Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 16

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CXIX
A M. JULES NÉRAUD. A LA CHATRE

Nohant, 10 septembre 1834.

Mon pauvre ami,

Tu avais entrepris de me conseiller de me prouver que la vie est supportable: ton destin et le mien se chargent de la réponse aux questions inquiètes que je t'adressais. Voilà ta vie! voilà le bonheur qu'on obtient à force de privations, de résignation et d'efforts courageux. Tu n'en es que plus, admirable, mon ami, de te soumettre à de tels ennuis.

Parle-moi de vertu, d'héroïsme une autre fois; et non de raison ni d'espoir de guérison. Tu souffres, tu vis, c'est bien. Mais, moi, je n'ai pas tant de vertu. Tous les espoirs m'abandonnent, tous mes sujets de consolation tombent dans l'abîme, ou tremblent battus des vents sur le bord, près d'y tomber à leur tour.

Je ne veux pas t'entretenir de ma tristesse: tu es triste toi-même, et tes chagrins maintenant m'occupent plus que les miens. C'est donc à mon tour de te consoler et de t'encourager. Je ne l'aurais pas cru! Mais pourquoi pas, au reste? J'ai fini pour mon compte, je m'en vais, je n'ai besoin de rien. Toi, tu restes ici-bas.

Un tendre adieu, l'étreinte affectueuse d'une âme, qui ne se détachera jamais de toi, et qui priera pour toi dans une autre vie, peuvent adoucir ton épreuve. Eh bien, mon vieux ami, bénis Dieu qui t'a donné du courage et ne néglige pas ses dons.

Il t'en coûtera peu, et cette séparation ne changera rien à notre sort; car, depuis des années, nous vivons presque toujours éloignés et comme perdus l'un pour l'autre. Voilà deux ans que nous ne nous étions vus, et, si j'avais à vivre, deux ans encore se passeraient peut-être sans que je revinsse au pays. Quant à toi, mon ami, je désire, avant tout, que ton existence soit la moins mauvaise possible. Ne t'attriste plus de mes douleurs; envoie-moi une larme ou un sourire, sur l'aile de quelque oiseau voyageur, qui laissera tomber ce don en passant sur ma tête; soit que je dorme sous le gazon, soit que, enlevant ma fille, j'aille vivre en ermite à l'île Maurice ou à la Louisiane.

Retourne tranquille à ton ajoupa, à ta brouette, à tes livres, à tes enfants surtout. Console-toi des ennuis comme tu sais le faire avec une bouffonne et inoffensive pointe d'ironie contre ta destinée. Accomplis ta tâche.

Où que je sois, je penserai à toi, et te bénirai de cette amitié qui, en toi, a survécu aux mécomptes, aux contrariétés, aux obstacles, à l'absence et à mon apparent oubli.

CXX
A M. FRANÇOIS ROLLINAT, A CHATEAUROUX

Nohant, 20 septembre 1834.

Je voulais t'écrire une longue lettre tout de suite après ton départ; mais je n'ai trouvé aucun argument à te donner en faveur de mes idées. Il ne s'agit là que d'un sentiment, que d'un instinct d'héroïsme qui est exceptionnel tout à fait, et dont je n'oserais parler sérieusement avec plus de trois personnes à ma connaissance.

Je n'ai jamais eu pour toi ni amour moral, ni amour physique; mais, dès le jour où je t'ai connu, j'ai senti une de ces sympathies rares, profondes et invincibles que rien ne peut altérer; car plus on s'approfondit, plus on se connaît identique à l'être qui l'inspire et la partage. Je ne t'ai pas trouvé supérieur à moi par nature; sans cela, j'aurais conçu pour toi cet enthousiasme qui conduit à l'amour. Mais je t'ai senti mon égal, mon semblable, mio compare, comme on dit à Venise.

Tu valais mieux que moi, parce que tu étais plus jeune, parce que tu avais moins vécu dans la tourmente, parce que Dieu t'avait mis d'emblée dans une voie plus belle et mieux tracée. Mais tu étais sorti de sa main avec la même somme de vertus et de défauts, de grandeurs et de misères que moi.

Je connais bien des hommes qui te sont supérieurs; mais jamais je ne les aimerai du fond des entrailles comme je t'aime. Jamais il ne m'arrivera de marcher avec eux toute une nuit sous les étoiles, sans que mon esprit ou mon coeur ait un instant de dissidence ou d'antipathie. Et pourtant ces longues promenades et ces longs entretiens, combien de fois nous les avons prolongés jusqu'au jour, sans qu'il s'éveillât en moi un élan de l'âme qui n'éveillât le même élan dans la tienne, sans qu'il vînt à mes lèvres l'aveu d'une misère pareille.

L'indulgence profonde et l'espèce de complaisance lâche et tendre que l'on a pour soi-même, nous l'avons l'un pour l'autre. L'espèce d'engouement qu'on a pour ses propres idées et la confiance orgueilleuse qu'on a pour sa propre force, nous l'avons l'un pour l'autre. Il ne nous est pas arrivé une seule fois de discuter quoi que ce soit, bon ou mauvais. Ce que dit l'un de nous est adopté par l'autre aussitôt, et cela, non par complaisance, non par dévouement, mais par sympathie nécessaire.

Je n'ai jamais cru à la possibilité d'une telle adoption réciproque avant de te connaître, et, quoique j'aie de grands, de nombreux et de précieux amis, je n'en ai pas trouvé un seul (à moins que ce ne fût un enfant n'ayant encore rien senti et rien pensé par lui-même) dont il ne m'ait fallu conquérir l'affection et dont il ne me faille la conserver encore avec quelque soin, quelque travail et quelque effort sur moi-même.

Il est heureux que l'humanité soit faite ainsi et que toutes ces différences s'y trouvent nuancées à l'infini, afin que les hommes adoucissent leurs aspérités par le frottement mutuel et se fassent des règles de conduite pour ne pas se briser les uns contre les autres.

Mais, quand deux créatures identiques se rencontrent face à face, quand, après un jour de tête-à-tête, elles s'aperçoivent avec surprise et enchantement qu'elles peuvent passer ainsi tous les jours de leur vie sans jamais se voiler ni se contraindre, et sans jamais se faire souffrir, quelles actions de grâces ne doivent-elles pas rendre à Dieu! car il leur a accordé une faveur d'exception; il leur a fait, dans la personne de l'ami, un don inappréciable, que la plupart des hommes cherchent en vain.

CXXI
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE

Paris, 15 octobre 1834.

Mon cher camarade,

Je te trouve injuste et fou de douter de mon amitié. Ce qui répare ta faute, c'est que tu promets de t'en rapporter aveuglément et pour toujours à ma réponse.

Eh bien, oui, mon ami, je t'aime sincèrement et de tout mon coeur. Je m'inquiète fort peu de savoir si ton caractère est bon ou mauvais, aimable ou maussade. J'accepte tous les caractères tels qu'ils sont, parce que je ne crois guère qu'il soit au pouvoir de l'homme de refaire son tempérament, de faire dominer le système nerveux sur le sanguin, ou le bilieux sur le lymphatique. Je crois que notre manière d'être dans l'habitude de la vie tient essentiellement à notre organisation physique, et je ne ferai un crime à personne d'être semblable à moi, ou différent de moi. Ce dont je m'occupe, c'est du fond des pensées et des sentiments sérieux, c'est ce qu'on appelle le coeur; quand il n'y en a pas chez un homme, quoique cela ne soit guère sa faute non plus, je m'éloigne de lui, parce que, après tout, j'en ai un, moi! N'ayant rien à débrouiller avec les caractères, dans ma vie d'indépendance et d'isolement social, je n'ai à traiter que de conscience à conscience et de coeur à coeur. J'ai toujours connu le tien bon et sincère; je l'ai cru peut-être quelquefois moins chaud qu'il ne l'est, et c'est un tort que j'ai eu envers tous mes amis.

Cela est venu à la suite de grands chagrins qui m'avaient réduite moralement à un état maladif. Il faut me le pardonner; car je n'en ai point parlé et j'en ai cruellement souffert. Il n'y avait aucune raison qui ne vînt de moi et non des autres. Ainsi j'aurais été folle de me plaindre.

Il ne faut pas me reprocher d'avoir gardé le silence; mais surtout il ne faut pas croire que cela dure encore.

Je suis guérie, non que je sois heureuse d'ailleurs, mais parce que je suis habituée et résignée à mes maux, et que le sentiment de la douleur n'égare plus mon jugement.

J'ai été vers vous, repentante et attristée de mes doutes intérieurs, et vous m'avez si bien reçue, vous m'avez témoigné une affection si vraie, que j'ai été tout à fait guérie en vous pressant la main. Il y a bien des explications, bien des justifications, bien des attestations, dans une brave poignée de main. On dit qu'une poignée de main d'amitié vaut mieux que mille baisers d'amour. Comment veux-tu que celle que je t'ai donnée en arrivant et en partant ne soit pas sincère?

Nous sommes les deux plus vieux camarades de la société, et je sais qu'en toute occasion, tu m'as défendue contre les injustices d'autrui. Je sais que tu n'as pas douté de moi quand on me calomniait, et que tu m'as pardonné, quand je faisais les folies que le monde traite de fautes. Que me faut-il de plus? Tu as de l'esprit par-dessus le marché, et ta société est agréable et récréante; c'est du luxe, mon enfant. Tu as une femme gentille et excellente, qui m'a traitée tout de suite comme une vieille amie. La meilleure preuve que je puisse avoir de ton affection, c'est la conduite d'Eugénie97 envers moi. Tout cela m'a fait un bien que je n'ai pas su vous exprimer, mais que je croyais vous avoir fait comprendre en revenant de Valençay. Jamais je n'avais eu le coeur si doucement ému, si attendri, si consolé au milieu des sujets de douleur les plus profonds et les plus graves.

Si quelquefois tu as mal compris mon rire et mon visage, c'est apparemment la faute de ce combat intérieur entre mes peines secrètes et le bonheur qui me vient de vous autres. Après tout, vous me restez, et, quand j'aurais tout perdu d'ailleurs, vous seriez encore pour moi un bienfait bien grand, bien réel. Ne craignez plus que je le méconnaisse; j'en ai trop senti le prix durant ces derniers jours. C'est en vous, mes amis, que je chercherai mon refuge, et, si le dégoût de la vie me travaille encore, j'irai encore vous demander de m'y rattacher.

Mais la première condition de mon bonheur serait de vous trouver tous heureux. Vous l'êtes, n'est-ce pas? ne me dis pas le contraire; cela m'effrayerait trop. Tu es de nature pensive et mélancolique, je le sais; mais cela ne rend ni altier ni ingrat. Des joies bien vraies se sont mises dans ta vie, à la place des ennuis et du vide dont tu me parlais autrefois; tu as une femme charmante, un bel enfant. Pendant que vous étiez malades tous deux à Valençay, je vous ai vus vous embrasser. Vous vous aimez, mes chers enfants, vous êtes l'un à l'autre; la société, au lieu de vous en faire un crime, met là votre honneur et votre vertu.

Croyez-moi, votre sort est le plus beau possible. Celui de vous qui imaginerait et désirerait mieux serait bien ingrat. Je conviens qu'il te faut une occupation habituelle, il en faut à tout le monde. Tu es résolu à en chercher une, et je t'approuve tout à fait. C'est une folie de ne se croire bon à rien. Moi, je crois que tout le monde est propre à tout, que tu peux faire des romans et que je peux être receveur particulier. Il ne faut que vouloir. Si tu es bien décidé à quelque chose, et que tu aies besoin de moi, mon coeur, mon bras, ma bourse, sont à toi. Si tu viens faire ton droit, amène ta femme, je serai sa mère et sa soeur.

En attendant, je lui envoie une jolie robe à la mode et des manchettes. Je la prie de faire porter le chapeau chez la petite Gauloise98. Quant à ta musique et à la pipe d'Alphonse, ce sera l'objet d'un second envoi. Je suis pour une huitaine sans le plus léger sou, ce qui m'arrive quelquefois sans manquer de rien d'ailleurs, par suite de l'ordre admirable qui me caractérise. Je ne veux pas faire attendre la robe, je trouverai une occasion pour vous faire passer le reste. Mais dis-moi quelles sont les contredanses qu'Eugénie m'avait demandées: il faut avouer aussi que je ne m'en souviens pas. Les manchettes ne sont pas telles qu'elle les désirait, on n'en porte plus d'autres que celles que je lui envoie.

Quand vous reverrai-je, mes bons amis? le plus tôt que je pourrai certainement. En attendant, aimez-moi, aimez-vous. Vous êtes tous si bons, et si près les uns des autres. Le Gaulois, sa femme, Papet, Duteil, que de bons coeurs, que de braves amis! et vous vivez au milieu de tout cela, et vous ignorez jusqu'au nom des chagrins qui me rongent!

Que Dieu en soit loué! Vous méritez mieux que cela; mais donnez-moi place à votre festin, quand j'irai m'y asseoir.

Adieu; je vous embrasse de toute mon âme.

CXXII
A M. HIPPOLYTE CHATIRON, A CORBEIL, PRÈS PARIS

Nohant, 17 avril 1835.

Je suis ici très calme et très bien, mon cher vieux. Tout le monde se porte bien, boit, rit et braille; il ne manque que toi. Où es-tu? Laisseras-tu donc bouter le vin du cru? Viendras-tu au moins passer les vacances? J'ai besoin de toi, non seulement pour m'amuser tout à fait, mais encore pour m'aider à réinstaller et à arranger la maison comme elle doit être; car je n'entends pas grand'chose aux affaires d'ici. Nous en causerons en attendant à Paris, où je serai dans les premiers jours de mai. Tu viendras bien y faire un tour avant que je m'en aille en Suisse, d'où je reviendrai pour les vacances de mes mioches.

J'ai fait connaissance avec Michel, qui me paraît un gaillard solidement trempé pour faire un tribun du peuple. S'il y a un bouleversement, je pense que cet homme fera beaucoup de bruit. Le connais-tu?

Planet est toujours un charmant jeune homme, bon comme un ange. Fleury a une fille charmante, une femme idem. Madame Charles est encore grosse. Le père Duvernet se meurt; j'en suis très peinée, c'est un vieux débris de notre ancien Nohant qui s'en va rejoindre notre père et notre grand'mère. En outre, c'est un brave homme qui manquera beaucoup au pays. Agasta va tout doucement. Félicie reste près d'elle. Madame *** va rejoindre ses parents pour les aider à transporter leur nouvelle résidence. Par la même occasion, elle plantera une corne ou deux à son imbécile de mari, si elle en trouve l'occasion. Que n'es-tu là, consolateur de la beauté délaissée! M. de… s'en serait chargé, si elle eût été tant soit peu bien née; mais c'était trop d'honneur pour une roturière, et il attend que la duchesse de Berri vienne à B… pour déranger sa cravate et sa vertu.

Ton fils Duplomb va, dit-on, revenir; il envoie en présent des perruches aux dames de la Châtre: c'est un cadeau ironique et facétieux comme lui; Fleury a manqué étouffer M. Vilcocq99 en l'embrassant, Bengali100 rossignolise toujours en faisant des oeillades à tout le sexe en particulier et en général. Son frère est toujours mon vieux de prédilection. Voilà l'état des affaires; si celles des cabinets d'Europe allaient aussi bien, on n'aurait plus besoin de diplomates.

Quand tu seras là, nous serons au grand complet; il faudra t'occuper de marier Hydrogène101 et tâcher de le fixer au pays.

Adieu, mon vieux; je t'embrasse mille fois, ainsi que ta femme et

Léontine. Il faut l'amener absolument aux vacances.

CXXIII
A M. ADOLPHE GUÉROULT, A PARIS

Paris, 6 mai 1835.

Mon cher enfant,

Votre lettre est belle et bonne comme votre âme; mais je vous renvoie cette page-ci, qui est absurde et tout à fait inconvenante. Personne ne doit m'écrire ainsi. Critiquer mon costume avec d'autres idées et dans d'autres termes, si vous avez envie de disserter sur un accessoire aussi puéril. Il vaut mieux ne pas vous en occuper. Relisez les lignes que j'ai soulignées. Elles sont souverainement impertinentes. Je pense que vous étiez gris en les écrivant. Je ne m'en fâche nullement et ne vous en aime pas moins. Je vous avertis de ne pas faire deux fois une chose ridicule; cela ne vous va point. Je vous ai toujours vu un tact exquis et une délicatesse de coeur que j'ai su apprécier.

Pour tout le reste, vous avez raison entière, et je ne suis nullement disposée à soutenir une controverse à propos des saint-simoniens. J'aime ces hommes et j'admire leur premier jet dans le monde. Je crains qu'ils ne s'amendent trop à notre grossière et cupide raison, non par corruption, mais par lassitude, ou peut-être par une erreur de direction dans un zèle soutenu.

Vous savez que je juge de tout par sympathie. Je sympathise peu avec notre civilisation, triomphante en Orient. J'en aimerais mieux une autre, qui n'eût pas Louis-Philippe pour patron et Janin pour coryphée.

C'est peut-être une mauvaise querelle. Aussi n'y devez-vous pas faire attention, et, surtout, ne jamais vous effrayer des moments de spleen ou d'irritation bilieuse où vous pouvez me trouver.

Vous vous trompez, si vous me croyez plus agacée maintenant qu'autrefois. Au contraire, je le suis moins. J'ai sous les yeux de grands hommes et de grandes pensées. J'aurais mauvaise grâce à nier la vertu et le travail.

Mes idées sur le reste sont le résultat de mon caractère. Mon sexe, avec lequel je m'arrange fort bien sous plus d'un rapport, me dispense de faire grand effort pour m'amender. Je serais le plus beau génie du monde que je ne remuerais pas une paille dans l'univers, et, sauf quelques bouffées d'ardeur virile et guerrière, je retombe facilement dans une existence toute poétique, toute en dehors des doctrines et des systèmes.

Si j'étais garçon, je ferais volontiers le coup d'épée par-ci par-là, et des lettres le reste du temps. N'étant pas garçon, je me passerai de l'épée et garderai la plume, dont je me servirai. L'habit que je mettrai pour m'asseoir à mon bureau importe fort peu à l'affaire, et mes amis me respecteront, j'espère, tout aussi bien sous ma veste que sous ma robe.

Je ne sors pas, ainsi vêtue, sans une canne; ainsi soyez en paix. Il n'y aura pas de grande révolution dans ma vie pour cette fantaisie de porter une redingote de bousingot quelques jours, en passant, dans des circonstances données.

Soyez rassuré, je n'ambitionne pas la dignité de l'homme. Elle me paraît trop risible pour être préférée de beaucoup à la servilité de la femme. Mais je prétends posséder, aujourd'hui et à jamais, la superbe et entière indépendance dont vous seuls croyez avoir le droit de jouir. Je ne la conseillerai pas à tout le monde; mais je ne souffrirai pas qu'un amour quelconque y apporte, pour mon compte, la moindre entrave. J'espère faire mes conditions, si rudes et si claires, que nul homme ne sera assez hardi ou assez vil pour les accepter.

Ces considérations-là, vous le sentez, sont choses toutes personnelles, qui peuvent vous laisser du doute ou du blâme sans que je m'en offense; mais souffrent-elles une discussion sérieuse? Non, vraiment. Il n'y a pas plus à raisonner là-dessus que sur la faim qui s'apaise ou recommence. Nous verrons bien! Il est inutile de parler du lendemain quand on est satisfait du plan de sa journée. Si on ne croyait pas à la durée d'un projet, il n'existerait pas une minute dans le cerveau. Mais, si on pouvait assurer cette durée, on serait Dieu.

Prenez-moi donc pour un homme ou pour une femme, comme vous voudrez. Duteil dit que je ne suis ni l'un ni l'autre, mais que je suis un être. Cela implique tout le bien et tout le mal, ad libitum.

Quoi qu'il en soit, prenez-moi pour une amie, frère et soeur tout à la fois: frère pour vous rendre des services qu'un homme pourrait vous rendre; soeur pour écouter et comprendre les délicatesses de votre coeur.

Mais dites à vos amis et connaissances qu'il est absolument inutile d'avoir envie de m'embrasser pour mes yeux noirs, parce que je n'embrasse pas plus volontiers sous un costume que sous un autre!

Adieu; ne parlons plus de cela, ce serait ennuyeux et déplacé. Parlons de l'avenir du monde et des beautés du saint-simonisme tant que vous voudrez. Je serais bien fâchée de changer votre caractère, et je vous avertis qu'il serait bien mal aisé de changer le mien.

Tout à vous de coeur.

GEORGE.

CXXIV
A M. ALEXIS DUTEIL, A LA CHATRE

Paris, 25 mai 1835.

Mon vieux,

Je vois que, après tout, Casimir est fort triste, qu'il regrette beaucoup son petit royaume et que l'idée de voir apporter par moi le moindre changement à son ordre de choses lui est amère et mortifiante, bien qu'il n'en dise rien.

Je vois aussi que cette séparation d'argent et de domicile ne s'effectuera pas sans humeur et sans chagrin de sa part, et qu'il croit faire là une action vraiment romaine. Je ne suis pas disposée à prendre au sérieux une pareille affaire. Ma profession est la liberté, et mon goût est de ne recevoir grâce ni faveur de personne, même lorsqu'on me fait la charité avec mon argent. Je ne serais pas fort aise que mon mari (qui subit, à ce qu'il paraît, des influences contre moi) prit fantaisie de se faire passer pour une victime, surtout aux yeux de mes enfants, dont l'estime m'importe beaucoup. Je veux pouvoir me faire rendre ce témoignage, que je n'ai jamais rien fait de bon ou de mauvais, qu'il n'ait autorisé ou souffert. Ne réponds pas à cela par des considérations de sentiment de sa part. Je ne juge jamais des sentiments que par les actions, et tout ce que je désire, c'est qu'il reste avec moi dans des relations de bonne amitié qui soient d'un bon exemple à mes enfants. Je ne veux établir mon bien-être aux dépens de l'amour-propre ou des plaisirs de personne. Voilà mon caractère, comme dit Odry.

Je te renvoie donc les conventions qu'il a signées et, qui plus est, je te les renvoie déchirées, afin qu'il n'ait plus que la peine de les jeter au feu, s'il a le moindre regret de cet arrangement proposé et rédigé par lui. Adieu, mon vieux; j'irai vous voir aux vacances. Je demeurerai chez M. Dudevant, s'il veut me donner l'hospitalité. Sinon, je louerai une chambre chez Brazier102; car rien au monde ne me fera renoncer à vous autres. Mais, pour une séparation stipulée, annoncée à son de trompe et arrosée des larmes de ses amis, cela m'embête, je n'en veux pas et ne reviendrais jamais de Constantinople, plutôt que de voir maigrir le maire de Nohant-Vic.

Vive la joie, mon vieux! je suis et serai toujours ton meilleur ami.

GEORGE.

97.Madame Charles Duvernet
98.Madame Alphonse Fleury
99.Marchand de vins.
100.Charles Rollinat
101.Adolphe Duplomb, pharmacien.
102.Brazier, aubergiste à la Châtre.
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26 temmuz 2019
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