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Kitabı oku: «La Vie en Famille: Comment Vivre à Deux?», sayfa 9

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Et l'on sait si son mari avait des secrets pour celle-là.

Une autre, qui savait à quoi s'en tenir, a appelé la gloire le tombeau du bonheur, plus sincère peut-être en ce cri que ne l'était Lamartine lorsqu'il écrivait, toujours en parlant de la gloire, ces vers fameux:

 
Plus j'ai sondé ce mot plus je l'ai trouvé vide,
Et je l'ai rejeté comme une écorce aride
Que les lèvres pressent en vain.
 

Leur véritable gloire, aux femmes, un écrivain inconnu la déterminait au siècle dernier dans un opuscule que n'ouvrent plus que de rares curieux: «Par une prudence soumise, une habileté modeste, douce, adroite et sans art, elles excitent à la vertu, raniment les sentiments du bonheur et adoucissent tous les travaux de la vie humaine43

Naguère encore le grand poète du siècle, en peignant d'un trait héroïque les matrones de la cité romaine, traçait aux femmes modernes, surtout aux femmes de France, le programme de la gloire où elles doivent tendre:

 
Ce qui fit la beauté des Romaines antiques,
C'étaient leurs humbles toits, leurs vertus domestiques,
Leurs doigts que l'âpre laine avait faits noirs et durs,
Leurs courts sommeils, leur calme, Annibal près des murs
Et leurs maris debout sur la porte Colline.
 

Toujours et partout, suivant le mot de Bacon, les femmes, nos épouses, «sont nos maîtresses, durant la jeunesse, nos compagnes quand vient l'âge mûr, et nos nourrices dans la vieillesse.»

Il y a longtemps que l'Ecriture traçait en paroles éloquentes, en métaphores enflammées, le portrait de cette femme idéale, de cette fée du foyer, que sont à des degrés divers toutes les mères de famille dignes de ce nom. Le morceau se trouve partout et nous ne le transcrirons pas une fois de plus. Mais on prendrait peut-être plaisir à en lire la paraphrase faite en vers naïfs par une Poitevine du seizième siècle, Catherine Neveu, demoiselle des Roches. A tout hasard, en voici quelques fragments:

 
Fuyant le doux languïr du paresseux sommeil
Ell' se lève au matin, premier que le soleil
Monstre ses beaux rayons, et puis faict un ouvrage
Ou de laine ou de lin, pour servir son mesnage,
Tirant de son labeur un utile plaisir…
Ainsi la dame sage ordonne sa famille,
Afin que son mary et ses fils et sa fille,
Ses servants, ses sujects, puissent avoir tousjours
Le pain, le drap, l'argent, pour leur donner secours
Contre la faim, le froid et maintes autres peines
Qui tourmentent souvent les pensées humaines…
Chacun la recoignoist pour ses perfections,
Son mary est prisé en tous lieux de la ville
Pour estre possesseur de femme si gentille:
Elle a dessus sa langue un coulant fleuve d'or,
Et tient en son esprit un précieux trésor
De grâce et de vertus…44
 

«Qui trouvera la femme forte? demande l'évêque Landriot. La femme forte qui résiste aux chocs si nombreux de la vie, aux tristesses de familles, aux froissements d'intérieur, et à toutes ces peines intimes qui, semblables aux légions d'insectes en automne, assiègent continuellement le cœur de la femme; la femme forte qui préside avec une sagesse imperturbable aux travaux de sa maison, aux détails du ménage, aux soins des enfants, à la surveillance des domestiques et à l'ordonnance de cette multitude de petites affaires qui se succèdent dans la famille aussi rapidement que les nuages dans le ciel? Qui trouvera la femme forte, plus forte que le malheur, que les coups de la fortune, que les calomnies, que la malignité humaine; et qui, après le passage de toutes les vagues, demeure comme la colonne en mer pour éclairer et fortifier les pauvres naufragés!»

Heureux, inexpressiblement heureux celui qui n'a qu'à regarder à son côté pour répondre: La voilà!

C'est autant à l'un qu'à l'autre des deux époux qu'il appartient de faire qu'un tel bonheur ne soit pas rare.

CHAPITRE XII
LA GRANDE JOIE

Le mythe biblique de la formation de la femme tirée de l'homme, chair de sa chair, os de ses os et sang de son sang, a une profonde signification. L'homme sans la femme n'est pas complet, il lui manque quelque chose de lui-même, et ce n'est que par son union avec la femme que se constitue vraiment l'unité de l'être humain. C'est aussi par là que s'assure physiologiquement la perpétuité de la race; et, comme il arrive chaque fois que les conventions sociales sont d'accord avec la nature, le but social du mariage aussi bien que la suprême joie des époux, c'est l'enfant.

L'enfant, nous lui avons consacré, dans le cours de ces essais, bien des chapitres et même un volume tout entier45. Nous nous garderons de notre mieux de tomber dans des redites, n'ayant à le considérer ici que comme un facteur nouveau dans les éléments ordinaires et prévus de la vie à deux.

Un adage français du seizième siècle, souvent repris et commenté sous différentes formes, disait: «Enfans sont richesses de pauvres gens.» Et les commentateurs d'ajouter, pour ceux dont l'esprit est lent, qu'en effet les enfants des gens pauvres, et plus particulièrement des paysans, coûtent peu à nourrir, aident les parents dès leur bas âge, remplacent les valets de ferme, augmentent par leur travail les produits de l'exploitation, et sont ainsi source de richesses pour les pauvres.

Ce sont là raisonnements d'économistes. Nous en apprécions la valeur, mais nos préoccupations, pour le moment du moins, ne se portent pas de ce côté. A notre point de vue, – celui des mères, – les enfants sont richesses pour tous. Richesses de cœur, trésors d'affections, vivants réservoirs de tendresse, sanction définitive de l'union des époux, qui renouvelle et perpétue leurs premiers sentiments d'amour.

«Le mariage sans enfants, c'est le monde sans soleil», a dit Luther.

Un romancier contemporain, qui, sans doute, ne songeait guère au mot du fameux réformateur, fait dire à un de ses personnages:

«Le ménage sans enfants, quelle hérésie! C'est plus tard, devant le foyer vide, devant la glace des cendres froides, le tête à tête d'une vieille fille et d'un vieux garçon, deux vieux égoïstes, tout à leurs manies, à leurs rhumatismes, à leurs grincheries longuement aiguisées l'une contre l'autre comme deux lames de couteaux, tout au sentiment de leur inutilité dans la société, sans la douceur d'êtres à aimer, d'enfants, de petits-enfants, de toute cette vie neuve et fraîche, sortie de vous, coulée de votre sang, et vous rappelant votre enfance, votre jeunesse, adoucissant votre vieillesse de la caresse de ressouvenirs?.. Ah! allez! Qu'est-ce qui peut rattacher à la vie, sans cela?..46

Il semble que les choses mêmes s'animent, s'illuminent à la présence de l'enfant. Lamartine a rendu cette impression subtile et vraie, ce sunt gaudia rerum, avec une émotion singulièrement communicative, quand il parle du temps

 
Où la maison vibrait comme un grand cœur de pierre
De tous ces cœurs joyeux qui battaient sous ses toits,
 

et où

 
La vie apparaissait rose, à chaque fenêtre,
Dans les beaux traits d'enfants nichés dans la maison.
 

Un moraliste, qui s'est sérieusement occupé des questions qui touchent à la famille et que nous avons déjà cité, M. Armand Hayem, met sous nos yeux le contraste que présente la maison sans enfants à côté de la famille féconde47.

«La stérilité, de quelque cause et de quelque part qu'elle vienne, en laissant une place vide dans le ménage, dénature le mariage et fait perdre souvent tout sens moral à la femme. La maternité est si bien faite pour elle, qu'avec la maternité, tout l'être féminin est emporté et anéanti. Il n'est point de mari, si aimé qu'il soit, qui puisse faire jaillir ce flot de tendresse inépuisable, de dévouement constant, d'amour qui tient aux entrailles; et il n'est point de femme qui puisse contenir longtemps ce flot dans son cœur sans le briser. Comprend-on tout ce qu'est l'enfant et tout ce qu'il peut sur la femme? Qu'est-ce que le lit nuptial sans le berceau? Une couchette d'amour! Mais le berceau? C'est la mère, c'est la famille! – On le croit vide et la femme y a déposé, dès le premier jour, son amour, son espérance: l'avenir! – Et si l'enfant ne vient pas, c'est tout cela qui meurt pour la femme et qu'elle ensevelit dans son âme. – Le pouvoir de l'enfant est immense. – Qui est-ce qui retient la femme au foyer? Qui est-ce qui y ramène le mari? Qui est-ce qui apaise toute querelle, fait taire toute colère, provoque tout pardon; rapproche, unit, enlace, entraîne? – Qui est-ce qui absorbe tout le cœur et tout le cerveau de la mère? Qui est-ce qui retient la femme près de céder au séducteur? – L'enfant! – il est l'âme du ménage, la vie de l'intérieur, l'attrait de l'homme, l'ange de la paix domestique, l'idole de la femme, la lumière de sa conscience, le plus sûr gardien de l'honneur conjugal.»

Dans les Instructions de M. Ferrand à son fils, le père, pour mettre le jeune homme en garde contre la passion du jeu et lui montrer comme elle dépouille sa victime de tout sentiment humain, rapporte une lugubre anecdote: «Un très gros joueur de Paris, dit-il, laissait en province, dans une petite terre, sa femme et trois enfans, pendant que tous les jours il diminuait ou risquait leur fortune. Sa femme, instruite des pertes énormes qu'il faisait, et n'espérant plus le ramener par ses exhortations, lui envoya une très belle tabatière, sur laquelle elle avait fait peindre ses trois enfans avec cette devise: Souvenez-vous d'eux. C'était lui rappeler une idée qui devait l'arrêter à tout moment. Mais la passion du jeu fut plus forte que l'amour paternel; et après avoir perdu tout son bien, la tabatière fut la dernière chose qu'il joua et perdit.»

Encore l'avait-il gardée pour suprême enjeu.

Hélas! de tout temps et en tout pays on a pu faire la remarque exprimée par le grand poète dramatique anglais en des termes dont Philarète Chasles a su rendre la poignante énergie:

«Le tissu des vices humains est mêlé de vertus, le tissu des vertus humaines est mêlé de crimes!»

Mais laissons de côté les éternelles victimes des passions, ceux qui, trop dénués de résistance, trop mous de volonté, tournoient sous leur souffle comme le sabot sous le fouet. Qu'on les plaigne ou qu'on en ait horreur, laissons flotter à la dérive ces épaves d'humanité. Il n'en est pas moins vrai que l'enfant est le couronnement de la famille, le lien le plus fort entre les époux et leur meilleure joie, à tous les degrés de l'échelle sociale. «Les devoirs de la maternité, écrit fort justement un journaliste48, sont les meilleurs agents de la moralisation populaire. Les mioches font revenir le père au foyer. C'est à eux que pensent les parents, quand ils portent leurs économies à la caisse d'épargne.

»Par les beaux dimanches d'été, les ménages d'ouvriers reviennent de la banlieue. C'est à peu près leur seul plaisir. La femme tient dans ses bras un bébé endormi. L'homme porte, sur sa robuste épaule, un gros garçon aux joues roses, tout fier d'être si commodément perché. Il n'y a place, sur ces figures satisfaites, ni pour la haine, ni pour l'envie. «J'en marie le plus que je peux!» me disait l'un des maires les plus intelligents de Paris. Développez donc chez l'homme et chez la femme le sentiment de la famille. Celui qui aime ses enfants, qui gagne à peu près sa vie en mettant quelques sous de côté, est bien près du bonheur. Je sais des bébés qui ont mieux fait comprendre à leur père la véritable question sociale que tous nos beaux parleurs réunis.»

Eh! oui, comme le disait Horace Raisson, «qui aime tendrement ses enfants aime nécessairement sa femme», et il n'y a rien encore qui ressemble au bonheur comme l'amour.

C'est dans de telles conditions que l'on peut en toute sécurité conclure avec le même auteur: «Si le mariage a ses chagrins, ses inquiétudes, il est le seul état aussi où l'on puisse espérer de réunir les douceurs de l'amitié, les plaisirs des sens et ceux de la raison; où l'on jouisse enfin de toute la somme de bonheur que la nature humaine puisse thésauriser.».

«O Hymen! s'écriait le poète Southey, guérison de tous les maux, source de toutes les joies!

 
Of every woe the cure,
Of every joy the source!
 

Mais, pour lui comme pour nous, derrière le Dieu Hymen, venait toujours la déesse Lucine.

CHAPITRE XIII
LES HÉMISPHÈRES DE MAGDEBOURG

Rapprochées par l'amour, liées par la communauté des intérêts, les habitudes de la vie quotidienne, les douleurs et les joies éprouvées ensemble, encore plus que par les conventions et les lois, cimentées par la venue d'enfants qui sont comme la prolongation de leur être au delà de lui-même dans l'espace et dans le temps, les deux moitiés du groupe conjugal, mari et femme, sont désormais indissolublement unies. On peut les comparer à ces hémisphères de métal que la machine pneumatique soude tellement l'un à l'autre que toute force est impuissante à les séparer. S'il y pénètre un peu d'air, il est vrai, tout est détruit: la sphère, parfaite tout à l'heure, se fend et retombe en deux fragments qui gisent inertes sur le sol, lorsqu'ils ne s'y brisent pas. Mais pourquoi l'air, c'est-à-dire les dissentiments, les querelles, les outrages, la haine ou l'indifférence, pire que la haine, y pénétrerait-il, si ni l'un ni l'autre des époux ne donne la secousse qui ouvrira le robinet? Et pourquoi le feraient-ils lorsqu'ils ont une fois goûté l'ineffable joie de vivre deux en un, et de revivre en ses enfants?

Madame Necker qui, suivant le dire de M. O. Gréard, était, «aux yeux de tous les contemporains, l'expression de ce qu'à la fin du dix-huitième siècle l'esprit français offrait de plus honnête et de plus sain», a écrit des Réflexions sur le Divorce où elle expose les caractères qui doivent, à son sens, offrir les meilleurs ménages, les véritables hémisphères de Magdebourg conjugaux. Nous empruntons à l'auteur si fin et si autorisé de l'Éducation des Femmes par les Femmes49, l'analyse qu'il donne de ce morceau. Elle pose en principe tout d'abord que les meilleurs ménages sont ceux qui «à l'origine sont formés par la conformité des goûts et par l'opposition des caractères»; mais elle n'admet pas que les caractères ne puissent arriver à se fondre. «Les Zurichois, raconte-t-elle agréablement, enferment dans une tour, sur leur lac, pendant quinze jours, absolument tête à tête, le mari et la femme qui demandent le divorce pour incompatibilité d'humeur. Ils n'ont qu'une seule chambre, qu'un seul lit de repos, qu'une seule chaise, qu'un seul couteau, etc., en sorte que, pour s'asseoir, pour se reposer, pour se coucher, pour manger, ils dépendent absolument de leur complaisance réciproque; il est rare qu'ils ne soient pas réconciliés avant les quinze jours.» Ce qu'elle préconise sous le couvert de cette espèce de légende, c'est le mutuel sacrifice qui forme, par l'habitude, le plus solide des attachements et engendre la réciprocité d'une affection inséparable; elle compare le premier attrait de la jeunesse au lien qui soutient deux plantes nouvellement rapprochées; bientôt, ayant pris racine l'une à côté de l'autre, les deux plantes ne vivent plus que de la même substance, et c'est de cette communauté de vie qu'elles tirent leur force et leur éclat.

»Dans les Avis d'un père à sa fille, le marquis de Halifax, inquiet de voir se multiplier les exemples de séparation conjugale, proposait d'instituer une cour de justice composée de femmes et chargée de prononcer souverainement entre elles sur les cas de désunion. Rousseau, par sa doctrine du libre choix en dehors du ménage, laissait l'épouse arbitre suprême de ses propres sentiments et l'autorisait à se faire honneur de ses écarts comme d'une vertu, sauf à lui inspirer ensuite un remords inutile. Madame Necker soumet simplement le mariage à la loi du devoir, en attachant à l'observation de cette loi les joies intimes qui sont, pour l'un et l'autre sexe, le prix du devoir fidèlement accompli.»

Comme madame Necker a raison! J'en appelle à tous ceux qui en ont fait l'expérience, quelque chemin qu'ils aient pris.

«Il est tres certain, dit le loyal gentilhomme de La Hoguette, qu'il est assez difficile d'avoir un même toit, un même foyer, une même table, un même lit, mêmes intérêts, mêmes enfans, et de vivre heureux sans avoir une même volonté. Toutes ces circonstances fournissent de moment en moment une nouvelle matière d'amour ou de haine, selon que les mariages sont bons ou mauvais. C'est pourquoi nous ne voyons point d'affection dont l'estrainte soit plus ferme que celle d'une bonne femme et d'un bon mari; parce qu'étant toujours ensemble ils se rendent à toute heure mille petits offices l'un à l'autre, qui sont autant de liens communs qui font de nouveaux nœuds en l'ame, dont l'un ne se relâche jamais que l'autre ne se resserre.»

Et de fait, «il arrive souvent que le meilleur ami d'un homme est sa femme.» Horace Raisson n'est pas le seul à l'avoir remarqué. C'est même ce qui devrait arriver toujours.

Madame de Rémusat l'indique avec non moins de noble fermeté que d'ingénieuse précision, lorsqu'elle écrit: «Une femme qui a su découvrir le secret des qualités ou des faiblesses de son mari, parviendra sans le blesser à l'avertir pour le bien de tous deux. Dans l'occasion, elle calmera son impétuosité ou pressera son indolence; s'il le faut, elle lui indiquera les vertus mêmes qui ne lui manquent qu'à cause d'elle; elle saura, par exemple, le préserver du repentir en consacrant d'avance, par un généreux consentement, le sacrifice d'une situation brillante dont la perte n'afflige souvent un mari que pour sa femme ou ses enfans. Un père, placé entre son devoir et le bien-être de sa famille, pourrait être tenté de transiger; sa conscience et sa tendresse doivent être en repos, si l'amour maternel a accepté son sacrifice.

»… Je ne sais pas de spectacle plus touchant, qui découvre mieux ce qu'il y a de beau dans le cœur humain, que celui d'un citoyen placé entre un sentiment patriotique et les intérêts d'une famille digne d'être chérie: prêt à braver le malheur ou le danger, il hésite toutefois, mais non à cause de lui… C'est alors que les paroles courageuses de sa compagne viendront terminer ses incertitudes. Ou le pouvoir de la vertu n'est qu'un rêve, ou dans un pareil moment elle donnera à deux êtres qui s'entendent des émotions si supérieures, si pénétrantes, qu'elle les placera dans une région où le malheur ne porte pas.»

Ces sentiments élevés, ces fiers mouvements de l'âme qui font, de la famille, la première assise des remparts de la patrie, et des deux époux, des héros, ne sauraient trop s'exalter à l'heure douteuse où nous sommes. L'égoïsme domestique ou familial – qu'importe le nom – plus pernicieux aux nations que l'égoïsme individuel, les avait naguère relégués trop loin au second plan. Si, comme nous le croyons, ce fut une cause de nos désastres, le châtiment a été sévère et suffira. Les hommes savent aujourd'hui partout en France, qu'on protège mieux sa femme et ses enfants en mourant pour eux qu'en tendant le front au joug de l'ennemi pour l'attendrir. Partout les femmes françaises sentent dans leurs entrailles de mère qu'il n'est pas de sacrifice, si douloureux soit-il, qui les trouve faibles lorsque le salut de la race est à ce prix.

Écoutez cette courte histoire, si simplement racontée par Stendhal.

«La plus jolie femme de Narbonne est une jeune Espagnole, à peine âgée de vingt ans, qui vit là fort retirée avec son mari, Espagnol aussi et officier en demi-solde. Cet officier fut obligé, il y a quelque temps, de donner un soufflet à un fat; le lendemain, sur le champ de bataille, le fat voit arriver la jeune Espagnole; nouveau déluge de propos affectés: «Mais, en vérité, c'est une horreur! Comment avez-vous pu dire cela à votre femme? Madame vient pour empêcher notre combat! —Je viens vous enterrer!» répond la jeune Espagnole.

»Heureux le mari qui peut tout dire à sa femme!»

Heureuse et grande la femme qui peut tout entendre de son mari!

Un Allemand50 a dit, avec un luxe de comparaisons un peu outré, j'en conviens, mais de nature à faire quelque impression, me semble-t-il, sur l'imagination vive et tendre des femmes: «Le mari et la femme doivent être comme deux flambeaux brûlant ensemble, qui jettent dans la maison une plus vive lumière, ou comme deux fleurs odorantes attachées dans le même bouquet, pour en augmenter le doux parfum, ou comme deux instruments bien accordés qui, en jouant ensemble, font une musique d'autant plus mélodieuse. Le mari et la femme, qu'est-ce, sinon deux sources qui se rencontrent et se mêlent, de façon à ne former qu'un même courant?»

Qu'on ne redoute pas, d'ailleurs, la monotonie que produit la répétition ou la persistance des sentiments, l'ennui, le dégoût qu'amène le cours du temps à travers une existence où les affections ne changent ni de nature ni d'objets. «Il y a des redites pour l'oreille et pour l'esprit; il n'y en a point pour le cœur.» Si l'ironique, le désabusé, le pessimiste Chamfort a dit cela, lui qui se plaisait surtout à sonder le cœur humain dans ses mauvais replis, c'est que la vérité l'y contraignait.

 
Vieilles amours et vieux tisons
Se rallument en toutes saisons.
 

déclare un dicton plein du bon sens de nos aïeux.

«Quand on répète, écrivait Jules Simon dans le Devoir, que l'amour est remplacé, à la fin, entre les époux, par une solide amitié, on veut dire seulement que les sens s'apaisent ou s'épuisent: car l'amour conjugal conserve tous les autres caractères de l'amour.»

Et il ajoutait ce que tout ce livre est destiné à affirmer et à prouver: «N'en médisons pas, ne le dédaignons pas. Il n'y a sans lui ni dignité ni bonheur au foyer domestique.»

Le poète51 le sait bien lorsqu'il esquisse ce riant et touchant tableau:

 
Vois ces deux époux dont la tête tremble
Marcher côte à côte, heureux, sans parler,
A force de vivre à toute heure ensemble,
Vois, ils ont fini par se ressembler.
 
 
Descendons comme eux la pente insensible,
Laissons naître et fuir les brèves saisons.
En ne nous quittant que le moins possible,
Nous ne verrons pas que nous vieillissons.
 
 
C'est la récompense; on peut la prédire.
Les amants constants gardent, et très tard,
Sur leur lèvre pâle un jeune sourire,
Dans leurs yeux fanés un jeune regard.
 
 
Au fond du foyer, braise encor vivante,
Toujours la tendresse en eux brûle un peu.
L'habitude, honnête et bonne servante,
Ne laisse jamais s'éteindre le feu.
 
 
Leurs derniers printemps ont pour hirondelles
Les souvenirs chers de l'ancien bonheur.
Pour ne pas vieillir, soyons-nous fidèles,
Tendre et simple amie, ô cœur de mon cœur!
 

Nous ne troublerons pas, par des développements désormais inutiles, la délicieuse impression que laissent ces vers. Mais peut-être nous sera-t-il permis de répéter un mot charmant sorti du cœur même de notre douce France:

Vieil en amours, hyver en fleurs52.

43.Bénoit Touzelli. Apologie des Femmes. Turin, 1798, in-8o.
44.La Femme forte. Imitation de la même de Salomon, dédiée à la Royne mère du Roy (Les Œuvres de mesdames des Roches, de Poictiers, mére et fille.) Paris, Langelier, 1579.
45.Comment élever nos enfants? Librairie illustrée, 1 vol. in-18.
46.Gustave Toudouze.
47.Arm. Hayem, Le mariage.
48.Edmond Deschaumes, Estafette, 14 juin 1888.
49.M. Octave Gréard.
50.W. Secker.
51.François Coppée.
52.G. Meurier.