Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 14
C
A MONSIEUR ***
Paris, 15 avril 1833.
Je veux croire votre lettre sincère, et, dans ce cas, l'absence pourra seule vous guérir.
Si, après cette réponse, vous persistiez dans des prétentions que je ne pourrais plus attribuer à la folie, j'aurais pour vous fermer ma porte des motifs plus impérieux et plus décisifs encore.
Ainsi, quelle que soit l'explication que vous préfériez pour la lettre inexplicable que vous m'avez envoyée, je vous prie absolument, littéralement et définitivement, de ne plus vous présenter chez moi.
GEORGE.
CI
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Paris, mai 1833.
Ma chère maman,
Vous avez tort de me gronder. Je n'ai eu que du chagrin et de l'inquiétude, au lieu de tous les plaisirs que vous me supposez. Mes deux enfants ont été malades et le sont encore: Maurice, de la grippe, et Solange, de la coqueluche. J'ai passé tout mon temps à aller de chez moi au collège Henri IV et du collège chez moi; car je n'ai pu avoir mon fils pour le faire sortir avant l'invasion de la maladie. Il a été soigné à l'infirmerie par de bonnes religieuses.
Solange, quoiqu'elle soit toujours gaie et gentille, est très fatiguée. Je le suis beaucoup moi-même.
Un soir que mes deux petits allaient mieux, j'ai été chez vous, pour vous remercier de la belle gravure que vous m'avez envoyée. Il était sept heures, ce n'est pas une heure indue. Depuis, je n'ai pas pu sortir, si ce n'est pour aller à Henri IV.
J'irai vous voir demain. Aujourd'hui, cela m'est complètement impossible. Vous avez eu tort d'écouter votre dignité de mère offensée: vous auriez dû, puisque vous sortez tous les jours pour dîner, venir goûter de ma cuisine. J'ai toujours un bon petit plat à vous offrir. A six heures, nous aurions été ensemble voir Maurice au collège, vous m'auriez rendue heureuse.
Adieu, chère mère; je vous embrasse de tout mon coeur, en attendant que vous me pardonniez, et j'espère que vous ne ferez pas longtemps la méchante avec moi.
CII
A M. CASIMIR DUDEVANT, A NOHANT
Paris, 20 mai 1833.
Mon ami,
Je suis aise de ton bon voyage et de ton arrivée en bonne santé.
Maurice a été à l'infirmerie. C'est le changement de régime qui l'éprouve un peu; du reste, il est très frais et très gai. On est content de son caractère et il paraît s'arranger bien avec ses camarades. Quant à ses progrès, ils ne peuvent pas être encore sensibles. J'espère qu'à ton retour, on commencera à s'en apercevoir. Je lui ai dit de t'écrire. Dans tous les cas, je te donnerai de ses nouvelles. Je l'ai vu hier, avec ma mère; il a été très gentil. Je ne sais si Salmon a de mauvaises affaires ce mois-ci; mais j'ai eu toutes les peines du monde à me faire payer, quoique je n'aie envoyé chercher mon argent que le 15 mai. Il a fallu y envoyer quatre fois de suite. La première fois, il a fait refuser sa porte; la seconde, son heure de réception était changée; la troisième, il n'avait pas d'argent; enfin, la quatrième, il a daigné m'envoyer mon mois. Je ne sais pas si tout cela est l'effet du hasard; c'est bien possible. Cependant tu devrais y faire attention, au cas où tu aurais des sommes d'une certaine importance à déposer chez lui. Ensuite, tu devrais le prier de m'envoyer mon argent tous les premiers du mois. Un homme d'affaires n'est ni ambassadeur ni ministre, pour qu'on fasse antichambre chez lui.
Adieu, mon ami. Ta grosse fille t'embrasse. Dis bien des choses de ma part à Duteil et à Jules Néraud, quand tu les verras.
Adieu; je t'embrasse.
CIII
A M. FRANÇOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX
Paris, 26 mai 1833.
Cher ami,
Tu ne penses pas que j'aie changé d'avis. Tu es toujours à mes yeux le meilleur et le plus honnête des hommes. Je ne t'ai pas donné signe de souvenir et de vie depuis bien des mois. C'est que j'ai vécu des siècles; c'est que j'ai subi un enfer depuis ce temps-là. Socialement, je suis libre et plus heureuse. Ma position est extérieurement calme, indépendante, avantageuse. Mais, pour arriver là, tu ne sais pas quels affreux orages j'ai traversés. Il faudrait, pour te les raconter passer bien des soirs dans les allées de Nohant, à la clarté des étoiles, dans ce grand et beau silence que nous aimions tant. Dieu veuille que ces temps nous soient rendus et que nous admirions encore, ensemble, le clair de lune sur la cascade d'Urmont!
Mais cette indépendance si chèrement achetée, il faudrait savoir en jouir et je n'en suis plus capable. Mon coeur a vieilli de vingt ans, et rien dans la vie ne me sourit plus. Il n'est plus pour moi de passions profondes, plus de joies vives. Tout est dit. J'ai doublé le cap. Je suis au port, non pas comme ces bons nababs qui se reposent dans des hamacs de soie, sous les plafonds de bois de cèdre de leurs palais, mais comme ces pauvres pilotes qui, écrasés de fatigue et brûlés par le soleil, sont à l'ancre et ne peuvent plus risquer sur les mers leur chaloupe avariée. Ils n'ont pas de quoi vivre à terre, et, d'ailleurs, la terre les ennuie. Ils ont eu jadis une belle vie, des aventures, des combats, des amours, des richesses. Ils voudraient recommencer; mais le navire est démâté, la cargaison perdue; il faut échouer sur le sable et rester là.
Tu comprends, au fond de cette belle poésie, l'état maussade de mon cerveau. Suis-je plus à plaindre qu'auparavant? Peut-être; le calme qui vient de l'impuissance est une plate chose.
Pour toi, c'est différent. La raison, la force, la volonté t'ont placé où tu es. Aussi tu as en toi-même de sérieuses jouissances, de nobles consolations.
Je t'enverrai une longue lettre avant peu de temps; c'est-à-dire un livre que j'ai fait88 depuis que nous nous sommes quittés. C'est une éternelle causerie entre nous deux. Nous en sommes les plus graves personnages. Quant aux autres, tu les expliqueras à ta fantaisie. Tu iras, au moyen de ce livre, jusqu'au fond de mon âme et jusqu'au fond de la tienne. Aussi je ne compte pas ces lignes pour une lettre. Tu es avec moi et dans ma pensée à toute heure. Tu verras bien, en me lisant, que je ne mens pas.
Adieu, ami; écris-moi, parle-moi de toi beaucoup, de ta famille, des soins austères de ta grande, belle et triste vie. Je te verrai dans un ou deux mois. Adieu; crois que, pour la vie, je suis à toi.
Ton ami
GEORGE SAND.
CIV
A M. ADOLPHE GUÉROULT. A PARIS
Paris, 3 juin 1833.
Monsieur,
Vous avez été si bon et si obligeant pour moi, que, malgré le long temps qui s'est écoulé sans m'apporter aucune nouvelle et aucune visite de vous, je ne crains pas de réclamer votre bienveillance. Je viens de faire un livre intitulé Lélia, qui a besoin de votre appui. Si vous voulez bien venir me voir, nous en causerons et je vous demanderai de vive voix la continuation de vos bons offices.
Voulez-vous venir dîner avec moi demain? Il faut que je vous dise, sur ce livre assez embrouillé et sur quelques difficultés du succès, plus d'une parole, et je ne suis libre que vers cinq heures. Puis-je compter sur vous?
Tout à vous, monsieur.
CV
A MADAME ***
Paris, juillet 1833
Madame,
Vous m'embarrassez avec vos questions. Je tiens singulièrement à votre estime; pourtant je ne puis me décider à mentir pour la conserver. J'ai beaucoup d'égoïsme et de nonchalance, vous me forcez à vous l'avouer. Je ne sais ce que les influences étrangères font à mon indifférence en matière de saint-simonisme; je crois qu'elles n'y entrent pour rien. Je crois même n'avoir jamais songé à soulever une question pour ou contre la société dans Indiana ou dans Valentine. Pardonnez-le-moi, ou anathématisez-moi. Je suis forcée de le dire: la société est la moindre des choses que je hais et méprise. L'homme livré à son instinct ne me paraît pas moins laid, ridicule et sale que l'homme dressé à marcher sur les pieds de derrière. Que puis-je faire à cela? Et puis, outre cette misanthropie qui va toujours croissant à mesure que je vieillis, je suis excessivement femme pour l'ignorance, l'inconséquence des idées, le défaut absolu de logique. Vous l'avez fort bien dit, je manque de précision et de suite; ce n'est pas de la supériorité croyez-le bien. C'est l'infirmité d'une nature pauvre et boiteuse. Je n'ai rien étudié, je ne sais rien, pas même ma langue. J'ai si peu d'exactitude dans le cerveau, que je n'ai jamais pu faire la plus simple règle d'arithmétique. Voyez si avec cela je puis être utile à quelqu'un et trouver quelque idée salutaire et juste. Vous êtes très au-dessus de moi sous tous les rapports, et notamment pour l'activité, la raison, l'intelligence et le savoir. Je n'ai que des sensations, point de volonté. Pour quoi, pour qui en aurais-je? Au delà de deux ou trois personnes, l'univers n'existe pas pour moi. Vous voyez que je ne suis bonne à rien; mais vous êtes bonne à tout, et, par votre talent et par votre caractère, vous n'avez pas besoin de mon aide. Gardez-moi seulement votre bienveillance, votre pitié pour ma nullité sociale, et votre amitié pour m'en consoler. Ne pouvez-vous aimer que les âmes grandes et fortes? La mienne ne l'est pas; mais j'admire ce qui est autrement que moi. Le fait des natures puissantes est de plaindre et de consoler ce qui est au-dessous. Faites du bien aux femmes en général par votre zèle et votre chaleur de coeur, faites-en à moi en particulier par votre douceur et votre tolérance.
Adieu, madame; reviendrez-vous bientôt? Je suis tout à vous.
G.S.
CVI
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE
Paris, 5 juillet 1833.
Vous avez raison, mon ami, de compter sur mon amitié inaltérable. J'apprends avec joie la bonne nouvelle, et je partage tout votre bonheur de mari, tout votre orgueil de père. Faites mon compliment à l'accouchée et embrassez-la de ma part, ainsi que cette vieille grand'mère de madame Duvernet, bien vexée, n'est-ce pas, de porter un pareil titre?
Enfin vous êtes donc tous bien heureux, mes amis! Je regrette de n'être pas au milieu de vous, comme j'y étais le jour de vos noces, pour voir toutes vos figures épanouies, pour serrer toutes vos mains affectueuses. Quand vous me disiez jadis que vous aviez horreur des moutards, je savais bien que vous trouveriez les vôtres beaux et bons. Les miens, je vous le disais, et je vous le dis encore, me donnent les seules joies réelles de ma vie. Vous ne me dites pas comment s'appelle ce bienvenu. C'est une chose intéressante qu'un nom de baptême, à laquelle j'attache autant d'idées que le père de Tristram Shandy. Il ne se nomme, j'espère ni Artaxercès, ni Épaminondas, ni Polyphème, ni Polyperchon?
Le mien est au collège et se comporte de manière à mériter dans son régiment l'estime de ses CHÈFRES et l'amitié de ses camarades. Ma fille est de la taille du plus jeune éléphant de la ménagerie royale. Elle a horreur des gens de lettres, elle les traite de polissons et de mâtins. En tout, elle annonce les plus brillantes dispositions. Moi, j'ai été longtemps et beaucoup malade. Je vais très bien depuis que j'ai consulté un habile médecin, lequel m'a dit de me distraire et d'éviter les contrariétés; ce qui m'a paru très profond, très neuf, et très aisé à faire surtout.
Je fais toujours des livres et suis assez bien dans mes affaires maintenant. J'irai au pays avec mon fils à l'époque des vacances. Vous me présenterez l'héritier présomptif et je vous embrasserai tous de bien bon coeur. Adieu, mon ami.
Tout à vous.
AURORE.
CVII
A M. FRANÇOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX
21 novembre 1833.
La présente est pour te dire, mon brave ami, que je vais bientôt te voir. Mademoiselle Decerf épouse mon Gaulois, qui est Alphonse Fleury, et j'irai à leur noce.
Je te verrai en passant et en repassant. Tu trouveras peut-être quelque jour dans la quinzaine pour t'échapper et venir faire du Werther avec moi: parler de rasoirs anglais de damnation éternelle et autres facéties, sous la grande voûte étoilée qu'on voit si bien chez nous. Ne crains pas de me voir rire de tes ennuis et de tes chagrins: je ne suis pas dangereuse en ce genre; le lendemain du jour où je t'aurais persiflé, tu aurais ta revanche. Mes jours ne ressemblent guère les uns aux autres, et c'est pour moi que fut inventé le proverbe: «Tel qui rit vendredi, etc.»
Pour le moment, je suis dans les mêmes sentiments qu'à ma dernière lettre. Je serai heureuse de revoir mon pays et mes amis. Ce sont de vieux liens qu'on ne rompt pas. Si mon retour peut adoucir un peu ton spleen, accueille-le donc avec toute ta bonne affection pour moi.
Charles89 m'a écrit une lettre fort revêche. Il a eu tort. Je le lui pardonne de tout mon coeur. Il a pris trop à coeur l'affaire de son piano. Aussi il a été bien négligent de le laisser enfermé dans sa chambre, ne servant à rien et m'exposant aux méfiances et aux tracasseries du facteur, qui déjà menaçait de me faire payer. Cela ne m'aurait pas été facile, vu l'état de mes finances, pas brillant tous les jours.
Comment! tu n'es pas amoureux? Eh bien, mon cher, tu as peut-être parfaitement raison. Toute chose excellente a son mauvais côté; toute chose détestable a son avantage, et nous sommes, tous, fous et bêtes. Tâchons d'être le moins méchants possible, avec ou sans amour; soyons fidèles à l'amitié.
Ton ami
GEORGE.
CVIII
A MADAME MADRICE DUPIN, A PARIS
Paris, jeudi, décembre 1833.
Ma chère maman,
Je vous envoie le lit de Maurice et sa petite boîte de crayons, pour qu'il fasse des bonshommes et se tienne tranquille auprès de vous.
Vous seriez bien bonne et bien gentille de tâcher de le faire coucher chez vous pour Noël. Madame Dudevant, qui s'en est chargée, le rendra bien malheureux, je crains, à force de sermons et de niaiseries. En l'envoyant chercher chez elle dans la journée, vous pourriez le garder, en lui écrivant une petite lettre. Au reste, Boucoiran se concertera à cet égard avec vous et vous épargnera les courses et les ennuis.
Adieu, ma chère maman; je vous remercie mille fois de vos bontés pour moi et mes enfants. Je suis tranquille sur le compte de Maurice, puisque vous vous chargez de lui. Je pars bien portante ce soir. Je vous écrirai sitôt mon arrivée quelque part. Je vous embrasse de toute mon âme.
AURORE.
CIX
A M. MAURICE DUDEVANT, AU COLLÈGE HENRI IV, A PARIS
Marseille, 18 décembre 1833.
Mon cher petit,
Je suis à Marseille, après avoir toujours voyagé, soit en voiture, soit en bateau, depuis le jour où je t'ai quitté. J'ai descendu le Rhône sur le bateau à vapeur et je vais m'embarquer sur la mer pour aller en Italie. Je n'y resterai pas longtemps; ne te chagrine pas. Ma santé me force à passer quelque temps dans un pays chaud. Je retournerai près de toi, le plus tôt possible. Tu sais bien que je n'aime pas à vivre loin de mes petits miochons, bien gentils tous deux, et que j'aime plus que tout au monde. Je voudrais bien vous avoir avec moi et vous mener partout où je vais. Mais ta soeur n'est pas assez grande, et, toi, il faut que tu fasses ton éducation.
Tu le sais, mon cher enfant, c'est indispensable et tu es bien décidé à t'y livrer de tout ton coeur: J'ai été bien heureuse, quand M. Gaillard90 m'a dit que tu étais un brave garçon, que tu faisais ton possible pour contenter tes maîtres, et qu'il avait bonne opinion de toi. C'est ainsi, j'espère, qu'on me parlera toujours de toi. Tu ne m'as jamais causé de chagrin sous ce rapport et tu feras le bonheur de ma vie, si tu le veux.
J'ai été ce matin me promener au bord de la mer. J'ai mangé des coquillages tout vivants et dont les coquilles étaient très jolies. J'ai pensé à toi qui les aimes tant, et je n'ai pas voulu en chercher dans le sable, parce que tu n'étais pas là pour m'aider et que je ne me serais pas amusée. Quand tu seras en âge de quitter le collège et d'interrompre tes études, nous voyagerons ensemble. Tu te souviens que nous avons déjà voyagé tous deux et que nous nous amusions comme deux bons camarades. Nous n'avons peur de rien, ni l'un ni l'autre; nous mangeons comme deux vrais loups, et tu dors sur mes genoux comme une grosse marmotte.
En attendant que nous recommencions, dépêche-toi d'apprendre ce qu'il faut que tout le monde sache. Amuse-toi bien. Quand tu sortiras, sois aimable avec ma mère et avec madame Dudevant. Remercie bien Boucoiran, si bon et si obligeant pour toi, et écris-moi à toutes tes sorties. Raconte-moi ce que tu auras fait, chez qui tu couches, etc. Dis-moi aussi si tu as de bonnes notes et des heures. Pense à moi souvent et travaille, joue, saute, porte-toi bien, décrasse ta frimousse, lave tes pattes, ne sois pas trop gourmand et aime bien ta vieille mère, qui t'embrasse cent mille fois.
CX
A M. JULES BOUCOIRAN, A PARIS
Marseille, 20 décembre 1833
Mon cher enfant,
Je suis arrivée ici sans trop de fatigue et j'en repars après-demain. Je vais à Pise ou à Naples, je ne sais lequel. Écrivez-moi à Livourne, poste restante. Donnez-moi des nouvelles de mon gamin. Soyez bon pour lui, comme vous l'êtes toujours, et protégez-le contre les petits ennuis dont je vous ai parlé.
Avez-vous réussi à dîner le jour de mon départ? Je vous ai fait faire une journée de corvée. Sans vous, je ne serais pas venue à bout de partir. Avez-vous eu la bonté de ranger tout chez moi, de mettre dehors mes chambrières, de fermer portes et fenêtres, etc., etc.? Ayez soin de retirer les clefs de tous les meubles et de les mettre en paquet dans le secrétaire, dont vous prendrez la clef chez vous. Je vous remets aussi la surintendance, des rats et souris, avec autorisation d'en manger à discrétion et de boire tout le vin de ma cave.
A propos de cela, il faudra encore que vous ayez l'obligeance de descendre à la susdite cave et de surveiller la conduite de mes bouteilles de vin, pour empêcher la sympathie de ces demoiselles pour le gosier des laquais et portiers de la maison.
Faites une note de toutes vos petites dépenses pour moi, spectacles et sapins pour Maurice, ports de lettres, etc., etc.
Votre pays est très beau le long du Rhône. Cette navigation est magnifique. Du reste; vos villes de Lyon, Avignon et Marseille sont stupides. Je ne voudrais pas les habiter en peinture, et je remercie le ciel de pouvoir m'en sauver bientôt. Marseille est absolument tel que vous me l'avez dépeint. Il faut faire une lieue pour voir la mer et le port ressemble assez à la mare aux canards à Nohant.
Il y fait déjà un temps charmant et des matinées qui valent nos journées d'avril.
Adieu, mon cher ami. Je vous recommande bien de me donner des nouvelles de mon mioche et de me remplacer auprès de lui. Je ne sais vraiment pas comment s'arrangerait ma vie si je n'avais pas votre bonne amitié et votre éternelle complaisance pour m'aider et me tranquilliser Adieu; je vous embrasse.
Tout à vous,
AURORE D.
CXI
A M HIPPOLYTE CHATIRON, A PARIS
Venise, 16 mars 1834.
Mon ami,
Je te remercie de ta lettre. Ton souvenir, malgré tout, me fait toujours plaisir. J'ai tardé à te répondre, parce que je viens de faire une maladie assez grave. Je suis bien à présent, et, au moment de quitter l'Italie, je commence à m'y acclimater. J'y reviendrai; car, après avoir goûté de ce pays-là, on se croit chassé du paradis quand on retourne en France. Voilà l'effet que cela me fera.
Je n'ai pas été charmée de la Toscane; mais Venise est la plus belle chose qu'il y ait au monde. Toute cette architecture mauresque en marbre blanc au milieu de l'eau limpide et sous un ciel magnifique; ce peuple si gai, si insouciant, si chantant, si spirituel; ces gondoles, ces églises, ces galeries de tableaux; toutes les femmes jolies ou élégantes; la mer qui se brise à vos oreilles; des clairs de lune comme il n'y en a nulle part; des choeurs de gondoliers quelquefois très justes; des sérénades sous toutes les fenêtres; des cafés pleins de Turcs et d'Arméniens; de beaux et vastes théâtres où chantent la Pasta et Donzelli, des palais magnifiques; un théâtre de polichinelle qui enfonce à dix pieds sous terre celui de Gustave Malus; des huîtres délicieuses, qu'on pêche sur les marches de toutes les maisons; du vin de Chypre à vingt-cinq sous la bouteille; des poulets excellents à dix sous; des fleurs en plein hiver, et, au mois de février, la chaleur de notre mois de mai: que veux-tu de mieux?
Je ne me suis pas doutée des autres plaisirs de l'hiver. Je n'aime pas le monde, comme tu sais. Je me suis bornée à deux ou trois personnes excellentes, et j'ai vu le carnaval de ma fenêtre.
Il m'a semblé fort au-dessous de sa réputation. Il aurait fallu le voir dans les bals masqués, aux théâtres; mais je me suis trouvée malade à cette époque-là et je n'ai pu y aller. Je le regrette peu; ce que je cherchais ici, je l'ai trouvé: un beau climat, des objets d'art à profusion, une vie libre et calme, du temps pour travailler et des amis. Pourquoi faut-il que je ne puisse bâtir mon nid sur cette branche? Mes poussins ne sont pas ici et je ne puis m'y plaire qu'en passant. J'attends le mois d'avril pour retraverser les Alpes, et je m'en irai par Genève. Je compte donc être à Paris dans le courant du mois prochain.
Quand j'aurai embrassé Maurice, j'irai passer l'été en Berri. Engage Casimir à garder Solange et à ne pas la mettre en pension avant mon retour; cela m'empêcherait d'aller à Nohant, et contrarierait beaucoup mes projets de repos et d'économie.
Tu ne me parais pas si charmé de la Châtre que moi de Venise: tu me fais une peinture bouffonne de ses habitants. Vraiment la société est une sotte chose. L'amour du travail sauve le tout. Je bénis ma grand-mère, qui m'a forcée d'en prendre l'habitude. Cette habitude est devenue une faculté, et cette faculté un besoin. J'en suis arrivée à travailler, sans être malade, treize heures de suite, mais, en moyenne, sept ou huit heures par jour, bonne ou mauvaise soit la besogne. Le travail me rapporte beaucoup d'argent et me prend beaucoup de temps, que j'emploierais, si je n'avais rien à faire, à avoir le spleen, auquel me porte mon tempérament bilieux. Si, comme toi, je n'avais pas envie d'écrire, je voudrais du moins lire beaucoup. Je regrette même que mes affaires d'argent me forcent de faire toujours sortir quelque chose de mon cerveau sans me donner le temps d'y faire rien entrer. J'aspire à avoir une année tout entière de solitude et de liberté complète, afin de m'entasser dans la tête tous les chefs-d'oeuvre étrangers que je connais peu ou point. Je m'en promets un grand plaisir et j'envie ceux qui peuvent s'en donner à discrétion. Mais, moi, quand j'ai barbouillé du papier à la tâche, je n'ai plus de facultés que pour aller prendre du café et fumer des cigarettes sur la place Saint-Marc, en écorchant l'italien avec mes amis de Venise. C'est encore très agréable, non pas mon italien, mais le tabac, les amis et la place Saint-Marc. Je voudrais t'y transporter d'un coup de baguette et jouir de ton étonnement.
Nous savons si peu ce qu'est l'architecture, et notre pauvre Paris est si laid, si sale, si raté, si mesquin, sous ce rapport! Il n'y a pourtant que lui au monde, pour le luxe et le bien-être matériel. L'industrie y triomphe de tout et supplée à tout; mais, quand on n'est pas riche, on y subit toute sorte de privations. Ici, avec cent écus par mois, je vis mieux qu'à Paris avec trois cents. Pourquoi diable, toi et ta femme, qui êtes indépendants, qui n'avez ni place, ni famille ni amour du monde, ni relations obligatoires en France, ne venez-vous pas vous établir ici? Vous y feriez des économies en y vivant très bien; vous y élèveriez votre fille aussi bien que partout ailleurs. Vous y auriez mille commodités que vous ne pouvez avoir à Paris: un logement cent fois plus joli et plus vaste, une gondole avec un gondolier qui serait en même temps votre domestique; le tout pour soixante francs par mois; ce qui représente à Paris une voiture, une paire de chevaux, un cocher et un valet de chambre, c'est-à-dire douze à quinze mille francs par an. Le bois et le vin à très bas prix; les habits, les marchandises de toute sorte; les denrées de tout pays à moitié prix de Paris. Je paye ici une paire de souliers en maroquin quatre francs. Hier, nous avons été au café, nous étions trois; nous y avons pris chacun trois glaces, une tasse de café et un verre de punch, plus des gâteaux à discrétion pour compléter les jouissances de deux grandes heures de bavardage. Cela nous a coûté, en tout, quatre livres autrichiennes la livre autrichienne vaut un peu moins de dix-huit sous de France.
Si vous voulez y venir, comme j'y retournerai passer l'hiver prochain, je vous y piloterai. Le voyage vous coûtera mille francs, pour vous deux; mais vous y vivrez pour mille écus par an. C'est probablement moins que vous ne dépensez à Paris dans une année, et, par-dessus le marché, vous connaîtriez Venise, la plus belle ville de l'univers. Si je n'avais pas mon fils cloué au collège Henri IV, certainement je prendrais ma fille avec moi et je viendrais me planter ici pour plusieurs années. J'y travaillerais comme j'ai coutume de faire et je retournerais en France, quand j'en aurais assez, avec un certain magot d'argent.
Mais je ne veux pas renoncer à voir mon fils chaque année, et tout ce que je gagne sera toujours mangé en voyages ou à Paris.
Adieu, mon vieux; parle-moi de Maurice et de ta fille. Font-ils de bonnes parties ensemble, les jours de congé?
J'embrasse Émilie, Léontine et toi, de tout mon coeur. Il y a longtemps que je n'ai eu de nouvelles de ma mère; donne-lui des miennes et prie-la de m'écrire.