Kitabı oku: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 1», sayfa 20
Chant Huitième
1. Oh! sang et tonnerre! Blessures et sang237! Voilà des jurons bien vulgaires et des mots bien grossiers, allez-vous penser, aimable lecteur? Rien n'est plus vrai. Mais ils servent à interpréter le rêve de la gloire; et comme ma candide muse se propose d'offrir un tableau de ces objets, comme ils vont devenir son thème, il est juste de leur faire une invocation. Adressez-la à Mars, à Bellone, à ce que vous voudrez, – cela signifiera toujours la guerre.
2. Tout était préparé, – le feu, l'épée et les hommes qui allaient en faire un usage terrible. Comme un lion sortant de sa tannière, l'armée, les nerfs et les muscles tendus, s'avançait pour le carnage, – et, véritable hydre humaine, allait souffler partout sur ses pas la destruction. Ses têtes étaient autant de héros qui, à peine tombés, étaient remplacés par d'autres.
3. L'histoire est obligée de prendre les choses en gros; mais peut-être, si nous pouvions les considérer en détail et faire la balance des pertes et des gains, découvririons-nous que la guerre n'est pas digne de tous les sacrifices d'or qu'on lui fait, pour n'en obtenir que de misérables conquêtes. Il y a plus de saine gloire à sécher une seule larme qu'à répandre des mers de sang.
4. Et la raison? c'est que cette gloire produit une satisfaction intérieure, tandis que l'autre, à force de pompes, d'acclamations, de ponts et arcs de triomphe, de pensions (fournies par une nation à qui souvent il ne reste plus rien), d'honneurs ou de hautes dignités, peut bien exciter l'envie ou l'admiration des êtres corrompus; mais elle n'est, après tout, quand on ne l'a pas obtenue en combattant pour la liberté, que la crécelle d'un enfant de meurtre.
5. Telle est la gloire militaire, – et telle la jugera-t-on un jour. Il n'en est pas ainsi de Léonidas et de Washington, dont tous les champs de bataille sont devenus autant de terres sacrées, et qui n'ont pas désolé des mondes, mais assuré l'existence des nations. Oh! que l'écho de ces noms semble doux à l'oreille! et tandis que ceux des guerriers vulgaires surprennent ou étourdissent les hommes vains et serviles, les leurs serviront seuls de mots d'ordre, jusqu'à ce que l'avenir ait reconquis la liberté.
6. La nuit était obscure; un épais brouillard ne permettait de distinguer que la flamme de l'artillerie partageant l'horizon en arcades de vapeurs embrasées, et reproduisant dans les eaux du Danube, comme dans un miroir, son image infernale. L'oreille était épouvantée par le ronflement continu des volées et par le long fracas de chaque détonation, bien autrement que par le bruit du tonnerre. En effet, les foudres du ciel nous épargnent, ou du moins nous frappent rarement; – celles de l'homme réduisent en cendres des millions d'hommes!
7. La colonne destinée à tenter l'assaut avait à peine devancé de quelques toises les batteries russes, que les musulmans s'éveillèrent en sursaut et répondirent, sur le même ton, à la foudre des chrétiens. Alors, un immense incendie couvrit les airs, la terre et l'eau; on eût cru, en voyant les élémens ainsi ébranlés, qu'ils se livraient un sublime combat, et cependant les remparts d'Ismaïl flambaient comme l'Etna, quand il prend fantaisie à l'inquiet Titan d'éternuer.
8. Et dans le même instant retentit comme le fracas des machines les plus homicides – l'énorme cri de Allah! portant défi à l'ennemi; fleuve, ville et rivages répétèrent Allah! et les nuages qui couvraient les combattans d'un dais épais vibrèrent eux-mêmes au nom de l'Éternel. Entendez-vous, au-dessus de tous les sons, percer Allah! Allah! Hu!238
9. Les colonnes s'ébranlaient toutes en même tems; mais déjà commençaient à tomber ceux qui, plus nombreux que les feuilles, conduisaient l'attaque du côté de l'eau. Ils étaient conduits par Arseniew, meurtrier fameux, aussi brave que jamais guerrier à l'épreuve de la bombe et du canon. Le carnage (ainsi que Wordsworth nous l'apprend) est la fille de Dieu239 plus terrible instrument, dans l'exécution de tes vues, est l'homme armé pour un meurtre mutuel; – oui, le carnage est ta fille.»
Wordsworth, Ode d'action de grâces(Note de Lord Byron.) M. A. P., scandalisé de ces derniers mots, ajoute: «Lord Byron affecte d'ignorer ici jusqu'où remonte l'origine poétique de la guerre.» Je serais plutôt disposé à croire que M. A. P. affecte ici de connaître cette origine poétique, laquelle connaissance, après tout, n'a pas un rapport bien évident avec la réflexion sensée de Lord Byron.
240, bourdonnent à nos oreilles les maux passés, présens et futurs; – mais rien de cela n'est encore comparable à l'image exacte d'un champ de bataille.
13. Là se succèdent sans cesse de nouvelles angoisses, jusqu'à ce que la multiplicité des agonies endurcisse le cœur de quiconque vient à les contempler. – Hurler, se traîner dans la poussière, rouler dans leur orbite des yeux entièrement blancs, telle est la récompense de plusieurs milliers d'hommes de toutes les rangées et de toutes les files. Quant aux autres, il se peut faire qu'ils obtiennent le droit de porter, dans la suite, un ruban sur leur poitrine.
14. Cependant, j'aime la gloire: – la gloire est une grande chose; – songez à l'avantage d'être, dans sa vieillesse, entretenu aux frais de votre bon roi; une légère pension ébranle la philosophie de plus d'un sage, et, de plus, les héros sont seuls destinés à fournir aux poètes des inspirations, ce qui vaut encore mieux. Ainsi donc, l'espérance de voir la poésie redire éternellement vos campagnes, et celle d'obtenir une demi-solde viagère, font que le genre humain vaut bien la peine d'être détruit.
15. Les troupes déjà débarquées s'avancèrent pour prendre une batterie sur la droite, et les autres, qui avaient pris terre plus bas un instant après eux, firent aussitôt leurs efforts pour lutter d'activité avec leurs camarades; ils étaient grenadiers. Ils grimpèrent un à un (et aussi gaiement que les enfans sur le sein de leur mère) sur les palissades et les retranchemens, conservant toujours autant d'ordre dans leurs rangs qu'au moment d'une parade.
16. Et rien de plus admirable; car le feu était si vif, que si le rouge Vésuve eût avec ses laves renfermé toutes sortes de machines, de fers ou d'enfers, il n'aurait pu cependant déployer plus de furie. Un tiers des officiers fut terrassé; cet incident n'était pas un présage de victoire pour ceux qui combattaient en avant. Quand les chasseurs sont renversés, les chiens sont bientôt en défaut.
17. Mais ici je laisserai le mouvement général pour m'attacher aux pas glorieux de notre héros. Il doit cueillir des lauriers séparés, et, pour ce qui est de mentionner par leurs noms cinquante mille héros, tous également dignes, il est vrai, d'inspirer un couplet ou de réclamer une élégie, ce détail formerait un assommant lexicon de gloire, et, ce qu'il y a de pis, une histoire beaucoup trop longue.
18. Nous en abandonnerons donc le plus grand nombre à la gazette, – qui sans doute en a bien agi avec ceux qui reposent d'un glorieux sommeil dans les fossés, les champs; partout enfin où leurs ames ont, pour la dernière fois, senti le poids de leur enveloppe matérielle. – Trois fois heureux celui dont le nom a été correctement écrit dans la dépêche. Je sais un homme dont on a rappelé la mort sous le nom de Grove, et qui réellement s'appelait Grose241.
19. Juan et Johnson joignirent un certain corps et combattirent de toutes leurs forces, sans savoir quel était l'endroit où ils se trouvaient pour la première fois, ignorant encore mieux le point vers lequel ils se dirigeaient. Cependant, tout en marchant, ils foulaient aux pieds des cadavres; ils faisaient feu, étouffaient et donnaient assez de preuves de valeur pour mériter à eux deux seuls les frais d'un entier bulletin.
20. C'est ainsi qu'ils se vautraient dans cette fange sanguinaire de milliers d'hommes morts ou mourans: – tantôt gagnant quelques pieds de terrain plus rapprochés d'un vieil angle que toute l'armée s'efforçait d'emporter; tantôt reculant devant le feu non interrompu qui tombait sur eux comme si tout l'enfer, au lieu du ciel, se fût écoulé en pluie: à chaque instant ils trébuchaient sur un compagnon blessé, qui se débattait au milieu de son sang.
21. C'était pour Don Juan le premier des combats, et bien que le tableau nocturne et la marche silencieuse des troupes dans la froide obscurité, alors que le cœur ne s'enflamme pas comme sous les voûtes d'un arc triomphal, fussent bien capables de le faire frémir, pâlir, ou contempler, en soupirant après le jour, les lourds nuages épaissis comme un empois sur l'immensité des cieux, cependant il eut le courage de ne pas prendre la fuite.
22. Il est vrai qu'il ne le pouvait pas; mais quand il l'eût fait? On a vu et l'on voit encore des héros qui n'ont guère commencé mieux, ou moins mal. Frédéric-le-Grand daigna se sauver de Molwitz pour la première et la dernière fois242. La plupart des mortels sont comme un cheval, un faucon ou bien une jeune mariée; après une affaire chaude, ils s'habituent à leur nouvel état et combattent ensuite comme des diables pour leur solde ou pour les politiques.
23. Juan était ce qu'Erin appelle, dans son vieil et sublime idiome Erse, Irlandais ou peut-être Punique243 (car les antiquaires, en fixant le niveau du tems lui-même qui nivelle toutes choses, les Romaines, les Runiques et les Grecques, jurent que le langage de Pat244 sent le climat d'Annibal et conserve encore la tunique tyrienne de l'alphabet de Didon: or cette supposition en vaut bien une autre, mais elle n'a rien de national245),
24. Juan, dis-je, était un consommé de jeunesse, une créature incapable de résister à ses premières impulsions, un enfant de poésie. Aujourd'hui il nageait dans le sentiment ou (si vous l'aimez mieux) la sensation de la volupté, et demain, s'il s'agissait de détruire, on le voyait occuper ses loisirs avec la même activité, dans la bonne compagnie de ceux qui ne se livrent qu'à des batailles, des siéges et autres semblables parties de plaisir.
25. Mais il n'y mettait jamais de malice. Qu'il combattît ou qu'il aimât, c'était dans ce que nous appelons les meilleures intentions, espèce de carte que se propose bien de retourner tout le genre humain, quand il s'agira pour lui de rendre ses derniers comptes. Ainsi nous entendons l'homme d'état, le héros, la prostituée et l'homme de robe, quand le peuple s'inquiète de leurs projets, opposer à toutes les attaques leurs intentions pures; quel malheur que l'enfer soit pavé de ces intentions246!
26. Il m'est venu dernièrement en pensée que le pavé de l'enfer – (si toutefois il est ainsi fait) – devait être aujourd'hui bien usé, non parce qu'un grand nombre des porteurs de bonnes intentions aurait été sauvé, mais plutôt par la multitude de ceux qui, l'ayant traversé sans pouvoir en alléguer de semblables, ont balayé et emporté le ciment sulfurique de cette rue de l'enfer, dont nous retrouvons parfaitement l'image dans Pall-Mall247.
27. Juan, par l'un de ces étranges hasards qui souvent séparent, dans leur hideuse carrière, le guerrier du guerrier, et comme les plus chastes épouses, quand, à la fin de la première année conjugale, elles quittent les plus constans maris du monde, Juan, dis-je, par l'un de ces bizarres tours de la fortune, s'était trop imprudemment avancé, et après avoir, pendant un certain tems, chargé et déchargé son fusil, il s'aperçut qu'il était seul et que ses compagnons avaient disparu.
28. Je ne sais comment était arrivée la chose. – Peut-être le plus grand nombre avait-il été tué ou blessé, tandis que les autres avaient rétrogradé à droite. César lui-même fut jadis confondu par un pareil mouvement, quand, à la vue de toute son armée, pourtant si intrépide, il ramassa un bouclier et finit par ramener au combat ses fiers Romains.
29. Juan, n'ayant pas de bouclier à ramasser et d'ailleurs n'étant pas un César, mais un beau jeune homme qui se battait sans savoir pour qui, eut à peine remarqué son isolement qu'il s'arrêta une minute, et peut-être aurait-il dû s'arrêter plus long-tems. Ensuite, tel qu'un âne (ici ne vous scandalisez pas, benoît lecteur, puisque le grand Homère lui-même n'a pas jugé cette similitude indigne d'Ajax, Juan la préférera peut-être à quelque autre plus nouvelle),
30. Ensuite, comme un âne, il poursuivit son chemin, et, ce qu'il y a de singulier, sans regarder derrière lui. Mais, voyant flamber, tel que le jour sur les montagnes, un feu assez éclatant pour aveugler ceux qui tremblent à la vue d'un combat, il s'égara en cherchant un sentier qui lui permît de réunir son bras et ses efforts à ceux du corps d'armée dont la majeure partie n'était déjà plus que cadavres.
31. Mais il ne retrouvait toujours pas le commandant de son corps, ni le corps lui-même qui avait absolument disparu, – les dieux savent comment! (Je ne puis expliquer clairement tout ce qui semble louche dans mon histoire; il me suffit de persuader qu'il n'est pas incroyable qu'un jeune garçon avide de gloire s'obstine à marcher en avant, et fasse de sa vie aussi peu de cas que d'une prise de tabac.)
32. N'apercevant ni commandant ni commandés, et laissé, comme un jeune héritier, libre d'aller – il ne savait où, – sans lisières; de même que les voyageurs suivent à travers marais et fougères un ignis fatuus248, ou que les naufragés se réfugient sous la première hutte qui se présente à leurs regards, Juan, suivant les inspirations de l'honneur et de son nez, se précipita vers l'endroit où le plus violent feu annonçait des ennemis plus nombreux.
33. Il ne savait où il allait, et s'en souciait fort peu; il était éperdu, exaspéré; la foudre coulait, pour ainsi dire, dans ses veines, – en un mot, son esprit était à la hauteur du moment, comme cela arrive aux têtes ardentes. Il courut où l'on voyait et entendait le feu le plus vif, où les plus énormes canons formaient les plus longues détonnations, tandis que la terre et les airs étaient également ébranlés, ô frère Bacon, par ta découverte philanthropique249.
34. Tout en s'avançant, il vint à se retrouver au milieu de ce qui avait été la seconde colonne, commandée par le général Lascy, et maintenant réduite, comme un lourd volume (mais avec moins d'extension), en un extrait agréable de héros. Il prit gravement sa place parmi les survivans qui tenaient encore leurs yeux hardis et leurs armes redoutables braqués contre le glacis.
35. Justement à ce moment de crise parut Johnson, qui avait fait retraite, comme on le dit de ceux qui font en arrière quelques pas au lieu de s'élancer par la gueule de la mort dans le fond des diaboliques cavernes. Johnson était, d'ailleurs, un garçon plein d'expérience; il savait quand et comment il était à propos de fuir et d'avancer, et jamais il ne s'éloignait que pour revenir à la charge avec plus d'avantage.
36. Ainsi, quand il vit morts, ou près de l'être, tous les hommes de son peloton, tous, excepté Don Juan, – franc novice, dont la valeur vierge encore ne pouvait pas se démentir, attendu son ignorance du danger (cette vertu, semblable à la tranquille innocence, inspire toujours une fermeté calme et intrépide), – Johnson recula un peu, afin de mieux rallier ceux dont le courage pouvait se refroidir au milieu des ombres de cette vallée de mort250.
37. Là, un peu à l'abri des balles qui pleuvaient des bastions, batteries, parapets, remparts, murailles, fenêtres, maisons; – car, dans cette vaste ville, pressée par une chrétienne soldatesque, il n'était pas un pouce de terrain sur lequel on ne combattît comme le diable, – Johnson rencontra un certain nombre de chasseurs, épuisés complètement par des obstacles qu'ils avaient rencontrés dans leur battue.
38. Il les appela, et, ce qu'il y a de singulier, ils arrivèrent à son appel; bien différens en cela des esprits du vaste abîme, «que vous pourriez, dit Hotspur, invoquer long-tems avant de les obliger à quitter leur séjour251.» Leur motif était l'incertitude dans laquelle ils se trouvaient, ou la honte de reculer devant les boulets ou les bombes. Ils obéissaient encore à cette impulsion singulière, qu'en fait de guerre ou de religion tous les hommes reçoivent, comme un troupeau de moutons, de celui qui se trouve à la tête.
39. Par Jupiter! c'était un bon compagnon que Johnson, et bien que son nom ne soit pas aussi harmonieux que celui d'Ajax ou d'Achille, cependant nous ne sommes pas près de revoir, sous le soleil, un homme qui lui soit comparable. Il pouvait rester, en expédiant son homme, inébranlable comme la constante mousson252 quand elle souffle dans la même direction pendant plusieurs mois de suite. Il était bien rare qu'il changeât de traits, de couleur ou de mouvemens, ou qu'il fît le moindre embarras en terminant les affaires les plus critiques.
40. Ainsi, il ne s'était éloigné que par réflexion. Il savait qu'il allait trouver d'autres guerriers sur ses pas, disposés à repousser ces misérables appréhensions qui, comme le vent, troublent les estomacs les plus héroïques. Les héros, il est vrai, ferment souvent trop tôt leurs paupières; mais tous cependant ne sont pas aveugles, et quand ils considèrent la mort sans intermédiaire, ils se retirent un peu, uniquement pour reprendre haleine.
41. Pour Johnson, il ne se retira, comme nous l'avons dit, que pour revenir avec un plus grand nombre de guerriers sur ces rives tant soit peu brumeuses dont Hamlet nous dit que le passage est si terrible253. Mais ce mot ne fit sur notre ami qu'une impression fort légère; il agit (tel que le galvanisme sur les cadavres) sur ses compagnons encore vivans comme sur un fil, et ils coururent à sa suite au milieu du feu le plus violent.
42. Hélas! ils trouvèrent une seconde fois ce qui, la première, leur avait paru assez effrayant pour les décider à la fuite, malgré ce que le vulgaire nomme la gloire et toutes ces chimères d'immortalité qui stimulent un régiment (sans compter la solde quotidienne d'un schelling, qui fait bouillonner leur sang). Ils obtinrent donc, à leur retour, le même bon accueil, que les uns et les autres regardèrent comme un accueil infernal254.
43. Ils tombèrent aussi nombreux que les moissons sous la grêle, les prés sous la faux et les blés sous la faucille; se chargeant ainsi de justifier cette vieille et triviale vérité, que la vie de l'homme a la fragilité de tous les plaisirs qui le captivent. Les batteries turques les criblaient comme un fléau, ou bien un bon boxeur, et les plus braves d'entre eux, réduits en capilotade, tombaient sur leur tête avant d'avoir pu lâcher un coup de fusil.
44. Placés derrière les traverses255 et les flancs des bastions, les Turcs faisaient un feu d'enfer et balayaient des rangs entiers comme des flots d'écume frappés par le vent. Cependant (Dieu sait comment!) le destin, qui comprend les villes, les nations et les mondes dans ses capricieuses révolutions, permit qu'au milieu de tous ces divertissemens sulfuriques Johnson et quelques autres qui avaient tenu bon gagnassent le talus intérieur du rempart.
45. D'abord un, deux, puis cinq, six et une douzaine montèrent avec vivacité; car il fallait avancer de suite ou pas du tout, et la flamme, semblable à la poix ou la résine, pleuvait aussi bien en haut qu'en bas. Ainsi il eût été difficile de décider lesquels étaient plus prudens de ceux qui d'abord avaient hissé sur le parapet leurs figures martiales, ou de ceux qui croyaient, en attendant encore, faire un aussi bel acte de courage.
46. Mais ceux qui tentaient l'escalade s'aperçurent qu'un accident ou une bévue protégeait leur audace. En effet, l'ignorance du Cohorn grec ou turc avait disposé les palissades, comme vous seriez étonné de les observer, dans les forts des Pays-Bas ou de la France – (bien qu'ils soient inférieurs à notre Gibraltar). Ces palissades étaient justement plantées au milieu du parapet,
47. De sorte que sur tous les cotés il restait neuf ou dix pas où l'on pouvait, sans obstacle, marcher. Ce fut pour nos gens, ceux du moins qui vivaient encore, un précieux avantage; ils purent former une seconde ligne et combattre de nouveau; et, ce qui les favorisa bien mieux, ils parvinrent à rompre les palissades, qui n'étaient guère plus hautes que des épis de blé256.
48. Au nombre des premiers, – je ne dis pas le premier, car, en pareil cas, les prétentions à la primauté font souvent éclater de mortelles querelles entre amis comme entre alliés. Par exemple, il faudrait qu'un Anglais eût bien de l'audace, et qu'il ne craignît pas de mettre à une rude épreuve la patience partiale de John Bull, pour prétendre que Wellington s'était laissé battre à Waterloo; – cependant les Prussiens disent la même chose; —
49. Et si, ajoutent-ils, Blucher, Bulow, Gneisenau, et Dieu sait combien d'autres en au et en ou, n'étaient pas arrivés assez à tems pour jeter la terreur dans le cœur de ceux qui jusqu'alors avaient combattu comme des tigres affamés, le duc de Wellington aurait cessé de faire un étalage de ses ordres et de toucher ses pensions, les plus fortes dont fassent mention nos annales.
50. Mais n'y pensons jamais. —Dieu sauve le roi! et les rois! car s'il ne les garde, je doute que les hommes le veuillent long-tems encore. – Il me semble qu'un petit oiseau vient me chanter à l'oreille que les peuples, tôt ou tard, consentiront à être les plus forts. La plus méchante rosse finit par ruer contre le brutal conducteur qui l'a maladroitement attelée de manière à la blesser, – et la multitude se lasse de suivre toujours l'exemple de Job.
51. D'abord elle gromèle257, puis elle jure, puis, comme David, elle lance de faibles cailloux contre le géant; enfin, elle saisit les armes auxquelles les hommes ont recours quand le désespoir ravit à leur cœur une partie de sa flexibilité, et alors viennent les tiraillemens de la guerre; – oui, je n'en doute pas, ils reviendront encore, et je leur dirais: «Fuyez loin de nous,» si je n'avais pas prévu que cette révolution seule peut sauver la terre d'une souillure infernale258.
52. Mais suivons. – Je ne disais pas le premier, mais au nombre des premiers s'était élancé sur les murs d'Ismaïl notre jeune ami Don Juan, comme s'il eût été élevé au milieu de pareilles scènes: – elles étaient cependant toutes nouvelles pour lui, et je voudrais pouvoir dire pour la plupart des autres. La soif de la gloire, quelquefois si dévorante, s'était emparée de lui, – bien qu'il eût une ame généreuse, le cœur sensible et les traits féminins.
53. Il était donc sur la brèche, – lui qui, depuis son enfance, avait reposé comme un enfant sur le sein des femmes. Il pouvait bien montrer quelque chose d'homme en pareille circonstance; mais dans la première position était son Élysée. Il aurait pu facilement supporter la terrible épreuve à laquelle Rousseau engage les amantes inquiètes à nous soumettre. Observez votre amant quand il sort de vos bras. Il est vrai que Juan n'en sortait pas tant qu'elles conservaient leurs charmes,
54. À moins qu'il n'y fût contraint par la destinée, les flots, les vents ou la parenté, tous obstacles de la même espèce. Or maintenant, le voilà dans un endroit – où tous les liens formés par la société cèdent au fer et à la flamme: lui dont le corps même était tout ame, entraîné par les destins ou l'occasion, ce tyran des plus grands cœurs, exaspéré par le moment et les lieux, il se précipite dans la lice, comme un cheval de race frappé de l'éperon.
55. Et quand il trouve quelque résistance, son sang bouillonne comme celui du coursier devant une porte à cinq barres, une double défense ou une balustrade; alors que le jeune cavalier anglais ne doit plus compter que sur sa légèreté, pour se garantir d'une mort assurée. Juan, de loin, avait en horreur la cruauté; ainsi tous les hommes, avant d'être irrités, détestent-ils le sang; – mais Juan avait cela de plus, qu'il tressaillait même aussitôt qu'il entendait un plaintif gémissement.
56. Le général Lascy, qui, dans le même moment, était serré de près, ayant vu arriver le renfort d'une centaine de jeunes gens réunis qui tombaient, pour ainsi dire, de la lune, adressa tous ses remerciemens à Juan qui se trouvait le plus près de lui; il ajouta même qu'il espérait prendre bientôt la ville. Car il croyait s'adresser non pas à quelque pauvre maraud, suivant l'expression de Pistol259, mais bien à un jeune Livonien.
57. Mais Juan, auquel il s'adressait en langage germanique, entendait l'allemand ni plus ni moins que le sanscrit; pour toute réponse il fit une inclination au général qui paraissait avoir le droit de lui commander. Or, en le voyant avec tous ses rubans noirs et blancs, ses étoiles, ses médailles et son épée ensanglantée, lui parler d'un air de reconnaissance, il supposa facilement qu'il avait affaire à un officier de haut rang.
58. L'entretien ne se prolonge guère entre deux hommes qui n'ont pas un commun langage; et d'ailleurs, dans la chaleur d'une bataille ou d'un siége, une infinité de bruits interrompent le dialogue, et plusieurs crimes sont exécutés avant qu'un mot ait frappé l'oreille. Les cris d'horreur qui, tels que le tocsin des cloches, viennent vous saisir, les plaintes, les sanglots, les prières, les imprécations et les hurlemens, sont d'ailleurs autant d'obstacles à une conversation suivie.
59. Voilà comment tout ce que nous venons de rapporter en deux longues octaves se passa en moins d'une minute; mais il n'est pas d'exécrables crimes qui n'aient cherché à se faire comprendre dans ce moins d'une minute. Le canon lui-même assourdi au milieu de cette scène d'horreur cessa de frapper l'oreille, et l'on eût aussi bien saisi le chant des linottes que les éclats de son tonnerre, tant était effroyable la voix générale de la nature humaine à l'agonie.
60. La ville est forcée. – Oh! éternité! —Dieu fit les champs, et l'homme fit la ville, a dit Cowper, – et je commence à me ranger de son opinion, en voyant tomber Rome, Babylone, Tyr, Carthage, Ninive, toutes les villes en un mot dont les hommes ont gardé le souvenir ou n'ont jamais entendu parler. Et quand je médite le présent et le passé, je m'imagine que les bois finiront par nous servir de retraite.
61. De tous les hommes, si l'on en excepte Sylla (le tueur d'hommes) dont on envie généralement la vie et la mort fortunées; de tous les grands noms qui éblouissent nos regards, le plus heureux fut sans contredit le général Boon260, devenu chasseur de Kentucky. Jamais il ne frappa que des ours et des daims, et il jouit d'une existence longue, solitaire, paisible, vigoureuse, au sein des plus profonds déserts.
62. Le crime n'approcha pas de lui: – il n'est pas fils de la solitude. La santé ne le quitta pas; – son asile est dans les déserts rarement franchis; et si, dans ces lieux, les hommes ne l'appellent pas, si la mort261 même finit par être de leur choix plutôt que la vie, nous devons leur pardonner; ils ne font que s'accoutumer aux scènes qui les environnent, en appelant de leurs vœux ce qu'ils avaient en horreur – dans la prison de nos villes. En ce moment, je dois me contenter de dire que Boon vécut en chasseur jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans,
63. Et que, chose plus étrange, il acquit ainsi de la renommée (pour laquelle les autres hommes se déciment vainement), et de cette bonne renommée, sans laquelle la gloire n'est plus qu'un refrain de taverne; – simple, calme, véritable antipode de l'infamie, et qui n'a rien à redouter des coups de la haine ou de l'envie. Ermite actif, il resta jusque dans sa vieillesse l'enfant de la nature, ou bien encore l'homme de Ross, devenu sauvage262.
64. Il est vrai qu'il s'éloigna des hommes même de sa première patrie, quand ils vinrent bâtir sous l'obscurité de ses arbres, – qu'il alla chercher, à plusieurs centaines de milles au-delà, une terre moins surchargée de maisons et beaucoup plus commode. – La civilisation a cet inconvénient, qu'on ne peut jamais trouver quelqu'un à qui on plaise ou qui lui-même vous plaise; mais toutes les fois qu'il trouva l'homme individuel, il montra toute la sympathie dont jamais homme put être susceptible.
65. Et, d'ailleurs, il n'était pas seul: autour de lui s'élevait une tribu de champêtres263 enfans de la chasse, dont les yeux non encore dessillés ne découvraient jamais de satiété dans le monde. Jamais l'épée ou le chagrin n'avaient imprimé leur passage sur leurs fronts sereins, et jamais le plus léger froncement ne voilait, en ces lieux, la beauté de la nature ou des hommes. – Les libres forêts garantissaient leur liberté et donnaient à toutes leurs sensations une fraîcheur comparable à celle que l'on respire sous un arbre ou aux bords d'un torrent.
66. Ils étaient bien autrement grands, agiles et robustes, que les pâles avortons de vos cités mesquines, parce que les soins ni les soucis n'avaient jamais flétri leurs pensées. Les arbres verts, tel était leur patrimoine. L'affaiblissement des organes intellectuels ne leur disait pas qu'ils devinssent vieux, la mode ne les réduisait pas à singer ses difformes caprices. Ils étaient simples, mais non sauvages, et leur butin (car ils en faisaient réellement) ne servait pas à payer des bagatelles.
67. Le mouvement présidait à leurs journées, le sommeil à leurs nuits, et l'enjouement à tous leurs travaux. Leur nombre n'était encore ni trop grand ni trop faible, et la corruption ne pouvait essayer de pénétrer dans leurs cœurs. La convoitise dévorante, la magnificence insatiable n'avaient aucune proie à saisir chez des indépendans forestiers; aussi les solitudes de cet heureux peuple des bois étaient-elles toujours sereines et paisibles.
Allah! Hu! c'est proprement le cri de guerre des musulmans; ils appuient long-tems sur la dernière syllabe, ce qui produit un effet étrange et terrible.
(Note de Lord Byron.)
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C'est un fait: voyez les gazettes de Waterloo. Je me souviens de l'avoir fait remarquer, dans le tems, à un de mes amis: – «Voilà la gloire, lui dis-je: un homme est tué, son nom est Grose, on l'imprime Grove.» J'avais été au collége avec le défunt; c'était un homme spirituel et fort aimable, dont on recherchait la société à cause de sa finesse, de son enjouement et de ses chansons à boire.
(Note de Lord Byron.)
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Voyez le major Vallencey et sir Lawrens Parsons.
(Note de Lord Byron.)
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Les Portugais disent en proverbe: L'enfer est pavé de bonnes intentions.
(Note de Lord Byron.)
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C'est à ce moine qu'on attribue la découverte de la poudre à canon.
(Note de Lord Byron.)
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Les rives de la mort, allusion en monologue d'Hamlet, acte III, scène Ire. «Mais la seule crainte de quelque chose après la mort – cette contrée non découverte, des rives de laquelle nul voyageur ne revient, arrête la volonté.»
«Sans l'effroi qu'il inspire et la terreur sacrée
Qui défend son passage et siége à son entrée, etc.»
(Ducis.)
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Elles n'étaient élevées qu'à deux pieds du talus.
(Note de Lord Byron.)
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«Boon, personnage historique, général américain, devenu sauvage par choix, qui a fondé le premier établissement du Kentucky.»
(Note de M. A. P.)
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«Voyez Pope, sur l'homme de Ross.»
(Note de M. A. P.)
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