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Kitabı oku: «L'éclaireur», sayfa 7

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XI.
Le gué del Rubio

La nuit était sombre, pas une étoile ne brillait au ciel; le vent soufflait avec force à travers les épaisses ramures de la forêt vierge avec ce sifflement triste et monotone qui ressemble au bruit des grandes eaux lorsque menace la tempête; les nuées étaient basses, noires, chargées d'électricité; elles couraient rapidement dans l'espace, cachant incessamment le disque blafard de la lune, dont les rayons sans chaleur rendaient encore les ténèbres plus épaisses; l'atmosphère était lourde, et des bruits sans nom, répercutés par les échos comme les roulements d'un tonnerre lointain, s'élevaient du fond des quebradas et des barancas ignorées de la Prairie; les bêtes fauves hurlaient tristement sur toutes les notes du clavier humain, et les oiseaux de nuit, troublés dans leur sommeil par cet étrange malaise de la nature, poussaient des cris rauques et discordants.

Au camp des gambucinos, tout était calme; les sentinelles veillaient, appuyées sur leurs rifles et accroupies devant un feu mourant qui achevait de s'éteindre. Au centre du camp, deux hommes fumaient leurs pipes indiennes en causant entre eux à voix basse.

Ces deux hommes étaient Balle-Franche et Bon-Affût.

Enfin Balle-Franche éteignit sa pipe, la repassa à sa ceinture, étouffa un bâillement et se leva en allongeant les bras et les jambes pour rétablir la circulation du sang.

– Qu'allez-vous faire? lui demanda Bon-Affût en se tournant à demi de son côté d'un air nonchalant.

– Dormir, répondit le chasseur.

– Dormir?

– Pourquoi non? La nuit est avancée; seuls, j'en suis convaincu, nous veillons encore: il est plus que probable que nous ne verrons pas don Miguel avant le lever du soleil; donc, le plus convenable, pour le moment du moins, est de dormir, si toutefois vous n'en avez pas décidé autrement.

Bon-Affût posa un doigt sur sa bouche comme pour recommander la prudence à son ami.

– La nuit est avancée, dit-il à voix basse, un orage terrible se prépare! Où peut-être allé don Miguel? Cette absence prolongée m'inquiète plus que je ne saurais dire; il n'est pas homme à abandonner ainsi ses compagnons sans une raison bien puissante, ou peut-être…

Le chasseur s'arrêta en hochant tristement la tête.

– Continuez, fit Balle-Franche, dites votre pensée tout entière.

– Eh bien, je crains qu'il ne lui soit arrivé malheur.

– Oh! Oh! Croyez-vous? Ce don Miguel est cependant, d'après ce que j'ai entendu dire, un hombre de a caballo d'un courage à toute épreuve et d'une force peu commune.

– Tout cela est vrai, répondit Bon-Affût d'un air préoccupé.

– Eh bien, pensez-vous donc qu'un tel homme bien armé et connaissant la vie de la Prairie ne soit pas de taille à se tirer d'un mauvais pas, quelque danger qui le menace?

– Oui, s'il a affaire à un adversaire loyal, qui se place résolument devant lui et entame une lutte à armes égales.

– Quel autre péril peut-il craindre?

– Balle-Franche, Balle-Franche! reprit le chasseur avec tristesse, vous avez trop longtemps habité les comptoirs des marchands de pelleteries du Missouri.

– Ce qui veut dire…? demanda le Canadien d'un ton piqué.

– Eh! Mon ami, ne vous fâchez pas de mon observation; mais il est évident pour moi que vous avez en grande partie oublié les mœurs du désert.

– Hum! Ceci est grave pour un chasseur, Bon-Affût, et en quoi, s'il vous plaît, ai-je oublié les mœurs du désert?

– Pardieu! En ce que vous ne semblez plus vous souvenir que, dans la contrée où nous sommes, toute arme est bonne pour se défaire d'un ennemi.

– Eh! Je sais cela aussi bien que vous, mon ami; je sais aussi que l'arme la plus redoutable est celle qui se cache.

– C'est-à-dire la trahison.

Le Canadien tressaillit.

– Redoutez-vous donc une trahison? demanda-t-il.

– Que puis-je craindre autre?

– C'est vrai, fit le chasseur en baissant la tête; mais, ajouta-t-il au bout d'un instant, que faire?

– Voilà justement ce qui m'embarrasse; je ne puis pourtant demeurer plus longtemps ainsi: l'inquiétude me tue; quoi qu'il arrive, je veux savoir ce qui s'est passé.

– Mais de quelle façon?

– Je ne sais, Dieu m'inspirera.

– Cependant vous avez une idée?

– Certes, j'en ai une.

– Laquelle?

– La voici, je compte même sur vous pour m'aider à la mettre à exécution.

Balle-Franche serra affectueusement la main de son ami.

– Vous avez raison, dit-il; voyons votre idée.

– Elle est bien simple: nous allons quitter le camp à l'instant même, et battre dans tous les sens les abords de la rivière.

– Oui; seulement je vous ferai observer que l'orage en tardera pas à éclater, déjà la pluie tombe en larges gouttes.

– Raison de plus pour nous hâter.

– C'est juste.

– Ainsi vous m'accompagnez?

– Pardieu! En doutiez-vous, par hasard?

– Je suis un niais; pardonnez-moi, frère, et merci.

– Pourquoi donc? C'est moi, au contraire, qui vous remercie.

– Comment cela?

– Eh mais! Grâce à vous, je vais faire une promenade charmante.

Bon-Affût ne répliqua pas; les deux chasseurs sellèrent et bridèrent leurs chevaux, et après avoir visité leurs armes avec tout le soin d'hommes qui sont convaincus qu'ils ne tarderont pas à s'en servir, ils se mirent en selle et s'avancèrent vers la barrière du camp.

Deux sentinelles se tenaient l'œil au guet, immobiles et droites à cette barrière; elles se placèrent devant les coureurs des bois.

Ceux-ci n'avaient aucunement l'intention de s'éloigner inaperçus, n'ayant aucune raison de cacher leur départ.

– Vous partez? demanda une des sentinelles.

– Non, nous allons seulement pousser une reconnaissance aux environs.

– A cette heure?

– Pourquoi pas?

– Dame! Il me semble que par un temps pareil mieux vaut dormir que courir la Prairie.

– Il vous semble mal, compagnon, répondit Bon-Affût d'un ton péremptoire, et d'abord, retenez ceci: je ne dois compte de mes actions à personne; si je sors à cette heure, par l'orage qui menace, c'est que j'ai probablement pour agir ainsi des raisons puissantes; ces raisons, je ne puis et ne dois vous les dire; maintenant, voulez-vous, oui ou non, me livrer passage? Sachez seulement que je vous rendrai responsable plus tard du retard que vous apporterez à l'exécution de mes projets.

Le ton employé par le chasseur en leur parlant frappa les deux sentinelles; elles se consultèrent quelques minutes à voix basse, puis celle qui, jusque-là, avait porté la parole, se tourna vers les deux hommes, qui attendaient impassibles le résultat de cette délibération.

– Passez, dit-elle; vous êtes en effet libre d'aller où bon vous semblera; j'ai fait mon devoir en vous interrogeant, Dieu veuille que vous fassiez le vôtre en sortant ainsi.

– Bientôt vous le saurez. Un mot encore.

– J'écoute.

– Notre absence, si Dieu le veut, sera de courte durée, sinon, au lever du soleil nous serons de retour; cependant faites bien attention à cette recommandation: si vous entendez trois fois le cri du jaguar répété à intervalles égaux, montez à cheval en toute hâte et arrivez, non pas vous seulement, mais suivi d'une dizaine de vos compagnons, car si vous entendez ce cri, c'est qu'un grand péril menacera votre cuadrilla. M'avez-vous bien compris?

– Parfaitement.

– Et vous ferez ce que je vous recommande?

– Je le ferai parce que je sais que vous êtes le guide que nous attendons et qu'une trahison n'est pas à redouter de votre part.

– Bien, au revoir.

– Bonne chance.

Les chasseurs sortirent, la barrière fut immédiatement refermée derrière eux.

A peine les coureurs des bois débouchaient-ils dans la Prairie que l'ouragan qui menaçait depuis le coucher du soleil éclata avec fureur.

Un fulgurant éclair traversa l'espace, suivi presque instantanément d'un effroyable coup de tonnerre; les arbres se courbèrent sous l'effort du vent et la pluie commença à tomber à torrents.

Les aventuriers n'avançaient qu'avec d'extrêmes difficultés au milieu de l'horrible chaos des éléments en fureur; leurs chevaux, effrayés par les mugissements de la tempête, buttaient et se cabraient à chaque pas. Les ténèbres étaient devenues tellement épaisses que bien que marchant côte à côte, les deux hommes avaient peine à se voir. Les arbres, tordus par le souffle tout puissant de la brise poussaient des plaintes humaines auxquelles répondaient les hurlements lugubres des fauves épouvantés, la rivière gonflée par la pluie soulevait des vagues dont la cime écumante se brisait avec fracas sur les rives sablonneuses.

Balle-Franche et Bon-Affût, aguerris aux temporales du désert, secouaient dédaigneusement la tête à chaque effort de la rafale qui passait au-dessus d'eux comme un simoun ardent, et continuaient à avancer en sondant de l'œil l'ombre qui les enveloppait comme d'un lourd linceul et en prêtant l'oreille aux bruits que les échos se renvoyaient de l'un à l'autre en les rendant plus éclatants et plus vibrants encore.

Ils atteignirent ainsi, sans avoir échangé une parole, le gué del Rubio. Là, comme d'un commun accord, ils s'arrêtèrent.

Le Rubio, affluent perdu et ignoré du Gran Río Colorado del Norte, dans lequel il se jette après un cours tourmenté d'une vingtaine de lieues à peine, est en temps ordinaire un mince filet d'eau que les pirogues indiennes ont peine à parcourir et que les chevaux passent a gué avec de l'eau à peine au ventre presque partout; mais à cette heure le placide ruisseau était devenu tout à coup un torrent fougueux roulant à grand bruit dans ses eaux profondes et fangeuses des arbres déracinés et même des quartiers de rocs.

Songer à traverser le Rubio eût été commettre en ce moment une insigne folie; l'homme assez téméraire pour tenter cette entreprise aurait été en quelques minutes emporté et roulé par les eaux furieuses, dont la nappe jaunâtre s'élargissait de minute en minute.

Les chasseurs demeurèrent un instant immobiles sous les torrents de pluie qui les inondaient, considérant d'un œil rêveur l'eau qui montait toujours et maintenant à grand-peine leurs chevaux effrayés qui se cabraient avec de sourds hennissement de terreur.

Ces deux hommes au cœur de bronze restaient impassibles au milieu du fracas épouvantable des éléments déchaînés, sans paraître s'apercevoir de l'effroyable tempête qui hurlait autour d'eux, aussi calmes et l'esprit aussi tranquille que s'ils avaient été confortablement assis au fond de quelque antre inaccessible auprès d'un joyeux feu de sarments. Ils n'avaient qu'une idée, venir en aide à celui qu'ils soupçonnaient courir en ce moment un danger terrible.

Tout à coup ils tressaillirent et relevèrent brusquement la tête en fixant devant eux des regards ardents et avides, mais l'ombre était trop épaisse, ils ne purent rien distinguer.

Au milieu des mille bruits de la tempête un cri avait frappé leur oreille.

Ce cri était un appel suprême, cri d'agonie strident et prolongé, comme l'homme fort vaincu par la fatalité en trouve lorsqu'il est contraint d'avouer son impuissance, que tout lui manque à la fois et qu'il n'a plus d'autre recours que Dieu. Les deux hommes se penchèrent vivement en avant, et plaçant leurs mains à leur bouche en forme d'entonnoir, ils poussèrent à leur tour un cri aigu et prolongé.

Puis ils écoutèrent.

Au bout d'une minute, un second cri plus perçant, plus désespéré que le premier traversa l'espace.

– Oh! s'écria Bon-Affût, en se haussant sur ses étriers et en serrant les poings avec douleur, cet homme est en danger de mort.

– Quel qu'il soit il faut le sauver, répondit résolument Balle-Franche.

Ils s'étaient compris.

Mais comment sauver cet homme! Où était-il? Quel danger le menaçait? Qui pouvait répondre à ces questions qu'ils s'adressaient mentalement?

Là se dressait l'impossible.

Au risque d'être emportés par les eaux, les chasseurs contraignirent leurs chevaux à entrer dans la rivière, et presque couchés sur le cou des nobles bêtes épouvantées, ils interrogèrent les flots.

Mais nous l'avons dit, les ténèbres étaient trop épaisses, ils ne purent rien voir.

– L'enfer s'en mêle! s'écria Bon-Affût, avec désespoir. Mon Dieu! Mon Dieu! Laisserons-nous donc mourir cet homme sans lui venir en aide!

En ce moment un éclair sillonna le ciel d'un éblouissant zigzag.

A sa lueur fugitive, les chasseurs entrevirent un cavalier luttant avec rage contre l'effort des flots.

– Courage! Courage! crièrent-ils.

– A moi! répondit l'inconnu d'une voix étranglée.

Il n'y avait pas à hésiter, chaque seconde était un siècle. L'homme et le cheval luttaient courageusement contre le torrent qui les entrainait, la résolution des chasseurs fut prise en une seconde. Ils se serrèrent silencieusement la main et enfoncèrent en même temps les éperons dans les flancs de leurs montures, les chevaux se cabrèrent avec un hennissement de douleur, mais contraints d'obéir à la main de fer qui les maîtrisait, ils bondirent effarés au milieu de la rivière.

Soudain deux coups de feu se firent entendre, une balle passa en sifflant entre les deux hommes et un cri de douleur sortit du sein de l'eau.

L'homme qu'ils allaient secourir était blessé.

L'orage augmentait toujours, les éclairs se succédaient avec une rapidité inouïe. Les chasseurs aperçurent l'inconnu cramponné à la bride de son cheval et se laissant emporter par lui.

Puis sur l'autre rive, le corps penché en avant, un homme, le rifle épaulé prêt à tirer.

– Chacun le sien dit laconiquement Bon-Affût.

– Bien, répondit non moins brièvement Balle-Franche. Le Canadien prit la reata pendue à l'argon de sa selle, la leva dans sa main et la faisant tourner autour de sa tête, il attendit la lueur du prochain éclair.

Son attente ne fut pas longue, mais si rapide qu'elle eût été, Balle-Franche avait profité de cette lueur passagère pour jeter la reata. La corde de cuir s'échappa en sifflant et le nœud coulant qui la terminait s'abattit sur le cou du cheval qui luttait si courageusement contre le torrent.

– Courage! Courage! cria Balle-Franche. A moi, Bon-Affût! A moi!

Et donnant une forte secousse à son cheval, il le fit volter sur les jambes de derrière, au moment où il allait perdre pied, et le lança vers la rive.

– Me voici! répondit Bon-Affût, qui guettait l'occasion de faire feu, patience! J'arrive.

Tout à coup il pressa la détente, le coup partit, de l'autre rive un cri de colère et de douleur arriva jusqu'aux chasseurs.

– Il est touché! dit Bon-Affût, demain je saurai qui est ce drôle, et, rejetant son rifle derrière lui, il lança son cheval au-devant de Balle-Franche.

Le cheval que le Canadien avait lacé se sentant soutenu et entraîné au rivage, seconda avec l'intelligence que possèdent ces nobles animaux, les efforts que l'on faisait pour le sauver.

Les deux chasseurs s'étaient attelés à la reata. Les forces réunies de leurs montures, aidées parle cheval lacé parvinrent à rompre le courant, et après une lutte de quelques minutes ils atteignirent enfin le rivage. Dès qu'ils furent relativement en sûreté, les Canadiens sautèrent à bas de leur selle et s'élancèrent vers le cheval de l'inconnu.

Aussitôt qu'elle avait senti la terre ferme sous ses pieds, la noble bête s'était arrêtée, semblant comprendre que si elle avançait elle briserait contre les pierres qui jonchaient le sol son maître, qui, bien que sans connaissance, tenait toujours serrée entre ses main crispées la bride qu'il n'avait pas lâchée. Les chasseurs coupèrent cette bride, soulevèrent entre leurs bras l'homme qu'ils avaient si miraculeusement sauvé, et le portèrent à quelques pas plus loin, sous un arbre au pied duquel ils le déposèrent doucement. Puis tous deux avidement penchés sur son corps, ils attendirent une lueur quelconque qui leur permit de le reconnaître.

– Oh! s'écria tout à coup Bon-Affût, en se redressant, avec une expression de douleur mêlée d'épouvante, don Miguel Ortega!

XII.
Don Stefano Cohecho

Ainsi que nous l'avons rapporté plus haut, après avoir quitté Balle-Franche, don Stefano était retourné au camp des gambucinos, dans lequel il était parvenu à rentrer sans être aperçu.

Une fois dans l'intérieur du camp, le mexicain n'avait plus rien à redouter; il regagna le feu auprès duquel son cheval était attaché, caressa la noble bête qui avait tourné vers lui la tête et redressé les oreilles à son approche, puis il se coucha tranquillement, se roula dans ses couvertures et s'endormit avec cette placidité particulière aux consciences tranquilles.

Plusieurs heures s'écoulèrent, sans que nul bruit ne vint troubler le calme qui planait sur le camp.

Soudain, don Stefano, ouvrit les yeux; une main s'était doucement posée sur son épaule droite.

Le Mexicain regarda l'homme qui interrompait son sommeil; à la lueur des étoiles pâlissantes, il reconnut Domingo. Don Stefano se leva et suivi silencieusement le gambucino. Celui-ci le conduisit aux retranchements, dans le but probablement de causer sans craindre les oreilles indiscrètes.

– Eh bien? lui demanda don Stefano, lorsque le gambucino lui eut fait signe qu'il pouvait parler.

Domingo, suivant l'ordre qu'il en avait reçu de Balle-Franche, lui rapporta succinctement ce qui s'était passé dans la Prairie. En apprenant que le Canadien avait enfin rencontré Bon-Affût, don Stefano tressaillit de joie, puis il se remit à écouter le récit du gambucino, avec un intérêt croissant. Lorsque celui-ci eut enfin terminé, ou du moins qu'il le vit demeurer silencieux devant lui:

– Est-ce tout? lui demanda-t-il.

– Tout, répondit l'autre.

Don Stefano sortit sa bourse, y puisa quelques pièces d'or et les remit à Domingo; celui-ci les prit avec un mouvement de plaisir.

– Balle-Franche ne t'a chargé de rien autre pour moi? demanda encore le Mexicain.

L'autre sembla réfléchir un instant.

– Ah! fit-il, j'oubliais; le chasseur m'a chargé de vous dire, seigneurie, que vous ne quittiez pas le camp.

– Sais-tu la raison de cette recommandation?

– Certes, il compte rejoindre ce soir la cuadrilla au gué del Rubio.

Le front du Mexicain s'assombrit à cette parole.

– Tu en es sûr? dit-il.

– Voilà ce qu'il m'a dit.

Il y eut un silence de quelques secondes.

– Bon, reprit-il au bout d'un instant; le chasseur n'a rien ajouté de plus?

– Rien.

– Hum! murmura don Stefano, enfin n'importe; puis, appuyant fortement la main sur l'épaule du gambucino et le regardant bien en face: maintenant, ajouta-t-il, en pesant avec intention sur chaque mot, retiens bien ceci: tu ne me connais pas; quoi qu'il arrive, tu ne souffleras pas un mot de la façon dont nous nous sommes rencontrés dans la Prairie.

– Vous pouvez y compter, seigneurie.

– J'y compte, répondit le Mexicain, avec une intonation qui fit trembler Domingo tout brave qu'il était; souviens-toi du serment que tu m'as fait et de l'engagement que tu as pris envers moi.

– Je m'en souviendrai.

– Si tu tiens tes promesses et si tu m'es fidèle, je me charge de te mettre pour toujours à l'abri du besoin, sinon, prends garde.

Le gambucino haussa les épaules avec dédain, et répondit d'un ton de mauvaise humeur:

– Il est inutile de me menacer, seigneurie; ce qui est dit est dit, ce qui est promis est promis.

– Nous verrons.

– Si vous n'avez rien d'autre à me recommander, je crois que nous ferons bien de nous séparer. Voici le jour qui commence à poindre, mes compagnons ne tarderont pas à s'éveiller, et je crois que vous n'êtes pas plus soucieux que moi que l'on nous surprenne ensemble.

– Tu as raison.

Ils se quittèrent sur ce mot; don Stefano retourna à sa place, le gambucino s'étendit au premier endroit venu, et bientôt tous deux furent endormis ou plutôt le parurent.

Aux premiers rayons du soleil, don Miguel souleva le rideau de la tente et se dirigea vers son hôte; celui-ci dormait à poings fermés. Don Miguel se fit un scrupule de troubler ce paisible sommeil; il s'accroupit auprès du feu, rapprocha les tisons épars, les raviva, tordit une fine cigarette de maïs et fuma philosophiquement en attendant le réveil de son hôte.

Cependant tout était en mouvement dans le camp: les gambucinos vaquaient aux devoirs du matin, les uns conduisaient les chevaux à la rivière, afin de les baigner; d'autres attisaient les feux afin de préparer le déjeuner de la cuadrilla, enfin chacun s'occupait à sa manière dans l'intérêt général.

Enfin, don Stefano, sur le visage duquel jouait depuis quelques minutes un rayon de soleil, jugea à propos de s'éveiller; il se retourna, allongea ses membres et ouvrit les yeux en baillant à plusieurs reprises.

– Caramba! fit-il en se redressant, il est déjà jour; comme une nuit est vite passée; il me semble qu'il y a une heure à peine que je me suis couché.

– Je vois avec plaisir que vous avez bien dormi, caballero, lui dit poliment don Miguel.

– Eh quoi! C'est vous, mon hôte, s'écria don Stefano avec un étonnement parfaitement joué; la journée sera heureuse pour moi, puisque le premier visage que j'aperçois, on ouvrant les yeux, est celui d'un ami.

– Je reçois ce compliment comme une galanterie de votre part.

– Ma foi non; je vous assure que ce que je vous dis est l'expression sincère de ma pensée, répondit le Mexicain avec bonhomie: il est impossible de mieux faire les honneurs du désert et de mieux comprendre les saintes lois de l'hospitalité.

– Je vous remercie de la bonne opinion que vous voulez bien avoir de moi. J'espère que vous ne nous quitterez pas encore, et que vous consentirez à demeurer quelques jours avec nous.

– Je le voudrais, don Miguel; Dieu m'est témoin que je serais heureux de jouir, pendant quelque temps, de votre charmante compagnie; malheureusement cela m'est absolument impossible.

– Il serait vrai?

– Hélas! Oui, un devoir impérieux m'oblige à vous quitter aujourd'hui même; vous me voyez au désespoir de ce fâcheux contre-temps.

– Quel motif assez puissant peut vous contraindre à vous éloigner aussi brusquement?

– Mon Dieu, un motif bien trivial, et qui probablement vous fera sourire. Je suis négociant à Santa Fe; il y a quelques jours, les faillites successives de plusieurs négociants de Monterey, avec lesquels je suis en rapports suivis d'affaires, m'ont obligé à quitter subitement ma maison, afin de tâcher de sauver par ma présence quelques bribes du naufrage dont je suis menacé; je me suis mis en route sans demander avis à personne, et me voilà.

– Mais, objecta don Miguel, vous êtes fort loin de Monterey encore.

– Je le sais bien, et c'est ce qui me désespère; j'ai une peur affreuse d'arriver trop tard, d'autant plus que j'ai été averti que les gens auxquels j'ai affaire sont des fripons; les sommes qu'ils ont à moi sont considérables et forment, s'il faut vous l'avouer, le plus clair de ma fortune.

– Cáspita! S'il en est ainsi, je comprends que vous ayez hâte d'arriver.

– N'est-ce pas?

– Je ne soupçonnais pas que vous eussiez un motif aussi sérieux de presser votre voyage.

– Vous le voyez, plaignez-moi, don Miguel.

Toute cette conversation avait eu lieu entre les deux personnages avec une aisance charmante et une bonhomie parfaitement jouée de part et d'autre; pourtant ni l'un ni l'autre n'était dupe: don Stefano, comme cela arrive souvent, avait commis l'énorme faute de vouloir être trop fin et de s'avancer au delà des bornes de la prudence, en cherchant à persuader son interlocuteur de la sincérité de ses paroles. Cette feinte sincérité avait éveillé la méfiance de don Miguel pour deux raisons: d'abord parce que, venant de Santa Fe et se rendant à Monterey, don Stefano non seulement n'était pas sur la route qu'il aurait dû suivre, mais encore il tournait complètement le dos à ces deux villes, erreur que son ignorance de la topographie du pays lui faisait commettre sans qu'il s'en doutât; la seconde raison était aussi péremptoire: jamais un négociant quelconque n'aurait osé essayer, quelque graves que fussent les motifs d'un pareil voyage, de franchir seul le désert, à cause des Indios bravos, des pirates, des bêtes fauves et des mille autres dangers non moins grands auxquels il se serait exposé sans espoir possible de leur échapper.

Cependant don Miguel feignit d'admettre sans discussion les raisons que lui donnait son hôte, et ce fut de l'air le plus convaincu qu'il lui répondit:

– Malgré le vif désir que j'aurais eu à jouir plus longtemps de votre agréable société, je ne vous retiens plus, caballero; je comprends combien il est urgent pour vous de vous hâter.

Don Stefano s'inclina avec un imperceptible sourire de triomphe.

– Enfin, ajouta don Miguel, je souhaite que vous réussissiez à sauver votre fortune des griffes de ces fripons; dans tous les cas j'espère, caballero, que nous ne nous séparerons pas avant d'avoir déjeuné. Je vous avouerai que votre refus d'accepter une part de mon maigre souper hier au soir m'a peiné.

– Oh! interrompit don Stefano, croyez, caballero…

– Vous m'avez donné une excuse fort admissible, continua don Miguel; mais, ajouta-t-il avec intention, nous autres gambucinos et aventuriers, nous sommes de singulières natures, nous nous figurons, à tort ou à raison, que l'hôte qui refuse de manger avec nous est notre ennemi ou le deviendra.

Don Stefano tressaillit légèrement à cette brusque attaque.

– Pouvez-vous supposer cela, caballero? dit-il évasivement.

– Ce n'est pas moi qui le suppose, c'est nous tous, la race bizarre à laquelle nous appartenons, c'est un préjugé, une superstition stupide, tout ce que vous voudrez, mais cela est ainsi, fit-il avec un sourire acéré comme la pointe d'un poignard, et rien ne pourra changer notre nature: ainsi c'est convenu, nous allons déjeuner, puis je vous souhaiterai bon voyage, et nous nous séparerons.

Don Stefano prit une figure désespérée.

– Allons, je joue du malheur, dit-il en hochant la tête.

– Comment cela?

– Mon Dieu! Je ne sais comment vous expliquer ce qui m'arrive; c'est si ridicule que vraiment je n'ose…

– Dites toujours, caballero; bien que je ne sois qu'un grossier aventurier, peut-être parviendrai-je à vous comprendre.

– C'est que je vais vous blesser.

– Pas le moins du monde; n'êtes-vous pas mon hôte? Un hôte est envoyé par Dieu, c'est-à-dire sacré.

Don Stefano hésita.

– Eh! fit en riant don Miguel, je vais faire servir le déjeuner; peut-être vous déliera-t-il la langue.

– Voilà justement la question embarrassante, s'écria vivement le Mexicain avec un accent chagrin, c'est que, malgré tout mon désir de vous être agréable, je ne puis accepter votre gracieuse invitation.

Le jeune homme fronça le sourcil.

– Ah! Ah! fit-il en fixant un regard soupçonneux sur son interlocuteur, pourquoi donc?

– Voilà justement ce que je n'ose vous avouer.

– Osez, osez, caballero; ne vous ai-je pas averti que vous aviez le droit de tout dire?

– Mon Dieu, c'est vous qui m'y forcez, dit-il d'une voix de plus en plus triste, figurez-vous que j'ai fait vœu à Nuestra Señora de los Ángeles de ne jamais, tout le temps que je serai en route pour ce voyage maudit, prendre de nourriture avant le soleil couché.

– Ah! fit don Miguel d'un accent peu convaincu; mais hier au soir, lorsque je vous ai offert à souper, le soleil était couché depuis longtemps déjà il me semble.

– Attendez donc, je n'ai pas fini.

– J'écoute.

– Et alors même, reprit le Mexicain, de ne manger qu'une des tortillas de maïs que je porte avec moi dans mes alforjas, et que j'ai fait bénir par un prêtre avant mon départ de Santa Fe; vous voyez, tout cela doit vous paraître bien ridicule, mais nous sommes compatriote tous deux, nous avons du sang espagnol dans les veines, et au lieu de rire de ma sotte superstition vous me plaindrez.

– Cáspita! D'autant plus que vous vous êtes astreint à une rude pénitence. Je ne chercherai pas à vous faire renoncer à votre superstition, car moi aussi j'ai la mienne; je crois que le mieux est de ne pas revenir sur ce sujet.

– Vous ne m'en voulez pas, au moins?

– Moi! Pourquoi donc vous en voudrais-je?

– Ainsi, nous sommes toujours bons amis?

– Plus que jamais, fit en riant don Miguel.

Cependant la façon dont ses paroles furent prononcées ne rassura que médiocrement le Mexicain; il lança un regard en dessous à son interlocuteur et se leva.

– Vous partez? lui demanda le jeune homme.

– Si vous me le permettez je me mettrai en route.

– Faites, faites, mon hôte.

Don Stefano, sans répondre se mit incontinent à seller son cheval.

– Vous avez là une noble bête, observa don Miguel.

– Oui, c'est un barbe pur sang.

– Voilà la première fois que je vois un individu de cette race précieuse.

– Regardez-le tout à votre aise.

– Je vous remercie; mais je craindrais de vous retarder davantage; hola! Mon cheval, ajouta-t-il en s'adressant à Domingo.

Celui-ci lui amena un mustang plein de feu, sur le dos duquel le jeune homme s'élança d'un bond; de son côté, don Stefano s'était mis en selle.

– Est-ce que vous allez faire une promenade aux environs? demanda-t-il.

– Si vous me le permettez, j'aurai l'honneur de vous accompagner pendant quelques pas, à moins, ajouta-t-il avec un sourire railleur, que vous ayez encore fait un vœu qui vous le défende, auquel cas je m'abstiendrai.

– Allons! fit don Stefano d'un ton de reproche, vous m'en voulez.

– Ma foi non, je vous jure.

– A la bonne heure; nous partirons quand vous voudrez.

– Je suis à vos ordres.

Ils piquèrent leurs chevaux et sortirent du camp.

A peine avaient-ils fait une vingtaine de pas, que don Miguel tira la bride de son cheval et l'arrêta.

– Vous me quittez déjà? lui demanda don Stefano.

– Je ne ferai pas un pas de plus, répondit le jeune homme; et, redressant fièrement la tête et fronçant les sourcils, écoutez-moi, lui dit-il d'un ton hautain: ici vous n'êtes plus mon hôte, nous sommes hors de mon camp, dans le désert; je puis donc m'expliquer clairement et nettement avec vous, et, voto à brios, je vais le faire.

Le Mexicain le regarda d'un air surpris.

– Je ne vous comprends pas, dit-il.

– Peut-être; je souhaite que cela soit, mais je ne le crois pas; tant que vous avez été mon hôte, j'ai feint d'ajouter foi aux mensonges que vous me débitiez; mais maintenant vous n'êtes plus pour moi, que le premier venu, un étranger, et je veux vous faire connaître franchement ma pensée; je ne sais quel nom appliquer sur voire face blême, mais je suis certain que vous êtes mon ennemi ou tout au moins l'espion de mes ennemis.

– Caballero, ces paroles… s'écria don Stefano.

– Ne m'interrompez pas, continua le jeune homme avec violence, peu m'importe qui vous êtes, il me suffit de vous avoir démasqué; je vous remercie d'être entré dans mon camp; au moins maintenant, si je vous rencontre jamais, je vous reconnaîtrai; seulement croyez-moi; ceci est un conseil que je me permets de vous donner: secouez vos chaussures en me quittant, ne vous trouvez plus en face de moi, il pourrait vous arriver malheur!

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
480 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain