Kitabı oku: «Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868», sayfa 14
LXX
A LOUIS BERLIOZ
Paris, 26 octobre 1854.
J'étais tout triste ce matin, mon cher Louis. J'ai rêvé cette nuit que nous étions ensemble à la Côte et que nous nous promenions tous les deux dans le petit jardin. Ne sachant où tu es, ce songe m'avait péniblement affecté. Ta petite lettre que le portier m'a donnée comme je sortais, m'a remis le cœur à l'aise. Je t'écris au milieu de mes courses dans ma chambre du Conservatoire, avec l'espoir que cette lettre sera plus heureuse que les trois dernières, qui, à ce qu'il paraît, par ton avant-dernière datée de Kiel, ne te sont pas parvenues. Je t'ai écrit à Kiel au reçu de ta lettre. Enfin, j'espère que nous allons nous voir, ne fût-ce que quelques jours. J'ai à t'annoncer une nouvelle qui ne t'étonnera probablement pas et dont j'avais fait part d'avance à ma sœur et à mon oncle à mon dernier voyage à la Côte. Je suis remarié. Cette liaison, par sa durée, était devenue, tu le comprends bien, indissoluble; je ne pouvais ni vivre seul, ni abandonner la personne qui vivait avec moi depuis quatorze ans. Mon oncle, à sa dernière visite à Paris, fut lui-même de cet avis et m'en parla le premier. Tous mes amis pensaient de même. Tes intérêts, tu peux le penser, ont été sauvegardés. Je n'ai assuré à ma femme après moi, si je meurs le premier, que le quart de ma petite fortune; encore, ce quart, je sais que son intention est de te le faire revenir par un testament. Elle m'a apporté en dot son mobilier, dont la valeur est plus considérable que nous ne pensions, mais qui devra lui être rendu si je meurs avant elle. Tout cela a été réglé d'après les indications que m'avait données mon beau-frère. Ma position, plus régulière, est plus convenable ainsi. Je ne doute pas, si tu as conservé quelques souvenirs pénibles et quelques dispositions peu bienveillantes pour mademoiselle Récio, que tu ne les caches au plus profond de ton âme par amour pour moi. Ce mariage s'est fait en petit comité, sans bruit comme sans mystère. Si tu m'écris à ce sujet, ne m'écris rien que je ne puisse montrer à ma femme, car je voudrais pour beaucoup qu'il n'y eût pas d'ombres dans mon intérieur; enfin, je laisse à ton cœur à te dicter ce que tu as à faire. J'ai vu l'amiral Cécile qui a reçu ta lettre. Il m'a appris qu'avant l'expiration de tes trois ans de navigation sur un vaisseau de l'État, tu ne pouvais entrer dans la marine militaire; mais que c'était de droit, si tu le voulais, après cette époque; qu'alors tu serais admis comme sergent d'armes ou comme second chef de timonerie. Je suis dans tous les embarras et ennuis des préparatifs d'un concert pour faire entendre une première fois mon nouvel ouvrage l'Enfance du Christ. Il surgit, comme je m'y attendais, des difficultés qui peut-être seront insurmontables; car je ne veux point risquer d'argent. A propos d'argent, j'en ai mis de côté, que j'ai à te remettre en partie pour tes dépenses. J'ai aussi une malle contenant divers objets dont tu ne peux faire usage dans ta position; elle est fermée et porte ton nom comme t'appartenant. Je t'en prie, si tu reçois cette lettre, écris-moi aussitôt.
Je t'embrasse de toute mon âme; mon affection pour toi semble redoubler. Ton admission comme suppléant du lieutenant à bord du La Place a produit le meilleur effet, et, de plus, diverses personnes (entre autres un rédacteur correspondant du Moniteur) qui t'ont vu, ont parlé de toi à l'amiral et à mon ami Raymond avec de grands éloges. Je te remercie.
Adieu, cher fils ami, cher Louis! aime-moi comme je t'aime.
LXXI
A LÉON KREUTZER
Weimar, 16 février 1855.
Merci, mon cher Kreutzer, mille fois merci et dix mille compliments! Liszt vient de me donner votre article de dimanche dernier88 qui m'a rendu bien heureux. C'est merveilleusement écrit et senti. Je ne saurais vous dire ma joie en lisant votre analyse du microcosme sentimental contenu dans la Ballade du Roi de Thulé!.. Rien ne vous a échappé! Seriez-vous par hazard (sic) le véritable auteur de ce morceau?.. Et ne suis-je que votre plagiaire?.. Quels yeux doivent ouvrir en vous lisant les braves confectionneurs de musique parisienne!.. Mais qu'ils ouvrent les yeux en vous lisant ou qu'ils les ferment en m'écoutant, au fond, qu'importe! Ni vous, ni moi, je crois, n'avons jamais eu la prétention de travailler pour eux.
Permettez-moi de vous dire encore que ce parallélisme de sentiments et d'idées qui me semble évidemment exister chez nous deux, a développé et renforcé l'amitié que je ressentais pour vous, sans que, je puis le jurer, la satisfaction égoïste de l'amour-propre y soit pour rien. Non, il est naturel d'aimer les cœurs qui battent dans le rythme du nôtre, les esprits qui volent vers le point du ciel où nous voudrions pouvoir voler, autant qu'il l'est, c'est triste à dire, d'éprouver de l'antipathie pour les êtres divergents, rampants, négatifs et très positifs. Pardon de ce jeu de mots qui a l'air de rendre mon idée.
J'ai été singulièrement attristé hier à la répétition du trio avec chœurs de Cellini en voyant avec quel aplomb l'orchestre, le chœur et les chanteurs l'ont exécuté, et en songeant aux tristes vicissitudes de cette partition égorgée deux fois en deux infâmes guet-apens!.. Certainement il y a là une verve et une fraîcheur d'idées que je ne retrouverai peut-être plus. C'est empanaché, fanfaron, italo-gascon, c'est vrai! Tenez, moquez-vous de moi; mais j'en ai rêvé cette nuit et je me sens le cœur serré d'avoir entendu cette scène! et j'ai hâte pourtant de la réentendre demain.
Adieu; priez le bon Dieu pour vos gens qui vont se battre; ce sera une rude journée. Je vous serre la main.
LXXII
A M. TAJAN-ROGÉ
Paris, 2 mars 1855.
J'arrive ce matin de l'Allemagne du Nord, je trouve votre lettre, et tout ratatiné par une horrible nuit passée en wagon, avec un froid digne du Canada, je vous réponds sans prendre haleine. N'est-ce pas exemplaire? D'abord, je vous remercie d'avoir tenu votre parole et de m'avoir envoyé un vrai feuilleton de six colonnes… et vous faites cela pour rien? gâte-métier!
Je me doutais bien des belles mœurs musicales au milieu desquelles vous avez le bonheur de vivre, et rien de ce que vous m'apprenez ne m'étonne, si ce n'est le nombre des répétitions qu'on vous fait faire pour monter un grand opéra89. Oui, franchement, je pensais que, dans le nouveau monde, pays de la Liberté, qui connaît le prix du temps, on avait entièrement aboli cette vieille coutume des répétitions, et qu'on ne répétait jamais. Mais je vois qu'on ne m'avait pas trompé: la Nouvelle-Orléans est antiabolitioniste! et c'est vous autres qui êtes les nègres. Vous comptez même à ce qu'il paraît des nègres marrons, puisque votre première contrebasse s'est sauvée et qu'elle vit libre dans les bois, à l'heure qu'il est.
Vous ne me dites rien de vos projets commerciaux; vous aviez emporté un tas de petites bouteilles, qui m'avaient fait espérer que vous opéreriez là-bas la transmutation des vils métaux en or. Mais je pense que vos bouteilles ne vous auront pas donné de l'eau à boire.
Je viens de Weimar et de Gotha, où l'on m'a comblé, archi-comblé de tout ce qui en Europe constitue le succès.
Au dernier concert de Weimar, j'avais un programme monstre (L'Enfance du Christ, – la Symphonie fantastique, —le Retour à la vie). Ce dernier ouvrage que vous ne connaissez pas et dont j'ai fait aussi les paroles et la musique, est un monodrame lyrique. L'acteur unique qui joue le rôle de l'artiste, le joue sur l'avant-scène agrandie. – La toile est baissée et derrière la toile s'élève un amphithéâtre d'où l'orchestre, les chefs et les chanteurs se font entendre invisibles. Les morceaux de musique sont des mélodies et des harmonies imaginaires, que l'artiste entend en pensée seulement, et que l'auditoire entend en réalité, mais un peu affaiblies par la toile qui sert ainsi de sourdine. J'ai été rappelé quatre fois après cet ouvrage, que j'écrivis, il y a vingt-deux ans, en vagabondant dans les bois en Italie, et que je ne ferai sans doute jamais exécuter ici que par fragments. Il y a là un chœur d'Ombres qui m'a fait frissonner, je vous l'avoue, tant c'est étrangement terrible dans son lent et solennel crescendo. En voici les paroles:
Froid de la mort, froid de la tombe,
Bruit éternel des pas du temps,
Noir chaos où l'espoir succombe,
Quand donc finirez-vous? Vivants!
Toujours, toujours la mort vorace
Fait de vous un nouveau festin,
Sans que sur la terre on se lasse
De donner pâture à sa faim.
Pour L'Enfance du Christ, l'effet a été le même qu'ici, où il faut avouer que le public a été réellement très aimable. On a pleuré à mouiller des mouchoirs. Je regrette bien de ne pouvoir pas vous faire connaître cela; mais, dès que la partition aura paru, je vous l'enverrai. Le fils de Guiraud m'a été bien utile pour les deux dernières exécutions. Il a accompagné les chœurs aux répétitions, il a dû même les diriger pendant le finale de la première partie, où les choristes sont placés de manière à ne pas voir le chef d'orchestre. C'est un charmant garçon qui deviendra un homme.
Faites sur lui des compliments à son père en lui transmettant mes plus cordiales amitiés. Je serre la main à Prévost en lui souhaitant du courage pour le rude labeur qu'il accomplit.
Maintenant adieu, mon cher Rogé; il me faut employer activement les huit jours que je suis venu passer à Paris, étant engagé à donner trois concerts à Bruxelles du 15 au 25 de ce mois. Puis je dois en donner un autre ici à l'Opéra-Comique le 6 avril, avec les deux théâtres de M. Perrin réunis, organiser l'exécution (première) de mon Te Deum à Saint-Eustache pour le 1er mars et partir pour Londres, où je suis engagé par la New Philharmonic Society.
Du reste, rien de nouveau dans le monde musical parisien, mademoiselle Cruvelli n'a toujours que cent mille francs pour huit mois…
Ma femme vous remercie de votre bon souvenir. Nous voyons quelquefois madame et mademoiselle Rogé, qui sans doute se portent bien. Je suis ici depuis six heures et n'ai pu avoir encore de leurs nouvelles.
LXXIII
A M. AUGUSTE MOREL
Paris, le 14 avril 1855.
Mon cher Morel,
Je ne vous écris que six lignes pour vous prier de m'excuser si je n'ai pas encore répondu à votre dernière lettre. Elle m'arriva au moment où je partais pour Bruxelles et j'ai été depuis lors si éreinté, si absorbé par mille tracas, qu'il m'a été impossible de trouver cinq minutes de liberté. Les musiciens belges m'ont fait souffrir une torture de Huron. Ces braves artistes, si bons, si patients, si accueillants, ne peuvent se décider à prendre la peine de décomposer une mesure et tout ce qui ne frappe pas le premier temps fort leur fait perdre l'équilibre. Le troisième concert seul a bien marché.
Celui de l'Opéra-Comique, samedi dernier, a beaucoup laissé à désirer sous le rapport de l'exécution. L'orchestre seul est resté irréprochable.
Maintenant me voilà plongé dans le Te Deum, et c'est en ce moment que votre absence me semble étrange… J'espère pourtant que tout marchera bien. Voulez-vous être assez bon pour faire reproduire dans les journaux de Marseille la réclame ci-jointe? Il faut que l'immense église soit pleine, ou nous sommes flambés. Cela coûte sept mille francs.
J'apprends que vous écrivez un nouveau quintette?.. tant mieux! que ce genre difficile fleurisse donc en France! Votre ami Baudillon se marie, il épouse une jeune pianiste qui a l'air fort gracieux et tout à fait agréable. Et vous? ne vous mariez-vous point? vous auriez pourtant besoin d'un intérieur; vous manquez de dorloteries, je le crains, sensible et mélancolique comme vous l'êtes.
Je serre la main à Lecour. Théodore Bennet (Ritter) lui a dédié sa réduction pour le piano de notre adagio de Roméo. Cet enfant est très remarquable et je l'aime sincèrement.
LXXIV
A RICHARD WAGNER
Paris, 10 septembre 1855.
Mon cher Wagner,
Votre lettre m'a fait un bien grand plaisir. Vous n'avez pas tort de déplorer mon ignorance de la langue allemande, et ce que vous me dites de l'impossibilité où je suis d'apprécier vos ouvrages, je me le suis dit bien des fois. La fleur de l'expression se fane presque toujours sous le poids de la traduction, si délicatement que cette traduction soit faite. Il y a des accents, dans la musique vraie, qui veulent leur mot spécial, il y a des mots qui veulent leur accent. Séparer les uns des autres, ou leur donner des approximatifs, c'est faire allaiter un petit chien par une chèvre et réciproquement. Mais que voulez-vous! j'ai une difficulté diabolique à apprendre les langues; c'est à peine si je sais quelques mots d'anglais et d'italien…
Vous êtes donc en train de faire fondre les glacières en composant vos Niebelungen!.. Cela doit être superbe, d'écrire ainsi en présence de la grande nature!.. Voilà encore une jouissance qui m'est refusée! Les beaux paysages, les hautes cimes, les grands aspects de la mer, m'absorbent complétement au lieu de provoquer chez moi la manifestation de la pensée. Je sens alors et ne saurais exprimer. Je ne puis dessiner la lune qu'en regardant son image au fond d'un puits.
Je voudrais bien pouvoir vous envoyer les partitions que vous me faites le plaisir de me demander; malheureusement mes éditeurs ne m'en donnent plus depuis longtemps. Mais il y en a deux et même trois: le Te Deum, l'Enfance du Christ et Lelio (monodrame lyrique), qui vont paraître dans peu de semaines, et celles-là au moins, je pourrai vous les envoyer.
J'ai votre Lohengrin; si vous pouviez me faire parvenir le Tannhäuser, vous me feriez bien plaisir. La réunion que vous me proposez serait une fête; mais je dois bien me garder d'y penser. Il faut que je fasse des voyages de désagrément, pour gagner ma vie, Paris ne produisant pour moi que des fruits pleins de cendre.
C'est égal, si nous vivions encore une centaine d'années, je crois que nous aurions raison de bien des choses et de bien des hommes. Le vieux Demiourgos doit bien rire là-haut, dans sa vieille barbe, du succès constant de la vieille farce qu'il nous fait… Mais je ne dirai pas de mal de lui, c'est un de vos amis, et je sais que vous le protégez. Je suis un impie plein de respect pour les Pies. Pardon de cet affreux calembour avec lequel je finis en vous serrant la main.
P. – S.– Voilà qu'il m'arrive une troupe ailée d'idées de toutes couleurs, et l'envie de vous les envoyer… Je n'ai pas le temps. Tenez-moi pour une bête, jusqu'à nouvel ordre.
LXXV
A LOUIS BERLIOZ
Paris, 27 avril 1855.
Cher Louis,
Je t'écris trois lignes à la course. Je ferai ce que tu veux à partir de la semaine prochaine. L'amiral est venu chez moi avant-hier, je n'y étais pas; je vais courir après lui.
J'ai été bien malade avant-hier; j'ai cru que je n'aurais pas la force d'aller jusqu'au bout de mes répétitions. Aujourd'hui je suis un peu mieux; nous avons fait hier à Saint-Eustache la première répétition d'orchestre90 avec les six cents enfants. Aujourd'hui je fais répéter l'ensemble de mes deux cents choristes artistes. Cela va marcher. C'est colossal! Le diable m'emporte, il y a un final qui est plus grand que le Tuba mirum de mon Requiem.
Quel malheur que tu n'entendes pas cela!
Adieu; sois bien raisonnable, ne gaspille pas ton peu d'argent.
LXXVI
A M. AUGUSTE MOREL
Paris, 2 juin 1855.
Excusez-moi de ne vous avoir pas encore répondu. Vous connaissez la vie de Paris et pourtant je doute que vous vous fassiez une idée de celle que j'ai menée depuis un mois. Enfin, me voilà un peu plus libre, je n'ai que des épreuves à corriger du matin au soir, des courses à faire chez les graveurs et imprimeurs, etc., etc.; on grave à la fois l'Enfance du Christ, grande et petite partition; le Te Deum, grande partition, le monodrame du Retour à la vie, grande et petite partition. Quant au Te Deum, c'est moi qui le publie en société avec Jemmy Brandus; et, si le Conservatoire de Marseille peut m'en prendre un exemplaire, je me recommande à lui. Le prix de la souscription est de quarante francs. Parlez donc de cela à Lecourt. Bennet91 prétend que je pourrai trouver cinq ou six souscripteurs à Marseille. Laval m'a dit vous avoir envoyé les dernières épreuves de votre quatuor; avez-vous fini? ai-je quelque chose à dire chez Brandus à ce sujet? Je vous remercie mille fois de votre affectueuse sollicitude pour Louis. Il a en effet dû laisser partir le Fleurus et il est en ce moment en convalescence à l'hôpital de Saint-Mandrier à Toulon. Vous me demandez de vous parler du Te Deum; c'est très difficile à moi. Je vous dirai seulement que l'effet produit sur moi par cet ouvrage a été énorme et qu'il en a été de même pour mes exécutants. En général, la grandeur démesurée du plan et du style les a prodigieusement frappés, et vous pouvez croire que le Tibi omnes et le Judex, dans deux genres différents, sont des morceaux babyloniens, ninivites, qu'on trouvera bien plus puissants encore, quand on les entendra dans une salle moins grande et moins sonore que l'église Saint-Eustache. Je pars vendredi pour l'Angleterre. Wagner, qui dirige à Londres l'ancienne Société philharmonique (direction que j'avais été obligé de refuser étant déjà engagé par l'autre), succombe sous les attaques de toute la presse anglaise. Mais il reste calme, dit-on, assuré qu'il est d'être le maître du monde musical dans cinquante ans.
Verdi est aussi aux prises avec tous les gens de l'Opéra. Il leur a fait hier une scène terrible à la répétition générale.
Le pauvre homme me fait mal; je me mets à sa place. Verdi est un digne et honorable artiste. Rossini est arrivé; il blaguotte tous les soirs sur le boulevard. Il a l'air d'un vieux satyre en retraite.
LXXVII
AU MÊME
Paris, 21 juillet 1855.
Mille remerciements pour votre bonne et affectueuse lettre; je ne pourrai pas vous en écrire une pareille, je suis malade de l'ennui de Paris, de la chaleur, de mille assommantes affaires. J'ai fait tout de suite votre commission. Laval ne vous avait pas expédié le quatuor parce que les corrections n'étaient pas faites; le graveur l'avait trompé en lui disant qu'elles l'étaient. Cela doit être terminé maintenant, et je pense que vous recevrez bientôt le paquet si vous ne l'avez pas déjà reçu.
J'ai fait une brillante excursion à Londres, où je me case de mieux en mieux. J'y retournerai cet hiver, après une tournée que je projette en Bohême et en Autriche, si nous ne sommes pas en guerre contre les Autrichiens.
Je ne fais en ce moment que corriger des épreuves du matin au soir.
Je vous remercie de m'avoir trouvé pour le Te Deum quelques souscripteurs; il sera publié très prochainement. On m'a commandé à Londres un petit travail: L'art du chef d'orchestre, qui doit être ajouté à l'édition anglaise de mon traité d'instrumentation revu et augmenté. Cela va m'occuper exclusivement tout le mois prochain.
Louis est ici; il se remet tout doucement, il se loue avec effusion de vos bontés pour lui et des amis que vous lui avez procurés à Toulon. Depuis mon retour à Londres, je n'ai rien vu, rien entendu; je ne puis donc rien vous raconter. Je ne connais pas encore les Vêpres de Verdi. Meyerbeer doit être content de son Étoile à Covent-Garden; on lui a jeté des bouquets comme à une prima donna. Et Gouin n'y était pas! Bennet et son fils (Ritter) m'avaient suivi à Londres. Après avoir entendu l'adagio de Roméo et Juliette par notre grand orchestre d'Exeter Hall, Bennet, le père, commence à croire que le piano ne peut pas approcher de cette puissance expressive, chose qu'il ne croyait pas auparavant…
Son fils est un admirable et charmant enfant, qui sera bientôt, je le crois, un grand artiste. Il vous a remplacé dans la Fée Mab, en jouant les petites cymbales.
LXXVIII
AU MÊME
Paris, 9 janvier 1856.
Merci de toutes les choses amicales que vous me dites et des détails que vous me donnez sur le mouvement musical du centre où vous vivez. Il n'y a rien ici de nouveau; l'Opéra ne varie pas plus son répertoire qu'il ne le variait autrefois.
Mais je le crois (l'Opéra) dans de graves embarras. Crosnier ne veut ni ne peut rien; le directeur musical c'est Girard, qui fait tout ce qu'il veut et ne laisse rien faire que ce qu'il veut; il a pour remplir cette dictature 18,000 francs d'appointements.
On vient de décorer Dietsch. Que vous dirai-je? On donne un opéra nouveau tous les huit jours. Le Théâtre-Lyrique a été sur le point de fermer avant-hier; il ne payait pas du tout. Il repaye un peu maintenant et compte, pour se sauver, sur un opéra de Clapisson. L'Opéra-Italien est en perte de 200,000 francs. L'Opéra-Comique seul, sans faire de brillantes affaires, se soutient passablement.
Tout cela n'est pas gai; on ne voit que tripotages, platitudes, niaiseries, gredineries, gredins, niais, plats et tripoteurs.
Je me tiens toujours de plus en plus à l'écart de ce monde empoisonné d'empoisonneurs.
Je commence à me remettre des fatigues terribles des concerts de l'Exposition.
Je reçois de temps en temps des lettres de l'extérieur qui me donnent des recrudescences momentanées d'ardeur musicale. Il m'en est arrivé une de Bruxelles il y a quinze jours, sur Faust, qui dépasse tout ce qu'on m'a jamais écrit en ce genre, même les lettres du baron de D*** sur Roméo et Juliette. Quant aux Parisiens, c'est toujours la même chose inerte et glacée en général; le petit public de la salle Herz est si peu puissant, que son influence est presque nulle. Le prince Napoléon me fait un très gracieux accueil; il s'étonne de la mesquine position que j'occupe à Paris, et ne parvient pas à m'en faire changer. L'empereur est inaccessible et exècre la musique comme dix Turcs…
Merci de vos bonnes intentions et de celles de Lecourt pour mon fils; je n'entre pas dans votre manière de voir au sujet de la marine marchande; tant mieux si je me trompe. Mais il n'y a point de carrière assurée pour Louis dans ce moment en quittant la marine de l'État, et je suis dans la plus complète impossibilité de lui venir en aide. C'est l'opinion de ma sœur et de mon oncle qu'il devrait rester où il est; il va les mécontenter tous, surtout mon oncle, qu'il a tant d'intérêt à ménager. Je ne sais plus que dire; il m'a fait écrire à l'empereur pour qu'il l'aide à arriver à un grade qu'il ambitionne; j'ai mis sans succès en mouvement l'amiral Cécile et tous mes amis des Débats.
Maintenant je ne puis plus rien; Louis s'est posé l'arbitre de sa destinée en n'agissant qu'à son gré. Il faut me taire et attendre avec anxiété le résultat de sa conduite irréfléchie. En tout cas, je n'ai pas besoin de vous dire combien je suis touché de l'intérêt que vous lui témoignez et de vous assurer de ma vive reconnaissance pour ce que vous ferez pour lui. Je ne puis rien tenter en musique à Paris d'un peu important; obstacles en tout et partout. Pas de salle! pas d'exécutants (de ceux que je voudrais). Il n'y a pas même un dimanche dont je puisse disposer pour donner mon petit concert. Les uns sont pris par la Société des concerts, les autres par la Société Pasdeloup, qui a retenu la salle Herz pour toute la saison. Je suis forcé de me contenter d'un vendredi.
Adieu; en voilà assez, en voilà trop, à quoi bon récriminer? le choléra existe, on le sait, pourquoi la musique parisienne n'existerait-elle pas?