Kitabı oku: «Correspondance, 1812-1876. Tome 1», sayfa 17
CXXV
A MADAME LA COMTESSE D'AGOULT103, A GENÈVE
Paris, mai 1835.
Ma belle comtesse aux beaux cheveux blonds,
Je ne vous connais pas personnellement, mais j'ai entendu Franz104 parler de vous et je vous ai vue. Je crois que, d'après cela, je puis sans folie vous dire que je vous aime, que vous me semblez la seule chose belle, estimable et vraiment noble que j'aie vue briller dans la sphère patricienne. Il faut que vous soyez en effet bien puissante pour que j'aie oublié que vous êtes comtesse.
Mais, à présent, vous êtes pour moi le véritable type de la princesse fantastique, artiste, aimante et noble de manières, de langage et d'ajustements, comme les filles des rois aux temps poétiques. Je vous vois comme cela, et je veux vous aimer comme vous êtes et pour ce que vous êtes.
Noble, soit, puisqu'en étant noble selon les mots, vous avez réussi à l'être suivant les idées, et puisque comtesse vous m'êtes apparue aimable et belle, douce comme la Valentine que j'ai rêvée autrefois, et plus intelligente; car vous l'êtes diablement trop, et c'est le seul reproche que je trouve à vous faire. C'est celui que j'adresse à Franz, à tous ceux que j'aime. C'est un grand mal que le nombre et l'activité des idées. Il n'en faudrait guère dans toute une vie: on aurait trouvé le secret du bonheur.
Je me nourris de l'espérance d'aller vous voir, comme d'un des plus riants projets que j'aie caressés dans ma vie. Je me figure que nous nous aimerons réellement, vous et moi, quand nous nous serons vues davantage. Vous valez mille fois mieux que moi; mais vous verrez que j'ai le sentiment de tout ce qui est beau, de tout ce que vous possédez. Ce n'est pas ma faute. J'étais un bon blé, la terre m'a manqué, les cailloux m'ont reçue et les vents m'ont dispersée. Peu importe! le bonheur des autres ne me donne nulle aigreur. Tant s'en faut. Il remplace le mien. Il me réconcilie avec la Providence et me prouve qu'elle ne maltraite ses enfants que par distraction. Je comprends encore les langues que je ne parle plus, et, si je gardais souvent le silence près de vous, aucune de vos paroles ne tomberait cependant dans une oreille indifférente ou dans un coeur stérile.
Vous avez envie d'écrire? pardieu, écrivez! Quand vous voudrez enterrer la gloire de Miltiade, ce ne sera pas difficile. Vous êtes jeune, vous êtes dans toute la force de votre intelligence, dans toute la pureté de votre jugement. Écrivez vite, avant d'avoir pensé beaucoup; quand vous aurez réfléchi à tout, vous n'aurez plus de goût à rien en particulier et vous écrirez par habitude. Écrivez, pendant que vous avez du génie, pendant que c'est le dieu qui vous dicte, et non la mémoire. Je vous prédis un grand succès. Dieu vous épargne les ronces qui gardent les fleurs sacrées du couronnement! Et pourquoi les ronces s'attacheraient-elles à vous? Vous êtes de diamant, vous à qui les passions haineuses et vindicatives ne sont pas plus entrées dans le coeur qu'à moi, et qui, en outre, n'avez pas marché dans le désert. Vous êtes toute fraîche et toute brillante.
Montrez-vous.—S'il faut des articles de journaux pour faire lire votre premier livre, j'en remplirai les journaux. Mais, quand on l'aura lu, vous n'aurez plus besoin de personne.
Adieu; parlez de moi au coin du feu. Je pense à vous tous les jours, et je me réjouis de vous savoir aimée et comprise comme vous méritez de l'être. Écrivez-moi quand vous en aurez le temps. Ce sera un rayon de votre bonheur dans ma solitude. Si je suis triste, il me ranimera; si je suis heureuse, il me rendra plus heureuse encore; si je suis calme, comme c'est l'état, où l'on me trouve le plus habituellement désormais, il me rendra plus religieux l'aspect de la vie.
Oui, tout ce que Dieu a donné à l'homme lui est bon, suivant le temps, quand il sait l'accepter. Son âme se transforme sous la main d'un grand artiste qui sait en tirer tout le parti possible, si l'argile ne résiste pas à la main du potier.
Adieu, chère Marie. Ave, Maria, gratia plena!
GEORGE.
CXXVI
A MADAME CLAIRE BRUNNE105. A PARIS
Paris, mai 1835.
Madame,
Recevez l'expression de toute ma gratitude pour la bienveillance dont vous m'honorez. Soyez sûre que les amis inconnus que j'ai dans le monde, et dont vous daignez faire partie, ont, devant Dieu, une communion intime avec moi.
Mais, à vous qui me paraissez une femme supérieure, je puis dire ce que je n'oserais dire à toutes les autres: Ne cherchez point à me voir! les louanges me troublent et m'affectent péniblement. Je sens que je ne les mérite point. Je vous semblerais froide, et je vous déplairais, sans doute, comme j'ai déplu à beaucoup de personnes qui m'intimidaient, malgré mes efforts pour leur exprimer ma reconnaissance C'est pour moi un châtiment de ma vaine et ennuyeuse célébrité, que ce regard curieux, sévère ou exigeant, que le monde m'accorde. Laissez-moi le fuir.
Si je vous rencontrais dans un champ, dans une auberge, si je vous voyais dans votre maison à la campagne, ou dans la mienne, je pourrais espérer de réparer le mauvais effet de la première entrevue, et je ne me méfierais pas de moi-même. Mais, ici, nous ne nous trouverions jamais seules ensemble; ma mansarde n'a qu'une pièce, et trente personnes s'y succèdent chaque jour, soit à titre d'amis, soit pour raison d'affaires, soit par oisiveté de curieux. Je cède souvent à ceux-là, par crainte d'être jugée orgueilleuse. Comprenez-moi mieux et aimez-moi mieux qu'eux tous. Vous n'avez pas besoin de moi; sans cela, j'irais au-devant de vous.
Ne me croyez pas ingrate. Je baise la main qui a tracé mon éloge avec tant de grâce.
GEORGE SAND.
CXXVII
A M***
Paris, juin 1835.
L'amour, tel que notre nature le conçoit et le ressent en 1835, n'est pas tout ce qu'il y a de plus pur et de plus beau au monde. Il a été pire et meilleur, selon les temps.
Aujourd'hui, c'est un mélange d'enthousiasme et d'égoïsme qui lui donne, chez les femmes, un caractère tout particulier. Privées des salutaires préjugés de la dévotion, abandonnées à la fermentation de l'intelligence qui pénètre à tort et à travers dans leur éducation, elles n'en sont pas moins rigoureusement flétrie par l'opinion. L'opinion, c'est, d'un côté, l'intolérance des femmes laides, froides ou lâches; de l'autre, c'est la censure railleuse et insultante des hommes, qui ne veulent plus de femmes dévotes, qui ne veulent pas encore de femmes éclairées, et qui veulent toujours des femmes fidèles. Or il n'est pas facile que la femme soit philosophe et chaste à la fois. Cela ne se voit guère; à moins qu'il n'y ait pas de tempérament, et encore, il ne faut pas s'y fier. La vanité fait faire plus de folies et de sottises.
Les femmes de notre temps ne sont donc ni éclairées, ni dévotes, ni chastes. La révolution morale qui devait les transformer au gré de la nouvelle génération masculine a été prise de travers. On n'a pas voulu relever la femme à ses propres yeux, on n'a pas voulu lui créer un rôle noble et la mettre sur un pied d'égalité qui la rendît apte aux vertus viriles. La chasteté eût été glorieuse à des femmes libres. A des femmes esclaves, c'est une tyrannie qui les blesse et dont elles secouent le joug hardiment. Je ne puis les en blâmer.
Mais je ne les estime pas. Elles ont perdu leur cause en se jetant dans le désordre au nom de l'amour et de l'enthousiasme, et leur conduite à toutes, quelle qu'elle soit, est toujours remplie de folie et d'imprudence, jointe à ce qu'il y a de plus opposé, la faiblesse et la peur. De tous leurs écarts, nous ne voyons jamais, jusqu'ici, résulter quelque chose de bon, de durable et de noble. Jamais elles ne savent se créer, après leur faute, une existence honorable et fière. Nous voyons l'une rompre avec le monde ostensiblement, et, bientôt après, faire mille plates tentatives pour y rentrer; l'autre demande l'aumône après avoir ruiné son amant, et, accoutumée à porter des robes de satin, se trouve très malheureuse d'être en guenilles. Une troisième, pour échapper à de tels revers, se déprave et devient pire qu'une catin publique. Une autre enfin, et c'est probablement la meilleure de toutes, voyant le malheur où elle a entraîné celui qu'elle aime, et n'y sachant pas de remède, se donne la mort; ce qui ne produit autre chose que de rendre le survivant un objet d'horreur, s'il ne se hâte d'en faire autant.
Voilà ce que, jusqu'ici, j'ai vu dans les aventures romanesques de notre époque. D'union de ce genre, qui fût calme, estimable et enviable, je n'en ai pas vu, et je doute qu'il en existe une en France. Notre société est encore toute hostile à ceux qui la bravent, et la race féminine, qui sent le besoin de liberté, et qui n'en est pas encore digne, n'a ni la force ni le pouvoir de lutter contre une société entière qui la condamne à l'abandon, à la misère, pour ne rien dire de plus.
Voilà le tableau social qu'il faut mettre sous les yeux de ta jeune amie. Il faut lui montrer, sans flatterie, la condition de la femme en ce temps de transition, qui prépare des destinées meilleures à celles qui nous succéderont. Quant à elle, encore pure comme une fleur, il faut lui montrer qu'il y a un beau rôle à jouer; mais pas dans le système des coups de tête. Ce rôle, je te l'expliquerai tout à l'heure.
Un homme libre, riche jusqu'à un certain point, pourrait enlever sa maîtresse et devenir son protecteur. Encore, pour trouver là une existence supportable, faudrait-il que cette maîtresse eût beaucoup de force d'âme et que son protecteur fût parfait. Il faudrait qu'il constituât à lui tout seul une existence tout entière.
Tu es bien un des meilleurs hommes que je connaisse, et ta jeune amante est peut-être douée d'une très grande force pour supporter les peines de la vie; quoique, jusqu'ici, elle n'en ait pas donné de preuves. Mais tu es pauvre, tu es esclave d'un devoir sacré et sans l'accomplissement duquel tu ne serais qu'une âme médiocre et sèche. La femme qui t'y ferait manquer, et qui t'aimerait encore après, serait une femme échauffée de désirs seulement. Après quoi, tu pourrais ne jamais entendre parler d'elle; jamais un amour honnête et véritable ne se nourrira de honteux sacrifices.
Que pouvez-vous donc l'un pour l'autre? Rien, quant aux faits. Il ne t'est pas permis (sans compter l'amitié du mari, qui te crée des devoirs en plus) de changer la position sociale de quelque femme que ce soit. Il ne t'est pas même permis de te marier, à moins que tu ne trouves une dot.
Ne pouvant vous appartenir librement, je pense qu'il doit répugner à l'un et à l'autre d'entrer dans ce commerce lâche et malpropre qui ménage au mari les hasards de la paternité. Je ne te crois pas capable d'aimer huit jours une femme qui, pour échapper à un malheur inévitable, irait prêter aux caresses maritales un flanc fécondé par toi.
Soyez donc sages, faites-y vos efforts et que de longs tête-à-tête, que des heures d'enthousiasme prolongé ne dégénèrent pas, sous le voile de l'extase, en des besoins physiques auxquels il n'est plus possible de résister quand on leur a indiscrètement donné le change.
Épurez vos coeurs, soyez des martyrs et des saints ou fuyez-vous au plus vite; car une faiblesse vous jettera dans une série d'infortunes ou de déboires où l'amour s'éteindra. Je le garantis pour toi, dont l'âme ne pourrait recevoir une souillure sans en détester aussitôt la cause.
Cette vertu rigide ne sera, je le suppose, vraiment difficile qu'à toi, homme. Je serais bien étonnée qu'une femme toute jeune et toute pure n'en comprît pas la poésie et le charme, et qu'au bout de très peu de temps, elle n'y trouvât pas toutes les garanties de son bonheur et de sa sécurité.
Quant au rôle noble, et au digne exemple qu'elle présentera en agissant ainsi, il est facile de le concevoir sous l'aspect général. Les femmes placées dans cette lutte terrible de la passion et du devoir, plaideront puissamment leur cause en montrant de quelle force d'âme elles sont capables. Leurs époux, forcés à les estimer, ne les opprimeront jamais. S'ils le font si décidément et réellement on voit un sexe irréprochable, généreux, prudent et stoïque insulté et méconnu par un sexe despote et brutal, il y aura bientôt des lois d'affranchissement; car, dans chaque sexe, il y a pour la cause de la vérité un sentiment de justice et un besoin d'équité qui s'éveillent, et qui prévaudront quand il en sera temps.
Toutes ces conventions arrêtées et observées, je ne doute pas que votre amour ne soit heureux, durable et digne d'admiration. Ton caractère est la constance, l'égalité et la tendresse mêmes. Une femme digne de toi te fixera, et il est impossible qu'une femme qui t'a compris ne soit pas ton égale en courage et en délicatesse.
La société est mauvaise et cruelle. Nos passions ne sont ni bonnes ni mauvaises. Il faut de rien faire quelque chose. Ce n'est pas grand'merveille que d'aimer. La moindre grisette écrit de belles lettres d'amour et se sacrifie avec autant de dévouement qu'une muse. Il faut un travail rude et une haute volonté pour faire de la passion une vertu. Si nous voulons relever la société, relevons aussi nos passions. Mais, en nous y abandonnant, nous ne ferons qu'une chose fort ordinaire et digne de fournir un sujet de vaudeville ou de nouvelle à MM. Scribe, Balzac, George Sand et consorts. Ce ne sont pas ces gens-là qu'il faut prendre pour arbitres en fait de sagesse et de raison. Ils font des contes pour amuser. Ils raconteraient la vie telle qu'elle est, s'ils avaient un cours de morale sérieuse à faire.
CXXVIII
A MAURICE DUDEVANT, AU COLLÈGE HENRI IV
Paris, 18 juin 1835.
Travaille, sois fort, sois fier, sois indépendant, méprise les petites vexations attribuées à ton âge. Réserve ta force de résistance pour des actes et contre des faits qui en vaudront la peine. Ces temps viendront. Si je n'y suis plus, pense à moi qui ai souffert, et travaillé gaiement. Nous nous ressemblons d'âme et de visage. Je sais dès aujourd'hui quelle sera ta vie intellectuelle. Je crains pour toi bien des douleurs profondes, j'espère pour toi des joies bien pures. Garde en toi le trésor de la bonté. Sache donner sans hésitation, perdre sans regret, acquérir sans lâcheté. Sache mettre dans ton coeur le bonheur de ceux que tu aimes à la place de celui qui te manquera! Garde l'espérance d'une autre vie, c'est là que les mères retrouvent leurs fils. Aime toutes les créatures de Dieu; pardonne à celles qui sont disgraciées; résiste à celles qui sont iniques; dévoue-toi à celles qui sont grandes par la vertu.
Aime-moi! je t'apprendrai bien des choses si nous vivons ensemble. Si nous ne sommes pas appelés à ce bonheur (le plus grand qui puisse m'arriver, le seul qui me fasse désirer une longue vie), tu prieras Dieu pour moi, et, du sein de la mort, s'il reste dans l'univers quelque chose de moi, l'ombre de ta mère veillera sur toi.
Ton amie,
GEORGE.
CXXIX
A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS
Nohant, 25 octobre
Ma chère maman,
Je vous dois, à vous la première, l'exposé de faits que vous ne devez point appendre par la voie publique. J'ai formé une demande en séparation contre mon mari. Les raisons en sont si majeures, que, par égard pour lui, je ne vous les détaillerai pas. J'irai à Paris dans quelque temps et je vous prendrai vous-même pour juge de ma conduite. Dans mon intérêt, dans le sien propre, et dans celui de mes enfants, je crois que j'ai bien fait. Dudevant sent que sa cause est mauvaise; car il n'essaye pas de la défendre, il retourne à Paris dans quelques jours, pendant que les tribunaux prononceront le jugement.
Si vous le voyez, ne paraissez point informée de ce qui se passe; car son amour-propre, qui souffre déjà beaucoup, pourrait être irrité s'il pensait que je me livre contre lui à des récriminations. Il me susciterait peut-être alors quelque chicane qui produirait du scandale et n'améliorerait pas sa position. D'ailleurs, vous ne désirez pas que je perde un procès à la suite duquel je me trouverais à sa disposition. J'ai mille chances pour le gagner; mais une seule peut m'être contraire, et c'est assez pour succomber.
Soyez donc prudente; car il ira sans doute près de vous dans l'intention de se justifier ou de vous sonder. Ayez l'air, chère maman, de ne rien savoir. Quant à moi, sans avoir l'intention de l'accuser inutilement, je croirais manquer à mon devoir, si je ne vous informais pas de ma situation dans une circonstance si grave.
Voici quels seront les résultats du jugement que j'espère obtenir et dont il a posé ou accepté toutes les clauses. Je lui ferai une pension de trois mille huit cents francs qui, jointe à douze cents francs de rente (seul reste de cent mille francs qu'il possédait), lui constituera cinq mille francs par an. En outre, je payerai et je dirigerai l'éducation de mes deux enfants. Vous voyez que sa position est très honorable.
Ma fille sera exclusivement sous ma gouverne; mon fils restera au collège et passera un mois de vacances avec son père, l'autre mois avec moi. Tous deux ignoreront la séparation prononcée; ce sont des choses faciles à leur cacher, inutiles et fâcheuses même à leur dire, et, si mon mari respecte les convenances et les devoirs, ni l'un ni l'autre des enfants n'apprendront à aimer l'un de nous aux dépens de l'autre.
Moyennant ces arrangements, Dudevant laissera agir les lois sans batailler, et, si la loi me donne gain de cause, comme cela n'est pas douteux, je rentrerai dans ma liberté et dans ma dignité. Mes biens seront certes mieux gérés qu'ils ne l'étaient par lui, et ma vie ne sera plus exposée à des violences qui n'avaient plus de frein.
Rien ne m'empêchera de faire ce que je dois et ce que je veux faire. Je suis la fille de mon père, et je me moque des préjugés, quand mon coeur me commande la justice et le courage. Si mon père eût écouté les sots et les fous de ce monde, je ne serais pas l'héritière de son nom: c'est un grand exemple d'indépendance et d'amour paternel qu'il m'a laissé, je le suivrai, dût l'univers s'en scandaliser. Je me soucie peu de l'univers, je me soucie de Maurice et de Solange.
Quand vous voudrez venir à Nohant, vous y serez à l'avenir chez moi, et, si l'ennui de vivre seule vous prend, vous pourrez vous y retirer et en faire votre chez vous.
Je compte aussi m'y établir avec ma fille, m'occuper de son éducation et ne plus aller à Paris que de temps à autre, pour vous voir, ainsi que mon fils.
Veuillez ne parler à personne du contenu de cette lettre, à moins que ce ne soit à Pierret, qui comprendra ce que la prudence dicte en pareil cas. Je n'en écrirai pas encore à ma tante: sa maison est trop nombreuse pour qu'il n'en transpire pas quelque chose par étourderie, et Dudevant pourrait croire que je veux indisposer toute ma famille contre lui.
Adieu, ma mère; je vous embrasse de toute mon âme. Donnez-moi de vos nouvelles, poste restante à la Châtre.
CXXX
A MADAME D'AGOULT. A GENÈVE
Nohant, 1er novembre 1835.
M. Franz et M. Puzzi106 sont des jeunes gens affreux: ils ne m'ont pas répondu, et je les livre à votre colère. Vous, vous êtes bonne comme un ange et je vous remercie; mais ne soyez pas bonne pour eux et vengez-moi de leur oubli, en ne donnant pas un sourire à l'un, pas un bonbon à l'autre pendant tout un jour.
Genève est donc habitable en hiver, que vous y restez? Comme votre vie est belle et enviable! Aussi pourquoi le ciel ne m'a-t-il pas fait naître avec de beaux cheveux blonds, de grands yeux bleus bien calmes, une expression toute céleste et l'âme à l'avenant.
Au lieu de cela, la bile me ronge et me confine dans une cellule où je n'ai d'autre société qu'une tête de mort107 et une pipe turque. Je tiens là comme un Lapon à la croûte de glace qu'il appelle sa patrie, et je ne saurais me figurer, pour le moment, un autre Éden. Vous, êtes sous les myrtes et sous les orangers, vous, belle et bonne Marie. Eh bien, priez-y pour moi, afin que je ne quitte pas mes glaces; car c'est là mon élément et le soleil ne luit pas sur moi.
Je ne vous jalouse pas; mais je vous admire et vous estime; car je sais que l'amour durable est un diamant auquel il faut une boîte d'or pur, et votre âme est ce tabernacle précieux.
Tout ce que vous dites sur la non-supériorité des diverses classes sociales les unes sur les autres est bien dit, bien pensé. C'est vrai et j'y crois, parce que c'est vous qui le dites. Pourtant, je ne permettrai à nul autre de me dire, que les derniers ne sont pas les premiers, et que l'opprimé ne vaut pas mieux que l'oppresseur, le dépouillé mieux que le spoliateur l'esclave que le tyran. C'est une vieille haine que j'ai contre tout ce qui va s'élevant sur des degrés d'argile. Mais ce n'est pas avec vous que je puis disputer là-dessus. Votre rang est élevé, je le salue, je le reconnais. Il consiste à être bonne, intelligente et belle. Abandonnez-moi votre couronne de comtesse et laissez-moi la briser, je vous en donne une d'étoiles qui vous va mieux.
Pardonnez-moi si je suis métaphorique aujourd'hui et ne vous moquez pas de moi, je vous en prie, pour l'amour, de Dieu. Vous, savez que je n'ai pas d'emphase ordinairement, et, si je me mets à prendre le ton pédant, c'est que j'ai ma pauvre tête malade de ce brouillard qu'on appelle poésie. D'ailleurs, les manières raisonnables sont bonnes avec cette fourmilière ennemie qu'on appelle les indifférente. Avec ceux qu'on aime, on peut être ridicule à son aise. Et je veux ne pas plus me gêner pour vous dire des choses de mauvais goût que pour vous envoyer une lettre toute barbouillée.
Imaginez-vous, ma chère amie, que mon plus grand supplice, c'est la timidité. Vous ne vous en douteriez guère, n'est-ce pas? Tout le monde me croit l'esprit et le caractère fort audacieux. On se trompe. J'ai l'esprit indifférent et le caractère quinteux. Je ne crains pas, je me méfie, et ma vie est un malaise affreux quand je ne suis pas seule, ou avec des gens avec lesquels je me gêne aussi peu qu'avec mes chiens. Il ne faut pas espérer que vous me guérirez de sitôt de certains moments de raideur qui ne s'expriment que par des réticences. Si nous nous lions davantage, comme j'y compte, comme je le veux, il faudra que vous preniez de l'empire sur moi; autrement, je serai toujours désagréable. Si vous me traitez comme un enfant, je deviendrai bonne, parce que je serai à l'aise, parce que je ne craindrai pas de tirer à conséquence, parce que je pourrai dire tout ce qu'il y a de plus bête, de plus fou, de plus déplacé, sans avoir honte. Je saurai que vous m'avez acceptée. Si j'ai de mauvais moments, j'en aurai aussi de bons. Autrement, je ne serai ni bien ni mal. Je vous ennuierai et je m'ennuierai avec vous, quelque parfaite que vous soyez.
Voyez-vous, l'espèce humaine est mon ennemie, laissez-moi vous le dire; j'aime mes amis avec tendresse, avec engouement, avec aveuglement. J'ai détesté profondément tout le reste. Je n'ai plus de furie pour la haine aujourd'hui; mais il y a un froid de mort pour tout ce que je ne connais pas. J'ai bien peur que ce ne soit là ce qu'on appelle l'égoïsme de la vieillesse. Je me ferais maintenant hacher pour des idées qui ne se réalliseront sans doute pas de mon vivant. Je rendrais service au dernier des goujats, par obstination pour les espérances de toute ma vie, qui n'est peut-être plus qu'un long rêve. Pour mon plaisir, je ne retirerais pas de l'eau l'enfant de mon voisin. J'ai donc quelque chose en moi qui serait odieux, si ce n'était pure infirmité, reste d'une maladie aiguë.
Il faut vous arranger bien vite pour que je vous aime. Ce sera bien facile. D'abord, j'aime Franz. Il m'a dit de vous aimer. Il m'a répondu de vous comme de lui.
La première fois que je vous ai vue, je vous ai trouvée jolie; mais vous étiez froide. La seconde fois, je vous ai dit que je détestais la noblesse. Je ne savais pas que vous en étiez. Au lieu de me donner un soufflet, comme je le méritais, vous m'avez parlé de votre âme, comme si vous me connaissiez depuis dix ans. C'était bien, et j'ai eu tout de suite envie de vous aimer; mais je ne vous aime pas encore. Ce n'est pas parce que je ne vous connais pas assez. Je vous connais autant que je vous connaîtrai dans vingt ans. C'est vous qui ne me connaissez pas assez. Ne sachant si vous pourrez m'aimer, telle que je suis en réalité, je ne veux pas vous aimer encore.
C'est une chose trop sérieuse et trop absolue pour moi qu'une amitié. Si vous voulez que je vous aime, il faut donc que vous commenciez par m'aimer; cela est tout simple, je vais vous le prouver. Une main douce et blanche rencontre le dos agréable d'un porc-épic, le charmant animal sait bien que la main blanche ne lui fera aucun mal. Il sait qu'il est peu mignon à caresser, lui, le pauvre malheureux. Il attend, pour répondre aux caresses qu'on se soit habitué à ses piquants; car, si la main qu'il aime le quitte (il n'y a pas de raison pour qu'elle y revienne), le porc-épic aura beau se dire:, «Ce n'est pas ma faute,» cela ne le consolera pas du tout.
Ainsi, voyez si vous pouvez accorder votre coeur à un porc-épic. Je suis capable de tout. Je vous ferai mille sottises. Je vous marcherai sur les pieds. Je vous répondrai une grossièreté à propos de rien. Je vous reprocherai un défaut que vous n'avez pas. Je vous supposerai une intention que vous n'aurez jamais eue. Je vous tournerai le dos. En un mot, je serai insupportable jusqu'à ce que je sois bien sûre que je ne peux pas vous fâcher et vous dégoûter de moi.
Oh! alors, je vous porterai sur mon dos. Je vous ferai la cuisine. Je laverai vos assiettes. Tout ce que vous me direz, me semblera divin. Si vous marchez dans quelque chose de sale, e trouverai que cela sent bon. Je vous verrai avec les mêmes yeux que j'ai pour moi-même quand je me porte bien et que je suis de bonne humeur; c'est-à-dire, que je me considère comme une perfection, et que tout ce qui n'est pas de mon avis est l'objet de mon profond mépris. Arrangez-vous donc pour que je vous fasse entrer dans mes yeux, dans mes oreilles, dans mes veines, dans tout mon être. Vous saurez alors que personne sur la terre n'aime plus que moi, parce que j'aime sans rougir de la raison qui me fait aimer. Cette raison, c'est la reconnaissance que j'ai pour ceux qui m'adoptent. Voilà mon résumé. Il n'est pas modeste; mais il est très sincère. Je considère comme un amphigouri de paroles toute amitié qui ne convient pas de sa partialité, de son impudence, de sa camaraderie, de tout ce qui fait que le monde se moque et dit: «Ils s'adorent entre eux (asinus asinum).» S'il en est autrement, dites-moi qui m'aimera sur la terre? Qui est semblable à un autre? Qui n'est pas choqué et blessé cent fois par jour par son meilleur ami, s'il veut l'examiner des sommets planchiques de l'analyse, de la philosophie, de la critique, de l'esthétique (et tout ce qui rime en ique)? Il faut toujours trouver que notre ami a raison, même dans les choses où nous aurions tort de l'imiter. Pour cela, il faut être sûr que l'être auquel on confère ce grand droit et ce grand titre d'ami ne fera jamais que des choses bonnes ou excusables, ou dignes de miséricorde.
Songez-y donc, et voyez si vous pouvez être ainsi pour moi. J'aimerais mieux terminer tout de suite nos relations et, m'en tenir avec vous à des, froideurs gauches, seule chose dont je sois capable quand je n'aime pas, que de vous tromper sur les aspérités de mon charmant caractère. Mais je serais bien malheureuse pourtant de rencontrer une femme comme vous, et de ne pas engrener le rouage de ma vie au sien.
Bonsoir, mon amie; répondez-moi tout de suite, et longuement. Si vous ne sentez rien pour moi, dites-le. Je ne vous en voudrai pas. Je vous estimerai pour votre franchise. Si vous vous méfiez, dites-le encore: cela me laissera l'espérance, car les défauts que j'ai sont de nature à être tolérés, et peut-être adoucis par vous.
Je me suis permis de vous dédier Simon, conte assez gros qui va paraître dans la Revue. Comme je ne sais quelle est la position extérieure que vous avez adoptée à Genève, j'ai fait cette dédicace excessivement mystérieuse, et telle qu'on ne vous devinera pas,—à moins, que vous ne m'autorisiez à m'expliquer davantage.
Je ne vous disais rien de ma vie. Il faut que vous sachiez que je suis toujours à la campagne, chez moi. Je plaide en séparation contre mon époux, qui a déguerpi, me laissant maîtresse du champ de bataille j'attends la décision du tribunal. Je suis donc toute seule dans cette grande maison isolée; il n'y a pas un domestique qui couche sous mon toit, pas même un chien. Le silence est si profond la nuit (vous ne voudrez pas me croire, et pourtant c'est certain), que, quand j'ouvre ma fenêtre et que le vent n'est pas contraire, j'entends distinctement sonner l'horloge de la ville, qui est à une grande lieue de chez moi, à vol d'oiseau. Je ne reçois personne, je mène une vie monacale. J'attends l'issue de mon procès, d'où dépend le pain de mes vieux jours; car vous pensez bien, que je n'amasserai jamais un denier pour payer l'hôpital où la tendresse d'un mari me laisserait mourir.
Mais voyez! Il a eu l'heureuse idée de vouloir me tuer un soir qu'il était ivre. En attendant que cette benoîte fantaisie de meurtre conjugal me rende mon pays, ma vieille maison et cinq ou six champs de blé qui me nourriront quand mes longues veilles m'auront jetée dans l'idiotisme, je fais le Sixte-Quint. Mon cheval est rentré sous le hangar et on n'entend pas voler une mouche autour de mon cloître désert.
Le jardinier et sa femme, qui sont mes factotums, m'ont suppliée de ne pas les faire demeurer dans la maison. J'ai voulu en savoir le motif. Enfin le mari, baissant les yeux d'un air modeste, m'a dit: «C'est que madame a une tête si laide, que ma femme, étant enceinte, pourrait être malade de peur.» Or c'est de la tête de mort qui est sur ma table, dont il voulait parler (du moins à ce qu'il m'a juré ensuite); car je trouvai la plaisanterie de fort mauvais goût et je me fâchai.—Ensuite j'ai songé que cette tête si laide ferait grand effet. J'ai permis à mon jardinier de s'éloigner et de garder la pensée que cette tête était un signe de pénitence et de dévotion.
Ainsi, à l'heure qu'il est, à une lieue d'ici, quatre mille bêtes me croient à genoux dans le sac et dans la cendre, pleurant mes péchés comme Madeleine. Le réveil sera terrible. Le lendemain de ma victoire, je jette ma béquille, je passe au galop de mon cheval aux quatre coins de la ville. Si vous entendez dire que je suis convertie à la raison, à la morale publique, à l'amour des lois d'exception, à Louis-Philippe, le père tout-puissant, et à son fils Poulot-Rosolin, et à sa sainte Chambre catholique, ne vous étonnez de rien. Je suis capable de faire une ode au roi, ou un sonnet à M. Jacqueminot.