Kitabı oku: «Le Montonéro», sayfa 14
XIV
LES DEUX CHEFS
Au fur et à mesure que les guerriers guaycurús s'avançaient vers les montagnes, le paysage prenait un aspect plus sévère et plus pittoresque.
Le chemin ou plutôt le sentier suivi par la troupe montait par une pente presque insensible, par des soulèvements de terrain qui servent, pour ainsi dire, d'échelons gigantesques aux premiers contreforts de la cordillière.
Les forêts devenaient plus touffues, les arbres étaient plus gros et plus serrés les uns contre les autres; on entendait murmurer sourdement des eaux cachées, torrents qui se précipitent du haut des montagnes et, en se réunissant, forment ces fleuves et ces rivières qui, à quelques lieues dans la plaine, acquièrent une grande importance et sont souvent larges comme des bras de mer.
De grands vols de vautours tournoyaient lentement au plus haut des airs, au-dessus des cavaliers, en faisant entendre leurs cris rauques et discordants.
Gueyma n'avait négligé aucune des précautions que lui avait recommandées le Cougouar: des éclaireurs avaient été lancés en avant afin de fouiller les buissons et de découvrir, s'il était possible, les pistes suspectes que l'on soupçonnait ne pas devoir manquer dans ces régions.
D'autres Indiens avaient quitté leurs chevaux, et, à droite et à gauche, sur les flancs de la troupe, ils sondaient les forêts, dont la mystérieuse épaisseur pouvait receler des embuscades.
Les Guaycurús s'avançaient en une colonne longue et serrée, sombres, silencieux, l'œil au guet et la main sur leurs armes, prêts à en faire usage au premier signal.
Les deux chefs marchaient de front, à vingt pas environ de leurs compagnons.
Lorsqu'ils se furent engagés au milieu d'une épaisse forêt, dont les immenses arceaux de verdure leur dérobaient non seulement la vue du ciel, mais encore interceptaient les rayons ardents du soleil, et que les cavaliers, dont les chevaux foulaient une herbe longue et drue, filaient à travers les arbres, silencieux comme une légion de fantômes; le Cougouar posa la main sur le bras de son compagnon, et se servant de la langue castillane.
– Parlons espagnol, lui dit-il, je ne veux pas plus longtemps tarder à vous donner les renseignements que je vous ai promis. Si nous avons à être attaqués, ce ne saurait être que dans les environs du lieu sinistre où nous nous trouvons en ce moment, il est des mieux choisis pour établir une embuscade; je me trompe fort, ou nous entendrons bientôt retentir sous ces sombres voûtes de feuillage le cri de guerre de nos ennemis; il est donc temps que je m'explique clairement avec vous, car peut-être serait-il trop tard lorsque nous arriverons au campement. Écoutez donc avec attention, et quoi que vous m'entendiez vous dire, mon cher Gueyma, concentrez en vous-même vos émotions et ne laissez paraître sur vos traits ni colère, ni joie, ni étonnement.
– Parlez, Cougouar, je me conformerai à vos avis.
Le temps n'est pas encore venu, reprit le vieillard, de vous révéler la vérité tout entière. Qu'il vous suffise, quant à présent, de savoir que, élevé parmi les blancs dont j'avais adopté les croyances, les mœurs, les habitudes, et pour lesquels je professais et professe encore aujourd'hui le dévouement le plus vrai et le plus sincère, ce n'est que que pour vous. Gueyma, pour vous que j'ai vu naître et que j'aime comme un fils, que j'ai consenti à abandonner les jouissances sans nombre de la vie civilisée pour reprendre la vie précaire, semée de dangers et de privations, de l'Indien nomade. J'avais fait un serment de vengeance et de dévouement. Ce serment, je crois l'avoir religieusement tenu. La vengeance longtemps préparée par moi dans l'ombre sera, j'en suis convaincu, d'autant plus terrible qu'elle aura été plus lente et plus tardive à frapper le coupable. Dans le grand acte que je médite, Gueyma, vous m'aiderez, parce que ce sont vos intérêts seuls que j'ai constamment défendus dans tout ce que j'ai fait, et que, plus que moi, vous êtes intéressé à la réussite de ce que je veux faire encore.
– Ce que vous me dites, mon ami, répondit le jeune chef avec émotion, mon cœur l'avait pressenti et presque deviné. Depuis longtemps je connais et j'apprécie comme je le dois l'amitié fidèle et sans bornes que toujours vous m'avez témoignée; aussi vous me rendrez cette justice, Cougouar, de reconnaître que toujours je me suis conformé à vos avis, souvent sévères, et laissé guider aveuglément par vos conseils que je ne comprenais presque jamais.
– C'est vrai, enfant, vous avez agi ainsi; mais lorsque nous causons entre nous appelez-moi Diogo, ce nom est celui qu'on me donnait jadis lorsque j'étais parmi les blancs, et il me rappelle des souvenirs ineffaçables de joie et de douleur.
– Soit, mon ami, puisque vous le désirez, je vous nommerai ainsi entre nous, jusqu'à ce que vous me permettiez, ou que les circonstances vous permettent, de reprendre hautement, et à la face de tous, un nom que, j'en suis convaincu, vous avez honoré tout le temps que vous l'avez porté.
– Oui, oui, répondit le vieillard avec complaisance, il fut un temps où ce nom de Diogo avait une certaine célébrité, mais qui se le rappelle maintenant?
– Reprenez, je vous prie, ce que vous aviez commencé à me dire et ne vous laissez pas davantage aller à des souvenirs pénibles.
– Vous avez raison, Gueyma, oublions pour un instant et revenons à la confidence que je dois vous faire; ce que je vous ai dit n'avait d'autre but que de vous prouver que, si souvent, en apparence je m'arrogeais le droit de vous conseiller ou de vouloir modifier vos intentions, ce droit m'était pour ainsi dire, acquis par de longs services et un dévouement à toute épreuve pour votre personne.
– Cela est inutile, mon ami, je n'ai jamais eu la pensée, même fugitive, de discuter vos actes ou de contrecarrer vos projets; je me suis au contraire toujours étudié à faire plier ma conviction, plus jeune, devant votre longue expérience.
– Je me plais à vous rendre cette justice, mon ami; mais si j'insiste autant sur ce sujet, c'est que les circonstances dans lesquelles nous sommes placés en ce moment exigent que vous ayez en moi la plus entière confiance; en un mot, voici ce qui se passe: les Brésiliens, croyant ne plus avoir besoin de de nous, à présent qu'ils se sont emparés de la plupart des villes de la Bande Orientale, grâce à la guerre civile qui divise les Espagnols et les obligent à combattre les uns contre les autres au lieu de se réunir pour charger l'ennemi commun, ne seraient nullement fâchés d'être débarrassés de nous et de nous laisser écraser par des forces supérieures. Oubliant les services que, depuis le commencement de la guerre, nous leur avons rendus, les Brésiliens, non seulement nous abandonnent lâchement, mais, non contents de cela, ils veulent nous livrer à l'ennemi, dans l'espoir que, succombant malgré notre courage sous le poids irrésistible de forces supérieures, nous serons tous massacrés, et que nous ne retournerons plus sur notre territoire.
– Je redoutais cette trahison, répondit Gueyma d'un air pensif en hochant tristement la tête, vous vous rappelez, mon ami, que j'étais opposé à la conclusion du traité?
– Oui, je me souviens même que c'est moi qui vous ai engagé à le conclure, et que, par considération pour moi seulement, vous avez consenti à jeter votre quipu d'acceptation dans le conseil; eh bien, mon ami, dès ce moment même je prévoyais cette trahison; je dirai plus, je l'espérais.
Le jeune chef se retourna virement vers son compagnon, en le regardant avec la plus vive surprise.
– Je vous avais prié, reprit le vieillard, sans s'émouvoir en aucune façon, de ne laisser paraître sur vos traits aucun des sentiments qui, pendant le cours de notre conversation, agiteraient votre cœur; remettez-vous donc, mon ami, afin de ne pas éveiller les soupçons de nos guerriers, et laissez-moi continuer.
– Je vous écoute, mais ce que vous me dites est si extraordinaire…
– Que vous ne me comprenez point, n'est-ce pas? Mais patience, vous aurez bientôt l'explication de ce mystère, autant du moins qu'il me sera possible de vous donner cette explication, sans nuire à la réussite des projets que je médite.
– Tout cela me semble si étrange, dit Gueyma, que ma raison refuse presque de le comprendre.
Le Cougouar sourit silencieusement, et après avoir jeté autour de lui un regard investigateur, il se rapprocha sans affectation de son compagnon, et, se penchant à son oreille:
– Aimez-vous les blancs? lui demanda-t-il.
– Non, répondit nettement le chef; cependant, je n'éprouve pour eux aucune haine. Il est vrai, ajouta-t-il avec une amertume mal dissimulée, que je suis trop jeune encore pour avoir eu à souffrir de leur tyrannie.
– En effet; cependant, mon ami, s'il m'est permis de me targuer vis-à-vis de vous de mon expérience, laissez-moi vous dire que tout sentiment est injuste lorsqu'il est exclusif; que la vie que vous avez menée, les exemples que vous avez jusqu'à présent eu sous les yeux vous éloignent de la fréquentation des blancs, je le comprends et je ne vous en adresse aucun reproche, mais il ne faudrait pas, même lorsque vous auriez eu à vous plaindre d'un ou de plusieurs d'entre eux, les rendre tous responsables du crime de quelques-uns et les envelopper dans la même haine; parmi les blancs il y en a de bons, je compte même vous mettre bientôt en rapports avec un de ceux-là.
– Moi! s'écria le jeune homme.
– Vous, parfaitement et pourquoi pas? Si cela doit concourir à la réussite de nos projets.
– Mon ami, vous parlez d'une façon tout à fait incompréhensible pour moi; mon esprit cherche vainement à vous suivre et à surprendre votre pensée au milieu du réseau inextricable dans lequel il vous plaît de l'enserrer, soyez bon pour moi, ne me laissez pas ainsi me fatiguer en pure perte à tâcher de vous deviner, venez au fait clairement et simplement.
– Soit, en deux mots, voici ce dont-il s'agit; le général brésilien avec lequel nous avons traité n'avait qu'un but en entamant des relations avec nous: c'était de nous éloigner pour des raisons qu'il croit connues de lui seul, mais que je sais aussi bien que lui, de nos territoires de chasse et nous éloigner de telle façon que jamais nous n'y revenions.
– Mais il me semble que si tel était son but il l'a atteint jusqu'à un certain point?
– Peut-être a-t-il réalisé la première partie de son plan, mais la seconde ne réussira pas aussi facilement; cet homme est non seulement l'ennemi de notre nation, mais il est votre plus implacable ennemi et son plus vif désir est de vous abattre sous ses coups.
– Moi, mais il ne me connaît pas, mon ami.
– Vous le supposez, mais mieux que vous, cher Gueyma, je suis en état de juger la question; croyez donc à la vérité de mes paroles.
– Il suffit; je suis heureux de ce que vous m'apprenez.
– Pourquoi cela?
– Parce que la première fois que le hasard nous mettra en présence, je ne me ferai aucun scrupule de lui fendre la tête.
– Gardez-vous-en bien, mon ami, s'écria le Cougouar avec un mouvement d'épouvante. Si, ce que, je l'espère, n'arrivera pas, vous vous retrouviez face à face avec lui, il faudrait au contraire feindre, je ne dirai pas de l'amitié, mais tout au moins la plus complète indifférence pour lui. Souvenez-vous de ce conseil et servez-vous-en à l'occasion. La vengeance se prépare de longue main et ne réussit que lorsque le moment est bien choisi; ce que je vous dis vous semble, je le sais, incompréhensible, mais bientôt, je l'espère, il me sera permis de m'expliquer plus clairement et alors vous reconnaîtrez la vérité de mes paroles et combien j'ai eu raison de vous recommander la prudence. Je ne veux pas insister davantage sur ce sujet, nous ne tarderons pas à atteindre l'endroit désigne pour le campement et j'ai à vous parler d'une autre personne envers laquelle je serai heureux de vous voir professer les sentiments les plus francs et les plus amicaux.
– Et quelle est cette personne, s'il vous plaît, mon ami, appartient-elle à notre race ou s'agit-il d'un blanc?
– Il s'agit d'un blanc, mon cher Gueyma, et d'un blanc que jusqu'à présent, qui plus est, vous avez cru être un de nos ennemis les plus acharnés; en un mot, je veux parler du chef que les Espagnols nomment Zéno Cabral.
– J'admire, mon ami, la prudence dont vous avez fait preuve au commencement de cet entretien, en me recommandant de ne laisser paraître sur mes traits aucune marque de surprise et de conserver un visage impassible.
– Oui, vous raillez, répondit le Cougouar avec un fin sourire, et, en apparence, vous avez raison; cependant, bientôt, ainsi que cela arrive toujours lorsqu'on n'a pas été à même d'approfondir certains faits, les événements vous donneront tort.
– Ma foi, je vous avoue, mon ami, en toute franchise, que je le désire ardemment, et vous pouvez me croire, malgré tout le mal que nous a fait ce chef depuis le commencement de notre expédition, je me sens malgré moi attiré vers lui par un sentiment que je ne saurais analyser, et qui, malgré l'envie que souvent j'en ai eue, m'a toujours empêché de le haïr.
– Dites-vous vrai? Éprouvez-vous réellement cette attraction instinctive pour cet homme?
– Je vous le certifie, je me sens porté à l'aimer, et, pour peu que vous me prouviez qu'il en doit être ainsi, je vous assure que je ne ressentirai aucun déplaisir à suivre votre injonction.
– Aimez-le donc, mon ami; suivez l'impulsion de votre cœur; il ne vous trompe pas. Cet homme est bien réellement digne de votre amitié, et bientôt vous en aurez la preuve.
– Comment cela?
– De la façon la plus simple; bientôt je vous présenterez l'un à l'autre.
– Vous me ferez faire la connaissance de Zéno Cabral?
– Oui.
– Voilà qui me confond; comment, il osera venir dans notre camp.
– Au besoin, à mon appel, il n'hésiterait pas à le faire; mais ce n'est pas de cette façon qu'il convient de procéder; il ne se rendra pas dans notre camp, c'est nous, au contraire, qui irons le trouver.
– Nous?
– Certes.
– Ooha! Avez-vous bien réfléchi, mon ami, aux conséquences d'une semblable démarche? Si cet homme nous tendait un piège?
– Nous n'avons rien de tel à redouter de sa part.
Gueyma baissa la tête d'un air pensif. Pendant assez longtemps, les deux chefs continuèrent ainsi a cheminer côte à côte sans échanger une parole, absorbés chacun par leurs pensées; enfin le jeune homme releva son front rêveur.
– Nous voici bientôt à l'endroit où nous avons décidé de camper pour laisser passer la grande chaleur du jour; n'avez-vous rien de plus à me dire?
– Rien, quant à présent, mon ami; bientôt, nous reprendrons cet entretien; maintenant il nous faut songer à installer nos guerriers dans une position sûre, car peut-être demeurerons-nous dans ce campement plus longtemps que vous ne le supposez.
– Comment! Ne repartirons-nous pas dans quelques heures?
– Ce n'est guère probable; du reste, vous en déciderez vous-même, lorsque le moment sera venu de prendre une détermination à ce sujet.
Et comme s'il voulait éviter que le jeune chef lui adressât une question à laquelle il ne se souciait probablement pas de répondre, le Cougouar retint la bride et, arrêtant son cheval, il laissa son compagnon passer devant lui.
Cependant le sentier s'élargissait de plus en plus, la forêt devenait moins épaisse, et, après avoir tourné un coude, les Indiens débouchèrent sur une espèce d'esplanade assez large, entièrement dénuée d'arbres, bien que couverte d'une herbe haute et drue; cette esplanade formait à peu près ce que, au Mexique, on nomme un voladero c'est-à-dire que de ce côté la base de la montagne que les Guaycurús avaient franchie presque sans s'en apercevoir par une pente douce et insensible, minée par les eaux ou par un cataclysme produit par une de ces convulsions fréquentes en ce pays, formait au-dessous de l'esplanade une énorme cavité rentrante qui lui donnait l'apparence d'un gigantesque balcon et rendait de ce côté toute attaque impossible.
Du côté opposé, les flancs de la montagne s'escarpaient en blocs abrupts de rochers, sur la cime desquels les vigognes et les lamas auraient seuls pu, sans craindre d'être précipités, poser leurs pieds délicats.
Les seuls points accessibles étaient ceux par lesquels on arrivait à l'esplanade, c'est-à-dire le sentier lui-même; point des plus faciles à défendre au moyen de quelques troncs d'arbres jetés en travers.
Gueyma ne put retenir un sourire de satisfaction à la vue de cette forteresse naturelle.
– Quel malheur qu'il nous faille, dans quelques heures, abandonner une si avantageuse position? murmura-t-il.
Le Cougouar sourit sans répondre et se mit en devoir d'organiser le campement. Quelques guerriers se détachèrent pour aller chercher le bois nécessaire pour les feux, d'autres abattirent plusieurs arbres auxquels ils laissèrent toutes leurs branches, et qui, bientôt, formèrent un retranchement inexpugnable.
Les chevaux furent dessellés, laissée en liberté et mis à même de l'herbe verte, qu'ils commencèrent à tondre à pleine bouche.
Les feux allumés, on prépara le repas du matin, et bientôt les guerriers guaycurús se trouvèrent installés sur l'esplanade d'une façon aussi solide, en apparence, que s'ils devaient y faire un long séjour, au lieu de ne s'y arrêter qu'en passant.
Lorsque les sentinelles furent placées, que le repas fut terminé et que les guerriers se furent étendus çà et là pour se livrer au repos, selon l'invariable coutume des Indiens qui n'admettent pas que, à moins de circonstances exceptionnelles, on reste éveillé lorsqu'on peut dormir, le Cougouar s'approcha de Gueyma.
– Vous sentez-vous fatigué? lui demanda-t-il avec un geste significatif.
– Pas du tout, répondit-il; mais pourquoi cette question?
– Simplement parce que j'ai l'intention d'aller un peu à la découverte afin de m'assurer que le passage est libre et que nous n'avons dans notre marche à redouter aucune embuscade, et que s'il vous convient de m'accompagner pendant que nos guerriers se reposent, nous accomplirons de compagnie cette excursion.
– Je ne demande pas mieux, répondit Gueyma qui comprit que l'excursion susdite n'était qu'un prétexte pour donner le change aux guerriers et colorer leur sortie.
– Puisqu'il en est ainsi, reprit le Cougouar, partons sans plus attendre, nous n'avons pas un instant à perdre.
Le jeune homme se leva aussitôt et prit son fusil.
– Nous allons à pied, fit-il.
– Certes, nos chevaux nous embarrasseraient et ne pourraient que retarder notre marche qui, d'ailleurs, doit être secrète.
– Allons donc, alors.
Les deux chefs quittèrent aussitôt le camp par le point opposé à celui par lequel ils étaient arrivés, non pas toutefois sans avoir recommandé à un chef inférieur de les remplacer pendant leur absence et de veiller avec la plus grande vigilance sur la sûreté générale.
Ils ne tardèrent pas à disparaître au milieu des épais taillis et des arbres dont la sente était bordée à droite et à gauche.
Ils marchaient bon pas, se contentant de jeter parfois un regard investigateur autour d'eux, sans prendre d'autre précaution pour dissimuler leur présence.
Gueyma suivait silencieusement le Cougouar, se demandant intérieurement quel était le but de cette mystérieuse sortie.
Quant au vieillard, il s'avançait sans hésitation aucune, se dirigeant au milieu de ce dédale de verdure avec une sûreté qui témoignait d'une grande connaissance des lieux et d'un but déterminé à l'avance, car les deux chefs avaient depuis longtemps déjà abandonné la sente, et, sans suivre aucun chemin tracé, ils marchaient en droite ligne devant eux, franchissant les obstacles qui, de temps en temps, surgissaient sur leur passage, sans se détourner ni à droite ni à gauche.
Au bout d'une demi-heure environ, ils atteignirent le lit desséché d'un torrent qui formait une assez large baie dans la montagne, et, s'accrochant des pieds et des mains, avec cette adresse qui caractérise les Indiens, aux anfractuosités des pierres, aux touffes d'herbes et aux branches des buissons, ils commencèrent à descendre rapidement par une pente assez roide, et qui, à d'autres hommes que ceux-là, n'aurait pas laissé que d'offrir d'assez grandes difficultés et même certains dangers.
A la moitié de la descente, à peu près, le Cougouar s'arrêta sur un fragment de roc, devant une excavation naturelle, dont l'entrée béante s'ouvrait juste en face de lui.
Après avoir attentivement regardé dans toutes les directions, le vieillard fit signe à son compagnon de se placer auprès de lui et indiquant du doigt la caverne:
– Voilà où nous allons, dit-il à voix basse.
– Ah! répondit le jeune homme de l'air le plus souriant qui lui fût possible d'affecter, bien que sa curiosité fût vivement excitée; s'il en est ainsi, ne demeurons pas là davantage, entrons.
– Un instant, reprit le Cougouar en lui appuyant la main sur l'épaule, assurons-nous d'abord qu'il est arrivé.
– Arrivé, qui? demanda le jeune homme.
– Celui que nous voulons voir, probablement, fit le vieillard.
– Ah! Fort bien, seulement c'est vous, et non moi, qui désirez voir la personne dont il s'agit.
– Ne jouons pas sur les mots, mon ami, il vous importe autant qu'à moi, croyez-le bien, que cette entrevue ait lieu.
– Vous savez que je me laisse entièrement guider par vous, je crois même vous avoir donné des preuves d'une exemplaire docilité. Agissez donc à votre guise. Après l'entretien qui va avoir lieu, je serai probablement plus en état de connaître de quelle importance est pour moi cette démarche que, je vous l'avoue, je ne fais qu'à mon corps défendant, bien que, je vous le répète, je me sente attiré vers cet homme.
Le Cougouar ouvrit la bouche comme s'il voulait répondre, mais se ravisant presque aussitôt, il se détourna d'un mouvement brusque, et, après avoir une dernière fois exploré les environs d'un regard circulaire et s'être assuré que la solitude la plus complète continuait à régner autour d'eux, il imita à deux reprises le cri du condor.
Presque aussitôt un cri semblable sortit de la caverne.
Le vieillard s'approcha vivement de l'entrée et penchant légèrement le corps en avant tout en armant son fusil, afin d'être prêt à tout événement:
– Nous avons longtemps marché, la fatigue nous accable, dit-il, comme s'il s'adressait à son compagnon; reposons-nous quelques instants ici, cet endroit solitaire me semble sûr.
– Vous y serez reçu par de bons amis, répondit immédiatement une voix partant de l'intérieur de la caverne.
Un bruit de pas se fit entendre et un homme parut.
Le nouveau venu, revêtu du costume pittoresque des gauchos de la Banda Oriental, n'était autre que Zéno Cabral.
Gueyma remarqua, avec une surprise qu'il n'essaya pas de dissimuler, que le chef des montoneros n'avait pas d'armes, du moins apparentes.
– Soyez les bienvenus, dit-il en saluant avec une gracieuse courtoisie les deux chefs indiens, je vous attends déjà depuis assez longtemps; je suis heureux de vous voir.
Les capitaos guaycurús s'inclinèrent silencieusement et le suivirent, sans hésiter, dans la caverne.