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Kitabı oku: «Le Guaranis», sayfa 16

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II
AMIS ET ENNEMIS

Disons, en quelques mots, quelle était la situation politique de l'ancienne vice-royauté de Buenos Aires au moment où recommence notre histoire.

Malgré le décret royal du 22 janvier 1809, déclarant les provinces de l'Amérique espagnole partie intégrante de la monarchie avec des droits égaux à ceux des autres provinces de la métropole, cependant don Baltasar de Cisneros, nommé vice-roi, arrivait avec le titre de comte de Buenos Aires et avec l'assignation d'une rente annuelle de cent mille réaux.

L'indignation longtemps contenue éclata enfin.

Une commission, à la tête de laquelle figuraient deux patriotes dévoués nommés don Juan José Castelli et don Manuel Belgrano, fut instituée.

Le 14 mai 1810, une députation composée de près de six cents notables de Buenos Aires se rendit auprès du vice-roi pour l'inviter à se démettre pacifiquement d'une autorité désormais ridicule et illégale, puisqu'elle émanait d'un pouvoir qui n'existait plus de fait en Europe.

Une junte fut formée qui, après avoir proclamé l'abolition de la cour des comptes, le traitement du vice-roi et l'impôt sur le tabac, expédia une force imposante à Córdoba contre le général Liniers, Français d'origine, mais dévoué à la monarchie espagnole, que depuis longtemps déjà il servait avec éclat en Amérique.

Liniers avait réussi à réunir une armée assez forte, soutenue par une escadrille qui, partie de Montevideo, était venue bloquer Buenos Aires.

Malheureusement, cet événement qui devait sauver la cause royale, la compromit de la façon la plus grave.

L'armée de Liniers se débanda, la plupart des soldats tombèrent aux mains des indépendants; Moreno, Concha et Liniers lui-même eurent le même sort.

La junte, en apprenant ce résultat inespéré d'une campagne dont elle appréhendait si fort les suites, résolut de frapper un coup décisif afin d'intimider les partisans de la cause royale.

Le général Liniers était fort aimé du peuple, auquel il avait rendu de grands services; il pouvait être sauvé et délivré par lui; il fallait éviter ce malheur.

Don Juan José Castelli reçut, en conséquence, l'ordre d'aller au-devant des captifs. Il obéit et les rencontra aux environs du mont Papagallo.

Alors il se passa une scène horrible que l'histoire a justement flétrie. Sans forme de procès, de sang-froid, tous les prisonniers furent égorgés. Seul, l'évêque de Córdoba fut épargné, non par respect pour son caractère sacré, mais seulement afin de ménager les préjugés populaires.

Ainsi mourut lâchement assassiné le général Liniers, homme auquel la France se glorifie, à juste titre, d'avoir donné le jour, qui avait rendu de si grands services à sa patrie adoptive et dont le nom vivra éternellement sur les rives américaines, à cause de ses nobles et belles qualités.

Cependant un nouvel orage s'éleva contre les indépendants.

Le vice-roi du Pérou envoya sous le commandement du colonel Cordova un corps d'armée contre les Buenos-Airiens.

Le 7 novembre, les deux partis se rencontrèrent à Hupacha; après une lutte acharnée, tes royalistes furent vaincus et la plupart faits prisonniers.

Castelli, que nous avons vu massacrer Liniers et ses compagnons, avait suivi les troupes royales dans leur marche; il ne voulut pas laisser son œuvre incomplète: les prisonniers furent tous fusillés sur le champ de bataille.

Le vice-roi du Pérou, effrayé par ce désastre, fit demander une trêve que la junte consentit à lui accorder.

Mais la lutte était loin d'être finie. L'Espagne n'était nullement disposée à abandonner, sans y être contrainte par la force des armes, les magnifiques contrées où, pendant si longtemps, son drapeau avait paisiblement flotté, et d'où découlaient ses immenses richesses; et, au moment où recommence notre histoire, l'indépendance des provinces buenos-airiennes, loin d'être assurée, était de nouveau remise sérieusement en question.

Les dépositaires du nouveau pouvoir n'avaient pas tardé à entrer en lutte les uns contre les autres, et à sacrifier à leurs misérables visées ambitieuses les intérêts les plus sacrés de leur patrie, en inaugurant cette ère de guerres fratricides, non fermée encore et qui conduit à une ruine inévitable ces régions si belles et si riches. Au moment où nous reprenons notre récit, le parti espagnol un instant abattu avait relevé la tête; jamais les colonies, à peine émancipées, ne s'étaient trouvées en si grand danger de périr.

Le général espagnol Pezuela, à la tête de troupes aguerries, faisait de grands progrès dans le haut Pérou. Le 25 novembre, il avait remporté une victoire signalée à Viluma, repris possession de Ghuquisaca, Potosí, Tunca; ses grands'gardes atteignaient Cinti, et des cuadrillas, ou guérillas de corps francs, partisans de l'Espagne, ravageaient presque impunément la frontière de la province de Tucumán.

La situation était donc des plus critiques. La guerre n'avait rien perdu de sa première férocité; chaque parti semblait bien plutôt être composé de brigands altérés de sang et de pillage, que de braves soldats ou de loyaux patriotes; les routes étaient infestées de gens sans aveu qui changeaient de casaque selon les circonstances et, en résumé, faisaient la guerre aux deux partis selon les exigences du moment. Les Indiens, profitant de ces désordres, pêchaient en eau trouble et faisaient la chasse aux blancs, royalistes ou insurgés.

Puis, pour mettre le comble à tant de malheurs, une armée brésilienne, forte de dix mille hommes et commandée par le général Lesort, avait envahi la province de Montevideo, depuis déjà fort longtemps convoitée par le Brésil et dont il espérait, à la faveur des dissensions intestines des Buenos-Airiens, s'emparer presque sans coup férir.

On comprend parfaitement combien devait être précaire la situation de voyageurs européens forcément isolés dans cette contrée, ne connaissant ni les mœurs ni même la langue des gens auxquels ils se trouvaient mêlés, et jetés ainsi à l'improviste au milieu de ce tourbillon révolutionnaire qui, semblable au simoun africain, dévorait impitoyablement tout ce qu'il rencontrait sur son passage.

Nous reviendrons maintenant aux deux Français que nous avons laissés nonchalamment étendus sur l'herbe au bord de la rivière et devisant entre eux de choses indifférentes.

La vue de la seconde troupe signalée par le peintre avait excité au plus haut degré l'inquiétude de son interlocuteur. Hâtons-nous de constater que cette inquiétude était plus que justifiée par l'apparence excessivement suspecte des cavaliers qui la composaient.

Ils étaient cinquante environ, bien montés et armés jusqu'aux dents, de longues lances, de sabres, de poignards et de mousquetons.

Ces cavaliers étaient évidemment des Espagnol. Leurs traits hâlés par l'air du désert et bronzés par le soleil, respiraient l'intelligence et la bravoure;, il y avait en eux quelque chose de l'allure fière et déterminée des premiers conquérants espagnols, dont ils descendaient en droite ligne, sans avoir dégénéré. Maîtres encore d'une grande partie du territoire américain, ils n'admettaient pas qu'ils pussent en être jamais chassés par les indépendants, malgré les victoires remportées par ceux-ci.

Bien que lancés au galop, ils s'avançaient en bon ordre, la poitrine couverte de la cuirasse de buffle destinée à repousser les flèches indiennes, la lance fichée dans l'étrier, le mousqueton à l'arçon et le sabre recourbé à fourreau de fer battant l'éperon avec un bruit métallique.

A dix pas en avant de la troupe venait un jeune homme de haute mine, aux traits fiers et nobles, à l'œil noir et bien ouvert, à la bouche railleuse, ombragée par une fine moustache noire coquettement cirée et relevée en croc.

Ce jeune homme portait les insignes de capitaine et commandait la troupe qu'il précédait; il avait environ vingt-cinq ans. Tout en galopant, il jouait avec une désinvolture charmante avec son cheval, magnifique spécimen des coursiers indomptés de la pampa, auquel, tout en lui parlant et en le flattant d'une main de femme, délicate et nerveuse, il se plaisait à faire exécuter des courbettes, des sauts de côté et des changements de pieds qui parfois, amenaient un froncement de sourcil et une grimace de mauvaise humeur sur le visage cuivré et balafré d'un vieux sergent maigre et efflanqué, qui galopait en serre-file à la droite de la compagnie.

Cependant, la distance diminuait rapidement entre les deux troupes, dont les voyageurs se trouvaient être pour ainsi dire le centre commun.

Ceux-ci, sans se dire un mot, mais comme d'un commun accord, s'étaient mis en selle, et au milieu du chemin, ils attendaient, calmes et dignes, mais la main sur leurs armes, et intérieurement sans doute fort inquiets, bien qu'ils ne voulussent pas le paraître.

La seconde troupe, dont nous n'avons pas encore parlé, se composait d'une trentaine de cavaliers au plus, portant tous le costume caractéristique et pittoresque des gauchos de la pampa; ils conduisaient au milieu d'eux une dizaine de mules chargées de bagages.

Arrivée à une quinzaine de pas des voyageurs, les deux troupes firent halte, semblant se mesurer de l'œil et se préparer mutuellement au combat.

Pour un spectateur indifférent, certes c'eût été un étrange spectacle que celui offert par ces trois groupes d'hommes, aussi fièrement campés au milieu d'une plaine déserte, se lançant des regards de défi, et cependant immobiles et comme hésitant à se charger.

Quelques minutes, longues comme un siècle, dans une situation aussi tendue, s'écoulèrent.

Le jeune officier, voulant sans doute en finir et ennuyé de cette hésitation qu'il ne paraissait pas partager, s'avança en faisant caracoler son cheval et en se frisant nonchalamment la moustache.

Arrivé à quelque cinq ou six pas des voyageurs:

«Holà! Bonnes gens, dit-il d'une voix narquoise, que faites-vous là, plantés, l'air effaré comme des ñandus à la couvée? Vous n'avez pas, je suppose, la prétention de nous barrer le passage, ce qui serait par trop réjouissant.

– Nous n'avons aucune prétention, señor capitan, répondit M. Dubois dans le meilleur castillan qu'il put imaginer, castillan qui, malgré ses efforts était déplorable, nous sommes des voyageurs paisibles.

– Caray! s'écria l'officier en se retournant en riant vers ses soldats, qu'avons-nous ici, des Anglais, je suppose?

– Non, señor, des Français, reprit M. Dubois d'un air piqué.

– Bah! Anglais ou Français qu'importe, reprit l'officier raillant, ce sont toujours des hérétiques.»

A cette preuve manifeste d'ignorance, les deux voyageurs haussèrent les épaules avec mépris; l'officier s'en aperçut.

«Qu'est-ce à dire? fit-il avec hauteur.

– Parbleu, répondit le peintre, c'est-à-dire que vous vous trompez grossièrement, voilà tout; nous sommes aussi bons catholiques que vous, si ce n'est davantage.

– Eh! Eh! Vous chantez bien haut, mon jeune coq.

– Jeune! fit en ricanant l'artiste, vous vous trompez encore, j'ai au moins deux ans de plus que vous; quant à chanter, il est bien facile de faire le fanfaron et le mangeur de petits enfants lorsqu'on est cinquante contre deux.

– Ces gens qui sont là-bas, reprit l'officier, ne sont-ils donc pas à vous?

– Si, ils sont à nous, mais qu'importe cela? D'abord ils vous sont inférieurs en nombre, et ce ne sont pas des soldats.

– D'accord, répondit le capitaine en se frisant la moustache avec un sourire railleur, je vous accorde cela, qu'en voulez-vous conclure?

– Simplement ceci, mon capitaine, c'est que nous autres, Français, nous ne supportons que difficilement les injures, n'importe d'où elles viennent et que si nous étions seulement à nombre égal, cela ne se passerait pas ainsi.

– Ah! Ah! Vous êtes brave?

– Pardieu, la belle malice, puisque je suis Français.

– Fanfaron aussi, il me semble?

– Fanfaron d'honneur, oui.»

Le capitaine sembla réfléchir.

«Écoutez, dit-il au bout d'un instant avec une exquise politesse, je crains de m'être trompé sur votre compte et je vous en fais sincèrement mes excuses. Je consens à livrer libre passage à vous et à ceux qui vous accompagnent, mais à une condition.

– Voyons la condition.

– Vous m'avez dit tout à l'heure que je ne vous parlais, ainsi que je le faisais, que parce que je me sentais soutenu.

– Je vous l'ai dit, parce que je le pensais.

– Et vous le pensez encore, sans doute?

– Pardieu!

– Eh bien! Voici ce que je vous propose; tous deux nous sommes armés; mettons pied à terre; dégainons nos sabres, et celui de nous qui abattra l'autre, sera libre d'agir comme bon lui semblera, c'est-à-dire que, si c'est vous, vous pourrez passer votre chemin sans crainte d'être inquiété, et, si c'est moi, eh bien bataille générale; cela vous convient-il ainsi?

– Je le crois bien, répondit en riant le peintre en se levant de selle.

– Qu'allez-vous faire monsieur Émile? s'écria vivement le vieillard, songez que vous vous exposez à un grand péril pour une cause qui, au fond, vous est indifférente et me regarde seul.

– Allons donc! fit-il en haussant les épaules, ne sommes-nous pas compatriotes? Votre cause est la mienne. Vive Dieu! Laissez-moi donner une leçon à cet Espagnol fanfaron qui s'imagine que les Français sont des poltrons.»

Et, sans vouloir rien entendre davantage, il dégagea son pied de l'étrier, sauta à terre, dégaina son sabre et en piqua la pointe en terre en attendant le bon plaisir de son adversaire.

«Mais savez-vous vous battre au moins? s'écria M. Dubois, en proie à la plus vive inquiétude.

– Plaisantez-vous, répondit-il en riant; à quoi auraient servi les vingt-cinq ans de guerre de la France, si ses fils n'avaient pas appris à se battre; mais, rassurez-vous, ajouta-t-il sérieusement, j'ai dix-huit mois de salle à l'épée et je manie le sabre comme un hussard; d'ailleurs, nous autres artistes, nous savons ces choses-là d'instinct.»

Cependant, le capitaine avait lui aussi mis pied à terre après avoir ordonné à sa troupe de demeurer spectatrice du combat; les cavaliers avaient hoché la tête d'un air de mauvaise humeur: pourtant ils n'avaient pas fait d'observation; mais le vieux sergent dont nous avons parlé et qui, sans doute, jouissait de certaines privautés auprès de son chef, fit quelques pas en avant et crut devoir hasarder une respectueuse protestation contre ce combat qui lui semblait une folie.

Le capitaine, sans lui répondre autrement, lui fit un geste muet d'une expression tellement nette et impérieuse que le digne soldat rétrograda tout penaud et alla reprendre son rang sans oser risquer une seconde remontrance.

«C'est égal, grommela-t-il entre ses dents en retroussant ses moustaches d'un air furieux, si cet hérétique a le dessus, quoi que puisse dire don Lucio, je sais bien ce que je ferai.»

Le jeune capitaine sauta légèrement à terre et s'avança vers son adversaire qu'il salua poliment.

«Je suis heureux, lui dit-il gracieusement, de l'occasion qui se présente de recevoir d'un Français une leçon d'escrime, car vous avez la réputation d'être passés maîtres en fait d'armes.

– Eh! Peut-être dites-vous plus vrai que vous ne le croyez, señor, répondit le peintre avec un sourire railleur; mais, en supposant que la science nous manque quelquefois, le cœur ne nous fait jamais défaut.

– J'en suis convaincu, monsieur.

– Quand il vous plaira de commencer, capitaine, je suis à vos ordres.

– Et moi aux vôtres, señor.»

Les deux adversaires se saluèrent du sabre et tombèrent en garde à la fois avec une grâce parfaite.

Le sabre est, à notre avis, une arme beaucoup trop dédaignée et qui devrait, au contraire, avoir dans les duels la préférence sur l'épée, comme elle l'a lorsqu'il s'agit de bataille.

Le sabre est l'arme véritable du militaire, officier ou soldat; l'épée n'est, au contraire, qu'une arme de parade des gentilshommes, devenue aujourd'hui celle des partisans qui, pour la plupart, la portent au côté sans savoir s'en servir.

L'épée est un serpent, sa piqûre est mortelle, on s'expose, en en usant pour une cause futile dans un duel, à tuer un galant homme; le sabre, au contraire, ne fait que de larges blessures dont il est facile de guérir et que presque toujours il est possible de graduer suivant la gravité de l'offense reçue, sans risquer de mettre en danger la vie de son adversaire.

Les deux hommes étaient, ainsi que nous l'avons dit, tombés en garde. Après un nouveau salut, le combat commença et ils échangèrent quelques passes en se tâtant mutuellement et en ne se poussant qu'avec une extrême prudence.

L'officier espagnol était ce qu'on est convenu de nommer un beau tireur. Sous ses formes un peu efféminées, il avait un poignet de fer et des muscles d'acier; son jeu était large, élégant; il semblait manier son arme, assez lourde cependant, comme s'il n'eût eu qu'un simple roseau dans la main.

Le jeu du peintre français était plus serré, plus nerveux, ses coups plus imprévus et surtout plus rapides.

Pourtant le combat se continuait depuis assez longtemps sans qu'il fût possible de voir à qui resterait l'avantage, lorsque soudain le sabre du capitaine sauta en l'air enlevé comme par une fronde, et alla retomber à une assez grande distance.

Le Français s'élança aussitôt, ramassa l'arme de son adversaire et, la lui présentant par la poignée:

«Pardonnez-moi, señor, lui dit-il en s'inclinant, et veuillez, je vous en prie, reprendre une arme dont vous vous servez si bien; je ne vous l'ai enlevée que par surprise et je demeure à vos ordres.

– Señor, répondit le capitaine en remettant son sabre au fourreau, j'ai mérité la leçon que vous m'avez donnée; dix fois vous avez eu ma vie entre vos mains sans vouloir user de votre avantage. Notre combat est fini; je me reconnais vaincu, plus encore par votre courtoisie que par votre habileté dans le maniement des armes.

– Je n'accepte, caballero, reprit le peintre, que la part très minime qui m'en revient pour l'avantage que seul le hasard m'a donné sur vous.

– Allez en paix où bon vous semblera ainsi que vos compagnons, señor: vous n'avez de nous aucune insulte à redouter; seulement je ne me considère pas quitte envers vous; je me nomme don Lucio Ortega; souvenez-vous de ce nom; dans quelque circonstance que vous vous trouviez, si vous avez besoin de moi, serait-ce dans vingt ans, réclamez-vous hardiment de votre ancien adversaire et ami.

– Je ne sais réellement comment vous remercier, señor, je ne suis qu'un pauvre peintre français nommé Emilio Gagnepain, mais si l'occasion s'en présente jamais, je serai heureux de vous prouver combien je suis sensible aux sentiments de bienveillance que vous me témoignez.»

Après cet échange mutuel de courtoisie, les deux hommes montèrent à cheval.

Les Espagnols demeurèrent immobiles à la place où ils s'étaient arrêtés d'abord, et ils laissèrent défiler devant eux, sans faire le moindre mouvement hostile, la petite troupe devant laquelle marchaient côte à côte les deux Français. Lorsqu'ils passèrent devant lui, le capitaine échangea un salut courtois avec eux, puis il donna l'ordre du départ à sa troupe, qui s'élança au galop et ne tarda pas à disparaître dans les méandres du chemin.

«Vous avez été plus heureux que sage, dit M. Dubois à son jeune compagnon dès qu'ils eurent franchi la rivière et mis un assez grand espace entre eux et les Espagnols.

– Pourquoi donc? répondit le peintre avec surprise.

– Mais parce que vous avez risqué d'être tué.

– Cher monsieur, dans le pays où nous nous trouvons, on risque continuellement d'être tué. En quittant la France, j'ai fait abnégation complète de ma vie, persuadé que je ne reverrai jamais mon pays; je considère donc chaque instant qui s'écoule sans qu'il m'arrive malheur comme une grâce que me fait la Providence, de sorte que, mon parti étant arrêté, je n'attache pas le moindre prix à une existence qui, d'un moment à l'autre, me peut être enlevée sous le premier prétexte venu et même, au besoin, sous le plus léger prétexte.

– Vous avez une assez singulière philosophie.

– Que voulez-vous? Avec les patriotes, les royalistes, les bandits, les Indiens et les bêtes fauves, qui infestent ce pays béni du ciel, ce serait à mon sens de la folie que de compter sur vingt-quatre heures d'existence et de former des projets d'avenir.»

M. Dubois se mit à rire.

«Cependant, dit-il, il nous faut un peu songer à l'avenir en ce moment, quand ce ne serait que pour choisir le lieu où nous camperons pour la nuit.

– Que cela ne vous inquiète pas; ne vous ai-je pas dit que je vous conduisais chez moi?

– Vous me l'avez proposé, c'est vrai, mais je ne sais si je dois accepter votre hospitalité.

– Elle sera modeste, car je ne suis pas riche, tant s'en faut, mais croyez qu'elle sera cordiale.

– J'en suis convaincu; cependant l'embarras que vous occasionnera un si grand nombre d'hôtes …

– Vous plaisantez, monsieur, ou vous connaissez bien peu les coutumes espagnoles; vos gens ne me causeront aucun embarras.

– Puisqu'il en est ainsi, j'accepte sans plus de cérémonie, afin de passer quelques heures de plus dans votre charmante compagnie.

– A la bonne heure, voilà qui est convenu, dit gaiement le jeune homme; maintenant, si vous me le permettez, je vous servirai de guide; car, sans moi, il vous serait assez difficile de trouver mon habitation.»

Le peintre prit effectivement la direction de la caravane, et, la faisant obliquer sur la gauche, il la conduisit par des sentiers de bêtes fauves à peine tracés dans l'herbe, jusqu'au sommet d'une légère éminence, qui dominait au loin la plaine; elle était couronnée par plusieurs bâtiments, dont l'obscurité empêcha les voyageurs de juger l'étendue et l'importance.

M. Dubois n'avait été rejoint qu'à une heure déjà assez avancée par ses peones et son escorte; la querelle soulevée si à l'improviste par le capitaine espagnol avait causé une perte de temps assez considérable, de sorte que la journée était fort avancée quand les voyageurs purent enfin reprendre leur route; aussi la nuit était-elle complètement close lorsqu'ils atteignirent enfin l'habitation du jeune Français.

Ils arrivaient au pied du monticule, lorsqu'ils virent plusieurs lumières se mouvoir rapidement et deux ou trois hommes armés de torches accourir au-devant d'eux.

Ces deux ou trois hommes étaient les serviteurs indiens du peintre, qui surveillaient depuis longtemps déjà l'arrivée de leur maître et qui, au bruit des chevaux, venaient lui offrir leurs services.

L'installation des voyageurs ne fut ni longue ni difficile; les mules déchargées et les bagages déposés sous un hangar, les animaux furent dessellés et entravés; les peones leur donnèrent la provende; puis ils allumèrent de grands feux pour cuire leur souper et se préparèrent gaiement à passer la nuit en plein air.

Seuls, M. Dubois et son jeune compagnon étaient entrés dans la maison ou plutôt dans le rancho, car cette modeste habitation bâtie en roseaux et en torchis et recouverte de feuilles, laissait pénétrer de tous les côtés le vent et la pluie et méritait à peine le nom de chaumière.

Cependant l'intérieur était propre, entretenu avec un certain soin et garni de meubles simples, mais en bon état.

«Voici le salon et la salle à manger, que nous transformerons plus tard en chambre à coucher à votre usage, dit en riant l'artiste; quant à présent, nous lui laisserons sa qualification de salle à manger, car nous allons souper, s'il vous plaît.

– Je ne demande pas mieux, répondit gaiement M. Dubois; je vous avoue même que je ferai honneur au souper; je me sens un appétit féroce.

– Tant mieux alors, parce que la quantité des mets vous fera passer sur la qualité.»

Le jeune homme frappa dans ses mains. Presque aussitôt une femme indienne parut et prépara la table, qui, en un instant, fut couverte de mets simples, mais proprement apprêtés; M. Dubois avait fait ouvrir sa cantine de voyage et en avait retiré plusieurs bouteilles, qui produisaient un excellent effet au milieu de la vaisselle primitive étalée sur la table.

Sur l'invitation de son hôte, le vieillard s'assit et le repas commença.

Après une longue journée de voyage dans le désert, exposé à l'ardeur du soleil et à la poussière, on n'est pas difficile sur la qualité des mets; l'appétit fait trouver bons ceux même que dans d'autres circonstances on ne voudrait pas toucher du bout du doigt. Aussi l'aristocrate convive du peintre, prenant bravement son parti, commença-t-il résolument l'attaque sur ce qu'on avait placé devant lui; mais, contre ses prévisions, tout se trouva être, sinon excellent, nous n'oserions l'affirmer, mais du moins mangeable.

Lorsque le repas fut terminé, la vaisselle enlevée, le peintre, après quelques minutes de conversation, souhaita un bonsoir cordial à son hôte et se retira.

Celui-ci, dès qu'il fut seul, changea son manteau en matelas, c'est-à-dire qu'il l'étendit sur la table, se coucha dessus, s'en enveloppa avec soin, ferma les yeux et s'endormit.

Il n'aurait su dire depuis combien de temps il dormait, lorsque tout à coup il fut brusquement tiré de son sommeil par des cris de frayeur et de colère poussés à peu de distance de lui, et auxquels se mêlèrent presque aussitôt plusieurs coups de feu.

M. Dubois se leva en proie à la plus vive inquiétude et se précipita au dehors, afin de découvrir la cause de ce tumulte extraordinaire.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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