Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?», sayfa 5

Yazı tipi:

CHAPITRE VI
CRAQUEMENTS ET RUINE

Engagé dans ces sables mouvants, dont nous venons d'exposer succinctement la nature et la changeante topographie, le navire conjugal ne tarde pas à craquer de toutes parts, jusqu'à ce qu'un coup de vent ou la poussée des vagues en détermine la dislocation finale.

«C'est en ménage surtout que l'on doit méditer ce proverbe: La discorde des matelots submerge le vaisseau19

Ici, les matelots ne sont que deux; s'ils ne manœuvrent pas ensemble, le navire nécessairement périt.

Quand on en a pris son parti avant le mariage, qu'on n'a vu, dans l'union contractée, qu'une association de convenances ou d'intérêts, les conséquences, quelles qu'elles soient, sont acceptables puisqu'elles sont prévues; mais, si rien ne tourne au tragique, tout est lamentablement nauséabond et plat. C'est une situation plus à la mode de son temps que de nos jours, que Chamfort dépeint en ces quelques lignes: «Un homme de qualité se marie sans aimer sa femme, prend une fille d'opéra qu'il quitte en disant: «C'est comme ma femme»; prend une femme honnête pour varier, et quitte celle-ci en disant: «C'est comme une telle»; ainsi de suite.»

On dirait que ce gentilhomme ne s'est marié que pour être plus libre. Sinon, pourquoi se mariait-il?

La liberté, d'ailleurs, en de semblables occurrences, est réciproque. Sous leur commune raison sociale, le mari et la femme vivent chacun de son côté, et le mariage ainsi compris n'a rien à faire avec le problème de la vie à deux.

Mais cette philosophie parfaite, dont le bonhomme La Fontaine a donné l'exemple et la formule, n'est ni à la portée ni au goût de tout le monde. Horace Raisson parle de «ces esprits chatouilleux, de ces caractères intraitables, qu'un rien effraie ou rebute», et il déclare fort sensément que «c'est à eux de savoir rester dans le célibat, ou de se résigner à faire ici-bas l'apprentissage du purgatoire.»

Sans parler de ceux-là, qui ne sont pas plus propres à se marier qu'un paralytique à faire un soldat, que de maris et de femmes empoisonnent leur vie conjugale et la rendent impossible, faute de comprendre qu'on ne reçoit qu'autant qu'on donne, et que tout autre marché est pure et simple duperie.

«Je ne comprends pas, dit La Bruyère, comment un mari qui s'abandonne à son humeur et à sa complexion, qui ne cache aucun de ses défauts, et se montre au contraire par ses mauvais endroits, qui est avare, qui est trop négligé dans son ajustement, brusque dans ses réponses, incivil, froid et taciturne, peut espérer de défendre le cœur d'une jeune femme contre les entreprises de son galant qui emploie la parure et la magnificence, la complaisance, les soins, l'empressement, les dons, la flatterie.»

Et, de fait, pourquoi la femme ne rendrait-elle pas à son époux

Fèves pour pois, et pain blanc pour fouace?

D'un autre côté, si la femme fait au mari la vie dure, quand même elle resterait physiquement vertueuse et plus inapprochable qu'un dragon, le mari sera comparable aux ascètes qui se plaisent au cilice et se délectent à la fustigation, s'il ne quête pas sur terrain prohibé les douceurs et la tendresse qu'on lui refuse en ses légitimes domaines.

Lorsque les choses en sont arrivées à ce point, il se produit d'ordinaire une réédition du fameux débat du chasseur et du lapin. Le chasseur tue le lapin, mais c'est le lapin qui avait commencé. De même, c'est la première victime qui presque toujours reçoit les reproches et porte la responsabilité de fautes qu'elle n'a partagées qu'après en avoir souffert. Dans cette lutte devant l'opinion, la femme ne le cède en rien à l'homme en ardeur, en ruse, en astucieuse audace, et si elle est le plus souvent accablée, c'est que l'homme a plus de moyens qu'elle d'agir sur le mécanisme social, aussi bien vis-à-vis de la justice mondaine que vis-à-vis de la justice des tribunaux.

Il serait pourtant du devoir de l'homme, précisément parce qu'il est le plus fort, de laisser à la femme l'avantage dans un combat dont l'issue doit, après tout, les délivrer l'un et l'autre. D'ailleurs, s'il n'a pas toujours les premiers torts, il est bien rare qu'il n'en ait pas d'équivalents à ceux de la femme, au moins, sans compter celui – le plus grave – de n'avoir pas su – lui, le guide et le soutien – user de son expérience et de son autorité pour, dès le début, empêcher les faux pas.

En somme, la question est de détail et presque oiseuse. Avant d'en venir là, la courtoisie a dû être si souvent et si outrageusement violée de part et d'autre, qu'on ne peut guère s'attendre, au moment décisif, à ce qu'elle reprenne ses droits.

Nous n'insisterons pas et nous nous contenterons d'indiquer les trois solutions entre lesquelles les époux, irréparablement désunis de fait, ont le choix: conserver les apparences de la vie commune, par respect pour soi-même, par intérêt pour les enfants, afin de ne pas donner son nom et sa personne en pâture au scandale, et de maintenir du moins le cadre de la famille pour les êtres chers qui y ont reçu le jour et les premiers soins;

La séparation de corps, qui éloigne les époux l'un de l'autre sans dissoudre l'union, et laisse une porte ouverte au retour;

Le divorce, qui, tout en sauvegardant autant que faire se peut les droits (je ne parle pas des sentiments, car lorsque la loi touche aux sentiments, elle fait songer aux doigts d'un jardinier sur les ailes d'un papillon) des enfants, rend a chacun des époux sa liberté première, et leur permet ou de vivre désormais seuls ou de recommencer avec un autre, dans des conditions présumées meilleures, leur expérience de la vie à deux.

Nous ne discuterons pas la valeur respective de ces trois solutions. Nous recherchons comment on peut le mieux et le plus heureusement vivre à deux, et non le mode préférable de mettre fin à cette vie et de trancher l'unité sociale par moitiés. Cependant, dans tous les cas où ce serait possible, et il en est bien peu où ce ne le soit pas, nous inclinerions décidément vers la première. «Mieux vault deslier que couper», lit-on dans les proverbes de G. Meurier. C'est le seul moyen de maintenir aux yeux du monde la dignité de son existence, tout en dénouant des liens trop durs à porter; c'est aussi le seul moyen, nous le répétons, de conserver aux enfants un milieu familial que rien ne peut remplacer, quelque restreint et refroidi qu'il soit; car de ce que l'amour a cessé, ou même a fait place à l'aversion entre le mari et la femme, il ne saurait s'ensuivre que, dans le désastre, l'amour du père et de la mère pour les enfants ait également péri. Enfin, là où les apparences sont maintenues, la réalité peut toujours reprendre corps et, de quelques ruines qu'ait été fait le bûcher, on ne nous persuadera pas que, semblable au phénix, l'amour ne puisse parfois renaître de ses cendres.

C'est une chance qui vaut bien la peine qu'on la coure.

CHAPITRE VII
CE QUI LIE SOUTIENT

C'est avec une sensation de soulagement réel que nous nous trouvons au bout de ce long et attristant chemin de croix, dont la première station est à la mairie, le jour du mariage, et la dernière au tribunal, le jour du divorce. Ce chemin de croix, il nous fallait le faire, à la suite des couples malheureux qui expient si chèrement tantôt l'erreur initiale, tantôt les imprudences ou les fautes commises pendant le cours de la vie à deux. Le meilleur moyen de bien faire voir la route, en un terrain non frayé, c'est de marquer les obstacles qui la coupent, les fondrières et précipices qui la bordent. La besogne est faite, nous n'y reviendrons plus.

Quiconque a lu des vers de mirliton connaît cet élégant distique:

 
Les liens du mariage,
Sont un doux esclavage.
 

Des liens, un esclavage, – fût-il doux, – cela n'a rien de bien tentant. C'est pourtant en ces termes qu'on parle communément du mariage, soit en vers, soit en prose. Nœuds, chaînes, fardeau, boulet, domination, tyrannie, servitude, varient l'expression, mais ne touchent pas au fond de la métaphore. Sans doute elle n'a pas surgi sans raison dans la langue des peuples, et les mauvais plaisants seuls n'auraient pas suffi à la répandre si universellement. Assurément elle a répondu à un fait réel. Elle y répond encore, puisque le fait reste écrit dans la loi: la femme doit obéissance au mari. Mais les mœurs sont plus fortes que les lois, et, de jour en jour, les mœurs bannissent du mariage la notion de domination d'un côté et de soumission de l'autre, pour y substituer l'accord raisonné et affectueux de deux volontés libres, dont les effets tendent à s'aider et à se compléter mutuellement.

Au seizième siècle, Shakespeare pouvait écrire:

 
Ton mari est ton seigneur; ta vie, ton gardien,
ton chef, ton souverain; celui qui s'inquiète de toi
et de ton entretien; qui livre son corps
au travail pénible, et sur mer et sur terre;
veillant la nuit dans les orages, le jour au froid,
pendant que tu es chaudement couchée à la maison bien en sûreté;
et il ne demande de toi d'autre tribut
que de l'amour, un air aimable, et une véritable obéissance, —
paiement trop modique pour une dette si grande.
Le même devoir que le sujet doit au prince,
la femme le doit à son mari;
et, lorsqu'elle est volontaire, acariâtre, maussade, aigre,
et insoumise à son honnête volonté,
qu'est-elle autre chose qu'une impure et déclarée rebelle,
qu'une perverse traîtresse, vis-à-vis de son seigneur aimant?
J'ai honte que les femmes soient si simples
que d'offrir la guerre là où elles devraient demander à genoux la paix,
ou que de rechercher la règle, la suprématie et la domination,
là où elles sont tenues de servir, d'aimer et d'obéir.
 

Tirade qui fait songer, comme le remarquait naguère M. Auguste Vitu, dans une de ses chroniques théâtrales, à la célèbre boutade que Molière mettait, au siècle suivant, dans la bouche d'un de ses bons bourgeois:

 
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité…
Et ce que le soldat, dans son devoir instruit,
Montre d'obéissance au chef qui le conduit,
Le valet à son maître, un enfant à son père,
A son supérieur le moindre petit frère,
N'approche point encor de la docilité,
Et de l'obéissance et de l'humilité,
Et du profond respect où la femme doit être
Pour son mari, son chef, son seigneur et son maître!
 

Le poète lauréat d'Angleterre, lord Tennyson, parlant, il y a quarante ans, de la vie à deux, disait que la femme devait être à l'homme «comme une musique parfaite adaptée à de nobles paroles», et ajoutait que c'est le rôle de l'homme de commander, et celui de la femme d'obéir. Sur quoi Miss Wedgwood, dans un des journaux de la maison Cassell et Cie, Le Monde de la Femme (The Woman's World, juin 1888), fait cette remarque: «Ce passage assigne sa date au poème. Aujourd'hui, il y a encore des hommes qui commandent et des femmes qui obéissent; mais l'obéissance a cessé d'être l'idéal du mariage.»

Il n'y a qu'à s'en féliciter. Toute sujétion implique contrainte, et toute contrainte d'un être libre implique bassesse, plus encore pour la personne qui l'impose que pour celle qui doit la supporter.

Il n'en est pas moins vrai que la vie à deux crée des devoirs réciproques, diversifiés par la différence des aptitudes et des fonctions dans les deux moitiés de l'unité conjugale, et que l'application à ces devoirs est la condition essentielle du bonheur et de la durée de l'union.

On a dit: «L'homme fait son état, la femme le reçoit.» C'est en effet sur la conduite, les manières, le ton de son mari, qu'une jeune épouse se règle20

Ce sont donc les devoirs du mari qu'il importe de déterminer d'abord. Ces devoirs, selon la juste observation de l'auteur du Code conjugal, «se trouvent écrits en quelque sorte dans la comparaison de sa constitution et de celle de sa femme. La force, la fermeté, le courage, la gravité en sont les principaux caractères. C'est donc à lui à défendre, délibérer, prévoir. Il lui est toujours facile de communiquer de la résolution, de la fermeté à sa compagne, d'étendre ses vues, d'élever ses sentiments, et de la délivrer de ces hésitations, de ces craintes, auxquelles sa constitution plus faible l'assujétit.»

C'est ce que dit, en termes plus généraux et plus poétiques, W. Secker:

«La femme est le trésor du mari, et le mari doit être l'armure de la femme. Dans les ténèbres, il doit être le soleil qui la dirige; dans le danger, le bouclier qui la protège.»

A peu près sur le même ton, l'Anglais Dodsley nous dit: «Elle est la maîtresse de la maison; traite-la donc avec égards, pour que tes serviteurs puissent lui obéir.

»Ne te montre pas, sans motif, contraire à ses goûts; puisqu'elle partage tes peines, fais-la participer à tes plaisirs.

»Reprends ses fautes avec ménagement; n'exige pas avec rigueur qu'elle te soit soumise.

»Dépose tes secrets dans son sein; ses avis partent du cœur, elle ne te trompera pas; sois-lui fidèlement attaché, car elle est la mère de tes enfants.

»Si les maladies et les souffrances viennent l'assaillir, que ta tendresse soulage son affliction; un regard de sensibilité ou d'amour adoucira sa douleur, ou modérera sa peine, et lui sera d'un plus grand secours que tous les médecins.

»Considère la faiblesse de son être; la délicatesse de ses formes; n'use pas de sévérité avec elle, souviens-toi de tes imperfections.»

Hippothadie dit à Panurge, dans le grand livre de François Rabelais: «Vous, de vostre costé, l'entretiendrez en amitié conjugale, continuerez en preud'hommie, luy monstrerez bon exemple, vivrez pudiquement, chastement, vertueusement en vostre mariage, comme voulez qu'elle de son costé vive.»

Tous ceux qui ont envisagé la question au point de vue pratique, sérieusement et sincèrement, parlent de même. «Vivez avec votre femme dans la plus grande union, dit un magistrat à son fils, au lendemain de la Révolution; ayez pour elle tous les égards, tous les soins qui établissent la confiance et font naître l'intimité. Ne la gênez en rien dans ses goûts; n'usez de l'autorité de mari pour la refuser que dans les cas où elle aurait des volontés dont les conséquences seraient dangereuses; et même alors, n'employez jamais que l'empire de la raison, auquel elle finira nécessairement par céder.»

Un peu auparavant, l'auteur du livre Les Mœurs s'exprimait ainsi: «Qu'un mari qui veut être aimé travaille à s'en rendre digne; qu'après vingt ans il se montre aussi attentif à ne point offenser, qu'au temps où il rechercha sa compagne. On gagne plus à conserver un cœur qu'à le conquérir. L'amour, l'honneur, les soins complaisants perpétuent les douceurs de l'hymen. Qu'il se souvienne donc que si, dans l'accord des deux sons, c'est toujours la basse qui domine, de même, dans un ménage réglé et uni, l'ordre et l'harmonie sont surtout l'effet des mesures sages du mari.»

Et tout cela se résume en cette grave et véridique parole de William Cobbett: «Jamais un mauvais mari n'a été un homme heureux.»

Est-ce à dire que tous les bons maris sont heureux? Hélas! les défauts se rencontrent des deux parts, et rien ne vient d'un des époux qui n'ait son action, agréable ou douloureuse, sur l'autre.

Dans les citations qui précèdent, il a été, et à juste titre, souvent question des égards, des attentions, de la politesse, que le mari doit à sa compagne, et sans lesquels la vie commune s'enlise peu à peu dans les vases sans fond de l'indifférence et de la grossièreté. Le Code Conjugal fait une distinction ingénieuse et nécessaire entre les égards dont nul galant homme ne se départ vis-à-vis de toute personne du sexe, et cette politesse du cœur que seule la tendresse peut dicter. «Il faut se garder, dit-il, de confondre les égards et les politesses; ce sont choses fort dissemblables, et plus d'un mari, pour n'avoir pas su établir cette subtile distinction, a vu la paix déserter son ménage.

»Un mari confie à sa femme ses peines, ses inquiétudes; il la consulte sur ses intérêts, et ne s'embarque pas dans une opération difficile avant d'avoir pris son avis: voilà des égards!

»Attentif, prévenant, un autre est constamment aux ordres de sa femme; il l'accompagne au bal, au spectacle, ne va pas dans le monde sans elle, rentre toujours avec un visage aimable, risque même parfois un galant compliment: voilà de la politesse!

»M. de Labouisse, le plus ferme champion du conjugalisme, a dû dire quelque part, en parodiant un mot célèbre: «On doit des égards à toutes les femmes, on ne doit des politesses qu'à la sienne.»

»Il y a toutefois une exception à cette règle générale.

»Dans les mariages d'argent, qu'on appelle plus décemment mariages de convenance, les égards sont seuls rigoureusement dûs.»

Ceci, c'est la part du mari. Mais tout reste incomplet, dans le ménage, s'il n'y a qu'un seul des époux en jeu. C'est ce que rappelle, avec une remarquable netteté, cette page du journal d'Addison, The Spectator:

«Un homme a assez à faire de vaincre ses vœux et désirs déraisonnables; mais c'est en vain qu'il y arrive, s'il a ceux d'une autre à satisfaire. Qu'il mette son orgueil dans sa femme et sa famille: qu'il leur donne toutes les commodités de la vie, comme s'il en tirait vanité; mais que ce soit cet orgueil innocent, et non leurs extravagants désirs, qu'il consulte en cela… Nous rions, et nous ne pesons pas cette soumission à la femme avec la gravité qu'une chose de cette importance mérite… Une fois que vous lui avez cédé, vous n'êtes plus son gardien et son protecteur, comme la nature vous y destinait; mais en vous faisant le complaisant de ses faiblesses, vous vous êtes rendu incapable d'éviter les malheurs où elles vous conduiront l'un et l'autre, et vous verrez l'heure où elle vous reprochera elle-même votre complaisance à son égard. C'est, il est vrai, la plus difficile conquête que nous puissions arriver à faire sur nous-mêmes, que de résister au chagrin de ce qui nous charme. Mais que le cœur souffre, que l'angoisse soit aussi poignante et douloureuse que possible, c'est chose qu'il vous faut endurer et traverser, si vous voulez vivre en gentleman, ou vous rendre témoignage à vous-même que vous êtes un homme de probité. Le vieux raisonnement: «Vous ne m'aimez pas, si vous me refusez ceci», dont on s'est d'abord servi pour obtenir une bagatelle, amènera, par son succès coutumier, le malheureux homme qui y cède à abandonner jusqu'à la cause de la patrie et de l'honneur.»

Un écrivain, qui donne à un journal du matin des chroniques mondaines justement remarquées pour la connaissance des personnes et l'expérience des choses dont il y fait preuve, consacrait un article, à propos des noces d'argent du prince et de la princesse de Galles, à rechercher la part qui revient à la femme dans le bonheur du ménage21. On ne trouvera pas mauvais que je rappelle ces pages, où le ton alerte ne nuit pas aux vues justes.

«L'art d'être heureux en ménage est beaucoup plus simple qu'un vain peuple ne pense et que la majorité des moralistes ne le prétend. Il consiste dans une indulgence perpétuelle de la femme envers l'homme et dans la courtoisie invincible de celui-ci envers celle-là. Pour que le foyer conjugal soit aimé, il faut que la fille d'Ève qui le préside le fasse aimable, et c'est seulement au prix de concessions incessantes qu'elle atteindra ce but. Le mari est un grand enfant, un grand enfant terrible, si vous voulez, avec les caprices duquel l'épouse doit compter, de manière à bénéficier du total de l'addition. Vouloir heurter de front ses caprices, s'élever de haut contre ses fantaisies, s'ériger en censeur implacable, se dresser en justicier infaillible, est une folie, et j'ajouterai, une mystification, de la part de l'épouse, et qui peut lui coûter le bonheur de sa vie. La femme, au foyer conjugal, doit être un camarade facile, agréable et de bonne composition, et non point un pion en jupon, pionnant de pionnerie.

»L'homme n'est pas parfait, chacun sait ça, et c'est à composer avec ses imperfections que doit s'appliquer la femme. Ce n'est point la faute du mari, comme le prétend la comédie, qui rend la plupart du temps les ménages malheureux, c'est la faute de l'épouse, c'est sa fausse interprétation des situations, son inintelligence de l'art des nuances, sa maladresse dans la conduite de ses propres intérêts. Ainsi, neuf fois sur dix, les dissensions intestines dans les ménages parisiens, ayant d'autre part toutes les conditions de fortune, d'âge, d'éducation pour être heureux, viennent du goût trop vif montré par le mari pour la vie au dehors, la libre allure de l'existence, le grand air à respirer à pleins poumons sans contrôle. La femme s'effraie de cette école buissonnière qu'elle s'imagine entachée de tous les attentats contre le respect conjugal; elle jette feu et flamme, crie à la trahison, agite les foudres vengeresses, multiplie les scènes sur les scènes, et finalement fait de son foyer un enfer, – ce qui est une étrange façon d'y ramener l'époux émancipé. Ah! l'inhabile et la malavisée!.. Comme elle ferait œuvre plus féconde pour son bonheur en n'ayant point l'air de s'apercevoir des envolées de son époux, en ne leur faisant point l'honneur de leur attacher plus d'importance qu'elles ne comportent, en ne leur prêtant point à son égard une signification offensante qu'elles ne sauraient avoir! Il plaît à monsieur de s'égarer sur les plates-bandes, c'est affaire à ses pas; il lui convient de temps à autre de secouer la bride conjugale et de jouer à la vie de garçon, qu'il satisfasse son humeur; ayant bon souper, bon gîte et le reste à domicile, il veut manger à la table d'hôte, courir les champs et coucher à la belle étoile, qu'il s'en passe la fantaisie! C'est l'histoire du pigeon de la fable. Vous verrez, si vous lui laissez la route ouverte, comme il se lassera vite de sa liberté; comme, maudissant sa curiosité, tirant l'aile et traînant le pied, il saura reprendre de lui-même le chemin du foyer et de combien de plaisirs il paiera votre peine!..

»La femme ne se doute pas assez de la somme de bonheur qu'elle se met sur la planche en ne faisant pas de son intérieur une prison sévère, en n'invoquant pas à tout propos les règlements du mariage. Moins elle élevera de barrières devant sa porte, moins son mari cherchera à s'échapper. C'est par l'atmosphère qu'ils respirent dans leur intérieur que les hommes y sont retenus, ce n'est point par les articles du Code ou les revendications de la morale proclamées à hauts cris. Plus une femme est irréprochable, plus elle est respectueuse de toutes les charges du foyer, plus elle peut se montrer facile, conciliante, indulgente; car, sûre de la considération invincible de son mari, elle sait bien qu'une heure sonnera où il lui reviendra, à tout jamais, cette fois, comme à la seule et véritable amie, à la compagne au cœur éprouvé, au dévouement infaillible. L'indulgence de la femme dans la première période du mariage, c'est sa félicité assurée pour la dernière, l'affection de son mari se grandissant alors du repentir de ses torts à son égard et de toute la reconnaissance qu'il lui doit. En faisant acte de conciliation et d'abnégation, elle a joué à qui perd gagne et sauve sa mise de bonheur.

»Et ce rôle lui est facile, car les enfants sont là pour l'accaparer tout entière, la distraire, lui rendre les heures rapides. Le mari s'échappe du foyer un peu plus qu'il ne faudrait, qu'importe! Les enfants y restent, eux, pour le remplacer, pour l'y rappeler, pour y plaider sa cause, pour lui garder intact le cœur même qu'il éprouve. Ah! les enfants dans le ménage, quelle aide et quelle force, et comme le devoir lui devient facile, la résignation aimable, dès qu'on les regarde!..

»Dans la première phase du mariage, la mère absorbe l'épouse et il n'est point de femme, si dévouée qu'elle soit à son mari, qui ne soit prête à le sacrifier à ses enfants. C'est même ce souci si intense, si exclusif de l'enfant, au détriment du mari, qui amène le refroidissement des rapports dans tant de ménages et pousse au dehors du logis le chef de la communauté. Il voudrait associer sa compagne à ses distractions, jouir de sa compagnie, triompher de sa beauté dans les endroits publics, dans les salons, à toutes les manifestations de la vie parisienne. Rêve impossible! Madame a ses enfants qui la retiennent au gîte, qui l'intéressent avant tout, qui lui prennent tous ses instants comme toutes ses préoccupations. Il faut qu'elle aille aux cours, au collège, au catéchisme, que sais-je? Elle n'a pas le loisir de s'amuser, elle! Que Monsieur ne se prive pas pour cela, d'ailleurs, des plaisirs auxquels il aspire; elle en serait désolée; à chacun son rôle! Elle s'en tient au sien et le sien, à ses yeux, est celui de la mère.

»Monsieur profite de la permission, prend la clef des champs et se fait une douce habitude de vivre autant qu'il peut en dehors de la maison. Doit-on lui en faire un crime? Il se sacrifie, lui aussi, à sa façon, aux enfants.

»Il faut bien le reconnaître, dans la classe des honnêtes femmes, des épouses impeccables, on ne s'efforce guère, la plupart du temps, de retenir le mari dans les liens conjugaux en les rendant aimables et attrayants. Je viens de vous signaler la place absorbante tenue par l'enfant dans l'existence des femmes, mais, en dehors de l'enfant, combien peu se donnent la peine de payer de leur personne en faveur du mari. Voyez l'indifférence montrée par la majorité des femmes sur leur propre compte, dès qu'elles n'ont que leur ménage pour théâtre de leurs exploits. Dès qu'elles ont mis le pied sur le seuil de leur porte, il semble qu'elles oublient les premiers éléments de cet art de plaire qu'elles pratiquaient si joliment dans le salon voisin, quelques minutes auparavant. Au lieu de cet air enjoué qui faisait tourner toutes les têtes, de ces répliques vives et fines qui faisaient ouvrir toutes les oreilles, un visage terne, une attitude morne, une conversation paresseuse.

»Du côté de la toilette, même jeu: à la robe chatoyante et charmeuse qui traînait tous les désirs dans ses sillons soyeux, succède le négligé, et quel négligé souvent! Les bandeaux sont défaits, les pantoufles banales remplacent les souliers provocants, le molleton du Bonheur des dames couvre les épaules qui s'accommodaient si bien de la robe de la bonne faiseuse; c'est un enterrement complet de grâce et de séduction.

«Tout cela est bien assez bon pour la maison!» pense notre fille d'Ève. La fausse idée! et la preuve, c'est la promptitude avec laquelle le fils d'Adam, son mari, lui annonce «qu'il a affaire» à la Bourse, au cercle, ou ailleurs. Les femmes doivent à leurs maris, a dit je ne sais plus qui, leurs qualités, leurs travers et surtout leur coquetterie! Cela est bien vrai. Il faut de l'attrayant dans le ménage, ou gare!..»

L'homme n'a pas plus le droit que sa compagne de se négliger, moralement ou physiquement dans son intérieur. Autrement, il créerait les mêmes inconvénients et s'exposerait aux mêmes dangers.

Ce sujet, que je ne veux qu'effleurer, me remet en mémoire une amusante épigramme empruntée à la correspondance inédite de madame Roland.

 
En grasseyant, la divine Chloé
Disait un jour: «Qu'importe un œil, un nez!
Est-ce le corps? C'est l'âme que l'on aime.
L'étui n'est rien.» Voici dans l'instant même
Que de l'armée arrive son amant;
Taffetas noir, étendu sur la face,
Y couvre un nez qui fut jadis charmant,
Ou bien plutôt n'en couvre que la place.
Il voit Chloé, veut voler dans ses bras.
Chloé recule et sent mourir sa flamme.
«Mon Dieu! dit-elle, est-il possible, hélas!
Qu'un nez de moins change si fort une âme?»
 

C'est là de la morale facile, dira-t-on. Et qu'importe, si c'est de la morale pratique! La vie est assez hérissée de difficultés naturelles sans qu'on la traverse encore, pour le plaisir, de banquettes irlandaises et de serpentines artificielles. Je ne vois guère qu'une chose sur laquelle le journaliste passe trop légèrement: c'est lorsqu'il parle des relations du mari et de ses enfants. Il semble que les enfants n'appartiennent qu'à la mère, que le père n'ait à leur donner ni sympathies ni soins. Cela arrive souvent, le plus souvent même, malgré bien des exemples du contraire, dans le monde pour lequel le chroniqueur écrit. Mais comme c'est tant pis pour les pères, dans ce monde-là! Ailleurs, partout où le mari relaie, en ce qu'il peut, sa compagne dans les soins à donner aux petits, partout où il prend, si je puis dire, une part de la maternité, – et rien ne touche plus délicieusement la mère, – l'enfant, bien loin d'être une cause d'éloignement ou de refroidissement entre les époux, est entre eux la plus douce et la plus irrésistible des attractions.

Ce n'est pas à des ménages semblables que s'appliquent les remarques, les objurgations d'une femme chez laquelle les entraînements politiques n'ont pu ni alourdir l'esprit, ni refroidir le cœur. La femme est mère, elle est nourrice; le mari se plaint d'être réveillé, dit madame Sévérine; on fait chambre à part. Adieu l'amour! Monsieur ira à ses affaires, bientôt à ses plaisirs; Madame ne démarre plus du logis; l'un court et l'autre couve!

»Eh bien! non! ce n'est pas le rôle de la femme, cela, et je ne saurais trop le répéter. Certes, il faut aimer ses enfants, et les protéger et les défendre, ces chères petites créatures qui sont la chair de notre chair et le fruit de notre amour.

»Mais il faut aimer par-dessus tout – écoutez bien ceci, mes jeunes contemporaines, – il faut aimer par dessus-tout «son homme», comme disent les femmes du peuple qui ont le sens juste en ces sortes de choses, car la vie leur est bien plus dure et bien plus enseignante qu'à nous.

»Et, par aimer, je n'entends pas seulement la fièvre des amoureuses, mais la bonne tendresse qui réconforte, remet le cœur en place et le cerveau à point. La maman! je ne m'en dédis pas…

»Jeunes ou vieilles, allez, soyons des mamans dans la vie, – la maman des enfants, la maman de notre mari, la maman de nos amis, la maman des pauvres, de tout ce qui souffre et de tout ce qui se plaint. Nous trouverons des railleurs, soit; mais la petite bête que nous avons là, dans notre corset, à gauche, aura bon chaud et sera contente.»

Oh! l'indulgence, la patience, le pardon de la femme, jamais on n'en vantera assez la précieuse et réconfortante vertu. «En soignant tendrement mes faiblesses, déclare, au grand honneur de sa femme, un auteur écossais22, elle m'a guéri des plus nuisibles. Elle est devenue prudente par affection; et bien qu'elle soit d'une nature très généreuse, elle a appris l'économie dans son amour pour moi. Elle m'a doucement arraché à mes dissipations; elle a donné des tuteurs à un caractère faible et irrésolu; elle a poussé mon indolence à tous les efforts qui m'ont été utiles ou honorables; et elle s'est toujours trouvée là pour gourmander mon insouciance ou mon imprévoyance. C'est à elle que je dois ce que je suis, à elle que je dois ce que je serai.»

19.Horace Raisson, Code conjugal.
20.H. Raisson.
21.Santillane, dans le Gil Blas du 10 mars 1888.
22.Macintosh.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
170 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain