Kitabı oku: «L'éclaireur», sayfa 8
– Des menaces! interrompit le Mexicain pâle de rage.
– Prenez mes paroles comme il vous plaira, mais retenez-les dans l'intérêt de votre sûreté; bien que je ne sois qu'un aventurier, je vous donne en ce moment une leçon de loyauté dont vous ferez bien de profiter; rien ne me serait plus facile que d'acquérir les preuves de votre trahison; j'ai avec moi trente compagnons dévoués qui, sur un signe de moi, vous feraient un fort mauvais parti, et, en fouillant vos habits et vos afforjas, trouveraient sans doute au milieu de vos tortillas bénites, fit-il avec un sourire sardonique, les raisons de la conduite que vous avez tenue avec moi depuis que je vous ai rencontré; mais vous avez été mon hôte, et ce titre est votre sauvegarde; allez en paix, et ne vous placez plus sur ma route.
En prononçant ces mots il leva le bras et appliqua un vigoureux coup de chicote (cravache) sur la croupe du cheval de don Stefano. Le barbe, peu habitué à de semblables traitements, partit comme un trait, malgré tous les efforts de son cavalier pour le retenir.
Don Miguel le suivit un instant des yeux, puis il retourna à son camp en riant a gorge déployée de la façon dont il avait terminé l'entretien.
– Allons, enfants! dit-il aux gambucinos, en route vivement, il nous faut arriver avant le coucher du soleil au gué del Rubio, ou le guide nous attend.
Une demi-heure plus tard, la caravane se mettait en marche.
XIII.
L'embuscade
Aucun incident digne d'être rapporté ne troubla le voyage pendant le cours de cette journée. La cuadrilla traversait un pays accidenté, coupé de rivières peu profondes, parsemé de hautes futaies et de bouquets de cotonniers, peuplés par une infinité d'oiseaux de toutes sortes et de toutes couleurs; à l'horizon une longue ligne jaunâtre, au-dessus de laquelle planait un épais nuage de vapeurs, indiquait le Río Colorado Grande del Norte.
Ainsi que don Miguel l'avait prévu, on atteignit le gué del Rubio quelques minutes avant le coucher du soleil.
Nous expliquerons ici en quelques mots de quelle façon campent les caravanes dans le désert; cette description est indispensable pour que le lecteur puisse comprendre comment il est facile de sortir et de rentrer dans le camp sans être aperçu.
La cuadrilla, en sus de ses mules de charge, conduisait avec elle une quinzaine de wagons chargés de marchandises; lorsque l'endroit du campement était choisi, les quinze wagons étaient disposés en carré à la distance de trente-cinq pieds l'un de l'autre; dans les intervalles étaient placés six ou huit hommes qui allumaient un feu autour duquel ils se groupaient pour cuisiner, manger, causer et dormir. Les chevaux étaient placés au centre du carré, non loin de la tente mystérieuse qui marquait juste le milieu du camp. Chaque cheval avait le pied hors montoir avec le pied correspondant de derrière attachés à une corde longue de vingt pouces. Nous ferons remarquer que bien qu'un cheval entravé de cette façon se trouve d'abord fort gêné, bientôt il s'accoutume suffisamment pour pouvoir marcher lentement. Du reste, cette mesure toute de prudence est prise afin que les bêtes ne s'éloignent pas et ne soient point enlevées par les Indiens. Deux chevaux sont toujours entravés ensemble, un qui a les pieds attachés, et l'autre retenu seulement par une longe, et qui en cas d'alarme piaffe et galope autour de son compagnon qui lui sert pour ainsi dire de pivot.
L'espace laissé libre par les wagons était rempli par des fascines, des arbres empilés les uns sur les autres, et les ballots des mules.
Rien n'est plus singulier que l'aspect d'un de ces campements d'aventuriers dans la prairie. Les feux sont entourés de groupes pittoresques, assis, penchés ou debout, les uns cuisinant, d'autres raccommodant leurs habits ou les harnais des chevaux, d'autres fourbissant leurs armes; par intervalles, du sein de ces groupes s'élèvent des éclats de rire qui annoncent que les contes joyeux font gaiement la ronde, et qu'en devisant on cherche à oublier les fatigues du jour et à se préparer à celles du lendemain.
Puis, pour compléter le tableau, de distance en distance devant les retranchements les sentinelles calmes et droites, appuyées sur leurs riffles.
Ainsi que nous l'avons dit, au centre s'élève la tente du chef gardée par un factionnaire qui surveille en même temps les chevaux.
D'après la description que nous avons donnée, il est facile de comprendre que les wagons forment des espèces d'embrasures au moyen desquelles un homme adroit peut facilement, en rampant sous les trains, sortir sans être aperçu des factionnaires et rentrer lorsque bon lui semble, sans avoir éveillé l'attention de ses compagnons, dont les regards, ordinairement dirigés vers la campagne, n'ont aucune raison de surveiller ce qui se passe à l'intérieur du camp.
Aussitôt que tout fut en ordre, que chacun fut installé aussi confortablement que le permettaient les circonstances, don Miguel se fit amener un cheval frais sur lequel il monta, et s'adressant à ses compagnons groupés autour de lui:
– Señores, dit-il, une affaire pressante m'oblige à m'éloigner pour quelques heures, veillez avec soin sur le camp pendant mon absence, surtout ne laissez pénétrer personne au milieu de vous; nous nous trouvons dans des régions où la plus grande prudence est nécessaire pour se garantir de la trahison qui menace sans cesse et prend toutes les formes pour tromper ceux que la négligence empêche de se tenir sur leurs gardes. Le guide que nous attendons si impatiemment, arrivera sans doute d'ici à quelques instants; ce guide, plusieurs d'entre vous le connaissent déjà de vue, tous le connaissent de réputation, peut-être viendra-t-il seul, peut-être amènera-t-il quelqu'un avec lui. Cet homme, dans lequel nous devons avoir la plus grande confiance, doit être, pendant mon absence, entièrement libre de ses actions, aller et venir sans qu'on lui oppose le moindre obstacle; vous m'avez entendu, suivez de point en point mes recommandations; du reste, je vous le répète, je serai bientôt de retour.
Après avoir fait un dernier signe d'adieu à ses compagnons, don Miguel sortit du camp et se dirigea vers le Rubio, dont il traversa facilement le gué presque à sec en ce moment.
Ce que le chef des aventuriers avait dit à ses compagnons, à propos de Bon-Affût, était une inspiration du ciel, car, s'il n'avait par ordonné péremptoirement qu'on laissât le chasseur libre de ses mouvements et de ses volontés, il est probable que les sentinelles lui auraient barré le passage, et alors le jeune homme, privé du secours providentiel des deux coureurs des bois, aurait été incontestablement perdu.
Après avoir traversé le gué, don Miguel lança son cheval à toute bride tout droit devant lui; cette course furieuse dura à peu près deux heures, à travers des bois touffus qui, à chaque instant, se faisaient plus épais et se métamorphosaient peu à peu en forêt.
Après avoir traversé une gorge assez profonde, dont les flancs rapides étaient couverts de fourrés impénétrables, le jeune homme arriva à une espèce de carrefour étroit ou aboutissaient plusieurs sentiers de bêtes fauves, et au centre duquel un Indien, revêtu de son costume de guerre, fumait gravement accroupi devant un feu de fiente de bison, pendant que son cheval, entravé à quelque distance, broutait du bout des lèvres les jeunes pousses des arbres. Dès qu'il aperçut l'Indien, don Miguel pressa l'allure de son cheval afin de le joindre plus promptement.
– Bonsoir, chef, dit-il en sautant légèrement à terre et en serrant amicalement la main que lui tendait le guerrier.
– Ooah! fit le chef, je n'attendais plus mon frère pâle.
– Pourquoi donc, puisque je vous avais promis de venir.
– Peut-être aurait-il mieux valu que le visage pâle demeurât dans son camp; Addick est un guerrier, il a découvert une piste.
– Bon! Les pistes ne manquent pas dans la prairie.
– Och! Celle-ci est large et foulée sans précaution: c'est une trace des visages pâles.
– Bah! Que m'importe, fit insoucieusement le jeune homme; croyez-vous donc que ma troupe est la seule qui parcoure les prairies en ce moment?
Le peau-rouge secoua la tête.
– Un guerrier indien ne se trompe pas sur le sentier de la guerre. Cette piste est celle d'un ennemi de mon frère.
– Qui vous le fait supposer?
L'Indien parut ne pas vouloir s'expliquer plus clairement; il baissa la tête, et au bout d'un instant il répondit:
– Mon frère verra.
– Je suis fort, bien armé, je me soucie fort peu de ceux qui prétendraient me surprendre.
– Un homme n'en vaut pas dix, fit sentencieusement l'Indien.
– Qui sait? répondit légèrement le jeune homme; mais, continua-t-il, ce n'est pas de cela qu'il s'agit en ce moment; je viens ici chercher les nouvelles que le chef m'a promises.
– La promesse d'Addick est sacrée.
– Je le sais, chef, voilà pourquoi je n'ai pas hésité à venir; mais le temps se passe, j'ai une longue route à faire pour rejoindre mes compagnons, un orage se prépare, et je vous avoue que je serais médiocrement flatté d'y être exposé à mon retour; veuillez donc être bref.
Le chef s'inclina affirmativement, et de la main il indiqua au jeune homme une place à ses côtés.
– Bon; maintenant commencez, chef, je suis tout oreille, répondit don Miguel en se laissant tomber sur le sol; et d'abord, comment se fait-il que ce ne soit qu'aujourd'hui que je vous rencontre?
– Parce que, répondit flegmatiquement l'Indien, comme mon frère le sait, il y a loin d'ici au Queche-Pitao (ville de Dieu); un guerrier n'est qu'un homme, Addick a accompli l'impossible pour rejoindre plus tôt son frère le visage pâle.
– Soit, chef, je vous remercie. Maintenant venons au fait: que vous est-il arrivé depuis notre séparation?
– Quiepaa-Tani a ouvert ses portes toutes grandes devant les deux jeunes vierges pâles; elles sont en sûreté, dans le Queche, loin des regards de leurs ennemis.
– Et ne vous ont-elles chargé de rien me dire?
L'Indien hésita une seconde.
– Non, dit-il enfin, elles sont heureuses, et elles attendent.
Don Miguel soupira.
– C'est étrange, murmura-t-il.
Le chef jeta sur lui à la dérobée un regard inquisiteur.
– Que fera mon frère? demanda-t-il.
– Bientôt je serai près d'elles.
– Mon frère à tort, nul ne sait où elles se trouvent; à quoi bon révéler leur refuge?
– Bientôt, je l'espère, je serai libre d'agir sans craindre les regards indiscrets.
Une flamme sombre brilla dans l'œil du peau-rouge.
– Wacondah seul est maître de demain, fit-il.
Don Miguel le regarda.
– Que veut dire le chef?
– Rien autre que ce que je dis.
– Bon. Mon frère veut-il m'accompagner à mon camp?
– Addick retourne à Quiepaa-Tani, afin de veiller sur celles que son frère lui a confiées.
– Vous reverrai-je bientôt?
– Peut-être, répondit-il évasivement; mais, ajouta-t-il, mon frère ne m'a-t-il pas dit qu'il comptait se rendre au Queche?
– En effet.
– Quand viendra mon frère?
– Au plus tard, dans les premiers jours de la prochaine lune; pourquoi cette question?
– Mon frère est un visage pâle; si Addick ne l'introduit pas lui-même dans le Queche, le chef blanc n'y pourra pas pénétrer.
– C'est juste, à l'époque que je vous ai indiquée, je vous attendrai au pied de la colline ou nous nous sommes quittés.
– Addick y sera.
– Bien je compte sur vous; maintenant il faut que je vous quitte: la nuit tombe rapidement, le vent commence à souffler avec force, je dois partir.
– Adieu, répondit laconiquement le chef, sans faire un geste pour le retenir.
– Adieu.
Le jeune homme se mit en selle et piqua des deux.
Addick le regarda s'éloigner d'un air pensif; puis, lorsqu'il eut disparu derrière un bouquet d'arbres, il se pencha légèrement en avant et imita à deux reprises le sifflement du cobra Capel.
A ce signal, les branches d'un fourré peu distant du feu s'écartèrent avec précaution, et un homme parut.
Cet individu, après avoir jeté autour de lui un regard soupçonneux, s'avança vers le chef, devant lequel il s'arrêta.
Cet homme était don Stefano Cohecho.
– Eh bien? dit-il.
– Mon père a entendu? demanda l'Indien d'un ton équivoque.
– Tout.
– Alors je n'ai rien à apprendre à mon père.
– Rien.
– L'orage commence; que veut faire mon père?
– Ce qui est convenu; les guerriers du chef sont prêts?
– Oui.
– Où sont-ils?
– A l'endroit désigné.
– Bien, partons.
– Partons.
Ces deux hommes, qui depuis longtemps déjà devaient fort bien se connaître, s'étaient entendus en quelques mots.
– Venez, dit don Stefano à voix haute.
Une dizaine de cavaliers mexicains parurent.
– Voilà du renfort au cas où vos guerriers ne suffiraient pas, fit-il en se tournant vers le chef.
Celui-ci dissimula un mouvement de mauvaise humeur et répondit, en haussant les épaules avec dédain:
– A quoi bon vingt guerriers sur un homme seul!
– C'est que cet homme en vaut cent! répondit don Stefano avec un ton de conviction qui donna à réfléchir au chef.
Ils partirent.
Cependant don Miguel galopait toujours; il était loin pourtant de se douter du complot qui, en ce moment, se tramait contre lui; et, s'il hâtait sa marche, ce n'était nullement par appréhension, mais parce que le vent, dont la violence croissait de minute en minute, et les larges gouttes de pluie qui commençaient à tomber, l'avertissaient de chercher un abri au plus vite. Tout en galopant, il réfléchissait au court entretien qu'il avait eu avec le guerrier peau-rouge; en repassant dans son esprit les paroles qui avaient été échangées entre eux, il sentait une inquiétude vague, une crainte secrète, se glisser dans son cœur, sans qu'il lui fût possible de se rendre bien clairement compte de l'émotion qu'il éprouvait; il lui semblait entrevoir une trahison derrière les réticences étudiées du chef; il se rappelait maintenant que parfois celui-ci avait paru gêné en lui parlant. Tremblant alors qu'un malheur ne fut arrivé aux jeunes filles ou qu'un péril les menaçât, il sentit augmenter son inquiétude, d'autant plus qu'il ne savait quel moyen employer pour s'assurer de la fidélité de l'homme qu'il soupçonnait d'une perfidie.
Tout à coup un éclair éblouissant traversa la nuée, son cheval fit un brusque écart de côté et deux ou trois balles sifflèrent auprès de lui.
Le jeune homme se redressa sur sa selle. Il se trouvait au milieu de la gorge que quelques heures auparavant, il avait traversée; une obscurité profonde l'enveloppait de toutes parts, et dans l'ombre, tout autour de lui, il lui sembla voir s'agiter des formes humaines indécises et comme effacées par l'épaisseur des ténèbres. En ce moment, d'autres coups de feu furent tirés sur lui, son chapeau fut enlevé par une balle, et plusieurs flèches passèrent à quelques lignes de son visage.
Don Miguel releva résolument la tête.
– Ah! Traîtres! s'écria-t-il d'une voix forte.
Et, enlevant son cheval avec les genoux, il s'élança en avant avec une vélocité vertigineuse, tenant la bride aux dents, à demi couché sur le cou de sa monture, et un revolver de chaque main.
Un effroyable cri de guerre se fit entendre, mêlé à des imprécations de fureur articulées en espagnol.
Don Miguel passa comme un tourbillon au milieu de la masse qui s'agitait autour de lui, et déchargea ses revolvers au plus épais de ses ennemis inconnus. Des cris de douleur et de rage, des coups de feu et des flèches le poursuivirent sans ralentir la course effrénée de son cheval, qui semblait ne plus toucher terre, tant il détalait avec rapidité.
Derrière lui, le jeune homme entendait le galop furieux de plusieurs chevaux qui se pressaient à sa poursuite.
– Trahison! Trahison! criait-il en brandissant son sabre, faisant cabrer son cheval et bondissant comme un chacal au milieu de l'affreuse mêlée qui se resserrait incessamment autour de lui.
Soudain, au plus fort de la lutte, au moment suprême où il sentait que ses forces étaient sur le point de l'abandonner, trois coups de feu éclatèrent dans l'ombre, et les gens qui l'attaquaient, pris à revers, furent contraints, à leur tour, de se défendre contre des ennemis invisibles.
– Nous arrivons! cria une voix vibrante dont l'accent énergique fit tressaillir les assaillants, tenez bon! Tenez bon!
Don Miguel répondit par un hurlement terrible et se rejeta au milieu de la mêlée avec un redoublement d'efforts. Maintenant il n'était plus seul, il se savait soutenu, il se croyait sauvé.
La foule oscilla dans l'ombre comme les blés murs sous la faux du moissonneur, la masse compacte des assaillants se fendit en deux parts, trois hommes, trois démons, se précipitèrent au milieu de la trouée qu'ils avaient faite, et leurs chevaux vinrent en bondissant se ranger aux côtés de celui de l'aventurier.
– Ah! Ah! s'écria celui-ci avec un éclat de rire railleur, la lutte est égale maintenant; en avant, compagnons, en avant!
Et il se rejeta dans la mêlée, suivi de ces intrépides auxiliaires.
Qui étaient ces hommes? D'où venaient-ils? Il ne le savait pas et ne songeait pas à le demander. D'ailleurs, ce n'était pas le moment des explications, il fallait vaincre ou mourir.
– Tuez-le! Tuez-le! hurlait un homme qui, à chaque minute, se précipitait sur lui le sabre haut, avec toute la féroce ardeur d'une haine invétérée.
– Oh! C'est donc vous, don Stefano Cohecho, s'écria don Miguel, je savais bien que nous nous rencontrerions, votre voix vous a dénoncé.
– A mort! A mort! répondit celui-ci.
Les deux hommes se jetèrent à corps perdus l'un sur l'autre, les chevaux se heurtèrent avec une force terrible l'homme que l'aventurier prenait pour don Stefano roula sur le sol.
– Victoire! cria don Miguel en fouillant avec son machette tout ce qui se trouvait à sa portée.
Ses amis inconnus toujours auprès de lui s'élancèrent à sa suite. Malgré tous leurs efforts, ceux qui les attaquaient ne purent plus longtemps, maintenir leur position, et ils commencèrent à fuir dans toutes les directions.
La gorge était franchie.
Désormais nul obstacle sérieux ne s'opposait à la fuite de don Miguel; il pressa son cheval, la noble bête redoubla d'ardeur.
Un peu plus libre alors, le jeune homme regarda autour de lui. Ses défenseurs inconnus avaient subitement disparus comme par enchantement.
– Qu'est-ce que cela signifie? murmura-t-il.
En ce moment il sentit au bras gauche une commotion assez semblable à un coup de fouet: une balle venait de l'atteindre. Cette blessure le rappela au sentiment de sa position présente.
Ses ennemis s'étaient ralliés et avaient recommencé leur poursuite. Devant lui il entendait gronder les flots jaunâtres du Rubio; la colère de Dieu et la colère des hommes semblaient se liguer contre lui pour l'accabler: ce fut alors qu'une épouvante insensée s'empara de lui; il se crut perdu et poussa ce premier cri d'agonie entendu des chasseurs.
Cependant ceux qui le poursuivaient gagnaient rapidement sur lui; sans hésiter, sans réfléchir, il se précipita dans le Rubio avec son cheval; une vingtaine de balles firent crépiter l'eau tout autour de lui; il se retourna bravement sur son cheval et fit feu une dernière fois de ses revolvers en poussant ce cri auquel les chasseurs répondirent par le mot:
– Courage!
Mais la nature humaine a des bornes qu'elle ne peu dépasser. Ce dernier effort acheva d'éteindre le peu de forces qui lui restaient, et, serrant avec la frénésie de désespoir la bride de son cheval, il roula dans le fleuve et s'évanouit en murmurant d'une voix éteinte:
– Laura! Laura!
Deux coups de feu se croisèrent au-dessus de sa tête, l'un tiré par l'homme qui, de la rive, le couchait en joue l'autre par Bon-Affût. L'inconnu poussa un hurlement de bête fauve, s'affaissa en tournoyant comme un homme ivre et disparut.
Qui était cet homme? Était-il mort ou seulement blessé?
XIV.
Les voyageurs
Les événements que nous avons entrepris de raconter sont tellement mêlés d'incidents enchevêtrés les uns dans les autres par cette implacable fatalité du hasard qui domine la vie humaine, que nous sommes contraint, à notre grand regret, d'interrompre encore une fois notre récit, pour faire assister le lecteur à une scène qui se passait non loin du gué del Rubio le jour même ou s'accomplissaient les faits que nous avons rapportés dans nos précédents chapitres.
Environ vers une heure de la tarde, c'est-à-dire au moment ou les rayons du soleil, parvenu à son zénith, font peser sur la Prairie une chaleur si intense, que tout ce qui vit et qui respire cherche un refuge au plus profond des bois, trois cavaliers passèrent le gué del Rubio et s'engagèrent résolument dans la sente que devait quelques heures plus lard suivre don Miguel Ortega.
Ces cavaliers étaient des blancs, et qui plus est des Mexicains; il était facile de reconnaître, au premier abord, qu'ils n'appartenaient ni de près ni de loin à aucune des classes d'aventuriers qui, sous des dénominations différentes, telles que trappeurs, chasseurs, coureurs des bois, gambucinos ou pirates, pullulent dans les Prairies de l'Ouest, qu'ils parcourent incessamment dans tous les sens.
Le costume de ces cavaliers était celui porté habituellement par les hacenderos mexicains des frontières: le feutre à large bord galonné et garni de la toquilla, la manga, les calzoneras de velours ouvertes au genou, le zarapé, les botas vaqueras et les armas de agua, sans lesquelles nul ne se hasarde au désert. Ils étaient armés de rifles, revolvers, navaja et machete. Leurs chevaux, en ce moment accablés par la chaleur mais rafraîchis un peu au passage du gué, avaient les jambes fines, redressaient fièrement la tête et montraient qu'au besoin ils auraient pu, quelle que fût leur fatigue apparente, fournir une longue course.
Des trois cavaliers, l'un paraissait être le maître ou du moins le supérieur des deux autres.
C'était un homme d'une cinquantaine d'années, aux traits durs, accentués, mais empreints d'une rare franchise et d'une grande énergie; sa taille était haute, bien prise, vigoureusement charpentée, il se tenait droit et roide sur sa selle avec cette prestance assurée qui dénote les vieux soldats.
Ses compagnons appartenaient à la classe des Indios mansos, race abâtardie dans laquelle le sang indien et le sang espagnol se sont tellement mêlés, qu'il n'est plus possible de leur assigner un type caractéristique. Cependant la richesse de leurs vêtements et la façon dont ils cheminaient auprès du premier cavalier laissaient deviner qu'ils étaient pour lui des serviteurs de confiance, des hommes dont la fidélité était éprouvée de longue date, presque des amis enfin, et non des domestiques dans la brutale réception du mot. Autant qu'il est possible de reconnaître l'âge d'un Indien sur le visage duquel les traces de décrépitude sont presque toujours invisibles, ces deux hommes devaient avoir atteint le milieu de la vie, c'est-à-dire quarante à quarante-cinq ans.
Ces trois cavaliers venaient à peu de distance les uns des autres, l'air soucieux et triste; parfois ils jetaient autour d'eux un regard découragé, étouffaient un soupir et continuaient leur route la tête basse comme des hommes qui ont la conviction d'avoir entrepris une tâche au-dessus de leurs forces, mais que la volonté et surtout le dévouement poussent en avant quand même.
La présence de ces étrangers sur les rives du Rubio était du reste un de ces faits insolites que nul n'aurait pu expliquer, et qui certes aurait fort étonné les chasseurs ou les Indiens dont ils auraient été aperçus.
Dans les parages où ils se trouvaient, les animaux étaient rares, donc ils ne chassaient pas. Ces régions éloignées de toutes les zones civilisées, aboutissaient fatalement aux contrées inexplorées, dernier refuge des Indiens; ces hommes n'étaient donc pas des trafiquants ni des voyageurs ordinaires.
Quelle raison assez puissante les avaient déterminés à s'enfoncer ainsi dans le désert en aussi petit nombre, lorsque pour eux tout visage humain devait immanquablement être celui d'un ennemi?
Où allaient-ils? Que cherchaient-ils?
A cette double question, nul, si ce n'est ces hommes seuls, n'aurait osé répondre.
Cependant le gué avait été traversé; devant eux s'étendait une lande stérile et sablonneuse aboutissant à la gorge dont nous avons parlé plus haut.
Dans cette lande, pas un brin d'herbe ne verdissait; les rayons incandescents du soleil tombaient d'aplomb sur un sable brûlant qui rendait encore, s'il est possible, la chaleur plus lourde et plus étouffante.
Le plus âgé des voyageurs se tourna vers ses compagnons:
– Courage, muchachos! dit-il d'une voix douce, avec un triste sourire, en désignant à trois milles au loin à peu près les contreforts d'une forêt vierge, dont la végétation drue et serrée leur promettait une ombre réparatrice; courage, bientôt nous nous reposerons.
– Que votre seigneurie ne s'inquiète pas de nous, répondit un des criados; ce que votre seigneurie supporte sans se plaindre, nous autres pouvons aussi le supporter.
– La chaleur est accablante, ainsi que vous je sens le besoin de quelques heures de repos.
– A la rigueur nous pourrions continuer encore longtemps notre route, reprit celui qui déjà avait parlé, mais nos chevaux ont peine à se traîner; les pauvres bêtes sont presque fourbues.
– Oui, bêtes et gens il faut nous arrêter. Quelque forte que soit la volonté, il y a des limites devant lesquelles l'organisation humaine doit fléchir; courage! Dans une heure nous serons arrivés.
– Allez, allez, seigneurie, ne songez pas à nous davantage.
Le premier voyageur ne répondit pas, ils continuèrent silencieusement leur marche.
Cependant ils ne tardèrent pas à atteindre la gorge, qu'ils traversèrent, et bientôt ils se trouvèrent au milieu de bouquets d'arbres qui, se rapprochant doucement, commencèrent à les abriter tant bien que mal; sur le point d'arriver à l'endroit que le premier voyageur avait désigné pour y faire halte, il s'arrêta tout à coup, et se tournant vers ses compagnons:
– Voyez donc, dit-il, ne vous semble-t-il pas voir une légère colonne de fumée s'élever du milieu des fourrés, là-bas devant nous, un peu sur la gauche à la lisière de la forêt.
Ceux-ci regardèrent.
– Effectivement, répondit le plus âgé; il n'y a pas à s'y tromper, bien que d'ici on pourrait croire que c'est un nuage de vapeur; cependant la façon dont monte la spirale et sa nuance bleuâtre, tout indique que c'est de la fumée.
– Depuis dix mortels jours que nous errons dans ces immenses solitudes sans rencontrer âme qui vive, ce feu doit être pour nous le bienvenu, puisqu'il nous annonce des hommes, c'est-à-dire des amis; allons donc tout droit à leur rencontre, peut-être obtiendrons-nous d'eux de précieux renseignements sur le but de notre voyage.
– Permettez, seigneurie, répondit vivement le criado: lorsque nous avons quitté le presidio, vous avez consenti à vous laisser guider par moi, excusez-moi de vous donner un conseil qui, je le crois, dans les circonstances présentes, vous sera fort utile.
– Parle, mon brave Bermudez, j'ai la plus entière confiance dans ton expérience et dans ta fidélité, ton conseil sera bien reçu par moi.
– Merci, seigneurie, répondit celui qu'on venait de nommer Bermudez; j'ai longtemps été votre vaquero, et dans ce métier je me suis souvent trouvé en rapport, soit avec des Indiens, soit avec des chasseurs, ce qui m'a donné sur la vie du désert certaines notions dont j'ai fait mon profit, bien que je n'aie jamais pénétré aussi loin qu'aujourd'hui dans les prairies. Ainsi, dans les parages où nous sommes, nous devons surtout redouter la rencontre de nos semblables, ne les accoster qu'avec prudence, en usant des précautions les plus grandes, d'autant plus que nous ne savons en face de qui nous nous trouverons et si nous aurons affaire à des amis ou à des ennemis.
– C'est vrai, ton observation est juste, mais malheureusement elle arrive un peu tard.
– Pourquoi donc?
– Parce que si nous avons aperçu la fumée de leur feu, il est probable que depuis longtemps déjà les gens qui sont là-bas nous ont vus et épient tous nos mouvements, d'autant plus que nous n'avons aucunement cherché à dissimuler notre présence.
– Cela est certain, don Mariano, cela est certain, reprit Bermudez en secouant la tête. Voilà, si vous me le permettez, ce que je propose à votre seigneurie, afin d'éviter un malentendu toujours désagréable: vous m'attendrez ici avec Juanito, tandis que moi je m'avancerai seul et je pousserai une reconnaissance jusqu'auprès du feu.
Don Mariano hésita à répondre, il lui semblait dur d'exposer ainsi son vieux domestique.
– Décidez-vous, seigneurie, dit vivement celui-ci; je connais la manière de causer des peaux-rouges, ils me salueront ou d'une volée de flèches, ou d'une balle; mais, comme ils sont généralement très maladroits, je suis à peu près certain de ne pas être blessé, et alors, j'entrerai facilement en pourparlers avec eux. Vous voyez que les risques que j'ai à courir ne sont pas grands.
– Bermudez a raison, seigneurie, ajouta sentencieusement Juanito, homme méthodique et silencieux, qui ne prenait la parole que dans les grandes circonstances, vous devez le laisser agir à sa guise.
– Non, répondit résolument don Mariano; je ne consentirai jamais à cela. Dieu est le maître de notre existence, lui seul peut en disposer à son gré; s'il t'arrivait quelque chose de fâcheux, mon pauvre Bermudez, je ne me le pardonnerais pas; nous continuerons à avancer tous trois ensemble; au moins, si ce sont des ennemis qui sont devant nous, nous pourrons nous défendre.
Bermudez et Juanito se disposaient à prendre la parole pour répondre à leur maître, et il est probable que la discussion se serait prolongée longtemps encore, mais en ce moment le galop d'un cheval se fit entendre, les herbes s'écartèrent, et un cavalier apparut à une dizaine de pas du groupe environ. Ce cavalier était blanc, il portait le costume des chasseurs de la Prairie.
– Hola, caballeros! cria-t-il en faisant un geste amical de la main et en arrêtant son cheval, avancez sans crainte et soyez les bienvenus; j'ai reconnu votre indécision, je suis venu pour y mettre un terme.
Les trois hommes échangèrent un regard.
– Venez, venez, reprit le chasseur, nous sommes des amis, je vous le répète, vous n'avez rien à redouter de nous.
– Je vous remercie de votre cordiale invitation, répondit enfin don Mariano, et je l'accepte de grand cœur.