Kitabı oku: «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?», sayfa 6
Un prélat catholique23, tout en se plaçant à un point de vue plus général et plus élevé, tenait dans la chaire un langage identique. «Un homme, s'écriait-il, peut avoir de grands défauts, de grands vices; il peut avoir ses heures d'irritation, où il traitera sa compagne avec des termes aussi durs qu'injustes: n'importe, si la femme est ce qu'elle doit être, il la respectera malgré lui, il aura en elle toute sa confiance; et malgré les paroles violentes auxquelles souvent la passion fait semblant de croire quand elle les profère, le cœur restera fidèle, le cœur s'inclinera devant la vertu, le cœur aura confiance; car c'est un autre privilège de la vérité, qu'il n'est pas permis à l'homme de mépriser longtemps et sérieusement une vertu que rien n'ébranle et qui persiste au milieu des plus dures épreuves.»
Tel est le mariage: «L'école la plus sûre de l'ordre, de la bonté, de l'humanité, qui sont des qualités bien autrement nécessaires que l'instruction et le talent.»
C'est Mirabeau qui l'a dit, et il serait difficile de le récuser comme partial.
L'auteur de La Sagesse, le vieux Charron, a écrit à ce sujet quelques lignes où se sent une émotion contenue, assez rare dans son œuvre. «Mariage, dit-il, est un sage marché, un lien et une cousture sainte et inviolable, une convention honorable; s'il est bien façonné et bien pris, il n'y a rien de plus beau au monde, c'est une douce société de vie: pleine de constance, de fiance, et d'un nombre infini d'utiles et solides offices, et obligations mutuelles.»
J'emprunte encore cette page au Spectator d'Addison:
«Le mariage est une institution faite pour être la scène incessante d'autant de bonheur que notre être en est capable. Deux personnes qui se sont choisies entre toutes, dans le dessein d'être l'une à l'autre un encouragement et une joie, se sont, par cet acte même, engagées à être de bonne humeur, affables, discrètes, indulgentes, patientes, gaies, en face des fragilités et imperfections de l'une ou de l'autre d'entre elles, et cela jusqu'à la fin de leur vie… Lorsque cette union est ainsi gardée, les circonstances les plus indifférentes font éprouver du plaisir. Leur condition est une source incessante de joies. L'homme marié peut dire: Si le monde entier me rejette, il y a un être que j'aime absolument, qui me recevra avec joie et transport, et qui se croira obligée de redoubler de tendresse et de caresses pour moi, à cause de la tristesse dans laquelle elle me voit plongé. Je n'ai pas besoin de dissimuler les chagrins de mon cœur pour lui être agréable; ces chagrins mêmes ravivent son affection.
»Cette passion qu'on a l'un pour l'autre, lorsqu'elle est une fois bien fixée, entre dans la constitution même de l'être, et y coule aussi aisément et silencieusement que le sang dans les veines…»
Douce manière de traverser la vie, appuyés l'un sur l'autre, bravant les mêmes dangers, savourant les mêmes joies, se relevant aux faux pas et se retenant aux heurts sans jamais tomber tout à fait, car le devoir, l'estime et l'affection les entourent d'indissolubles attaches, et ce qui lie soutient!
CHAPITRE VIII
AIMER ET CROIRE
Il n'est pas difficile, après ce qui a été dit déjà, de dégager, comme conclusion, cette véritable formule de la vie à deux: Aimer et croire. Ne craignons pas, cependant, d'y insister: c'est le point essentiel entre tous.
Le roi Alphonse de Portugal prétendait que, pour vivre en paix dans le mariage, il faut que l'homme soit sourd, et la femme aveugle. – Le roi Alphonse de Portugal parlait en cynique qui plaisante. Certes l'homme doit être sourd aux calomnies, aux médisances, aux insinuations perfides auxquelles la meilleure des femmes peut être en butte et, de même, la femme doit être aveugle, en ce sens qu'elle ne doit pas épier les pas et démarches du mari, l'espionnage étant chose vile, et qu'elle doit s'en remettre aveuglément à lui du soin des intérêts communs au dehors. Ce n'était point ce qu'entendait le roi Alphonse de Portugal, ou je me trompe fort; et c'est en quoi lui-même se trompait. L'homme, au contraire, n'ouvrira jamais assez l'oreille pour écouter les paroles de tendresse et d'abandon de la femme qui l'aime; et jamais la femme n'aura assez d'yeux pour regarder les attentions, les efforts et les travaux d'un mari qui la veut heureuse.
Croit-on qu'il était aveugle ou sourd le couple qu'Addison nous peint dans ce tableau d'une si délicieuse pureté de touche et d'une si parfaite exactitude de trait:
«Lætitia est jolie, modeste, tendre, et a assez de jugement; elle a épousé Eraste, qui est doué d'un goût général pour la plupart des choses de l'intelligence et de l'art. Partout où Lætitia va en visite, elle a le plaisir d'entendre répéter qu'Eraste a bien dit ou bien fait telle ou telle chose. Depuis son mariage, Eraste est plus élégant dans son costume que jamais, et, dans le monde, il est aussi complaisant pour Lætitia que pour toute autre dame. Je l'ai vu lui donner son éventail, qui était tombé, avec toute la galanterie d'un amoureux. Lorsqu'ils prennent l'air ensemble, Eraste cultive toujours son esprit, et, avec un tour d'imagination qui lui est particulier, lui donne des aperçus de choses dont elle n'avait aucune notion auparavant. Lætitia est ravie de voir un monde nouveau ouvert ainsi devant elle, et s'attache d'autant plus à l'homme qui lui donne un enseignement si agréable. Eraste a encore poussé plus loin; non seulement il la fait chaque jour plus aimante pour lui, mais il la fait infiniment plus satisfaite d'elle-même. Eraste trouve, dans tout ce qu'elle dit ou observe, une justesse ou une beauté dont Lætitia elle-même ne se doutait pas, et, avec son aide, elle a découvert chez elle cent bonnes qualités et perfections auxquelles elle n'avait jamais auparavant songé. Eraste, avec la complaisance la plus fertile du monde, à l'aide d'insinuations lointaines, trouve le moyen de lui faire dire ou proposer presque tout ce qu'il désire, et il accueille la chose comme une découverte venant d'elle, et il lui en donne tout le crédit.
»Eraste a beaucoup de goût pour la peinture. L'autre jour il emmena Lætitia voir une collection de tableaux. – Je vais quelquefois faire visite à cet heureux couple. Comme nous nous promenions, la semaine dernière, dans la longue galerie, avant le dîner: «J'ai mis de l'argent dans des peintures dernièrement, dit Eraste. J'ai acheté cette Vénus et cet Adonis purement sur l'avis de Lætitia. Cela me coûte soixante guinées, et ce matin on m'en a offert cent.» Je me tournai vers Lætitia, et vis ses joues briller de plaisir, pendant qu'elle lançait à Eraste un regard, le plus tendre et le plus aimant que j'aie jamais surpris.»
Le contraste ne se fait pas attendre; en voici qui auraient besoin d'être aveugles et sourds:
«Flavilla a épousé Tom Tawdry. Elle a été séduite par son habit galonné et la riche dragonne de son épée. Mais elle a la mortification de voir Tom méprisé par toutes les personnes honorables de son sexe. Tom n'a rien à faire après dîner, qu'à décider s'il se taillera les ongles dehors ou chez lui. Depuis qu'il est marié, il n'a rien dit à Flavilla que celle-ci n'ait pu entendre dire aussi bien par sa femme de chambre. Néanmoins il prend grand soin de maintenir l'autorité arrogante et maussade d'un mari. Si Flavilla se permet d'affirmer quoi que ce soit, Tom immédiatement la contredit, avec un juron en guise de préface, et un: «Ma chère, je dois vous dire que vous débitez d'abominables sottises.» Flavilla avait le cœur aussi bien disposé pour toutes les tendresses de l'amour que Lætitia; mais comme l'amour ne survit pas longtemps à l'estime, il est difficile de décider actuellement si c'est la haine ou le mépris qui l'emporte dans l'esprit de la malheureuse Flavilla pour celui avec lequel elle est obligée de mener jusqu'au bout la vie.»
C'est toujours là qu'il en faut revenir, à l'amour, à l'estime, à la confiance réciproque. Quand on fait tout pour mériter ces sentiments de son compagnon, ce n'est pas encore assez: il faut tout faire pour les lui accorder. Et il est, très malheureusement, des natures pour qui le second effort est incomparablement plus difficile que le premier.
«Vous, femmes et mères, s'écrie Léon Tolstoï, vous savez le bonheur de l'amour pour l'époux, ce bonheur qui n'a point de fin, qui ne se brise point comme tous les autres, mais qui est l'aurore d'un bonheur nouveau, l'amour pour l'enfant.»
Et, comme c'est une dualité qui est l'unité dans la famille, ce bonheur, que l'époux donne, n'est pas moins vivement goûté par lui. Se sentir aimé de celle qu'on aime, il n'est point de félicité comparable dans la vie, point de joie aussi pleine et délicieuse dont soit capable notre cœur.
Une précieuse prédisposition à cet amour qui parfume et dore tout, c'est la bonté. «L'homme bon, écrivait M. Guizot, trouve presque toujours que sa femme a raison; il n'est pas enchanté quand il peut lui prouver qu'elle a tort; il ne craint pas qu'on ait plus d'esprit que lui, il a dans son cœur un trésor dont il fait jouir tous ceux qui l'entourent, sans que le fond s'épuise jamais.»
De même la douceur qui, quand elle est sincère, n'est que la plus aimable forme de la bonté, «est l'arme la plus puissante des femmes, et celles que le bonheur n'a pas favorisées en peuvent surtout, dans une union mal assortie, faire chaque jour l'expérience. Quoi qu'il en coûte, il faut supporter avec bonté, avec patience du moins, les défauts ou les torts d'un mari, lui céder sans répugnance, déférer à ses volontés. Jamais de tels sacrifices ne sont entièrement perdus par celle qui les fait. Si un mari est raisonnable et bon, il aime à l'en dédommager; s'il ne l'est pas, la douceur est encore le moyen le plus efficace pour le ramener à son devoir; elle triomphe tôt ou tard24.»
Sir John Lubbock n'a pas d'autres conseils à donner à l'un comme à l'autre des époux. «Combien cette charité, qui supporte tout, croit tout, espère tout, endure tout, serait efficace, dit-il, pour adoucir et dissiper les chagrins de la vie et ajouter au bonheur du foyer domestique! Le foyer domestique assurément peut être un hâvre de repos contre les orages et les périls du monde. Mais pour le rendre tel, il ne faut pas se contenter de le parer de bonnes intentions, il faut le faire brillant et joyeux.
»Si notre vie est une vie de peine et de souffrance, si le monde extérieur est froid et lugubre, quel plaisir de revenir à l'ensoleillement d'heureux visages et à la chaleur de cœurs que nous aimons!»
La puissance de l'amour, – je dis de l'amour familial, calme, reposé, constant et quotidien, non point de ces grands coups de passion qui emportent comme un vent de tempête et laissent retomber à plat, – n'est ici nullement exagérée. Elle va bien plus loin et n'a d'autre terme que l'héroïsme. C'est cet héroïsme que M. Georges Duruy a voulu caractériser, lorsqu'il dit dans l'avant-propos d'une de ses récentes nouvelles, Victoire d'âme: «L'amour chez une femme plus âgée que son mari ou que son amant, chez une femme qui aime avec ses sens, tout autant qu'avec son cœur, peut arriver à se spiritualiser, à se sublimer, à prendre quelque chose de si maternel, qu'il n'y a plus place en lui pour rien de ce qui est seulement suggestion de la chair. C'est le dernier terme de l'amour, le plus haut.»
Et en effet, si les termes de désintéressement et d'abnégation laissent encore, quand on les creuse jusqu'au fond, toucher le tuf de l'amour de soi, on peut dire qu'une personne, homme ou femme, n'en aime entièrement une autre que lorsqu'elle rapporte à soi toutes les joies et tout le bonheur de celle qu'elle aime, et qu'elle n'y rapporte que cela. Ne compter pour rien ses propres peines et ses propres douleurs, ne sentir qu'à travers un autre, mettre toute sa vie dans la vie de l'être aimé, voilà l'amour dans sa plénitude et sa perfection. Bien peu, il est vrai, en sont possédés à ce point; mais tout le monde peut le concevoir et y aspirer.
Le seul bien qui nous intéresse,
Crois-m'en, car je l'ai médité,
C'est le trésor de la tendresse
Plus humain que la vérité,
a dit un poète philosophe25.
Ce trésor de la tendresse, nous le portons tous en nous. Mais, hélas! comme un vin généreux s'aigrit dans un vaisseau impur, ce trésor se tourne trop souvent en fléau et en malédiction.
«Qui sait aimer n'a jamais fait souffrir», déclare un proverbe, rigoureusement vrai. Mais que de gens aiment sans savoir aimer, et font de leur amour un instrument à deux tranchants avec lequel ils se déchirent eux-mêmes en torturant ceux qu'ils aiment! Nous ne reviendrons pas sur ce triste sujet; il suffit de s'y être arrêté pendant un chapitre26. Mais il était indispensable de le rappeler ici: «la jalousie, le soupçon, le reproche sont les sources les plus fécondes de désunion; l'indulgence aimable, la confiance sans bornes, rendent seuls durables les vrais attachements: l'on n'est pas tenté de courir après le bonheur, lorsque, sans efforts, on est assuré de le trouver chez soi27.»
Les médecins ne sont pas moins explicites et affirmatifs sur ce point que les moralistes.
«La confiance, écrit le Dr Debray, est la pierre fondamentale sur laquelle repose l'édifice du mariage. Si cette pierre manque, l'édifice s'écroule et, avec lui, la tranquillité, le bonheur.»
Un poète a dit:
Aimer, c'est la moitié de vivre.
Il le prenait, si je ne me trompe, au sens mystique et religieux. Pour nous, aimer et croire, c'est tout un. La jalousie, qui vit de soupçons et prend ses imaginations détestables pour la réalité, est une déformation de l'amour, et le pire ennemi du bonheur dans la vie à deux. Les retours, les élans, les repentirs, les larmes de regret, les embrassements passionnés, qui coupent d'ordinaire les accès de cette maladie noire, procurent peut-être de fortes et inattendues jouissances, mais ces emportements de l'esprit ou des sens ne sont pas plus l'amour que l'intoxication de l'alcool n'est une alimentation. D'ailleurs, les plaies se cicatrisent mal sous ces caresses, car, à la première fantaisie, les mains qui les ont faites et qui cherchaient à les fermer, s'acharneront, avec je ne sais quelle âcre et douloureuse volupté, à les rouvrir et à les multiplier.
«Combien plus heureux ce ménage où le cœur des époux est attiré par une confiance réciproque, où la fusion des âmes existe, où elles se penchent naturellement l'une vers l'autre, comme deux vases dont le premier renferme une liqueur qui est nécessaire au second. Le mari, dans cette vie de confiance mutuelle, verse dans l'âme de la femme l'intelligence, la lumière, la vigueur et le conseil; la femme, de son côté, ombrage la tête de son époux avec une couronne de fleurs gracieuses; elle lui donne, comme un arbre fécond, la fraîcheur et les fruits de l'âme aimante; elle le dédommage des peines de la vie, elle essuie ses larmes, elle glisse dans ses veines une huile de joie et de bonheur28.»
Et que l'on ne croie pas que cette source bénie se tarit avec l'âge. Ecoutez plutôt encore le même auteur, s'adressant à la femme mariée depuis longtemps:
«On dit que le vin est le lait des vieillards: cette parole est encore plus vraie du vin de l'affection. Vous devez avoir dans votre cœur quelques gouttes de ce vieux vin; vous devez en avoir en abondance pour peu que vous ayez conservé celui de la jeunesse et de l'âge mûr. Donnez-en tous les jours une coupe remplie jusqu'au bord à votre mari, qui déjà succombe et dont le front porte les traces de la fin de son automne et du commencement de l'hiver.»
«Aimer et croire», il n'est pas d'autre recette, répétons-le, pour extraire de la vie à deux tout le bonheur humain.
CHAPITRE IX
LE NERF DE LA GUERRE
Le nerf de la guerre est aussi le grand ressort du ménage. Après nous être occupé des conditions morales de la vie à deux, il est temps d'aborder l'étude des conditions matérielles dans lesquelles cette vie peut le plus aisément se maintenir et se développer. Nous n'écrivons pas pour une classe de la société plutôt que pour une autre. Afin d'éviter les redites, les doubles emplois et les divisions qui grossiraient ce livre outre toute mesure, c'est à la moyenne que nous nous adressons d'ordinaire; mais les plus riches comme les plus pauvres peuvent faire leur profit de nos calculs et de nos conseils. C'est à eux de les adapter à leur position sociale: il n'y a là qu'une affaire de proportion.
Il faut de l'argent pour vivre, peu ou prou. Strictement, il en faut plus pour vivre à deux que seul, bien que, dans la pratique, l'homme célibataire dépense presque toujours autant, si ce n'est plus, que l'homme en ménage.
Cet argent provient du patrimoine ou du travail. Tantôt c'est le mari qui le possède ou le gagne; tantôt la femme l'apporte en dot; tantôt, et c'est le cas le plus fréquent, la dot de la femme vient s'ajouter au capital ou au revenu du mari. Il est donc naturel, prudent, nécessaire même de supputer, avant le mariage, les ressources qu'on peut arriver à mettre en commun et de s'assurer si ces revenus sont suffisants pour faire face aux nécessités de la vie à deux. Nous renvoyons, pour le fond de cette question, à ce que nous en avons dit dans Doit-on se marier? Constatons seulement que si l'or est une chimere dont il faut savoir se servir, comme le chantait si bien Scribe, l'art de s'en servir sans danger n'est pas commun, et qu'en tout cas cette chimère, en dépit des facilités qu'elle apporte à l'existence, ne fait pourtant point le bonheur.
Dans l'épopée finnoise, le Kalevala, Ilmarinnen, le forgeron divin, forge une fiancée d'or et d'argent pour Weinamoinen. Celui-ci, content d'abord d'avoir une femme si riche, la trouve bientôt intolérablement froide, car, malgré feux et fourrures, chaque fois qu'il la touche, elle le glace.
Pour être vieille, l'allégorie ne manque pas encore d'actualité.
«Sous Louis XIV, une bourgeoise de Paris, ayant de vingt à trente mille livres de dot, épousait un avocat. Avec trente-cinq à quarante mille livres, elle devenait la femme d'un trésorier de France. Si sa dot s'élevait de quarante-cinq à soixante-quinze mille livres, on la mariait à un conseiller au Parlement. Apportait-elle de deux cent à six cent mille livres, elle pouvait prétendre à un gentilhomme titré29.»
Les chiffres ne sont plus les mêmes, non plus que les désignations des positions sociales; mais, en fait de prétentions dans les alliances, les choses n'ont guère changé, que je sache. Du reste, il ne m'est pas prouvé, – au contraire – que ces trocs d'une dot contre une position ou un titre aient jamais assuré des unions heureuses, pas plus sous l'ancien régime que sous le nouveau.
C'est pourquoi je partage l'avis de l'Anglais Henry Taylor, qui écrivait dans un petit livre fort sensé, intitulé: Notes from Life: «Eu égard à la quantité de choses dont le concours est requis pour faire un bon mari et un heureux ménage, le père risque d'imposer de cruelles limites au choix de sa fille, lorsqu'il ajoute la richesse aux qualités nécessaires au prétendant. Même les mariages pauvres faits par l'imprévoyance ont moins de chances de finir mal que les mariages riches faits par la contrainte.»
Seulement cette exigence vient aussi souvent, sinon plus, du côté du garçon que du côté de la fille, et elle est alors encore plus à blâmer. Tout homme qui, par son travail ou sa fortune propre, est à même de vivre convenablement dans le milieu social où il évolue, et qui recule devant le mariage parce qu'il a peur d'imposer des privations à sa femme et à ses enfants, est un égoïste qui ne craint, à vrai dire, que pour la satisfaction de ses goûts30.
L'union contractée, que les ressources soient petites ou grandes, – «c'est un point délicat et sur lequel les avis seront longtemps partagés, que celui de savoir si, dans un ménage bien réglé, la bourse doit être commune et la clef du secrétaire en double partie.»
Le Code conjugal, qui pose la question, la résout ainsi: «Certes, il n'appartient pas à la femme de s'ingérer dans la question des revenus communs, et il y aurait folie à elle d'avoir une telle prétention; mais il est naturel qu'elle participe à tous les avantages que procure la fortune. Dans la plupart des ménages parisiens, le mari alloue à sa femme une somme fixe pour sa toilette et sa dépense particulière. Rien ne nous semble moins convenable. Une femme, obligée d'attendre la fin du mois pour toucher ses appointements, ses gages, ne se trouve pas obligée à plus d'économie, et se voit parfois contrainte d'ajourner le mémoire d'une couturière, d'une modiste, d'un bijoutier. C'est en confiant sans réserve à sa femme la garde entière de la fortune commune, qu'on l'intéresse à n'en user qu'avec sagesse et économie.
»Quant à ces maris, comme on en voit trop, refusant à leurs femmes les moyens de paraître ainsi qu'il convient à leur état dans le monde; grondant, criant misère à tout propos, nous n'en parlerons pas. C'est une mauvaise économie que celle qui met une femme aux prises entre la coquetterie et la sagesse. Le bonhomme Platon écrivait, il y a quelque mille ans: «Il semble que l'or et la vertu soient placés des deux côtés d'une balance, et qu'on ne puisse ajouter au poids du premier sans que l'autre devienne au même instant plus léger.»
Voilà qui est bien, et nous n'allons pas contre la justesse de ces observations. Nous ne saurions cependant admettre comme absolu le verdict qu'Horace Raisson porte contre le système qui consiste à ouvrir à la femme, sur le budget commun, un crédit mensuel proportionné au revenu des époux et aux besoins de la maison. Elle sait au juste sur quoi elle peut compter, et c'est à elle à ne pas se mettre dans le cas que redoute l'auteur du Code conjugal, cas fâcheux assurément, mais qui l'est moins encore que la tentation de puiser les yeux fermés dans la bourse commune, et peut-être finalement de l'épuiser.
Cela n'implique, d'ailleurs, ni défiance, ni mauvaise volonté, ni gestion arbitraire de la part du mari. C'est une simple règle posée d'un mutuel accord, et qui n'empêche en aucune façon les deux époux d'avoir la plus parfaite unité de vues, de bourse et d'intérêts. On s'engage, après mûre considération, à ne dépenser, pour l'entretien courant de la maison et les articles de toilette, qu'une somme déterminée. C'est prudence et raison que d'agir ainsi.
Femme mariée doit être simple,
Et porter la guimpe,
dit un proverbe du quinzième siècle. La guimpe change de forme et de nom avec les temps et les modes. Mais ce qui ne change pas, c'est le précepte de simplicité donné dans ces vers naïfs. Nous ne voulons pas dire que la femme mariée ne doive pas se mettre suivant sa fortune, son rang, les convenances et les habitudes du monde dans lequel elle vit; mais elle doit toujours conserver cette simplicité relative qui distingue la femme d'intérieur, la mère de famille de celles pour qui la vie n'a d'autres obligations que leurs caprices et leurs plaisirs.
«L'économie domestique n'est pas une vertu brillante, disait Mercier, mais elle compose une vertu solide, et une des plus belles que je connaisse. Elle est le fondement des maisons, ainsi que des grands établissements: ce sont les racines obscures qui nourrissent les pompeux feuillages de ces arbres qui portent leur front dans la nue. La misère est une source continuelle de soucis rongeurs, d'inquiétudes, de peines d'esprit, d'insomnies cruelles: elle est conseillère de plusieurs actions basses et iniques. L'économie, qui chasse tous ces tourments, qui nous met à couvert de ces épines, est tout à la fois et le soutien consolant de notre vie, et la sauvegarde de notre vertu; c'est un doux oreiller où nous sommeillons sans crainte de l'avenir, toujours obscur. L'économie enfin est la vertu la plus utile à la génération qui doit succéder: elle embrasse donc deux âges à la fois: privilège qui n'appartient guère qu'à elle.»
Sans s'élever à des considérations si élevées, ni surtout à une langue si fleurie, un autre moraliste de la même époque31 s'exprime ainsi:
«L'avarice et la prodigalité sont deux extrêmes, entre lesquels se trouve une sage économie. Vous sentez que cette économie est toujours relative au rang que l'on occupe. Il faut toujours tenir un état conforme à son rang; mais quand vous outrez ce qu'il demande, vous vous ruinez, sans que personne vous en sache gré. Il en est de même de celui qui ne met aucun ordre dans sa maison; il peut être perpétuellement trompé par ses domestiques; et ce qu'on lui vole est perdu pour lui, sans qu'il s'en fasse honneur. Ainsi, plus la place que l'on occupe exige que l'on ait de domestiques, plus il faut les assujettir à une règle exacte, et les maintenir avec fermeté.»
Tous ces conseils s'adressent autant à l'homme qu'à la femme. Il en est de même de ce passage, que nous empruntons à Henry Taylor:
«L'art de vivre à l'aise consiste à régler son genre de vie d'un cran au dessous de ses moyens. Le confort et la jouissance dépendent plus de la facilité dans les détails de la dépense que d'un degré de plus ou de moins dans le genre de vie que l'on mène; et, chose qui a encore une bien autre importance, l'esprit est moins obsédé de questions d'argent.
«Gardez-vous d'associer faussement dans votre esprit le plaisir avec la dépense, – de vous dire que, puisque le plaisir peut s'acheter avec de l'argent, l'argent ne saurait se dépenser sans procurer de plaisir.»
Le proverbe qu'on répète encore dans certaines de nos provinces:
Assez n'y a si trop n'y a,
ne signifie pas qu'il faut en avoir trop pour en avoir assez, mais bien qu'on n'en aura assez qu'autant qu'on mettra, quelle que soit d'ailleurs la chose à consommer, un surplus en réserve, ne serait-ce que pour se convaincre soi-même que, si l'on peut encore désirer au delà, ce qu'on a suffit réellement. En un mot, il faut se contenter non pas de ce qu'on a, mais d'un peu moins qu'on a.
Notre proverbe est donc d'un degré plus sage que celui de G. Meurier:
Il faut prendre le pot au feu
Selon son estat et revenu,
Et qui guères n'a despendre peu.
Charron a traité le sujet dans une page remarquable, que je demande la permission de rapporter.
«Les préceptes et advis de mesnagerie principaux sont ceux-cy: 1. Acheter et despendre toutes choses en temps et saison, elles sont meilleures et à meilleur prix. 2. Garder que les choses qui sont en la maison ne se gastent et perissent, ou se perdent et s'emportent, cecy est principalement à la femme: à laquelle Aristote donne par preciput ceste authorité et ce soin. 3. Pourvoir premierement et principalement à ces trois, Necessité, Netteté, Ordre: et puis s'il y a moyen, l'on advisera à ces trois autres (mais les Sages ne s'en donneront pas grand peine: non ampliter sed munditer convivium: plus salis quam sumptus) Abondance, pompe et parade, exquise et riche façon. Le contraire se pratique souvent aux bonnes maisons, où il y aura licts garnis de soye, pourfilez d'or, et n'y aura qu'une couverture simple en hyver, sans aucune commodité de ce qui est le plus necessaire. Ainsi de tout le reste.
»Regler sa despense: ce qui se fait en ostant la superfluë, sans faillir à la necessite, devoir et bienseance: un ducat en la bourse fait plus d'honneur que dix mal despendus, disait quelqu'un. Puis, mais c'est l'industrie et la suflisanse, faire mesme despense à moindre frais, et sur tout ne despendre jamais sur le gain advenir et esperé.
»Avoir le soin et l'œil sur tout: la vigilance et présence du maistre, dit le proverbe, engraisse le cheval et la terre. Mais pour le moins le maistre et la maistresse doivent celer leur ignorance et insuffisance aux affaires de la maison, et encores plus leur nonchalance, faisant mine de s'y entendre et d'y penser: car si les officiers et valets voyent que l'on ne s'en soucie, ils en feront de belles.»
On le voit, la sagesse ne vieillit point. Elle était la même au temps des Œconomiques qu'au seizième siècle; elle est la même encore aujourd'hui.
L'administration générale de la fortune, le placement des fonds, les dépenses extérieures que l'homme est amené à faire par ses affaires ou ses distractions, ne nous occuperont pas ici. Ce que nous avons à en dire, et nous ne voulons en dire que peu, trouvera place au chapitre suivant. Mais, dans l'organisation intime de la vie à deux, dans le fonctionnement de cet organisme délicat dont le cœur est au foyer, la femme joue un si grand rôle, la façon dont elle emploie l'argent qu'elle a entre les mains a des conséquences telles, non seulement sur le bien-être, mais aussi sur le bonheur des deux époux, qu'il nous faut forcément entrer dans quelques détails. Nous les emprunterons à un livre oublié, œuvre de deux dames qui y ont enseigné en bons termes et avec toute la lucidité du bon sens, le résultat de leur expérience. En voici le titre tout au long: Manuel complet de la Maîtresse de maison et de la parfaite Ménagère, ou Guide pratique pour la gestion d'une maison à la ville et à la campagne, contenant les moyens d'y maintenir le bon ordre et d'y établir l'abondance. Par madame Gacon-Dufour. Seconde édition, mise dans un nouvel ordre et très augmentée par madame Celnart. Paris, Roret, 1828; 1 vol. in-16.
Tout, à peu près, est prévu dans les réflexions générales dont ces dames font précéder les instructions qu'elles donnent pour les divers soins du ménage, et nous croyons ne pouvoir mieux faire, malgré la longueur de la citation, que de les offrir à méditer.
«Ce n'est pas assez de faire le bien, dit un livre de piété fort connu, il faut le bien faire. Cette maxime toujours utile est indispensable en ménage, où tout doit être exécuté avec une méthode, un ordre constant. La première chose à faire est donc un sage calcul de ses moyens pécuniaires, une sage distribution de leurs produits, un invariable emploi de ses instans; la seconde est l'observation des règles que l'on s'est prescrites.
»De concert avec son époux, la maîtresse de maison commencera par calculer ses revenus et ses dépenses: elle verra ce qu'il faut pour le loyer, le mobilier et son entretien, le chauffage, l'éclairage, les domestiques; elle allouera les frais des vêtemens, de la nourriture ordinaire, et les dépenses extraordinaires qu'elle pourra avoir à faire dans ce genre: ceux du blanchissage l'occuperont ensuite. Il est bon de subdiviser pour éviter l'erreur, et de dire, tant pour le mari, tant pour la femme, pour chaque enfant, etc. Elle songera ensuite aux menues dépenses qui s'attacheront spécialement à son état dans le monde et à celui de son époux, comme voyages, ports de lettres, réceptions, cadeaux, abonnements aux journaux, achats de livres, frais d'éducation, etc.; il faut toujours prévoir et même laisser un léger compte ouvert pour les dépenses imprévues, comme le remplacement d'objets perdus, cassés, la réparation de divers accidens, les soins qu'exigent de légères indispositions et autres choses semblables. Par là, on s'épargne à la fois et ces lamentations, ces regrets prolongés lorsqu'arrivent quelques-unes de ces contrariétés, et cette économie mal entendue qui, pour épargner le remplacement d'une vitre brisée, laisse pénétrer dans les appartemens une humidité nuisible, malsaine, qui gâte les meubles, occasionne des rhumes fatigans, dangereux peut-être… M. Say, dans ses Principes d'Économie politique, cite une famille de villageois ruinée pour avoir omis de mettre un loquet à une porte, qu'on se contentait de fermer au moyen d'une cheville de bois. Un porc, sur lequel ils comptaient pour payer leur terme, s'échappa par la porte mal fermée; en courant inutilement après, le fermier gagna une fluxion de poitrine; cette maladie acheva de le mettre à la misère, et ses meubles furent saisis par les huissiers. On sent comment, dans chaque ménage, des causes semblables peuvent produire de semblables effets.