Kitabı oku: «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?», sayfa 8
CHAPITRE X
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
La sphère d'activité de la femme, c'est le ménage. Elle rayonne au dehors, mais tout doit s'y rapporter. L'homme, au contraire, a pour département les affaires extérieures, le maniement des fonds, les fonctions civiles et militaires, les intérêts politiques et industriels, les poursuites de littérature et d'art, les questions de compétition, d'avancement, de succès, de gain, tout ce qui constitue la lutte pour la vie; et la maison est pour lui le lieu du calme et du repos. C'est une grande faute d'intervertir les rôles ou d'empiéter de l'un sur l'autre: les résultats en sont souvent funestes, et rien ne prête à rire davantage.
Le Jean-Jean ne vaut pas mieux que la virago; seulement il est plus ridicule. A une époque où la rudesse des mœurs faisait qu'on n'en venait guère aux gros mots sans en venir aux coups, la Coutume de Senlis (1375), entre autres, édictait contre de tels maris cette punition joyeuse:
«Les maris qui se laissent battre par leurs femmes seront contrains et condemnés à chevaucher sur un âne, le visaige par devers la queue du dit âne.»
«Il y a, dit La Bruyère, telle femme qui anéantit ou qui enterre son mari, au point qu'il n'en est fait dans le monde aucune mention: vit-il encore, ne vit-il plus? On en doute. Il ne sert dans sa famille qu'à montrer l'exemple d'un silence timide et d'une parfaite soumission. Il ne lui est dû ni douaire, ni conventions; mais à cela près, et qu'il n'accouche pas, il est la femme, et elle le mari… Monsieur paie le rôtisseur et le cuisinier, et c'est toujours chez madame qu'on a soupé.»
Tout le monde peut mettre, sous ce portrait, le nom de quelque personne de connaissance, car, pour n'être pas très communs, les ménages institués sur ce modèle se rencontrent un peu partout. On lit dans l'ouvrage anglais Pensées d'une femme sur les femmes: «J'entendais un jour une femme mariée dire avec beaucoup de complaisance et de satisfaction: «Oh! monsieur m'épargne toute la peine dans l'intérieur du ménage; il fait le menu du dîner, va chez le boucher choisir la viande, paie toutes les notes, tient les comptes de la semaine, et ne me demande jamais de faire quoi que ce soit.» A part moi, je pensais: «Ma chère, si j'étais vous, j'aurais grand'honte et de moi-même et de M. X***.»
Le fait est qu'il n'y a pas à tirer vanité d'un tel renversement de devoirs, qui n'est évidemment qu'un pur désordre.
D'autres s'y prennent plus habilement, parce qu'au lieu d'être simplement des paresseuses ou des frivoles, elles sont ambitieuses et prétendent exercer leur gouvernement sur ce qui les regarde le moins. Madame de Rémusat nous donne le signalement de cette espèce.
«Combien de femmes, dit-elle, toujours prêtes, aux yeux du public, à satisfaire les fantaisies frivoles, à exécuter les ordres de détail, usent l'autorité d'un mari sur une foule de minuties, pour ressaisir la liberté dans les occasions qui les intéressent, et acquièrent, par ce mélange habile de la complaisance et de la ruse, une indépendance très effective», et très dangereuse, ajoutons-le.
Le mari qui s'ingère dans les choses du ménage par esprit tatillon, ou par un sentiment jaloux et déplacé de son autorité, ne fait pas de meilleure besogne. «Il y a beaucoup d'hommes qui exercent ou prétendent exercer une surveillance minutieuse sur les dépenses du ménage: très certainement il vaudrait toujours mieux qu'une femme eût toute l'autorité domestique. Nous sommes faites pour les détails, nous avons le goût et l'intelligence des petites choses, et nous savons mieux que les hommes nous faire obéir des subalternes, tout en commandant avec plus de douceur33.»
Ce sont là des raisons; mais il y en a une autre, celle qu'exprime trivialement, mais énergiquement, le proverbe: «Chacun son métier, etc.» Que fera la femme, si vous lui prenez ses fonctions? Ne craignez-vous pas qu'elle n'occupe à des pensées ou à des œuvres qui ne sont point faites pour vous plaire, les loisirs que vous lui créez? Et vous-même, ou vous êtes un membre inutile de la société, n'ayant rien à faire parmi vos semblables, ou vous négligez, pour usurper des soins qui ne sont pas les vôtres, les travaux qui vous incombent, les intérêts que vous avez à sauvegarder.
De son côté, suivant la judicieuse remarque d'Horace Raisson, «la femme tire sa considération de celle dont elle sait entourer son époux; elle doit donc toujours paraître s'en rapporter à ses lumières, surtout en présence de témoins.»
J'ai eu souvent l'occasion d'observer, dans des familles étrangères, la réserve extrême dans laquelle la femme se tient en public vis-à-vis du mari. Jamais un mot de contradiction, d'objection, de doute. Elle n'a pas d'autre avis que le chef de famille; elle ne parle pas avant lui, et quand il a parlé, tout est dit. Nous sommes loin des discussions, du ton tranchant ou agressif, des interventions personnelles aigre-douces, volontaires ou mutines, de l'étalage bruyant d'importance et d'autorité dont tant de femmes, dans nos ménages français, se font comme un point d'honneur. Eh bien, je ne veux pas contester l'influence de la Française sur les décisions et particulièrement sur l'humeur de son mari; mais la vérité me force à dire que jamais un homme ne fera rien sans avoir sérieusement consulté dans l'intimité cette femme qui s'efface tellement en public. Elles ont l'une et l'autre la satisfaction qu'elles recherchent: la première a l'influence effective et profonde, le respect et l'estime de son mari; la seconde, dont on dit: «elle n'a pas froid aux yeux, cette petite femme-là», ou «elle n'a pas sa langue dans sa poche», ou «c'est elle qui le fait filer doux!» et autres phrases ironiquement admiratives, voit ce même mari, dont elle ferme si lestement la bouche devant la galerie, la dédaigner, parfois la malmener, dans le tête à tête, et ne faire, en somme, que ce qu'il veut.
Un journal littéraire anglais du siècle dernier, le Tattler, dit quelque part: «Le bon mari garde sa femme dans une saine ignorance de ce qu'elle n'a pas besoin de savoir.» Et plus loin: «Il ne sait pas grand'chose celui qui dit à sa femme tout ce qu'il sait.»
On aurait grand tort d'en conclure que l'homme doit avoir, en tant que mari et chef du ménage, des secrets pour sa femme. Mais, de même qu'il lui messiérait de demander à celle-ci les comptes minutieux de son administration intérieure et la chronique détaillée de ses rapports quotidiens avec les fournisseurs et la cuisinière, de même – et à bien plus forte raison, car les intérêts d'autrui y sont presque toujours engagés, – ne la tiendra-t-il pas au courant, par le menu, de ses conversations d'affaires, des travaux de son emploi, des faits et gestes de ses commis, des confidences des gens qui le consultent, des intrigues et des potins de ses collègues ou compétiteurs. Il risquerait fort, s'il le faisait, de troubler la paix d'esprit de sa femme en même temps que son propre jugement. Sans compter qu'en des cas nombreux il y a de l'indélicatesse, de la déshonnêteté et quelquefois du crime à révéler, même à la moitié de soi-même, ce qu'on a appris dans son bureau administratif ou dans son cabinet de consultation. Dans des cas semblables l'oreille gauche ne doit pas même entendre ce qui est dit à la droite, et le devoir strict est de se taire. Il n'est qu'un seul moyen de tenir ignoré ce qu'on ne veut pas qui soit su: c'est de ne le dire à personne, non pas même à soi, tout bas! Faut-il rappeler l'apologue de Midas?
Bien entendu, il y a, suivant les circonstances, la nature des affaires, le caractère et la portée d'esprit de la femme, des degrés, des tempéraments, des nuances, dont le mari est juge. Autant il est nécessaire de se taire sur ce qui regarde autrui, autant il est toujours doux et souvent utile de parler avec confiance et sincérité de ce qui ne regarde que soi. «Une épouse, dit avec un grand bon sens Madame de Rémusat, doit se complaire dans la conversation d'un mari occupé des affaires publiques. Elle peut avoir d'elle à lui un avis sur son opinion s'il est membre d'une assemblée, sur son livre s'il est écrivain, sur son vote s'il n'est que citoyen; elle doit entrer dans ses projets relativement aux progrès de la science, de l'art ou du métier qu'il exerce. Eclairée et sensible, dévouée et prudente à la fois, presque toujours la raison s'applaudira de l'avoir consultée, et l'amour lui rapportera une part du succès.»
A un autre point de vue, l'homme a, pour certaines choses laides de la vie, une science et une expérience forcément acquises au contact des autres hommes et dans l'entraînement de plaisirs et de liaisons irrégulières qui, dans notre étrange ordre social, sont pour les jeunes gens comme la préparation nécessaire, l'initiation obligatoire aux vertus de l'homme marié et à la pureté de la vie de famille. Il fera sagement de garder pour lui ses notions spéciales, et de conserver de son mieux à sa femme cette naïveté délicieuse, qui est l'ignorance du mal.
Elle en sera mieux gardée dans son intérieur, pendant que lui travaillera au dehors. La fermentation des idées fausses ou malsaines dans une tête de femme est plus redoutable pour sa vertu que les douces et sollicitantes paroles des séducteurs. Si son imagination est pure, si nulle curiosité maladive ne la met en éveil, le mari, présent ou absent, suffira, avec les devoirs et les soins de son ménage, féconds en saines joies, à occuper son esprit. Si les affaires l'appellent au loin, il pourra, comme le dit Horace Raisson, voyager sans crainte, car il saura que chez lui, là-bas, la femme qu'il a laissée au foyer, la mère de ses enfants, dimidium animæ suæ, attend chaque jour avec anxiété l'heure où passe le facteur.
«Qu'il est à plaindre, s'écrie William Cobbett, l'homme qui ne peut pas abandonner tout chez lui, et qui n'est pas bien sûr, bien certain que tout est aussi en sûreté que s'il le tenait dans sa main! Heureux le mari qui s'éloigne de sa maison et de sa famille avec aussi peu d'inquiétude que l'on quitte une auberge, et qui, à son retour, serait plus surpris d'avoir quelque reproche à faire, qu'il ne le serait si le soleil s'arrêtait tout à coup!..» Puis, parlant pour son compte, il ajoute: «J'ai goûté les plaisirs inexprimables du chez-soi et de la famille, et j'ai joui, en même temps, de la parfaite indépendance du célibataire; sans cette indépendance, je n'aurais jamais pu accomplir tant de travaux, car le plus petit souci domestique m'eût enlevé toute mon énergie.»
Telle est la force de la femme dans le monde. Non seulement elle crée et élève les hommes de l'avenir, mais elle complète et arme pour la lutte, en lui assurant la paix du foyer, son mari, l'homme du présent.
CHAPITRE XI
LA FÉE DU FOYER
«Milton, disait quelqu'un au grand poète anglais après son troisième mariage, votre femme a la fraîcheur d'une rose.» – «Il se peut, répondit le pauvre poète, mais je suis aveugle et je n'en sens que les épines.»
Ne recherchons pas si l'odorat manquait comme la vue à l'Homère des puritains. Il suffit de constater que sa femme n'était pas tout à fait une Xantippe et qu'en tant que mari, lui n'était rien moins qu'un Socrate.
L'auteur des Doutes sur différentes opinions reçues dans la société pose ces deux axiomes à double tranchant:
«Quelques femmes ne peuvent réussir à gouverner leurs maris; mais il n'y a pas un mari peut-être qui parvienne à gouverner sa femme…
»On voit un petit nombre de maris faire la félicité de leurs femmes; c'est un phénomène que de rencontrer une femme qui fasse le bonheur de son mari.»
Un moraliste d'une autre envergure, La Bruyère, avait dit déjà plus finement: «Il y a peu de femmes si parfaites qu'elles empêchent leurs maris de se repentir, au moins une fois le jour, d'avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n'en a point.»
Voilà le ton sur lequel bon nombre d'hommes modérés, sensés, quelques-uns doués d'une grande acuité d'observation et d'une remarquable sagacité de jugement, parlent souvent des femmes. D'autres y ajoutent des plaisanteries au gros sel ou des ironies de pince-sans-rire, comme dans ces vers de Pope:
«Grande est la bénédiction d'avoir une femme prudente,
qui met un point d'arrêt aux luttes domestiques.
L'un de nous deux doit gouverner, et l'un obéir,
et puisque, chez l'homme, la raison a tout pouvoir,
laissons cet être frêle, la faible femme, faire ses volontés.
Les épouses, dans toute ma famille, ont gouverné
Leurs tendres maris et calmé leurs emportements.»
L'homme qui ne voit dans la femme que la rivale de son autorité et qui fait du foyer le théâtre d'une lutte mesquine et sotte, répétera ces railleries et y ajoutera, de toute la bonne foi de son cœur égoïste et de son esprit borné. D'autres les répéteront et y ajouteront aussi, tantôt par fanfaronnade, tantôt par un niais respect humain et parce qu'avec les loups il faut hurler, tantôt enfin pour le seul plaisir de railler, par amour du paradoxe ou de la satire, sans se croire eux-mêmes et sans se soucier qu'on les croie.
Nous qui nous tenons en dehors de ces catégories, qui n'avons d'autre préoccupation que la vérité et ne poursuivons d'autre but que le bonheur du couple humain, nous ne pouvons, tout en constatant des exceptions douloureuses, que sourire à tous ces discours amers ou comiques, et dire ce que nous savons et ce que nous voyons. Tâche aisée, lorsque tant d'autres, illustres par la pureté de leur vie et l'éclat de leur talent, l'ont vu et su avant nous, et que, pour le bien dire, nous n'avons qu'à reproduire leurs paroles.
Voici, par exemple, le portrait de la jeune femme telle que la concevait Fénelon. C'est M. Octave Gréard qui en a recueilli et rassemblé les traits34 «fermes et précis, dans le cadre de gentilhommière provinciale où Fénelon la place.» Voyez-la «levée de bonne heure pour ne pas se laisser gagner par le goût de l'oisiveté et l'habitude de la mollesse; arrêtant l'emploi de sa journée et répartissant le travail entre ses domestiques sans familiarité ni hauteur; consacrant à ses enfants tout le temps nécessaire pour les bien connaître et leur persuader les bonnes maximes; ayant toujours un ouvrage en train, non de ceux qui servent simplement de contenance, mais de ceux qui occupent de façon à ne point se laisser saisir par le plaisir de jouer, de discourir sur les modes, de s'exercer à de petites gentillesses de conversation; s'intéressant à la culture de ses terres; ne dédaignant aucune compagnie, car les gens les moins éclairés peuvent fournir, pour peu qu'on sache les faire parler de ce qu'ils savent, un enseignement profitable; attentive à tout ce qui touche au bonheur du «nombreux peuple qui l'entoure»; fondant de petites écoles pour l'instruction des pauvres et présidant des assemblées de charité pour le soulagement des malades; menant au milieu de ces occupations solides et utiles une existence régulière et pleine, plus concentrée qu'étendue, mais non sans élévation morale et animant tout autour d'elle du même sentiment de vie.»
Dans une donnée plus moderne et moins sévère, madame de Girardin nous offre cette charmante esquisse35: «Tout est gracieux dans un jeune établissement, tout parle d'amour, chaque objet du ménage est un gage d'union. Cette joie du luxe n'est pas de l'orgueil, c'est le premier plaisir de la propriété, c'est la vie intime, c'est la famille, c'est quelquefois même l'amour; comme on l'aime, cette argenterie et ce beau linge damassé qui vous appartiennent en commun avec le jeune homme que vous appeliez hier monsieur, et qui vous nommait avec respect mademoiselle! Comme tous ces objets grossiers du ménage deviennent poétiques quand ils vous installent dans votre bonheur, quand ils viennent à chaque instant du jour vous prouver que vous êtes unis pour la vie, et que vous avez le droit de vous aimer!»
Nous n'attendrons pas qu'on nous dise que toutes les jeunes femmes ne sont pas châtelaines dans des gentilhommières et qu'il en est qui se marient sans argenterie ni linge damassé. Si le milieu est plus humble, les objets seront différents, mais les rapports entre ces objets, aussi bien que les idées qu'ils réveillent, resteront les mêmes. Le ménage de l'ouvrier est aussi riche en joies du cœur que le ménage de l'homme de finances, s'il ne l'est pas davantage. Et même lorsque la misère noire s'abat sur les déshérités et les parias, le dernier morceau de pain dur est moins amer à la bouche de l'homme qui le partage avec celle qu'il aime.
Mais laissons ces situations extrêmes. Si dignes d'intérêt qu'elles soient – et rien ne l'est davantage, – nous ne nous les sommes point proposées pour étude en ces pages qui s'adressent à la moyenne des conditions dans notre état social. Il nous suffit de noter en passant la puissance de la femme pour adoucir la vie de l'homme, même lorsqu'elle est le plus rude, pour l'attirer et le retenir au foyer, même lorsqu'il est éteint et froid.
Analysons, s'il se peut, ce charme souverain. D'où vient-il, et quels en sont les éléments!
«On dit d'ordinaire que la beauté, quelque enchanteresse qu'elle soit avant le mariage, devient une chose indifférente après. Pourtant si la beauté est de telle nature que, non seulement elle attire l'admiration, mais qu'elle contribue à donner à cette admiration la profondeur de l'amour, je ne suis pas de ceux qui pensent que ce qui charmait l'amant doit être, du jour au lendemain, perdu pour le mari.»
Ces paroles de Henry Taylor nous semblent fort sensées. Pour bien les comprendre, toutefois, il ne faut pas oublier que la beauté est chose essentiellement relative. Le sens esthétique peut être satisfait dans les conditions les plus diverses, quel que soit l'âge, quelle que soit même l'imperfection des traits ou des formes. Mais nier qu'il existe ou qu'il ait une influence considérable sur les sentiments, serait nier gratuitement l'évidence.
Il est permis de dire avec le prélat catholique36: «La beauté ne peut qu'être nuisible, à moins qu'elle ne serve à faire marier avantageusement une fille. Mais comment y servira-t-elle, si elle n'est soutenue par le mérite et par la vertu? Elle ne peut espérer d'épouser qu'un jeune fou, avec qui elle sera malheureuse, à moins que sa sagesse et sa modestie ne la fassent rechercher par des hommes d'un esprit réglé et sensibles aux qualités solides. Les personnes qui tirent toute leur gloire de leur beauté deviennent bientôt ridicules: elles arrivent, sans s'en apercevoir, à un certain âge où leur beauté se flétrit, et elles sont encore charmées d'elles-mêmes, quoique le monde, bien loin de l'être, en soit dégoûté. Enfin il est aussi déraisonnable de s'attacher uniquement à la beauté, que de vouloir mettre tout le mérite dans la force du corps, comme font les peuples barbares et sauvages.»
Sans doute; mais ni la force du corps, ni la beauté ne sont quantités négligeables. Et, à moins que l'on n'ait affaire aux coquettes, la beauté ne se flétrit point si vite et ne devient pas si dégoûtante que Fénelon semble le croire. En tout cas, et quoi qu'en puisse penser le monde, le mari et la femme vieillissent ensemble, mais leurs souvenirs restent jeunes, et, aussi longtemps qu'ils s'aiment, ils se voient avec leurs yeux de fiancés. Elle est, à notre sens, encore plus touchante qu'ironique, l'aimable création du chansonnier qui a pour refrain:
C'était en dix-huit cent,
Souvenez-vous-en…
Nombreux sont les couples qui, jusqu'au bout, se souviennent et vivent dans l'enchantement des premières heures, comme Monsieur et Madame Denis.
Le Code conjugal a donc raison lorsqu'il dit:
«Une femme a besoin des grâces pour conserver l'affection de son mari; elle doit, même chez elle, être toujours mise avec une certaine recherche. Le soin, l'élégance, ont un charme innocent et secret, dont un mari, autant, plus qu'un autre peut-être, ne peut méconnaître l'attrait et la puissance.»
Dans une conférence sur la vie de ménage dans l'antiquité, l'helléniste Egger disait, d'après Xénophon: «Le plus grand charme d'une femme sera toujours la fraîcheur même de la jeunesse et de la bonne santé; il s'entretiendra d'une manière simple et à peu de frais: que la maîtresse du logis se lève de bonne heure, qu'elle se mêle au travail de ses servantes, qu'elle mette la main à l'œuvre, elle se portera d'autant mieux et vieillira moins vite.»
Grâce, bonne santé, bonne humeur, sympathie, intelligence et amour du travail qui lui est propre, ne sont-ce pas là les éléments essentiels qui font de la femme la joie de l'homme, la protectrice et la directrice bienfaisante du foyer?
A ce sujet, une Anglaise, d'un grand bon sens qui n'exclut pas la finesse, fait quelques remarques qui méritent d'être rapportées.
«Une maîtresse de maison ne peut pas toujours avoir la parure des sourires, dit-elle fort justement. Il lui incombe parfois de trouver à reprendre, et il arrive à la faiblesse de la nature de ne pas s'en acquitter toujours avec toute la modération et toute la dignité convenables. Ne le faites donc jamais en présence de votre mari. Ne l'ennuyez pas du détail de vos griefs contre les domestiques et les fournisseurs, ni de vos méthodes d'administration intérieure. Mais surtout que rien de ce genre n'aigrisse ses repas, lorsqu'il vous arrive d'être en tête à tête à table. Dans son commerce avec le monde et dans ses affaires, il rencontrera souvent des choses qui ne peuvent manquer de blesser un esprit comme le sien, et qui peuvent quelquefois affecter son caractère. Mais lorsqu'il revient à la maison, qu'il y trouve tout serein et paisible, et que votre gaieté complaisante lui rende la bonne humeur et apaise toute inquiétude et tout ennui.
»Efforcez-vous d'entrer dans ses occupations, de prendre ses goûts, de profiter de ses connaissances; que rien de ce qui l'intéresse ne paraisse vous être indifférent. C'est ainsi que vous vous rendrez pour lui une compagne et une amie délicieuse, en qui il sera toujours sûr de trouver cette sympathie qui est le ciment principal de l'amitié. Mais si vous affectez de parler de ses occupations comme au-dessus de vos capacités ou étrangères à vos goûts, vous ne sauriez lui être agréable de ce côté, et vous n'aurez plus à compter que sur vos charmes personnels, dont, hélas! le temps et l'habitude diminuent chaque jour la valeur… Craignez, entre toutes choses, qu'il ne s'ennuie ou se fatigue en votre compagnie. Si vous pouvez l'amener à lire avec vous, à faire de la musique avec vous, à vous enseigner une langue ou une science, alors vous aurez de l'amusement pour chaque heure de loisir, et rien ne nous rend plus chers l'un à l'autre qu'une semblable communauté d'études. Les connaissances, les perfections que vous recevrez de lui seront doublement précieuses à ses yeux, et certainement vous ne les acquerrez jamais avec tant d'agrément que de ses lèvres… Avec un tel maître, vous sentirez votre intelligence s'élargir et votre goût se raffiner bien au delà de votre attente; et la douce récompense de ses louanges vous inspirera assez d'ardeur et d'application pour surmonter facilement tout défaut de dispositions naturelles que vous pourriez avoir.»
Conseils judicieux qui, s'ils étaient suivis, épargneraient, de part et d'autre, bien des déboires, et, disons le mot, bien des chutes! Ils ne s'adressent point à toutes, dira-t-on, non sans quelque vérité. Mais, encore une fois, les circonstances changent, et les applications d'un principe juste changent avec elles. C'est aux intéressés d'être assez de bonne volonté et de bonne foi pour en faire une raisonnable adaptation. D'ailleurs, à un point de vue général et, on peut le dire, qui ne souffre point d'exception, nous répéterons avec William Cobbett: «Je défie tout homme actif de pouvoir aimer une paresseuse plus d'un mois.» Un mois, deux mois, un an, plus ou moins, le temps, ici encore, ne fait rien à l'affaire, car il ne sera jamais bien long, et le résultat est toujours certain.
En effet, les femmes «n'ont-elles pas des devoirs à remplir, mais des devoirs qui sont les fondements de toute la vie humaine? Ne sont-ce pas les femmes qui ruinent ou qui soutiennent les maisons, qui règlent tout le détail des choses domestiques, et qui, par conséquent, décident de ce qui touche le plus près à tout le genre humain37.»
Ainsi parlait la vieille sagesse française: «La femme fait un mesnage ou deffait38.»
Ainsi disait Charron: «Vaquer et estudier à la mesnagerie, c'est la plus utile et honorable science et occupation de la femme, c'est sa maistresse qualité, et qu'on doit en mariage chercher principalement en moyenne fortune: c'est le seul doüaire, qui sert à ruyner, ou à sauver les maisons, mais elle est rare.»
Et il ajoutait, – ce qui est mélancolique: «Il y en a d'avaricieuses, mais de mesnagères peu.»
Nous croyons qu'il y en a plus que n'en voyait l'élève de Montaigne; que beaucoup même savent d'instinct toutes les règles que nous exposons et s'y conforment. Car enfin les bons ménages, les maisons prospères ne sont pas tellement rares; et puisque c'est la femme qui en est la clef de voûte et la cheville ouvrière, il faut bien que, le plus souvent, elle connaisse et remplisse son devoir.
Oui, on ne saurait trop le répéter, «dans toutes les positions de la vie, le bonheur et la prospérité du ménage reposent sur l'activité de la ménagère. Est-elle paresseuse, les domestiques sont paresseux, et ce qui est encore plus funeste, les enfants le seront aussi: on remettra au lendemain à exécuter les choses les plus pressantes, elles seront mal faites, et le plus souvent elles ne le seront pas du tout. Le dîner ne sera jamais prêt. Les courses, les visites ne seront pas faites à temps; et il en résultera des inconvénients de toute espèce. Il y aura toujours un arriéré effrayant de choses à moitié commencées, ce qui est, même chez les riches, un véritable fléau39.»
Le Code conjugal donne à ce propos un conseil précieux: Une épouse sage évite de se répandre trop dans le monde, et, par la trop fréquente exigence des petits devoirs de société, de contracter l'habitude du désœuvrement. C'est dans l'intérieur de sa maison que l'on trouve surtout un bonheur solide et réel. «En restant d'ailleurs plus constamment dans son intérieur, une femme habitue son mari à y rester près d'elle.»
Rien n'est à dédaigner dans les soins du ménage. La femme qui fait fi de certains détails comme trop grossiers et au-dessous d'elle, a l'esprit déplorablement faussé. Combien il avait un plus vif sentiment du beau et des réalités de la vie, l'ancien qui s'écriait:
«La belle chose à voir que des chaussures bien rangées de suite et selon leur espèce; la belle chose que des vêtements séparés selon leur usage; la belle chose que des vases de cuivre et des ustensiles de table; la belle chose enfin (dût en rire quelque écervelé, car un homme grave n'en rira pas) que de voir des marmites rangées avec intelligence et symétrie40.»
C'est ce qu'avait admirablement compris la femme supérieure par la beauté et par le talent, la grande artiste que fut Fanny Mendelssohn. Rien, fût-ce la musique, dit un de ses biographes, ne rompait le parfait équilibre de sa nature. Toutes les jouissances du cœur et de l'esprit se partageaient ses facultés, aucune ne les absorbait. «Fanny comprenait tout; elle s'enthousiasmait pour les grandes choses et s'intéressait aux petites; rien ne lui était étranger ou indifférent. Autant que les beautés de la nature et de l'art, elle sentait les charmes du foyer et la poésie de la vie domestique. L'artiste s'effaçait avec simplicité devant la mère de famille ou la ménagère. Elle ne manquait à aucun de ses devoirs, même les plus humbles. Dans une même journée elle dirigeait un orchestre chez elle et faisait des confitures. Elle quittait son piano pour revoir un mémoire de menuisier, et donnait dans une lettre à sa sœur des détails de musique et des recettes de cuisine; tout cela sans fausse simplicité, car rien n'était plus étranger à cette nature essentiellement vraie que l'affectation et ce qu'on appelle la pose.»
Ne rions pas de ces recettes de cuisine. Rappelons-nous plutôt le plaisir que nous éprouvons tous devant une table élégante et bien servie, et la maussaderie que nous inspire un dîner tardif ou manqué. Quoi de plus naturel, d'ailleurs, que nous sachions gré à celle qui prend soin de nous assurer une jouissance, et que nous nous sentions mal disposés envers celle qui, s'étant chargée de ce soin, s'en acquitte mal ou ne s'en préoccupe pas?
«La bonne humeur, chez beaucoup de personnes, dépend de la bonne santé; la bonne santé de la bonne digestion; et la bonne digestion d'une nourriture saine, bien préparée, mangée en paix et avec plaisir. Les repas mal cuisinés, malpropres, sont une cause aussi forte de mauvaise humeur que maint ennui moral41.»
Michelet, disait avec plus de charme et de sympathie:
«Les femmes, quand elles veulent s'en donner la peine, s'entendent à merveille à administrer le régime, à le varier pour le meilleur entretien de la santé du corps et de l'âme. Elles seules savent encore donner à la table un air de fête. Avec quoi? Oh! bien peu de chose. Ce n'est souvent qu'un mets mieux présenté, une fleur sur la salade, un fruit richement coloré. Il n'en faut pas davantage pour réjouir les yeux et vous mettre en appétit.»
C'est pourtant de ces petites choses, de ces niaiseries, de ces riens, que le gros du bonheur est fait, et bon nombre d'hommes trouvent là leur idéal de félicité domestique. Aussi, sans retirer ce que nous avons dit ou rapporté à propos de la sympathie intellectuelle si désirable entre la femme et le mari, ne pouvons-nous pas ne pas souscrire à ce conseil d'Horace Raisson: «Une jeune femme fait sagement de ne se mêler que des affaires du ménage, et d'attendre que son mari lui confie les autres.»
Mais encore une fois, lorsque le mari cherchera dans sa femme, comme il le fera toujours pour peu qu'il espère l'y trouver, la confidente et le soutien de ses espérances et de ses efforts, que cet appel à ce qu'il y a d'élevé dans les facultés de son esprit et de son cœur ne lui fasse ni dédaigner ni négliger les fonctions de ménagère et de mère de famille qui, pour humbles qu'elles paraissent, sont en réalité au-dessus de tout. «Une des lettres si reposées que madame Roland écrivait du Clos (23 mars 1785), la montre dans toute l'activité de la vie de famille, s'occupant, au sortir du lit, de son enfant et de son mari, faisant lever l'un, préparant à déjeuner à tous deux, puis les laissant ensemble au cabinet, tandis qu'elle va elle-même donner son coup d'œil dans toute la maison, de la cave au grenier42.»