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Kitabı oku: «Le crime de l'omnibus», sayfa 13

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– Non, M. Paul. Je n’ai reçu de vous que des bienfaits.

– Tu ne me dois pas de reconnaissance. Comment ne me serais-je pas intéressé à toi qui étais seule au monde… du moins, je le croyais, et maintenant ce n’est que trop vrai… mais m’abandonner ainsi… je ne l’ai pas mérité, que je sache…

«Voyons, explique-toi. T’aurais-je blessée, sans m’en douter?

Pia tourna la tête pour essayer de cacher ses larmes.

– Là! tu pleures. J’ai donc deviné. Je t’ai affligée involontairement. Eh bien, dis-moi ce que je t’ai fait… quand ce ne serait que pour m’empêcher de recommencer.

– Rien, M. Paul. Vous avez toujours été bon pour moi qui n’étais qu’une pauvre fille… et je serais peut-être morte de faim, si vous ne m’aviez pas recueillie dans la rue. Jamais je n’ai été si heureuse que depuis que je vous connais… et je ne le serai jamais plus.

– Alors, pourquoi veux-tu me quitter?

– Parce qu’il le faut.

– Allons! ce n’est pas sérieux. Qui t’oblige à partir?

– Je veux retourner à Subiaco.

– Et qu’y feras-tu, à Subiaco? Comptes-tu poser pour les peintres qui vont s’y établir pendant l’été? Tu n’y gagnerais pas ta vie. Dans les montagnes, toutes les femmes sont si belles que les artistes n’ont que l’embarras du choix.

– Non, M. Paul, je ne poserai plus pour personne. Je reprendrai mon ancien métier. Je garderai les chèvres.

– Tu es folle. Si tu avais encore ta mère là-bas, je m’expliquerais cette lubie; mais il ne te reste plus même un parent dans ton pays, tu me l’as dit souvent.

– Et ici, personne ne m’aime plus.

– Alors, je ne compte pas, à ce qu’il paraît! Écoute, Pia, c’est fort mal à toi de parler ainsi… et si je ne te connaissais pas comme je te connais, je serais tenté de croire que tu n’as pas de cœur. Comment! je t’ai toujours traitée en amie, je t’ai donné mille preuves d’estime et d’affection, et tu viens de but en blanc me déclarer que tu ne veux plus me voir. En vérité, je ne te reconnais plus.

«Je pourrais te rappeler que ton départ me mettrait dans le plus grand embarras, puisque, si tu ne posais pas, je ne pourrais pas finir mon tableau…

Pia éclata en sanglots, et Freneuse reprit avec une émotion sincère:

– Mais j’aime mieux te dire que ce n’est pas seulement le modèle que je regretterais, si tu persistais dans ta résolution. Je me suis attaché à toi, et je prendrais mon atelier en horreur si tu n’y revenais plus.

– Je ne peux pas!… je ne peux pas!… dit l’enfant d’une voix étouffée.

«Je le voudrais… mais c’est plus fort que moi… vous avez bien vu que j’ai failli mourir hier.

Cette fois, Freneuse comprit. La vérité qu’il soupçonnait un peu lui apparut clairement, et ce fut à son tour de se taire.

Il cherchait un moyen de calmer Pia, sans lui promettre de fermer sa porte à Mlle Paulet, et il faut lui rendre cette justice qu’il pensait beaucoup moins à son exposition manquée qu’à la douleur touchante de la pauvre Italienne qui s’était laissée aller à un amour sans espoir.

Ils marchèrent silencieusement jusqu’au rond-point du cimetière.

Binos, qui avait de longues jambes, avait pris les devants avec Sophie Cornu, qui trottinait comme un rat.

– Consentirais-tu à poser encore pour moi ailleurs que dans mon atelier? demanda tout à coup Freneuse.

Pia secoua tristement la tête.

– Dans un endroit où je ne recevrais jamais que toi six heures par jour.

«Je suis en retard, et il me faut de longues séances pour être prêt à l’ouverture du Salon, ajouta-t-il en souriant.

– Si je croyais que ce fût possible, murmura la jeune fille.

– Tu ne t’envolerais pas vers le pays des orangers, acheva gaiement Freneuse. Très bien! je n’en demande pas davantage. Jure-moi seulement que tu ne partiras pas sans me revoir, et que tu attendras de mes nouvelles dans ta chambre de la rue des Fossés-Saint-Bernard.

– Je vous le jure sur l’âme de ma sœur! répondit Pia en levant sur lui ses grands yeux baignés de larmes.

– C’est bien. Je vais te débarrasser de Binos et de cette vieille femme. Tu m’accompagneras jusqu’à ma porte… jusqu’à ma porte seulement, et ensuite le fiacre te reconduira chez toi.

Freneuse avait eu une idée. Pia ne la devinait pas encore, mais elle ne pleurait plus.

VIII. La rue de la Sourdière est une de celles que les transformations du vieux Paris n’ont pas atteintes…

La rue de la Sourdière est une de celles que les transformations du vieux Paris n’ont pas atteintes. Elle confine à la Butte-des-Moulins qu’on a rasée, mais elle est encore aujourd’hui ce qu’elle était il y a cent ans, quoique tout ait changé autour d’elle.

La rue Neuve-des-Petits-Champs et la rue Saint-Honoré ont beau faire du tapage au nord et au sud, le marché Saint-Honoré a beau grouiller à l’ouest, la vieille rue de la Sourdière reste paisible comme une grand-mère assoupie au coin de son feu.

On y vient quand on y a affaire, mais on n’y passe pas. Elle ne mène à rien.

C’est une brave rue, une honnête rue. Les mal-vivants n’y logent point, et les demoiselles qui font tous les jours le tour du lac ne se doutent pas qu’elle existe. Elle a de la respectabilité, dirait un Anglais.

Ce n’est pas qu’elle soit habitée par des millionnaires, mais les braves gens qui y demeurent ont tous de quoi vivre, et des mœurs douces. Le soir, en été, on y joue au volant d’un trottoir à l’autre. On y apporte des chaises et l’on y cause. L’herbe y pousse entre les pavés, et l’on y voit parfois picorer des poules. Le roulement d’une voiture attire les gens aux fenêtres. C’est la province en plein Paris.

Les maisons qui la bordent font bonne figure avec leurs hautes portes cochères, leurs cours silencieuses et leurs larges escaliers de pierre. Elles semblent avoir été bâties pour abriter d’anciens magistrats, des chanoines retraités, ou tout simplement des sages dégoûtés du monde.

Auguste Blanchelaine y avait élu domicile depuis trois ans, et il n’était ni le moins tranquille, ni le moins considéré des habitants de ce quartier bien famé.

Au premier étage d’un immeuble important, on lisait à droite sur une plaque de cuivre son nom, suivi de cette qualification: «Agent d’affaires».

À gauche, sur une porte qui faisait vis-à-vis à la sienne, brillait une inscription dont le sens n’était pas clair pour tout le monde: «Stella, élève de Mlle Lenormand – Consultations de midi à cinq heures».

Consultations sur quoi? Bien des gens ne l’auraient pas deviné, mais bien d’autres savaient à quoi s’en tenir.

Il y a encore à Paris des commères qui se souviennent de Mlle Lenormand, la devineresse de la rue de Tournon, et qui croient fermement que quinze ans avant le sacre de Napoléon, elle avait prédit que Joséphine deviendrait impératrice.

Stella, l’élève de cette illustre sorcière, avait pour clientes beaucoup de femmes de chambre, beaucoup de demi-mondaines, quelques petites bourgeoises et même des dames, de vraies dames, qui auraient pu venir la voir en équipage, si elles n’eussent craint de compromettre les armoiries peintes sur les panneaux de leurs voitures.

Stella était de la grande école des sibylles d’autrefois. Elle ne donnait point dans le somnambulisme. Elle prophétisait tout simplement avec les cartes, ou même sans cartes, quand l’inspiration lui venait.

Et elle lui venait toujours, l’inspiration, quand la consultante payait bien.

Les deux appartements, celui de la devineresse et celui de l’agent d’affaires, occupaient tout le premier étage. Ils avaient deux entrées parfaitement distinctes, et la clientèle de M. Blanchelaine n’avait rien de commun avec celle de Mme Stella. Les gens sérieux sonnaient à droite; les croyantes sonnaient à gauche, et celles-ci ne s’occupaient pas de ceux-là.

Mais, au fond, les deux appartements n’en faisaient qu’un, en ce sens qu’on pouvait passer de l’un dans l’autre sans traverser le palier.

Dans tous les deux, la disposition des pièces était exactement la même: une antichambre, une salle à manger, un salon, un cabinet et une chambre à coucher; mais les ameublements ne se ressemblaient pas du tout. Chez Stella, tout était tendu de noir, et l’on y voyait des étrangetés, des bahuts moyen âge, des fauteuils en façon de chaises curules, et des dressoirs chargés de curiosités achetées d’occasion; une bibliothèque encombrée de grimoires poudreux; quelques têtes de mort et une quantité suffisante de hiboux empaillés. Les rideaux n’étant jamais levés, il y fallait de la lumière en plein jour, et la pythonisse s’éclairait avec de vieilles lampes de fer à trois becs, suspendues aux plafonds.

Chez Blanchelaine, au contraire, tout était clair, propre et moderne. Acajou et noyer, papier à vingt sous le rouleau, buffet garni de porcelaines de Creil, bureau avec tiroirs et siège en cuir vert, cartonniers à dix étages, et bustes de jurisconsultes sur les corniches.

Une négrillonne de douze ans recevait les clients de Stella. Les clients de Blanchelaine étaient introduits par un petit clerc.

Seulement, les deux cabinets n’étaient séparés que par une cloison assez mince, dans laquelle les deux locataires avaient fait pratiquer d’un commun accord un vasistas et une porte, habilement dissimulés dans la boiserie.

Dans l’après-midi du jour que Freneuse avait commencé conduisant Pia au cimetière de Saint-Ouen, M. Paulet et Sophie Cornu se rencontrèrent au bas de l’escalier qui conduisait à l’antre de la sorcière et au bureau de l’agent.

Sophie Cornu avait déjà franchi trois marches de l’escalier lorsque M. Paulet entra dans le vestibule et s’arrêta un instant pour essuyer ses pieds sur le paillasson.

Ils ne se connaissaient pas, et naturellement ils ne se parlèrent pas, mais ils s’observèrent du coin de l’œil.

Le père de la belle Marguerite trouvait la tenue de Sophie Cornu prodigieusement ridicule, et, comme il n’était jamais venu chez Blanchelaine, il était tenté de la prendre pour une cliente de l’agent d’affaires.

– Quel joli monde reçoit ce drôle! grommelait-il tout bas.

Sophie n’aimait pas les rapins, mais elle exécrait les bourgeois bien mis.

– Qu’est-ce qu’il vient faire ici, cet olibrius-là? disait-elle entre ses dents. Il a l’air d’un huissier qui a gagné sa fortune à pomper l’argent des pauvres.

Ils étaient dans ces aimables dispositions à l’endroit l’un de l’autre lorsqu’ils arrivèrent au palier du premier étage.

Là, M. Paulet eut la satisfaction de voir la vieille sonner à une porte au moment où il apercevait sur l’autre la plaque où brillait en lettres noires sur fond de cuivre le nom de Blanchelaine.

À la bonne heure! pensa-t-il; je n’aurai pas le crève-cœur de passer après cette créature; elle doit tirer le cordon quelque part.

Un gamin qui avait des cheveux ébouriffés et une plume liée derrière l’oreille vint ouvrir à son coup de sonnette et le fit entrer sans lui demander son nom.

– Le patron y est. Je vais le prévenir, dit ce scribe mal peigné.

M. Paulet resta seul dans une antichambre meublée de quatre chaises de paille et ornée de pancartes où s’étalaient, par ordre d’ancienneté, les noms de MM. les officiers ministériels du département de la Seine.

– On se croirait chez un avoué, ma parole d’honneur, dit-il en haussant les épaules. Cet intrigant se donne des airs. Mais ce n’est pas ça qui m’empêchera de lui dire son fait. Quand je pense qu’il a eu l’audace de me demander cent mille francs! Heureusement que je ne les ai pas donnés.

– Le patron vous attend, glapit le petit clerc en montrant son museau pointu à l’entrée d’un couloir.

M. Paulet, d’un geste digne, lui enjoignit de lui livrer passage, et s’achemina lentement vers une porte ouverte qu’il apercevait au fond du corridor. Il trouva M. Blanchelaine debout, et presque accoté à une cloison où était accrochée une gravure qui représentait Hippocrate refusant les présents d’Artaxercès.

L’homme d’affaires ne parut pas trop surpris de le voir et l’accueillit avec un empressement respectueux.

– Je ne m’attendais pas, monsieur, à l’honneur de vous recevoir dans mon modeste domicile, dit-il en s’inclinant, et je regrette que vous ayez pris tant de peine, car je me proposais de me présenter demain chez vous pour vous remettre, comme cela était convenu, l’extrait de l’acte de décès de Bianca Astrodi.

– Je n’en ai que faire maintenant, de votre extrait, dit brusquement M. Paulet. Vous vous êtes moqué de moi, ou plutôt vous m’avez indignement trompé.

– Je n’ai rien de pareil à me reprocher, répliqua tranquillement le sieur Blanchelaine. Veuillez vous expliquer, monsieur… et vous asseoir, ajouta-t-il en avançant un siège.

M. Paulet le prit avec hésitation et s’y campa brusquement, comme un homme qui se prépare à entamer une série de reproches.

– Vous osez dire que vous ne m’avez pas trompé! commença-t-il. Je vous avais chargé de faire des recherches sur une fille que mon frère avait eue en Italie.

«Vous avez découvert que cette fille était morte, mais vous vous êtes bien gardé de me dire qu’elle avait une sœur.

– Je ne pouvais pas vous le dire, puisque, hier encore, je l’ignorais.

– Alors, c’est moi qui vous l’apprends?

– Non, je le sais depuis quelques heures. Mais je ne vois pas en quoi l’existence de cette sœur peut vous alarmer. Bianca Astrodi, étant décédée avant M. Francis Boyer, n’a pas pu hériter de lui.

– Oui, mais vous qui prétendez tout savoir, vous ne connaissez pas le testament de mon frère.

– Personne, je crois, ne le connaissait avant la mort du testateur.

– Eh bien, je le connais, moi. Le notaire qui l’a reçu est arrivé, et il m’en a montré une copie. Mon frère a laissé la totalité de sa fortune, à partager par portions égales, entre ses deux filles naturelles, Bianca et Pia Astrodi. Bianca est morte, mais Pia vit. Donc, je suis bel et bien déshérité.

L’agent d’affaires changea de visage. Évidemment, il ne se doutait pas que Pia était légataire au même titre que sa sœur.

– Je m’en consolerai, reprit M. Paulet; mais j’ai tenu à vous signifier que nos conventions sont désormais sans objet, et je viens vous redemander l’engagement que j’ai signé… il ne peut plus vous servir à rien.

– Il ne peut plus me servir… maintenant, dit lentement Blanchelaine, qui avait déjà réfléchi, mais la situation peut changer.

– Qu’entendez-vous par ces paroles? demanda M. Paulet avec humeur. Il s’agit de faits positifs, et non de suppositions chimériques. Vous ne pouvez pas vous prévaloir vis-à-vis de moi d’un engagement dont l’exécution est subordonnée à une condition qui est devenue irréalisable. Vous n’avez donc aucun intérêt à le garder, et il faut me le rendre.

– Permettez-moi de vous demander quel intérêt vous avez à le reprendre, dit froidement Blanchelaine.

– Je ne veux pas qu’il reste de traces d’une convention que je regrette d’avoir conclue.

– Je pourrais vous répondre que je tiens, moi, à ce que ces traces subsistent et que vous ne pouvez pas me contraindre à vous restituer un acte librement signé par vous. Mais j’aime mieux vous démontrer que cet acte peut encore servir… plus tard. Veuillez vous en remémorer la teneur.

– Je ne l’ai jamais oubliée. Il y est dit qu’en rémunération de démarches entreprises par mon ordre et non spécifiées sur le papier, je vous dois la somme de cent mille francs, payable le jour… vous entendez bien… le jour où je toucherai la part qui me revient, à titre d’héritier naturel, dans la succession de M. Francis Boyer, mon frère utérin.

– C’est parfaitement cela, monsieur, et je m’en tiens aux termes de notre arrangement.

– Très bien. Alors, vous ne toucherez jamais vos cent mille francs, puisque je ne toucherai jamais un sou de l’héritage.

– Qu’en savez-vous?

– Oh! pas d’équivoques, je vous prie. Vous n’aurez pas, je suppose, l’audace de me dire que si cette Pia disparaissait de ce monde comme sa sœur, la succession me reviendrait. Pia Astrodi a survécu au testateur; donc, elle a hérité, donc sa mort ne me rendrait pas la fortune de mon frère. Cette fortune passerait à ses parents à elle, et, à défaut de parents, à l’État, car la loi italienne est probablement calquée sur la loi française.

– Je le crois.

– Qu’attendez-vous donc de l’avenir?

– C’est mon secret.

– J’ai le droit de le connaître, votre secret. Je ne veux pas prêter la main aux tripotages que vous méditez sans doute, pour embrouiller une affaire très claire… trop claire.

– Vous ne serez pas responsable de ce que je ferai.

– Je l’espère bien.

– Alors, laissez-moi agir comme je l’entendrai.

– Je ne puis pas vous en empêcher, mais je vous déclare que vous ne serez pas payé de vos peines. Je ne m’occuperai plus de la succession. Je la considère comme perdue, et je ne veux plus entendre parler de vous.

– Vous n’entendrez parler de moi qu’au moment où je serai en mesure de vous démontrer que la situation est changée du tout au tout. Et je commence par vous dire que ce ne sera ni dans huit jours, ni dans un mois, ni même dans un an. J’ajoute que je m’en remettrai à votre appréciation pour récompenser le service que je vous aurai rendu.

– S’il en est ainsi, que voulez-vous faire du papier que je vous ai signé?

– Le montrer, si jamais vous… ou d’autres… me chicaniez sur les moyens que j’ai employés. Ce papier, monsieur, c’est ma garantie. Il prouve que nous avons toujours marché d’accord. La nature des démarches dont vous m’avez chargé n’y est pas spécifiée, vous venez de le reconnaître vous-même. Il s’ensuit nécessairement que tout ce que j’ai fait, j’ai dû le faire par votre ordre.

– En d’autres termes, vous me signifiez que si la justice venait se mêler de vos affaires, vous chercheriez à me compromettre. Je vous préviens que vous n’y réussirez pas. Je suis trop honorablement connu pour qu’on m’accuse d’avoir autorisé des manœuvres illicites.

«Restons-en là, monsieur. Vous ne voulez pas me rendre cet engagement?

– Non, pas plus que la lettre que vous m’avez écrite, il y a un mois, pour me donner vos instructions au sujet de Bianca Astrodi qu’il s’agissait d’empêcher… à tout prix… de venir en France, ou, si elle y était déjà, d’y rester.

– Fort bien, dit avec colère M. Paulet. Gardez tout; je m’en moque… et je n’ai pas peur de vous.

– J’en suis convaincu, répliqua tranquillement M. Blanchelaine; mais vous ne vous moquez pas des six cent mille francs qui entreraient dans votre poche si votre frère n’avait pas eu une seconde fille, et vous avez grand-peur de les perdre.

«Tenez! monsieur, au lieu de me quereller et de m’imputer des intentions que je n’ai pas, vous feriez beaucoup mieux de vous en rapporter à moi pour arranger les choses. J’y mettrai le temps, mais je vous réponds du succès.

«Un jour viendra où je vous apporterai la succession de feu M. Francis Boyer sur un plat d’argent, comme les clefs d’une ville conquise… et vous n’aurez pas eu à vous mêler de la conquête.

«Je ne vous demanderai alors que ce qu’il vous plaira de me donner, et je ne vous demande maintenant qu’un renseignement… un simple renseignement.

– Un renseignement! répéta M. Paulet. Je n’ai pas de renseignement à vous fournir. Prenez-en où vous voudrez. Cela ne me regarde pas.

– Il y en a un que vous seul pouvez me donner, reprit l’agent d’affaires sans s’émouvoir, et que vous ne me refuserez pas, j’en suis sûr, car il n’est pas de nature à vous compromettre.

«Plusieurs personnes savent déjà, n’est-il pas vrai? que Bianca Astrodi était la sœur de cette Pia qui fait son métier de poser pour les peintres.

– C’est-à-dire que tout le monde le sait ou le saura; cela s’est découvert hier dans l’atelier d’un artiste qui se servait de cette fille comme modèle… dans l’atelier de M. Paul Freneuse.

– Le jeune homme qui était au spectacle avec vous à la Porte-Saint-Martin?

– Oui, et il n’a aucun motif pour garder le secret sur cette parenté. De plus, il y avait là un de ses camarades, un barbouilleur nommé Binos, qui me fait l’effet d’être fort bavard. Vous pouvez compter qu’à cette heure tous les ateliers du quartier connaissent la nouvelle.

– C’est probable, mais cela m’importe assez peu. Je tiens seulement à être fixé sur un point.

– Lequel? demanda brusquement M. Paulet, qui se laissait aller peu à peu à répondre aux questions de cet homme avec lequel il venait de rompre.

– D’autres que vous, monsieur, savent-ils que M. Francis Boyer a laissé son bien aux deux Astrodi?

– Le notaire le sait. C’est lui qui me l’a appris. Ma fille aussi le sait. Elle était là lorsqu’il me l’a dit.

– Mais les autres?… ceux que vous venez de nommer… M. Freneuse?… M. Binos?

– Ils l’ignorent, parbleu! Je ne me suis pas amusé à leur raconter la nouvelle.

– Naturellement, et vous ne la leur raconterez pas. Mais la sœur… la Pia?…

– Elle ne sait rien non plus. Mais elle saura tout.

– Qui donc l’avertira? Ce ne sera pas vous, je suppose.

– Ce sera le notaire, probablement.

– Il sait donc qu’elle est à Paris?

– Oui, je lui ai dit que je venais de la voir. Elle était précisément chez M. Freneuse lorsque ce notaire, qui me cherchait partout, s’y est présenté.

– Diable! c’est fâcheux. Mais enfin il ne connaît pas l’adresse de cette fille?

– Pas plus que je ne la connais. Seulement, il lui suffira pour l’avoir de la demander à M. Freneuse.

– Et vous croyez qu’il le fera?

– Je l’ignore. Mais il me semble que ce serait son devoir.

– Pourquoi? Est-ce qu’il est exécuteur testamentaire?

– Non. Ce n’est même pas lui qui a reçu le testament. Mon frère l’a écrit de sa main sans consulter personne, et ce malheureux testament, c’est le président du tribunal qui l’a ouvert.

– Alors, ce notaire n’est pas tenu de chercher les héritiers.

– Non… d’autant qu’il a toujours défendu mes intérêts du vivant de mon frère. Je l’ai indemnisé de ses frais de déplacement, et je ne pense pas qu’il ait le projet de rester longtemps à Paris.

– Pourriez-vous me dire dans quel hôtel il est descendu?

– Rue du Bouloi, 75. J’espère bien que vous n’irez pas l’entretenir de vos projets… que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître.

– Je m’en garderai bien, je vous prie de le croire… quoique mes projets n’aient rien d’inavouable. Je voudrais seulement m’assurer qu’avant de partir il ne s’est pas occupé de Pia Astrodi. Et je puis me renseigner sur ce point sans entrer en rapport avec maître… oserai-je vous demander son nom?

– Me Drugeon, répondit M. Paulet, entraîné malgré lui dans la voie des confidences.

L’aplomb du sieur Blanchelaine le fascinait; ses protestations d’honnêteté le calmaient; et puis, quoiqu’il prétendît le contraire, il n’avait pas complètement renoncé à l’espoir de rentrer dans ses droits d’héritier.

Pour rassurer sa conscience, il ne voulait se mêler de rien; mais, toutes réflexions faites, il jugeait inutile de rompre définitivement avec un homme qui se faisait fort de lui rendre la succession perdue.

– Je vous remercie, monsieur, dit l’agent, et je vous jure que vous ne regretterez pas de m’avoir mis en mesure de vous servir.

M. Paulet ne prit point acte de cette déclaration. Il se contenta de dire:

– Souvenez-vous qu’il ne peut plus être question entre vous et moi de cette affaire.

Et il se leva d’un air digne.

Blanchelaine le salua très humblement et le reconduisit jusqu’à la porte de l’appartement sans lui adresser la parole.

Le rusé compère savait à quoi s’en tenir sur la valeur des protestations de désintéressement de M. Paulet.

Il congédia son petit clerc qui grignotait des noisettes dans l’antichambre, il rentra dans son cabinet, et au lieu de s’asseoir devant son bureau, il colla son oreille contre la cloison, et une minute après, il y frappa trois coups espacés d’une certaine façon.

À ce signal répondirent aussitôt trois coups discrets, frappés à intervalles égaux.

Blanchelaine avança la main droite, et pressa un bouton de cuivre très habilement dissimulé dans une moulure de la boiserie: aussitôt un panneau glissa sur des rainures et découvrit une ouverture assez large pour qu’un homme y put passer.

Ce fut une femme qui se glissa par cette porte secrète dans le cabinet de Blanchelaine, une femme vêtue d’une longue robe de chambre noire et d’un turban de soie rouge. Sous cet accoutrement bizarre, Paul Freneuse aurait eu beaucoup de peine à reconnaître la personne qu’il avait vue au cimetière de Saint-Ouen et à l’orchestre du théâtre de la Porte-Saint-Martin.

C’était bien elle pourtant, et, en vérité, son costume de devineresse ne lui allait pas mal. La couleur de la coiffure faisait paraître son teint moins enflammé, et la robe flottante avantageait sa taille.

Seulement elle avait l’air soucieux.

– Je viens de la voir, dit-elle sans autre préambule.

– Qui? demanda Blanchelaine avec impatience.

– Sophie Cornu, parbleu! Elle est venue me consulter, et j’ai profité de l’occasion pour lui demander des détails. Mais ceux qu’elle m’a donnés ne sont pas très intéressants.

– Enfin, que t’a-t-elle dit?

– C’est ce Binos qui lui a appris hier, à l’enterrement, que Bianca avait une sœur. Seulement, Sophie ne l’avait pas vue, cette sœur, tandis qu’aujourd’hui elle l’a rencontrée au cimetière.

– Tu m’as déjà raconté ça tout à l’heure, et si tu ne sais rien de plus…

– Je sais comment Binos a découvert la parenté de la poseuse. Il a tout expliqué à Sophie, qui vient de me répéter l’histoire que ce rapin lui a débitée.

«Il paraît qu’avant-hier il est allé voir un peintre qui demeure place Pigalle.

– Paul Freneuse, celui qui a eu l’idée de nous filer l’autre soir, en sortant du spectacle, et que nous avons si bien roulé.

– J’en ris encore. C’est moi qui ai inventé le coup du fiacre.

«Eh bien! Binos, en entrant chez son ami, s’est mis à crier à tue-tête qu’on connaissait le nom de la jeune fille exposée à la morgue, et qu’elle s’appelait Bianca Astrodi.

– Ah! le gredin! je lui avais pourtant défendu de bavarder.

– Là-dessus, cette Pia, qui était en train de poser, s’est trouvée mal. Elle est tombée raide par terre en criant: «C’est ma sœur!»

«C’est comme ça qu’on a su la chose.

– J’espère que cette brute de Binos n’a pas parlé de moi devant Freneuse!

– Du moins, il ne s’en est pas vanté. Sophie me l’aurait dit.

– Et m’a-t-il nommé devant cette vieille?

– Quant à ça, non, pour sûr. Sophie ne te connaît pas, mais elle m’appelle toujours Mme Blanchelaine. Ton nom l’aurait frappée…

– Binos ne le sait pas, mon nom. Pour lui, et pour les habitués du Grand-Bock je m’appelle Piédouche.

– C’est vrai; je n’y pensais plus.

– Et il n’a jamais su où je demeurais. Pourvu que ta Sophie Cornu n’aille pas s’aviser de lui indiquer mon domicile!

– Jamais de la vie. Pourquoi veux-tu qu’elle aille te fourrer dans cette affaire? Elle croit que tu ne soupçonnes seulement pas l’existence de tous ces gens-là.

– Tant mieux! car si elle bavardait, nous aurions une mauvaise carte de plus dans notre jeu. Binos mettrait le feu aux poudres. Il est lié avec ce Freneuse qui nous a déjà espionnés et qui nous a manqués par miracle. S’il découvrait que Piédouche se nomme Blanchelaine, et qu’il tient une agence rue de la Sourdière, nous n’aurions plus qu’à faire nos paquets.

– Bah! ça n’arrivera pas. Et puis, que la Bianca ait une sœur, ça n’a pas d’importance; le Paulet n’en hérite pas moins, et tu toucheras tes cent mille francs.

– Tu crois ça, toi? dit Blanchelaine avec un geste de colère.

– Quoi? Qu’est-ce qu’il y a donc? demanda Stella très émue.

– Il y a que Paulet sort d’ici, et qu’il vient de m’annoncer que son frère avait deux filles, Bianca et Pia, et que cet imbécile leur laisse sa fortune par portions égales; maintenant que l’aînée est partie pour l’autre monde, tout revient à la cadette.

– Ah! murmura la devineresse consternée, c’était bien la peine de tant risquer!

– Oui, le coup est dur. Mais je ne me tiens pas pour battu. Si je dois perdre les cent mille francs que Paulet s’est engagé à me payer le jour où il héritera, je me rattraperai autrement. Il ne sera pas dit que je me serai compromis pour rien.

– Je ne m’en consolerais pas; mais comment faire? Tu ne comptes pas recommencer l’histoire de Bianca, j’espère. C’est trop dangereux.

– Et ça ne servirait à rien. Mais il y a plus d’une manière de neutraliser une femme qui gêne.

– Je n’en connais qu’une, dit Stella d’un air sombre; nous l’avons déjà employée, et si nous y revenions, nous jouerions trop gros jeu.

– Il ne s’agit pas de cela, répliqua vivement Auguste Blanchelaine. La situation n’est plus du tout la même depuis que le père est mort. Pia décéderait demain qu’elle n’en aurait pas moins hérité, et, si elle n’a pas de parents, l’État réclamerait sa succession. Nous sommes au contraire intéressés à ce qu’elle vive. J’aime mieux avoir affaire à elle qu’au gouvernement italien.

– Qu’espères-tu donc tirer de cette petite?

– Pour le moment, rien. Plus tard, ce sera différent. C’est une affaire à longue échéance.

– Je ne comprends pas ton idée.

– Mon idée, c’est d’exploiter directement à notre profit cette Pia Astrodi. Mon plan repose sur ceci: elle sait bien que Bianca était sa sœur, mais elle ne connaît pas le testament. Personne ne le connaît… excepté le sieur Paulet et le notaire de là-bas. Paulet se gardera bien d’avertir la petite, et le notaire va retourner dans sa province. La succession restera ouverte, et personne n’y touchera, si l’héritière ne se présente pas.

«Et nous l’empêcherons de se présenter.

– Bon! et après?

– Après, il faudra jouer serré. Beaucoup de diplomatie à la clef.

– De la diplomatie?… Je ne comprends pas.

– Il faut que tu comprennes, car c’est sur toi que je compte pour chambrer la petite. Et je suis sûr que tu réussiras, si tu t’y prends bien.

– Tu oublies que je ne la connais pas.

– Tu l’as vue, et elle t’a vue.

– Oui, au cimetière, mais je ne lui ai pas parlé.

– Ça n’y fait rien. Tu iras la trouver, dès que je saurai où elle demeure.

– Je le sais, moi. Elle loge rue des Fossés-Saint-Bernard. Le peintre l’a dit devant Sophie Cornu, qui me l’a répété.

– C’est donc chez elle que Bianca allait tous les soirs. Si nous avions connu ce détail plus tôt, nous aurions manœuvré autrement. Mais c’est fait. Prenons la situation telle qu’elle est et tâchons d’en tirer le meilleur parti possible.

– Bon! mais sous quel prétexte m’introduirai-je chez cette Pia?

– Sous prétexte que tu fréquentais sa sœur dans le garni qu’elle habitait rue des Abbesses; elle sera ravie de causer avec toi de la morte.

– Très bien, mais que lui dirai-je?

– Tu commenceras par la cajoler. Tu la plaindras, tu lui jureras que sa sœur t’aimait beaucoup, tu essaieras de la consoler.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
320 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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