Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 12
LXXVII
A MAURICE DUDEVANT, A LA CHATRE
Paris, 3 novembre 1831.
Mon cher petit enfant, tu ne m'as pas dit si tu avais reçu le joujou que je t'ai envoyé. Si tu ne l'as pas, fais-le réclamer chez M. Poplin80, à la Châtre. Il doit être arrivé depuis longtemps.
Quand tu n'auras plus d'images à peindre, tu me l'écriras, afin que je t'en achète d'autres. Dis-moi si tu as envie de quelque chose que je puisse t'envoyer. Boucoiran me dit qu'il va te faire commencer l'histoire. Tu me diras si cela t'amuse. Quand j'étais petite, cela m'amusait beaucoup. Je suis bien contente que Sylvain Meillant81 soit rétabli; tu iras le voir et le lui diras de ma part.
As-tu couvert ta maison dans la cour? J'en ai bien fait comme toi, dans la même cour, avec des briques et des ardoises. Je me souviens qu'une fois, en ouvrant la porte de ma maison, laquelle porte était une petite planche, j'ai trouvé quelqu'un dedans. Ce quelqu'un était, devine quoi? Une belle petite souris qui s'était emparée de ma maison et s'y trouvait bien logée. Je l'ai laissée dedans, mais je ne sais plus ce qu'elle est devenue. Et ton jardin, y travailles-tu toujours? Il fait bien mauvais maintenant pour jouer dehors. Prends garde de t'enrhumer. Il fait un temps affreux ici. On est dans la crotte jusqu'aux genoux. La Seine est jaune comme du café au lait. Je ne sors que pour mes affaires d'obligation.
Adieu, mon cher petit mignon; j'enverrai des bas à ta grosse mignonne.
Et toi, en as-tu assez pour ton hiver? Je vous embrasse tous les deux.
Porte-toi bien et écris-moi souvent.
Ta mère
LXXVIII
AU MÊME
Paris, novembre 1831.
Ta lettre est bien gentille, mon cher petit; elle est fort bien écrite. Ne reste pas trop dehors par ce vilain froid, tu vois bien que tu t'es enrhumé. Quand tu es dans le jardin, cours, saute, ne reste pas à la même place. C'est comme cela que tu attrapes toujours du mal. Ta pie peut bien rester dans ton jardin, elle n'a pas peur du froid, ses plumes lui valent mieux que tes habits et tes pantalons. Nos petits bengalis sont plus délicats, ils viennent d'un climat chaud. Dis à Eugénie82 d'en avoir bien soin.
J'ai été hier au Jardin des Plantes, j'aurais bien voulu pouvoir emporter pour toi une petite gazelle fauve avec des raies blanches et de grands yeux noirs. Elle mange dans la main, tu serais bien content d'en avoir une pareille; mais il faudrait la garder au coin du feu. Elles viennent de l'Afrique, et le moindre froid les tue. Au reste, tu les as vues; mais tu ne t'en souviens peut-être plus.
Je serais si contente de t'avoir ici quinze jours pour te faire courir partout avec moi.
Adieu, mon petit ami; je t'embrasse mille fois, ainsi que ta grosse mignonne. Fais-lui mettre des bas de laine tous les jours. Embrasse pour moi Léontine et Boucoiran.
LXXIX
A M JULES BOUCOIRAN, A NOHANT
Paris, 5 décembre 1831.
Merci, mon cher enfant. Je ne sais pas si je pourrai profiter de cette bonne occasion pour retourner à Nohant. Dieu veuille que mon éditeur me paye d'ici au 8 et que je puisse lui livrer les dernières feuilles de mon manuscrit. Alors je serais à Nohant bientôt. N'en parlez pas encore. Surtout n'en donnez pas la joie à mon pauvre Maurice; car il n'y a rien de sûr dans mes projets. Ils dépendent d'un animal qui, tous les jours, m'annonce le payement de sa dette, j'attends encore. Je voudrais qu'il me fît au moins une lettre de change pour les cinq cents francs à toucher trois mois après la livraison. Jusqu'ici, je ne tiens rien, et je ne voudrais pourtant pas avoir travaillé trois mois sans un profit raisonnable.
La lettre que j'ai reçue avant-hier de Maurice est fort bien, si vous n'en avez pas corrigé les fautes. Son écriture, quand il veut s'appliquer un peu, promet d'être très lisible et très jolie. Il a dans son esprit d'enfant des idées très originales; par exemple, j'ai bien ri de sa pie, qui se tient dans le jardin et regarde passer le monde sur la route.
Pauvre enfant! quand donc sera-t-il assez grand pour ne dépendre que de lui! Alors je ne serai pas en peine de trouver une consolation et un dédommagement à tous les ennuis de ma vie.
Adieu, mon cher fils; restez-moi toujours fidèle, vous que j'estime le plus solide et le plus généreux de mes amis.
Je vous embrasse de tout mon coeur.
LXXX
A M. FRANÇOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX
Nohant, janvier 1832.
Mon cher Rollinat,
Je vous ai écrit avant-hier un mot et je vous demandais une réponse directe. Êtes-vous absent de Châteauroux, ou bien le courrier a-t-il perdu ma lettre? Il est sujet à cette infirmité. Il en est de même tous les étés. C'est au point qu'il en a semé toute la route depuis Nohant jusqu'à Châteauroux, et qu'il en pousserait si ce n'était de mauvais grain.
C'était pour vous demander l'adresse de Charles83 à Paris. J'ai une commission pressée à lui donner. Répondez-moi, si vous êtes vivant, mais répondez-moi poste restante à la Châtre.
Ce courrier est un drôle!
Bonsoir, mon bon petit avocat. Je vous donne ma très sainte bénédiction.
LXXXI
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant. 22 février 1832.
Ma chère maman,
Mes enfants ont été bien vite débarrassés de leur rhume; Maurice est plus fou et Solange plus rose que jamais. J'espère vous la conduire ce printemps. Elle est assez raisonnable pour faire un tour à Paris avec moi; vous verrez qu'elle est bien gentille et bien caressante; mais vous serez effrayée de sa grosseur, je voudrais bien la voir s'effiler un peu.
Maurice travaille comme un homme. Il devient studieux et grave comme son précepteur; mais, à la récréation, il s'en venge bien. Léontine et lui, font le diable. Le dimanche, tout le monde joue, grands et petits. Il vient des amis de Maurice, de la Châtre, et je joue à colin-maillard, au furet, au volant, aux barres, jusqu'à ce que je ne puisse plus tenir sur mes jambes. Polyte aussi se met de la partie; il fait très agréablement la cabriole. Il danse comme Taglioni et il tombe comme un sac; ce qui fait beaucoup rire Solange. Elle l'appelle son farceur de noncle. Si Oscar était là, il s'amuserait bien aussi.
Je suis fort aise que mon livre vous amuse84. Je me rends de tout mon coeur à vos critiques. Si vous trouvez la soeur Olympe trop troupière, c'est sa faute plus que la mienne. Je l'ai beaucoup connue et je vous assure que, malgré ses jurons, c'était la meilleure et la plus digne des femmes. Au reste, je ne prétends pas avoir bien fait de la prendre pour modèle dans le caractère de ce personnage. Tout ce qui est vérité n'est pas bon à dire; il peut y avoir mauvais goût dans le choix. En somme, je vous ai dit que je n'avais pas fait cet ouvrage seule. Il y a beaucoup de farces que je désapprouve: je ne les ai tolérées que pour satisfaire mon éditeur, qui voulait quelque chose d'un peu égrillard. Vous pouvez répondre cela pour me justifier aux yeux de Caroline, si la verdeur des mots la scandalise. Je n'aime pas non plus les polissonneries. Pas une seule ne se trouve dans le livre que j'écris maintenant et auquel je ne m'adjoindrai de mes collaborateurs que le nom; le mien n'étant pas destiné à entrer jamais dans le commerce du bel esprit.
Je ne m'occupe pas exclusivement de ce travail. A présent, je puis en prendre à mon aise, sans me tourmenter l'esprit. Si quelquefois je travaille avec passion, c'est parce que je ne sais pas m'occuper à demi. Je suis comme vous, avec vos dessins et vos vernis. Ici, j'ai de très douces distractions: Maurice me saute sur le dos et ma grosse fille me grimpe sur les genoux.
Bonsoir, ma chère petite mère. Donnez-moi des nouvelles de votre oeil.
A force de vouloir le guérir vite, ne le tourmentez pas trop.
Embrassez pour moi Caroline et mon vieux Pierret; moi, je vous aime de tout mon coeur.
LXXXII
A MAURICE DUDEVANT, A NOHANT
Paris, 4 avril 1832.
Nous sommes arrivées en bonne santé, ta soeur et moi, mon cher petit amour. Solange n'a fait qu'un somme depuis Châteauroux jusqu'ici. Elle a pensé à toi et à sa bonne; elle a pleuré deux fois pour vous avoir; mais elle s'est consolée bien vite. A son âge, le chagrin ne dure guère. Elle a été douce et gentille tout le temps. Quand tu étais tout petit, tu n'étais pas si patient qu'elle. En arrivant, elle a reconnu tout de suite ton portrait et elle a pleuré; puis elle n'a pas tardé à s'endormir.
Je l'ai menée au Luxembourg, au Jardin des Plantes. Elle a vu la girafe, et prétend l'avoir déjà bien vue à Nohant dans un pré. Elle a donné à manger dans sa main aux petits chevreaux du Thibet et aux grues. Elle a vu les animaux empaillés et ne veut pas comprendre qu'ils ne sont pas en vie. Du reste, elle n'a pas peur du tout; pourvu que je lui donne la main, elle ne s'effraye de rien.
Elle rit, elle chante, elle est gentille à croquer. Elle mange comme six, elle s'endort dans les omnibus, elle se réveille quand on descend et se met à marcher sans grogner. Il est impossible d'être meilleure enfant. Je suis bien contente de l'avoir avec moi. Si je t'avais aussi, mon pauvre enfant, je serais bien heureuse.
Et toi, mon petit chat, comment te portes-tu? t'amuses-tu toujours bien? Ta grue est-elle toujours en vie?
Adieu, mon cher petit ange. Je t'embrasse cent mille fois sur tes joues roses et sur ton grand pif, sur tes grands yeux et sur tes beaux cheveux. Écris-moi bien souvent. Ta soeur t'embrasse aussi; elle veut te porter des fraises et des glaces dans du papier. Ce sera propre en arrivant!
LXXXIII
A MADAME MAURICE DUPIN. A PARIS
Paris, 15 avril 1832.
Chère mère,
Soyez sans inquiétude. Je me porte tout à fait bien aujourd'hui. Le choléra, dit-on, est mort; ainsi dormez en paix. Je serais bien heureuse de voir mon vieux Pierret; mais, s'il vient à huit heures du matin, qu'il sonne bien fort pour m'éveiller. Je dors comme une bûche et je n'ai personne pour ouvrir la porte. Priez-le de me donner une heure dans la journée; il me fera bien plaisir.
Portez-vous bien, chère maman, et, si vous étiez plus malade, à votre tour avertissez-moi.
LXXXIV
A M. GUSTAVE PAPET, A PARIS
Paris, mai 1832.
Cher Gustave,
Je compte sur toi… c'est-à-dire sur vous… non, c'est-à-dire sur toi, pour dîner avec nous dimanche prochain et tous les dimanches subséquents, tant que Paris aura le bonheur de vous posséder.
Est-ce vous qui êtes venu pour me voir cette semaine? Voici les indications de ma bonne: «Un joli jeune homme qui n'a pas voulu dire son nom et qui avait une badine à la main.» Cette badine m'a paru le signe particulier du signalement et se rapporter évidemment à votre caractère badin.
Hein, si l'on voulait s'en mêler?
A demain donc, mon ami.
Ton camarade
AURORE.
LXXXV
A MAURICE DUDEVANT. A NOHANT
Paris, 4 mai 1832.
Mon cher petit mignon.
Nous nous portons bien. Ta soeur est bien mignonne à présent. Nous allons toujours nous promener au Luxembourg et au Jardin des Plantes. Ce dernier est superbe, et tout embaumé d'acacias. Nohant doit être bien joli à présent. Y a-t-il beaucoup de fleurs, et ton jardin pousse-t-il? Le mien se compose d'une douzaine de pots de fleurs sur mon balcon; mais il y a des pousses nouvelles longues comme ma main. Solange en casse bien quelques-unes, et pour que je ne la gronde pas, elle essaye de les raccommoder avec des pains à cacheter.
Nous parlons de toi tous les soirs et tous les matins, en nous couchant, en nous levant. J'ai rêvé, cette nuit, que tu étais aussi grand que moi; je ne te reconnaissais plus. Tu es venu m'embrasser, et j'étais si contente, que je pleurais. Quand je me suis éveillée, j'ai trouvé la grosse grimpée sur mon lit et qui m'embrassait. Elle aussi grandit beaucoup et maigrit en même temps. Personne ne veut croire qu'elle n'ait pas cinq ans. Elle a la tête de plus que tous les enfants de son âge.
Tous les bonbons qu'on lui donne, elle les met de côté pour toi; au bout d'une heure, elle n'y pense plus et les mange. Quand nous irons te voir, nous t'en porterons.
Adieu, mon petit enfant chéri. Écris-moi plus souvent des lettres un peu plus longues, si tu peux. Tu ne me dis pas ce que tu apprends avec Boucoiran. Adieu; je t'embrasse de tout mon coeur.
LXXXV
AU MÊME
Paris, 17 mai 1832.
Mon cher petit,
J'ai reçu tes deux lettres. Je t'en ai envoyé une grosse pleine de dessins. T'amuses-tu à les copier? Que fais-tu le soir? Travailles-tu dans ton cabinet, ou cours-tu dans le jardin avec Léontine? Valsez-vous toujours? Dis-moi donc comment tu passes tes journées. Raconte-moi depuis le matin jusqu'au soir.
Ta petite soeur se porte bien; elle commence à s'accoutumer à Paris et à devenir méchante. Jusqu'à présent, elle était si étonnée de tout ce qu'elle voyait, qu'elle ne pensait pas à avoir des caprices. A présent, elle en a pas mal; mais je ne lui cède pas, et elle redevient gentille. Des enfants, qui demeurent sur le même balcon que nous, quand ils l'entendent pleurer, se moquent d'elle en la contrefaisant. Cela la vexe cruellement; elle renfonce tout de suite ses larmes et n'ose plus rien dire.
Il y a bien longtemps que nous n'avons été à la campagne; il pleut tous les jours et il fait si froid, que nous avons toujours du feu. J'ai deux petits serins verts dans une cage. Ils ont fait des oeufs qui sont éclos de ce matin. Si tu voyais comme cela amuse Solange! Elle n'y conçoit rien et voudrait les mettre dans sa poche. Ils sont si petits, si secs, si maigres, si pelés, si laids, qu'ils crèveraient si l'on soufflait dessus.
Nous avons aussi un beau jardin sur notre balcon: des roses, des jasmins, du lilas, des giroflées, des orangers, un géranium, du réséda et même un cassis tout couvert de fruits verts. Si tu venais me voir cet été, je te les ferais croquer; mais tu en auras de meilleurs à Nohant. Solange s'amuse à mettre de la terre dans des pots, elle y sème des graines; à peine sont-elles levées, qu'elle les arrache.
Adieu, mon gros mignon. Écris-moi souvent, parle-moi de tout ce qui t'amuse, pense souvent à ta vieille mère qui t'aime.
LXXXVI
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE
Paris, 6 juillet 1832.
Vous vous mariez, mon bon camarade!
Le bien et le mal n'existant pas par eux-mêmes, le bonheur comme le malheur étant dans l'idée qu'on s'en fait, vous vous croyez content; donc, vous l'êtes. Je n'ai qu'à me réjouir avec vous de l'événement qui vous réjouit et du choix que vous avez fait. Je ne connais pas votre fiancée; mais j'ai entendu dire d'elle beaucoup de bien à tout le monde et particulièrement à mademoiselle Decerf, juge sain et solide. Vous lui rendrez le bonheur que vous recevrez d'elle. Croyez, de votre côté, que votre bonheur doublera le mien.
Je n'ai le temps de vous dire qu'un mot. Je suis en course du matin au soir pour trouver un logement. Le soir, je rentre éreintée par la marche, la chaleur et le pavé. Je quitte avec regret ma gentille mansarde du quai Saint-Michel; le mauvais état de ma santé me mettant dans l'impossibilité d'escalader plusieurs fois par jour un escalier de cinq étages, je vais me retirer encore davantage du beau Paris et m'enfoncer dans le faubourg.
J'ai été hier voir Henri de Latouche à Aulnay. Il ne quitte presque plus la campagne. Son ermitage est la plus délicieuse chose que je connaisse. Je ne sais s'il y travaille. Moi, je ne fais rien et ne me remettrai à l'ouvrage qu'à Nohant. Le succès d'Indiana m'épouvante beaucoup. Jusqu'ici, je croyais travailler sans conséquence et ne mériter jamais aucune attention. La fatalité en a ordonné autrement. Il faut justifier les admirations non méritées dont je suis l'objet. Cela me dégoûte singulièrement de mon état. Il me semble que je n'aurai plus de plaisir à écrire.
Adieu, mon vieux camarade; je vous écrirai une autre fois. Aujourd'hui, je vous félicite seulement et je vous embrasse avec amitié.
LXXXVII
A MAURICE DUDEVANT. A NOHANT
Paris, 7 juillet 1832.
Mon pauvre petit,
Tu as donc encore été malade? Comment vas-tu maintenant? Il me tarde bien de recevoir une lettre de toi; ton papa m'écrit que tu t'ennuyes de ne pas me voir. Et moi aussi, va, mon enfant! Prends un peu de patience, mon cher petit. Bientôt je serai près de toi, sois-en bien sûr.
Tu verras ta Solange bien grandie, bien bavarde, disant toute sorte de bêtises qui te feront rire. Si tu es encore malade, je te soignerai, je resterai la nuit auprès de ton lit, et je t'empêcherai de penser à ton mal: Boucoiran dit que tu n'as pas de courage. Il faut tâcher d'en avoir un peu, mon cher enfant. On souffre bien souvent quand on est grand; il y a des personnes qui souffrent presque toujours. Tu sais bien que je suis ainsi. Si je pleurais tout le temps, je serais insupportable. Essaye donc de te faire une raison, quand tu souffres. Je sais que tu es bien jeune pour cela; mais tu as assez de bon sens pour comprendre tout ce que je te dis. Si je te recommande d'être courageux, c'est que les larmes font beaucoup plus de mal que le mal même. Elles donnent surtout mal à la tête et augmentent la fièvre. Quand tu te sens malade, il faut le dire sans te désespérer. On fera pour toi tout ce qu'il faudra pour te soulager. Enfin, je l'espère à présent, tu es bien tout à fait et tu ne penses plus à tout cela.
Écris-moi vite, ne fût-ce qu'un mot; je t'embrasse mille fois de toute mon âme. Qu'est-ce qu'il faudra t'apporter de Paris?
LXXXVIII
AU MÊME
Paris, 8 juillet 1832.
Mon cher petit,
Je t'écrivais dernièrement que j'étais inquiète de toi. A peine ma lettre partie, j'ai reçu la tienne. Ton dessin est gentil; Solange l'a bien regardé, elle à reconnu la grue tout de suite. Elle apprend à lire et sait déjà très bien tous les sons. Cela l'amuse. Si je l'écoutais, nous ne ferions que lire toute la journée; mais elle en serait bientôt dégoûtée. Je lui ménage ce plaisir-là. Si elle continue, elle saura lire bien plus jeune que toi. Tu étais encore, à sept ans, un fameux paresseux, t'en souviens-tu? Heureusement tu as réparé le temps perdu. Travailles-tu bien? dis-moi ce que tu fais à présent: est-ce l'histoire des Grecs? Et le latin, t'amuse-t-il toujours?
Nous avons été à Franconi, Solange et moi. Nous étions en bas, tout à côté des chevaux. Elle a vu les batailles, les coups de pistolet, les chevaux qui galopaient, les deux éléphants qui sont descendus sur des planches tout à côté d'elle. Elle n'a peur de rien. Elle a touché les bêtes, elle a ri au nez des acteurs! Elle s'est amusée comme une folle. Seulement, quand le gros éléphant est venu, avec une tour sur le dos et que, la tour toute pleine de boîtes, de fusées et de pétards a éclaté avec un bruit du diable, elle a un peu fait la grimace. Je lui ai dit que, si tu étais là, tu n'aurais pas peur, que tu tirais des coups de pistolet, que l'éléphant n'avait pas peur. Par émulation, elle a renfoncé ses larmes et s'est enhardie jusqu'à regarder. Elle a trouvé cela très beau. En effet, il est impossible de voir rien de plus beau que l'éléphant tout couvert de velours, de soldats, de dorures, de feu, faisant toutes ses évolutions comme un vrai soldat.
Je t'ai bien regretté, mon petit; tu aurais été bien étonné de voir ces deux animaux si intelligents. Il y en a un énorme, gros quatre fois comme celui que tu as vu au Jardin des Plantes. Au lieu d'être d'un gris sale comme lui, il est d'un beau noir. Celui-là s'appelle Djeck; le petit est trois fois moins gros, mais aussi gentil qu'un éléphant peut l'être et aussi savant que le gros. Tout ce qu'ils font est incroyable. Ils sont en scène pendant trois actes. Certainement Thomas n'a pas le demi-quart de leur intelligence. Le gros danse la danse du châle avec une trentaine de bayadères. C'est à mourir de rire de voir danser un éléphant. Puis il mange de la salade devant le public. Chaque fois qu'il a vidé un saladier, il le prend avec sa trompe et le donne au petit éléphant, qui le prend de la même manière et le fait passer à son valet de chambre. Le gros a une clochette d'or pendue à une corde. Il prend la corde, et sonne jusqu'à ce qu'on apporte un autre saladier. Dans la pièce, il y a un prince indien que ses ennemis poursuivent pour le tuer. Quand il est en prison, l'éléphant arrache les barreaux de la croisée, approche son dos et l'emporte. Une autre fois, on a mis le prince dans un coffre pour le jeter à la mer. L'éléphant ouvre le coffre avec sa trompe, et va cueillir des cerises qu'il lui apporte à manger. Il remet des lettres, il bat le tambour, il offre des bouquets aux dames, il se met à genoux, il se couche, il s'assied sur son derrière. Tout cela sans qu'on voie jamais le cornac. Il est tout seul en scène, il entre dans des cavernes, il sort par où il doit sortir, il ne se trompe jamais. Il n'y a pas de figurant qui fasse mieux son métier. Après la pièce, le public le redemande et on relève le rideau. Alors les deux éléphants, après s'être fait un peu attendre, comme font les actrices pour se faire désirer, arrivent tous les deux, saluent le public avec leur trompe, se mettent à genoux, puis s'en vont très applaudis et très satisfaits. Solange dit qu'ils sont bien gentils et bien mignons. Elle a été aussi voir les marionnettes chez Séraphin; mais elle aime bien mieux les chevaux et les éléphants.
Adieu, mon petit amour. Quand tu seras à Paris, je te mènerai voir tout cela. Je te ferai des pantoufles. Je t'envoie des bonshommes qu'on m'a donnés pour toi. Adieu, mon enfant. Embrasse pour moi ton papa et Boucoiran. Solange vous embrasse tous trois, ainsi que sa titine. Elle me disait à Franconi:
–Maman, tu diras tout ça à mon petit frère; moi, je saurais pas y dire, c'est trop beau!
Je t'embrasse mille fois. Aime-moi bien et écris-moi.