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Kitabı oku: «L'éclaireur», sayfa 11

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Les branches du taillis auprès duquel étaient réunis nos personnages s'écartèrent alors brusquement, et deux hommes parurent.

Ils firent quelques pas en avant, appuyèrent à terre le canon de leur rifle, et attendirent.

– Qui êtes-vous? demanda don Mariano.

– Chasseurs.

– Votre nom?

– Bon-Affût.

– Et vous?

– Balle-Franche. Depuis une demi-heure environ, nous sommes embusqués derrière ce taillis, nous avons entendu tout ce que vous avez dit, il est donc inutile de revenir sur l'exposé que vous avez fait, seulement il est un autre homme qui doit assister au jugement de cet individu.

– Un autre homme? Et qui donc?

– Celui qu'il a traîtreusement attaqué, que vous avez sorti de ses mains et que nous avons sauvé, nous autres.

– Mais cet homme, qui sait où il se trouve maintenant?

– Nous, dit Bon-Affût, nous qui l'avons quitté il y a une heure à peine pour nous mettre sur votre piste.

– Oh! S'il en est ainsi, vous avez raison; il faut que cet homme vienne.

– Malheureusement il est assez gravement blessé; mais s'il ne peut venir, il se fera porter, et je ne sais pourquoi, mais il me semble que non seulement sa présence est nécessaire parmi nous, mais encore qu'elle est indispensable pour l'éclaircissement de certains faits qu'il est de notre devoir de dévoiler.

– Que voulez-vous dire?

– Patience, caballero, bientôt vous nous comprendrez; le campement de cet homme n'est pas éloigné, il peut-être ici avant le coucher du soleil.

– Mais qui le préviendra.

– Moi! répondit Balle-Franche.

– Je vous remercie de cette offre loyale.

– Nous sommes peut-être plus intéressés que vous à l'éclaircissement de cette machination mystérieuse, répondit Bon-Affût.

Sur un signe de son ami, Balle-Franche remonta sur son cheval qu'il avait laissé dans le taillis, et s'éloigna à toute bride, pendant que don Mariano le suivait d'un regard curieux et troublé tout à la fois.

– Vous me parlez par énigmes, dit-il, en s'adressant au Canadien toujours appuyé sur son rifle.

Bon-Affût secoua la tête.

– C'est une triste histoire que celle dont les odieuses péripéties vont se dérouler devant vous, et dont vous ne savez pas le premier mot, malgré les preuves que vous croyez posséder, seigneurie.

Don Mariano poussa un soupir, deux larmes brûlantes coulèrent sur ses joues creusées par la douleur.

– Courage, mi amo, lui dit Bermudez, Dieu est enfin pour vous!

Le gentilhomme serra la main de son fidèle domestique, et détourna la tête pour cacher l'émotion qu'il éprouvait.

XVIII.
Avant le jugement

Lorsque Balle-Franche se fut éloigné, Bon-Affût, l'Indien et Ruperto se rapprochèrent du blessé, toujours plongé dans le même état d'insensibilité, et se groupèrent autour de lui afin de surveiller son réveil.

Don Mariano, dont les scrupules étaient éteints désormais et qui avait hâte de connaître, dans tous leurs détours, les ténébreuses machinations de son frère, afin de baser sur de solides arguments l'accusation qu'il voulait porter contre lui devant le tribunal suprême qu'il avait si inopinément installé, se retira avec ses domestiques dans un épais taillis, et là, loin des regards, il ouvrit le portefeuille avec une impatience fébrile, et commença la lecture des papiers qu'il contenait avec une horreur qui croissait à chaque lettre nouvelle qu'il dépliait.

Don Mariano ne voulait pas que son frère connût sa présence avant de comparaître devant ses juges, il comptait sur son apparition inopinée pour déjouer sa perspicacité et sa présence d'esprit en lui faisant perdre le sang-froid; voilà pour quelle raison il s'était caché dans un endroit inaccessible aux plus clairvoyants regards, se réservant d'apparaître subitement lorsque le moment serait arrivé.

Plus d'une heure s'écoula encore sans que don Stefano, malgré les soins incessants de l'Églantine, fit un mouvement qui indiquât son retour à la vie. Cependant les trois hommes accroupis silencieusement autour de lui ne s'étaient pas un instant relâchés de leur surveillance: ils comprenaient toute la portée de l'acte qu'ils étaient appelés à accomplir, et désiraient, avec cette intuition, que possèdent instinctivement les âmes loyales, que l'homme qu'ils allaient juger fût assez remis et assez en possession de ses facultés intellectuelles pour défendre bravement sa vie.

Au moment où le soleil, déclinant rapidement à l'horizon, allongeait démesurément l'ombre des arbres et n'apparaissait plus entre les plus basses branches que comme un globe de feu, la brise du soir passa en se levant comme un souffle rafraîchissant sur le front pâle du blessé, qui poussa un profond soupir à cette sensation de bien-être que lui faisait éprouver, après la chaleur accablante du jour, cette bienfaisante fraîcheur.

– Il va ouvrir les yeux, murmura Bon-Affût.

L'Aigle-Volant posa un doigt sur ses lèvres en montrant le blessé.

Si bas qu'eût parlé le chasseur, don Stefano l'avait entendu, sans comprendre peut-être le sens des paroles qui avaient frappé ses oreilles, mais pourtant suffisamment pour lui faire faire un mouvement prononcé et rappeler en lui le sentiment de l'existence.

Don Stefano n'était pas un homme ordinaire; digne fils de la race abâtardie du Mexique, la ruse formait le point le plus saillant de son caractère, profondément dissimulé: habitué à toujours juger mal des hommes et des choses, la méfiance semblait innée dans son cœur. Les paroles de Bon-Affût l'avertirent de se tenir sur ses gardes. Sans bouger, sans ouvrir les yeux, afin de ne pas révéler son retour à la vie, il fit un effort suprême pour se rappeler les circonstances qui avaient précédé l'événement dont il était victime, afin d'arriver de déduction en déduction à se rendre compte de la position dans laquelle il se trouvait, et deviner, s'il était possible, entre les mains de qui le hasard ou sa mauvaise fortune l'avait fait tomber.

La tâche que s'imposait don Stefano n'était pas facile, puisqu'il était, par la force des circonstances, privé de son plus solide auxiliaire, la vue, qui lui aurait permis de reconnaître les gens qui l'entouraient, ou du moins lui aurait révélé s'ils étaient amis ou ennemis. Aussi, bien qu'il écoutât avec la plus grande attention, afin de saisir une phrase ou un mot qui le guidât dans ses suppositions, et lui permit d'assoir son calcul sur des données sinon positives, du moins probables, comme les chasseurs, avertis par le chef et soupçonnant une ruse, s'abstinrent de leur côté de faire un geste et de prononcer un mot, toutes ses prévisions furent déjouées, et il demeura dans la plus complète ignorance.

Ce silence prolongé augmenta encore l'inquiétude de don Stefano, et le plongea au bout de quelque temps dans une anxiété telle qu'il résolut, coûte que coûte, d'en sortir. Mettant presque aussitôt son projet à exécution, il fit un mouvement comme pour se lever, et ouvrit brusquement les yeux en jetant autour de lui un regard circulaire et investigateur.

– Comment vous sentez-vous? lui demanda Bon-Affût en se penchant vers lui.

– Bien faible, répondit don Stefano d'une voix dolente; j'éprouve une pesanteur générale et je sens d'affreux bourdonnements dans les oreilles.

– Hum! continua le chasseur, cela n'est pas dangereux, il en est toujours ainsi à la suite d'une chute.

– J'ai donc fait une chute, reprit le blessé, que la vue de Ruperto, qu'il avait reconnu, commençait à rassurer.

– Dame! Il est probable, puisque nous vous avons ramassé étendu sur le sable auprès du gué del Rubio.

– Ah! C'est là que vous m'avez trouvé?

– Oui, il y a environ trois heures.

– Merci du secours que vous m'avez donné, sans lui il est probable que je serais mort.

– C'est fort possible; mais ne vous hâtez pas de nous remercier.

– Pourquoi donc? demanda don Stefano en dressant subitement les oreilles à cette réponse ambigüe qui lui paraissait une menace déguisée.

– Eh! Qui sait, repartit Bon-Affût avec bonhommie, nul ne peut répondre de l'avenir.

Don Stefano, dont les forces revenaient rapidement et qui déjà avait reconquis toute sa lucidité d'esprit, se dressa brusquement, et fixant sur le Canadien un regard qui semblait vouloir fouiller au fond de ses pensées les plus secrètes:

– Mais je ne suis pas votre prisonnier cependant.

– Hum! fit le chasseur sans répondre autrement. Cette interjection donna fort à penser au blessé et l'inquiéta plus qu'une longue phrase.

– Parlons franchement, dit-il au bout de quelques minutes de réflexions.

– Je ne demande pas mieux.

– De vous trois, il y en a un que je connais, continua-t-il en désignant Ruperto, qui fit silencieusement un geste affirmatif; je n'ai jamais, que je sache offensé cet homme, au contraire.

– C'est vrai, répondit Ruperto.

– Vous, je ne vous ai jamais vu, donc vous ne pouvez nourrir contre moi aucun sentiment d'inimitié.

– En effet, voici la première fois que la Providence nous met face à face.

– Reste ce guerrier indien qui, de même que vous, m'est parfaitement inconnu.

– Tout cela est exact.

– Pour quelle raison pourrais-je donc être votre prisonnier? A moins, ce que je ne crois pas, que vous soyez de ces oiseaux de proie nommés pirates qui pullulent dans le désert.

– Nous ne sommes pas des pirates, mais de loyaux et honnêtes chasseurs.

– Raison de plus pour que de nouveau je vous adresse ma question, et vous demande si je suis, oui ou non, votre prisonnier.

– Cette question n'est pas aussi simple que vous le supposez; bien que nous n'ayons, nous autres, aucun reproche à vous adresser personnellement, n'avez-vous pas insulté ou offensé d'autres individus depuis que vous errez dans les Prairies?

– Moi?

– Qui donc, si ce n'est vous? N'avez-vous pas cherché, pas plus tard que cette nuit, à assassiner un homme dans une embuscade que vous lui aviez tendue.

– Oui, mais cet homme est mon ennemi.

– Eh bien! Supposez pour un instant que nous soyons les amis de cet homme.

– Mais cela n'est pas, cela ne peut pas être.

– Pourquoi donc? Qui vous le fait supposer?

Don Stefano haussa les épaules avec dédain.

– Vous me croyez donc bien simple, dit-il, que vous supposez que je me payerai d'une telle défaite?

– Ce n'en est pas autant une que vous le croyez.

– Allons donc! Si j'étais tombé entre les mains de cet homme, il m'aurait fait transporter à son camp, afin de se venger de moi devant les bandits qu'il commande et auxquels la vue de mon supplice aurait été sans doute beaucoup trop agréable pour qu'il cherchât à les priver de ce ravissant spectacle.

Le vieux chasseur, dont jusqu'à ce moment la parole avait été ironique et le visage narquois, changea tout à coup de ton et devint aussi sérieux et aussi sévère que précédemment il avait été railleur.

– Écoutez, dit-il, et profitez de ce que vous allez entendre: nous ne sommes pas les dupes de votre feinte faiblesse; nous savons très bien que vos forces sont à peu près revenues; l'avis que je vous donne est franc et a pour but de vous prévenir contre vous-même: vous n'êtes pas notre prisonnier, il est vrai, et pourtant vous n'êtes pas libre.

– Je ne vous comprends pas, interrompit don Stefano dont le visage s'était éclairci, mais que ces dernières paroles avaient subitement rembruni.

– Aucune des personnes présentes, continua Bon-Affût, n'a de reproches à vous faire; nous ne savons qui vous êtes, et avant aujourd'hui, moi, au moins, j'ignorais complètement votre existence; mais il y a un homme qui prétend avoir contre vous, non pas des sentiments de haine, ce serait une affaire à régler entre vous et lui dans une rencontre loyale, mais des motifs de plainte assez forts pour provoquer votre mise en jugement immédiate.

– Ma mise en jugement immédiate! répéta don Stefano au comble de l'ébahissement; mais devant quel tribunal cet homme prétend-il donc me faire comparaître? Nous sommes au désert ici.

– Oui, et vous paraissez l'oublier; au désert ou les lois des villes sont impuissantes pour atteindre les coupables, il existe une législation terrible, sommaire, implacable, à laquelle, dans l'intérêt commun, tout homme offensé à droit de faire appel, lorsque d'impérieuses circonstances l'exigent.

– Et cette loi, demanda don Stefano, dont le visage pâle déjà prit une teinte cadavéreuse, quelle est-elle?

– C'est la loi du Lynch.

– La loi du Lynch!

– Oui, c'est en son nom que nous, qui, comme vous l'avez dit, ne vous connaissons pas, nous avons été réunis afin de vous juger.

– Me juger! Mais cela n'est pas possible. Quel crime ai-je commis? Quel est l'homme qui m'accuse?

– Je ne puis répondre à ces questions; j'ignore le crime dont on vous accuse; je ne sais pas davantage le nom de votre accusateur; seulement, croyez-moi, nous n'avons ni haine ni préventions contre vous; donc, nous serons impartiaux; préparez votre défense pendant le peu d'instants qui vous restent, et lorsque le moment sera arrivé, tâchez de prouver votre innocence en confondant votre accusateur, chose que je vous souhaite ardemment.

Don Stefano laissa tomber sa tête dans ses mains avec une expression de désespoir.

– Mais comment voulez-vous que je prépare ma défense, puisque j'ignore quels sont les faits que l'on m'impute? Éclairez-moi dans ces ténèbres, faites luire à mes yeux une lueur, si faible qu'elle soit, afin que je puisse me guider, savoir où je vais enfin.

– En parlant ainsi que je l'ai fait, caballero, j'ai obéi à ma conscience qui m'ordonnait de vous avertir du danger qui vous menace; vous en dire davantage me serait impossible, puisque, ainsi que vous, j'ignore tout complètement.

– Oh! C'est à en devenir fou! s'écria don Stefano.

Sur un geste de Bon-Affût, Ruperto et l'Aigle-Volant se levèrent; le chasseur fit signe a l'Églantine de les imiter; tous quatre se retirèrent et don Stefano demeura seul.

Le Mexicain se laissa aller sur le sol avec cette fureur insensée de l'homme fort devant lequel se dresse tout à coup un obstacle infranchissable, et qui, acculé dans une position désespérée, est contraint de s'avouer vaincu. En proie à la plus profonde anxiété, ne sachant de quel côté se tourner pour conjurer la tempête qui grondait sur sa tête, il cherchait vainement dans son esprit les moyens d'échapper aux mains qui le tenaient. Son génie inventif, si fécond en ruses de toutes sortes, ne lui fournissait aucun faux-fuyant, aucun stratagème qui put l'aider à soutenir avantageusement cette lutte suprême contre l'inconnu; en vain il se creusait la tête, il ne trouvait rien.

Tout à coup il se releva, et par un mouvement prompt comme la pensée, il porta la main à sa poitrine.

– Ah! s'écria-t-il avec découragement en laissant retomber le bras le long de son corps, qu'est donc devenu mon portefeuille?

Il chercha avidement autour de lui, mais il ne trouva rien.

– Je suis perdu, ajouta-t-il, si ces hommes s'en sont emparé; que faire, que devenir?

Un bruit de chevaux se fit entendre au loin, se rapprochant de plus en plus de l'endroit où campaient les chasseurs.

Bientôt le bruit devint plus distinct et il fut facile de reconnaître la marche d'une nombreuse troupe de cavaliers. En effet, au bout d'un quart d'heure, une trentaine de chasseurs, conduits par Balle-Franche, entrèrent dans la clairière.

– Balle-Franche parmi ces bandits, murmura don Stefano, qu'est-ce que cela veut dire?

Son incertitude ne fut pas de longue durée; les arrivants conduisaient au milieu d'eux un homme, cet homme, don Stefano le reconnu immédiatement.

– Don Miguel Ortega! Oh! Oh! Puis il ajouta au bout d'un instant, avec un de ces sourires narquois dont il avait l'habitude, je connais mon accusateur maintenant. Allons, allons, fit-il à part lui, la position n'est pas aussi désespérée que je le supposais; ces hommes, il est évident qu'ils ne savent rien, et que mes précieux papiers ne sont pas tombés entre leurs mains. Hum! Je crois que cette terrible loi du Lynch aura tort cette fois, et que j'échapperai à ce péril comme j'ai échappé à tant d'autres.

Don Miguel avait passé sans voir don Stefano, ou peut-être, ce qui est plus probable, sans paraître l'apercevoir. Quant à don Stefano, intéressé à se renseigner et à ne pas laisser échapper le moindre détail de ce qui se passait autour de lui, il suivait d'un œil attentif, bien qu'en affectant le maintien le plus indifférent, tous les mouvements des chasseurs. Après avoir doucement déposé la civière à l'extrémité opposée du lieu où don Stefano était étendu, les gambucinos, sans quitter leurs chevaux, formèrent un grand cercle autour de la clairière et demeurèrent immobiles la carabine sur la cuisse, rendant par cette manœuvre toute tentative de fuite impossible.

Des crânes de bisons destines à servir de sièges furent disposés en demi-cercle devant un feu de branches sèches. Sur ces crânes, au nombre de cinq, cinq hommes prirent place immédiatement. Ces cinq hommes se rangèrent dans l'ordre suivant: don Miguel Ortega, remplissant les fonctions de président, au centre, ayant à sa droite Bon-Affût et à sa gauche Balle-Franche, puis le chef indien et un gambucino.

Ce tribunal en plein air, au milieu de cette forêt vierge, entouré de ces cavaliers aux costumes étranges, immobiles comme des statues de bronze florentin, offrait un aspect imposant et saisissant à la fois; ces cinq hommes, au front sévère, aux sourcils froncés, calmes et impassibles, ressemblaient à s'y méprendre, à cette sainte véhémence qui, dans les anciens jours, sur les bords du Rhin, s'était substituée à la justice légale impuissante à réprimer les crimes, et rendait ses arrêts en plein air, au grondement sourd des vents et aux murmures mystérieux des grandes eaux.

Malgré lui, don Stefano sentit un frémissement de terreur parcourir son corps, en jetant un coup d'œil circulaire sur la clairière et en apercevant tous ces regards fatalement dirigés sur lui avec cette implacable fixité de la force et du droit du désert.

– Hum! murmura-t-il à part lui, je crois que j'aurai peine à m'en tirer, et que je me suis trop hâté de chanter victoire.

En ce moment, deux chasseurs, sur un signe de don Miguel, quittèrent leur rang, mirent pied à terre et s'approchèrent du blessé. Celui-ci fit un effort sur lui-même et parvint à se mettre debout; les chasseurs le prirent par-dessous les bras et le conduisirent en présence du tribunal.

Don Stefano se redressa, croisa les bras sur la poitrine, et, jetant un regard sardonique aux hommes devant lesquels on l'avait amené:

– Oh! Oh! dit-il avec un accent railleur en s'adressant à don Miguel, c'est donc vous, caballero, qui êtes mon accusateur?

Le capitaine haussa imperceptiblement les épaules.

– Non, répondit-il, je ne suis pas votre accusateur, je suis votre juge.

XIX.
Face à face

Après ces paroles, il y eut un moment d'attente, presque d'hésitation. Un silence de plomb semblait planer sur la forêt.

Don Stefano le premier surmonta l'impression de terreur qui, malgré lui, se glissait dans son âme.

– Eh bien, dit-il avec un regard méprisant et une voix claire et incisive, puisque ce n'est pas vous, où donc est-il, cet accusateur? Se cacherait-il, à présent que l'heure est arrivée? Reculerait-il devant la responsabilité qu'il a assumée? Qu'il paraisse, je l'attends.

Don Miguel secoua la tête.

– Peut-être lorsqu'il paraîtra, trouverez-vous qu'il est venu trop tôt, répondit-il.

– Que voulez-vous de moi, alors?

– Vous allez l'apprendre.

Don Miguel était pâle et sombre; un sourire triste errait sur ses lèvres blêmies; on voyait qu'il faisait des efforts inouïs pour surmonter sa faiblesse et se tenir ferme sur son siège.

Après quelques minutes de réflexion, il releva la tête.

– Comment vous nommez-vous? demanda-t-il.

– Don Stefano Cohecho, répondit l'accusé sans hésiter.

Les juges échangèrent un regard.

– Où êtes-vous né?

– A Mazatlán, en 1808.

– Quelle est votre profession?

– Négociant à Santa Fe.

– Quel motif vous a conduit dans le désert?

– Je vous l'ai dit déjà à vous même.

– Répétez-le, reprit don Miguel toujours impassible.

– Je vous ferai observer que ces questions oiseuses Et fort inutiles pour vous me fatiguent.

– Je vous demande quel motif vous a conduit dans le désert?

– La faillite de plusieurs de mes correspondants m'a obligé de faire un voyage afin d'essayer de sauver quelques bribes de ma fortune compromise; je suis dans le désert, parce que pour me rendre où je vais il n'y a pas d'autre route.

– Où allez-vous?

– A Monterey, vous voyez la docilité que je mets à répondre à toutes vos questions, fit-il de ce même ton goguenard qu'il employait depuis qu'il avait été amené devant ses juges.

– Oui, reprit lentement et en appuyant sur chaque mot don Miguel, vous faites preuve d'une grande docilité; je voudrais, pour vous, que vous fussiez aussi sincère.

– Qu'entendez-vous par ces paroles? reprit don Stefano d'un ton hautain.

– J'entends qu'à chacune de mes questions vous avez répondu par un mensonge, dit nettement et sèchement don Miguel.

Don Stefano fronça le sourcil, son œil fauve lança un éclair fulgurant.

– Caballero! s'écria-t-il, une telle insulte…

– Ce n'est pas une insulte, continua l'aventurier toujours impassible, c'est la vérité, et vous le savez aussi bien que moi.

– Je serais curieux de savoir ce que cela signifie, essaya de dire le Mexicain.

Don Miguel le regarda fixement.

Malgré lui, don Stefano baissa les yeux.

– Je vais vous satisfaire, dit l'aventurier.

– J'écoute.

– A ma première question, vous avez répondu que votre nom était don Stefano Cohecho?

– Eh bien?

– C'est faux, vous vous nommez don Estevan de Real del Monte.

Un frémissement imperceptible agita le corps de l'accusé.

Don Miguel continua:

– A ma deuxième question, vous avez répondu que vous étiez né à Mazatlán en 1808; c'est faux, vous êtes né à Guanajuato en 1805.

L'aventurier attendit un moment pour donner à celui qu'il interpellait ainsi le temps de répondre; don Estevan, auquel nous conserverons désormais son nom véritable, ne jugea pas convenable de le faire; il demeura froid et sombre.

Don Miguel sourit avec mépris et ajouta:

– A ma troisième question, vous m'avez répondu que vous exerciez la profession de négociant et que vous étiez établi à Santa Fe; c'est faux encore; jamais vous n'avez été commerçant; vous êtes sénateur, et vous résidez à Mexico; enfin vous m'avez dit que vous ne faisiez que traverser le désert pour vous rendre à Monterey où vous appellent les intérêts de votre commerce supposé; quant à cette dernière allégation, je n'ai pas besoin, je crois, de vous en démontrer la fausseté, elle ressort de l'ensemble même de vos autres réponses; maintenant j'attends votre réponse, si vous en avez une à me faire, ce dont je doute.

Don Estevan avait eu le temps de se remettre du rude coup qu'il avait reçu; aussi il ne se troubla pas croyant deviner d'où partait l'attaque et par quels moyens ceux devant lesquels il se trouvait étaient parvenus à obtenir les renseignements qu'ils possédaient sur lui; il répondit d'un ton moqueur en pinçant ses lèvres d'un air narquois:

– Pourquoi donc supposez-vous que je ne puis vous répondre, caballero? Rien ne m'est plus facile, au contraire, cáspita! Parce que, pendant mon évanouissement, vous avez, dirai-je volé? Non, je suis poli, je dirai donc enlevé adroitement mon portefeuille, qu'après l'avoir ouvert vous y avez trouvé certains renseignements, vous me les jetez à la face, convaincu que je resterai atterré en vous trouvant si au fait de mes affaires! Allons donc! Vous êtes fou, sur mon âme; toutes ces choses ne sont que des niaiseries qui ne supportent pas l'analyse. Oui, c'est vrai, je me nomme don Estevan; je suis né à Guanajuato en 1805, et je suis sénateur; après? Voilà-t-il pas de puissants motifs pour baser une accusation contre un caballero! ¡Cuerpo de Cristo! Suis-je donc le seul qui, dans le désert, porte un autre nom que le sien? De quel droit, vous tous, qui ne vous désignez entre vous que par des surnoms, prétendriez-vous m'obliger à ne pas suivre votre exemple?

Tout cela est le comble du ridicule, et si vous n'avez pas de meilleurs raisons à m'opposer, je vous engage à me laisser tranquillement vaquer à mes affaires.

– Nous en avons d'autres, répondit don Miguel d'un ton glacial.

– Je les connais, ¡vive Cristo! Vos raisons; vous m'accusez, n'est-ce pas, de vous avoir à vous, don Miguel, qui vous nommez aussi don Toribio et que parfois on appelle don José, vous m'accusez, dis-je, de vous avoir fait tomber dans un guet-apens, dont vous ne vous êtes sauvé que par miracle; mais ceci est une affaire entre vous et moi, dont Dieu seul doit être juge.

– Ne mettez pas le nom de Dieu en avant, il n'a rien à voir dans cette affaire; je vous ai dit déjà que je n'étais pas votre accusateur, mais votre juge.

– Fort bien; rendez-moi mon portefeuille et restons-en là, croyez-moi; car dans tout cela je ne vois pas trop l'avantage qu'il y aura pour vous, à moins que vous ayez résolu de m'assassiner, ce qui serait fort possible, auquel cas à votre aise; je n'ai pas la prétention de lutter contre les trente ou quarante bandits qui m'entourent. Ainsi tuez-moi, si bon vous semble, mais terminez-en.

Don Estevan prononça ces paroles d'un ton de souverain mépris dont ses juges, en hommes dont le parti est pris d'avance, ne parurent pas s'apercevoir.

– Nous ne vous avons pas volé votre portefeuille, répondit don Miguel, nul de nous ne l'a vu, encore moins ouvert; nous ne sommes pas des bandits et nous n'avons aucunement l'intention de vous assassiner. Nous sommes convoqués pour vous juger d'après les règles de la loi du Lynch, et nous nous acquittons de ce devoir avec toute l'impartialité dont nous sommes capables.

– Mais alors, puisqu'il en est ainsi, que celui qui m'accuse paraisse, je le confondrai. Pourquoi s'obstine-t-il à se cacher? La justice doit se rendre à la face de tous. Qu'il vienne, cet homme qui prétend faire peser sur moi la responsabilité de crimes que j'ignore; qu'il vienne, et je lui prouverai qu'il n'est qu'un vil calomniateur.

A peine don Estevan prononçait-il ces paroles que les branches d'un buisson voisin s'écartèrent, et un homme parut; il s'avança à grand pas vers le Mexicain, et lui posant résolument la main sur l'épaule:

– Prouvez-moi donc que je ne suis qu'un vil calomniateur, don Estevan, dit-il d'une voix basse et concentrée en plongeant son regard dans le sien avec une expression de haine implacable.

– Oh! s'écria don Estevan, mon frère! Et chancelant comme un homme ivre, il recula de quelques pas, le visage couvert d'une pâleur mortelle, et les yeux injectés de sang et démesurément ouverts.

Don Mariano le maintint d'un bras ferme pour l'empêcher de rouler sur le sol, et approchant presqu'à le toucher son visage du sien:

– C'est moi qui t'accuse, Estevan, dit-il. Maudit qu'as-tu fait de ma fille?

L'autre ne répondit pas: don Mariano le considéra un instant avec une expression impossible à rendre et le repoussa dédaigneusement par un geste de souverain mépris. Le misérable trébucha, étendit les bras, cherchant instinctivement à se retenir; mais les forces lui manquèrent; il tomba sur ses genoux en cachant son visage dans ses mains avec une expression de désespoir et de rage trompée dont nul pinceau ne saurait exprimer la hideur.

Les assistants étaient demeurés calmes et impassibles, ils n'avaient pas prononcé un mot, pas fait un geste; seulement une terreur secrète s'était emparée d'eux, et ils échangeaient des regards qui, si l'accusé avait pu les apercevoir, lui auraient révélé le sort que dans leur pensée ils lui réservaient.

Don Mariano ordonna d'un geste à ses deux domestiques de le suivre, et l'un à sa droite l'autre à sa gauche, il se plaça au centre de la clairière, en face du tribunal improvisé, et prit la parole d'une voix forte, claire et accentuée.

– Écoutez-moi, caballeros, et lorsque j'aurai dit tout ce que j'ai à vous dire sur cet homme que vous voyez la brisé et confondu, avant même que j'aie prononcé un mot, vous le jugerez sans haine et sans colère avec votre conscience. Cet homme est mon frère: jeune, pour une cause qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer ici, notre père voulut le chasser de sa présence; j'intercédai pour lui et j'obtins, sinon sa grâce tout entière, du moins qu'il fût toléré sous le toit paternel. Les jours se passèrent minute à minute, les années s'écoulèrent, l'enfant devint homme; mon père en mourant m'avait donné toute sa fortune au préjudice de son autre fils qu'il avait maudit; je déchirai le testament, j'appelai cet homme auprès de moi, et je lui restituai, à lui mendiant et misérable, cette part de richesse et de bien-être dont, à mon avis, mon père n'avait peut-être pas eu le droit de le priver.

Don Mariano se tut et se tourna vers ses domestiques.

Les deux hommes étendirent en même temps le bras droit, se découvrirent de la main gauche, et tous deux en même temps, comme s'ils répondaient à la muette interrogation de leur maître:

– Nous affirmons que tout cela est strictement vrai, dirent-ils.

– Ainsi cet homme me devait tout, fortune, position, avenir; car, grâce à mon influence, j'étais parvenu à le faire élire sénateur. Voyons maintenant comment il m'a récompensé de tant de bienfaits et quelle a été sa reconnaissance. Il avait réussi à me faire oublier ce que je considérais comme des erreurs de jeunesse et à me persuader qu'il était entièrement revenu au bien; sa conduite était en apparence irréprochable: dans différentes circonstances il avait même affecté un rigorisme de principes dont j'avais été obligé de le reprendre, enfin il était parvenu à faire de moi sa dupe, s'appliquant avec une profondeur de scélératesse qui passe toute expression à épaissir le bandeau qu'il avait étendu sur mes yeux. Marié et père de deux enfants, il les élevait avec une sévérité qui, pour moi, était la preuve de sa conversion, et il avait soin de me répéter souvent: « Je ne veux pas que mes enfants deviennent ce que j'ai été. » A la suite d'un de ces innombrables pronunciamientos qui minent et démembrent notre beau pays, rendu, je ne sais par quelle machination ténébreuse, suspect au nouveau gouvernement, je fus obligé de prendre du jour au lendemain la fuite pour sauver ma vie menacée; je ne savais à qui confier ma femme et ma fille, qui, malgré leur désir, ne pouvaient me suivre; mon frère s'offrit à veiller sur elles; un secret pressentiment, une voix du ciel que j'eus le tort de mépriser me soufflait au fond du cœur de ne pas avoir foi en cet homme et de ne pas accepter sa proposition. Le temps pressait, il fallait partir: les soldats envoyés pour m'arrêter frappaient à coups redoublés à la porte de mon hôtel; je confiai ce que j'avais de plus cher au monde à mon frère, à ce lâche que voyez là, et je m'enfuis. Pendant deux ans que dura mon absence, j'écrivis lettre sur lettre à mon frère sans jamais recevoir de réponse, j'étais en proie à une inquiétude mortelle; enfin j'allais, en désespoir de cause, me résoudre à rentrer au Mexique, au risque d'être pris et fusillé, lorsque, grâce à certains amis qui faisaient des démarches incessantes en ma faveur, je fus rayé de la liste de proscription, et il me fut permis de rentrer dans ma patrie. Deux heures à peine après avoir reçu cette nouvelle je partis; j'arrivais à la Veracruz quatre jours plus tard; sans prendre le temps de me reposer, je m'élançai sur un cheval, et tout d'une traite, ne quittant ma monture fatiguée que pour sauter sur une autre, je franchis les quatre-vingt-dix lieues qui séparent la Veracruz de la capitale; j'allai descendre tout droit chez mon frère. Il était absent, mais une lettre de lui m'annonçait que, contraint par une affaire urgente de se rendre à la Nouvelle-Orléans, il serait de retour au bout d'un mois et me priait de l'attendre; mais de ma femme et de ma fille, rien; des intérêts de fortune que je lui avais confiés, pas un mot; mon inquiétude se changea en terreur, j'eus le pressentiment d'un malheur: sortant à moitié fou de la maison de mon frère, je remontai sur le cheval ruisselant de sueur et à demi fourbu qui m'avait amené, et qui était demeuré à la porte sans que personne songeât à s'occuper de lui, et je me dirigeai, aussi vite qu'il me fut possible, vers mon hôtel: fenêtres et portes étaient fermées; cette maison que j'avais quittée si riante et si animée, était silencieuse et morne comme un tombeau. Je restai un instant sans oser heurter à la porte; enfin, je m'y décidai, préférant la réalité, toute terrible qu'elle pouvait être, à cette incertitude qui me rendait fou.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
480 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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