reverrai plus!…
Elle se jette dans ses bras.
ACTE TROISIÈME
TROISIÈME TABLEAU
LE COUVENT DE SAINT-ARBOGAST, À STRASBOURG
Une salle voûtée du couvent de Saint-Arbogast.—Au fond, une porte.—À gauche, un bureau couvert de papiers et d'épreuves d'imprimerie.—À droite, au fond, en pan coupé, une fenêtre, et près de la fenêtre, une presse d'imprimerie.—Au premier plan, à droite, une casse.—Portes latérales.—Une cloche près de la porte du fond, avec sa corde.
SCÈNE PREMIÈRE
ANDRÉ DRITZEN, GUTENBERG, FRIÉLO, Ouvriers imprimeurs
Au lever du rideau, trois ouvriers tirent des feuilles à la presse, deux autres sont debout, devant la casse d'imprimerie, à droite, et composent. Deux autres, à gauche, au fond, près de la porte latérale, serrent des formes, à coups de marteau.—Gutenberg est assis devant le bureau et Dritzen se tient debout, devant le même bureau. Friélo est près de la presse.
Un ouvrier arrivant de droite, premier plan, porte une épreuve à Friélo, qui la remet à Dritzen27.
FRIÉLO
Maître, voici les épreuves de la composition d'hier.
DRITZEN
C'est bien! (Il la parcourt des yeux.) Descendez-les à Riff, pour la correction.
L'ouvrier sort par la gauche, deuxième plan, avec les épreuves.—Un deuxième ouvrier, qui était occupé au fond, à droite, à tirer des épreuves à la presse, remet une feuille à Friélo, qui la porte à Dritzen.
FRIÉLO
Maître, l'encre du tampon ne prend plus sur le papier.
DRITZEN
Prenez le pot de l'encre de Leipzig tenue en réserve. Allez et dépêchez-vous.
Le deuxième ouvrier sort par la gauche, deuxième plan.—Un troisième ouvrier, arrivant par le fond, remet à Friélo un papier, que Friélo donne à Dritzen.
FRIÉLO
Maître, il est impossible de serrer les formes: les cadres sont trop larges.
DRITZEN
Ne pouvez-vous pas réduire votre cadre?
FRIÉLO
On n'a pas les outils nécessaires.
DRITZEN
Nous allons voir cela.
Il sort par le fond, avec le troisième ouvrier.
FRIÉLO, quittant la presse au fond à droite.—À Gutenberg
On a tiré deux cents feuilles; faut-il continuer?
GUTENBERG
Non, c'est assez!
Friélo revient à la presse.
DRITZEN, rentrant par la fond.—À Gutenberg
Mon cher Jean, voici un contre-temps: un de nos ouvriers veut absolument partir.
GUTENBERG, toujours assis à la table, à gauche
Quel est cet ouvrier?
DRITZEN
Pierre Scheffer.
GUTENBERG
Ce jeune calligraphe qui nous est venu de Mayence?
DRITZEN
Oui; et il va bien nous manquer, car il n'a pas son égal pour le dessin des lettres gothiques et ornées qui servent de modèles à nos graveurs de caractères.
GUTENBERG
Sans compter qu'il y a un véritable danger pour nous à le laisser sortir. Le lui as-tu bien fait comprendre? Lui as-tu rappelé le serment qu'il a fait en entrant ici?
DRITZEN
Je lui ai dit tout ce qui pouvait l'empêcher de partir; mais rien n'a pu changer sa résolution!… Du reste, il est là… Je lui ai fait dire que nous l'attendions ici. Tu pourras lui parler à ton tour.
GUTENBERG
Eh bien! fais-le venir.
DRITZEN, parlant à la cantonade
Entre, Pierre Scheffer.