Kitabı oku: «Les grotesques de la musique», sayfa 9
Aberrations et hallucinations de l'oreille
Un jour, assistant à un concert où l'on exécutait l'une des plus merveilleuses sonates de Beethoven, pour piano et violon, j'avais à côté de moi un jeune musicien étranger, récemment arrivé de Naples, où jamais, me disait-il, le nom de Beethoven n'avait frappé son oreille. Cette sonate lui causait des impressions très-vives et qui l'étonnaient profondément. L'andante varié et le finale le ravirent. Après avoir écouté au contraire avec une attention presque pénible le premier morceau:
« – C'est beau cela, me dit-il, n'est-ce pas, monsieur? Vous trouvez cela beau?
– Oui, certes, c'est beau, c'est grand, c'est neuf, c'est de tout point admirable.
– Eh bien! monsieur, je dois vous l'avouer, je ne le comprends pas.»
Il était à la fois honteux et chagrin. C'est un phénomène bizarre que l'on peut observer chez les auditeurs même les plus heureusement doués par la nature, mais dont l'éducation musicale est incomplète. Sans qu'il soit possible de deviner pourquoi certains morceaux leur sont inaccessibles, ils ne les comprennent pas; c'est-à-dire ils n'en apprécient ni l'idée mère, ni les développements, ni l'expression, ni l'accent, ni l'ordonnance, ni la beauté mélodique, ni la richesse harmonique, ni le coloris. Ils n'entendent rien; pour ces morceaux-là certains auditeurs sont sourds. Bien plus, n'entendant point ce qui y surabonde, ils croient souvent entendre ce qui n'y est pas.
Pour l'un d'eux, le thème d'un adagio était vague et couvert par les accompagnements:
« – Aimez-vous ce chant? lui dis-je un jour, après avoir chanté une longue phrase mélodique lente.
– Oh! c'est délicieux, et d'une netteté de contours parfaite; à la bonne heure.
– Tenez, voilà la partition; reconnaissez l'adagio dont vous avez trouvé le thème vague, et tâchez de vous convaincre par vos yeux que les accompagnements ne sauraient le couvrir, puisqu'il est exposé sans accompagnement.»
Un autre, reprochant à l'auteur d'une romance d'en avoir gâté la mélodie par une modulation intempestive, rude, dure et mal préparée.
« – Parbleu! répliqua le compositeur, vous me feriez plaisir en m'indiquant cette malencontreuse modulation; voici le morceau, cherchez-la.»
L'amateur eut beau chercher et ne trouva rien; le morceau est en mi bémol d'un bout à l'autre, il ne module pas.
Je ne cite là que des idées erronées, produites par des impressions fausses, chez des auditeurs impartiaux, bienveillants même, et désireux d'aimer et d'admirer ce qu'ils écoutent. On juge de ce que peuvent être les aberrations, les hallucinations des gens prévenus, haineux, à idées fixes. Si l'on faisait entendre à ces gens-là l'accord parfait de ré majeur, en les avertissant que cet accord est dans l'œuvre d'un compositeur qu'ils détestent:
– Assez, assez, s'écrieraient-ils, c'est atroce, vous nous déchirez l'oreille!
Ce sont de véritables fous.
Je ne sais si dans les arts du dessin on a pu constater l'existence de cette race de maniaques pour qui le rouge est vert, le blanc est noir, le noir est blanc, les rivières sont des flammes, les arbres des maisons, et qui se croient Jupiter.
CORRESPONDANCE PHILOSOPHIQUE
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LETTRE ADRESSÉE A M. ELLA
directeur de l'Union musicale de Londres au sujet de
La fuite en Égypte
FRAGMENTS D'UN MYSTÈRE EN STYLE ANCIEN13
"Some judge of authors' names, not works, and then
Nor praise nor blame the writings, but the men."
Mon cher Ella,
Vous me demandez pourquoi le Mystère (la Fuite en Égypte) porte cette indication: attribué à Pierre Ducré, maître de chapelle imaginaire.
C'est par suite d'une faute que j'ai commise, faute grave dont j'ai été sévèrement puni, et que je me reprocherai toujours. Voici le fait.
Je me trouvais un soir chez M. le baron de M***, intelligent et sincère ami des arts, avec un de mes anciens condisciples de l'Académie de Rome, le savant architecte Duc. Tout le monde jouait, qui à l'écarté, qui au whist, qui au brelan, excepté moi. Je déteste les cartes. A force de patience, et après trente ans d'efforts, je suis parvenu à ne savoir aucun jeu de cette espèce, afin de ne pouvoir en aucun cas être appréhendé au corps par les joueurs qui ont besoin d'un partenaire.
Je m'ennuyais donc d'une façon assez évidente, quand Duc, se tournant vers moi:
«Puisque tu ne fais rien, me dit-il, tu devrais écrire un morceau de musique pour mon album!
– Volontiers.»
Je prends un bout de papier, j'y trace quelques portées, sur lesquelles vient bientôt se poser un andantino à quatre parties pour l'orgue. Je crois y trouver un certain caractère de mysticité agreste et naïve, et l'idée me vient aussitôt d'y appliquer des paroles du même genre. Le morceau d'orgue disparaît, et devient le chœur des bergers de Bethléem adressant leurs adieux à l'enfant Jésus, au moment du départ de la Sainte Famille pour l'Égypte. On interrompt les parties de whist et de brelan pour entendre mon saint fabliau. On s'égaye autant du tour moyen âge de mes vers que de celui de ma musique.
« – Maintenant, dis-je à Duc, je vais mettre ton nom là-dessous, je veux te compromettre.
– Quelle idée! mes amis savent bien que j'ignore tout à fait la composition.
– Voilà une belle raison, en vérité, pour ne pas composer! mais puisque ta vanité se refuse à adopter mon morceau, attends, je vais créer un nom dont le tien fera partie. Ce sera celui de Pierre Ducré, que j'institue maître de musique de la Sainte Chapelle de Paris au dix-septième siècle. Cela donnera à mon manuscrit tout le prix d'une curiosité archéologique.»
Ainsi fut fait. Mais je m'étais mis en train de faire le Chatterton. Quelques jours après, j'écrivis chez moi le morceau du Repos de la Sainte Famille, en commençant cette fois par les paroles, et une petite ouverture fuguée, pour un petit orchestre, dans un petit style innocent, en fa diéze mineur sans note sensible; mode qui n'est plus de mode, qui ressemble au plain-chant, et que les savants vous diront être un dérivé de quelque mode phrygien, ou dorien, ou lydien de l'ancienne Grèce, ce qui ne fait absolument rien à la chose, mais dans lequel réside évidemment le caractère mélancolique et un peu niais des vieilles complaintes populaires.
Un mois plus tard je ne songeais plus à ma partition rétrospective, quand un chœur vint à manquer dans le programme d'un concert que j'avais à diriger. Il me parut plaisant de le remplacer par celui des Bergers de mon Mystère, que je laissai sous le nom de Pierre Ducré, maître de musique de la Sainte-Chapelle de Paris (1679). Les choristes, aux répétitions, s'éprirent tout d'abord d'une vive affection pour cette musique d'ancêtres.
« – Mais où avez-vous déterré cela? me dirent-ils.
– Déterré est presque le mot, répondis-je sans hésiter; on l'a trouvé dans une armoire murée, en faisant la récente restauration de la Sainte Chapelle. C'était écrit sur parchemin en vieille notation que j'ai eu beaucoup de peine à déchiffrer.»
Le concert a lieu, le morceau de Pierre Ducré est très-bien exécuté, encore mieux accueilli. Les critiques en font l'éloge le surlendemain en me félicitant de ma découverte. Un seul émet des doutes sur son authenticité et sur son âge. Ce qui prouve bien, quoique vous en disiez, Gallophobe que vous êtes, qu'il y a des gens d'esprit partout. Un autre critique s'attendrit sur le malheur de ce pauvre ancien maître dont l'inspiration musicale se révèle aux Parisiens après cent soixante treize ans d'obscurité. «Car, dit-il, aucun de nous n'avait encore entendu parler de lui, et le Dictionnaire biographique des musiciens de M. Fétis, où se trouvent pourtant des choses si extraordinaires, n'en fait pas mention!»
Le dimanche suivant, Duc se trouvant chez une jeune et belle dame qui aime beaucoup l'ancienne musique et professe un grand mépris pour les productions modernes quand leur date lui est connue, aborde ainsi la reine du salon:
« – Eh bien, madame, comment avez-vous trouvé notre dernier concert?
– Oh! fort mélangé, comme toujours.
– Et le morceau de Pierre Ducré?
– Parfait, délicieux! voilà de la musique! le temps ne lui a rien ôté de sa fraîcheur. C'est la vraie mélodie, dont les compositeurs contemporains nous font bien remarquer la rareté. Ce n'est pas votre M. Berlioz, en tout cas, qui fera jamais rien de pareil.»
Duc à ces mots ne peut retenir un éclat de rire, et a l'imprudence de répliquer:
« – Hélas, madame, c'est pourtant mon M. Berlioz qui a fait l'Adieu des Bergers, et qui l'a fait devant moi, un soir, sur le coin d'une table d'écarté.»
La belle dame se mord les lèvres, les roses du dépit viennent nuancer sa pâleur, et tournant le dos à Duc, lui jette avec humeur cette cruelle phrase:
« – M. Berlioz est un impertinent!»
Vous jugez, mon cher Ella, de ma honte, quand Duc vint me répéter l'apostrophe. Je me hâtai alors de faire amende honorable, en publiant humblement sous mon nom cette pauvre petite œuvre, mais en laissant toutefois subsister sur le titre les mots: «Attribué à Pierre Ducré, maître de chapelle imaginaire,» pour me rappeler ainsi le souvenir de ma coupable supercherie.
Maintenant on dira ce qu'on voudra; ma conscience ne me reproche rien. Je ne suis plus exposé à voir, par ma faute, la sensibilité des hommes doux et bons s'épandre sur des malheurs fictifs, à faire rougir les dames pâles, et à jeter des doutes dans l'esprit de certains critiques habitués à ne douter de rien. Je ne pècherai plus. Adieu, mon cher Ella, que mon funeste exemple vous serve de leçon. Ne vous avisez jamais de prendre ainsi au trébuchet la religion musicale de vos abonnés. Craignez l'épithète que j'ai subie. Vous ne savez pas ce que c'est que d'être traité d'impertinent, surtout par une belle dame pâle.
Votre ami contrit,HECTOR BERLIOZ.
La débutante. – Despotisme du directeur de l'Opéra
Ce n'est pas chose facile de débuter à l'Opéra, même pour une jeune cantatrice douée d'une belle voix, dont le talent est reconnu, qui est d'avance engagée et chèrement payée par l'administration de ce théâtre, et qui a par conséquent le droit de compter sur le bon vouloir du directeur et sur son désir de la produire en public le plus tôt et le mieux possible. Il faut d'abord choisir, et l'on conçoit l'importance de ce choix, le rôle dans lequel elle paraîtra. Aussitôt qu'il en est question, des voix s'élèvent avec plus ou moins d'autorité et d'éclat, qui font entendre à l'artiste ces mots contradictoires:
« – Prenez mon ours!
– Ne prenez pas son ours!
– Vous aurez un succès, je vous le garantis.
– Vous éprouverez un échec, je vous le jure.
– Toute ma presse et toute ma claque sont à vous.
– Tout le public sera contre vous. Tandis qu'en prenant mon ours vous aurez le public pour vous.
– Oui, mais vous aurez pour ennemis toute ma presse et toute ma claque, et moi par-dessus le marché.»
La débutante effrayée se tourne alors vers son directeur, pour qu'il la dirige. Hélas! demander à un directeur une direction, quelle innocence! Le pauvre homme ne sait lui-même à quel diable se vouer. Il n'ignore pas que les marchands d'ours ont raison quand ils parlent de la réalité de leur influence, et de quel intérêt il est pour une débutante surtout de les ménager. Pourtant, comme après tout on ne peut pas contenter à la fois l'ours à la tête blanche et l'ours à la tête noire, on en vient à se décider pour l'ours qui grogne le plus fort, et la pièce de début est annoncée. La débutante sait le rôle, mais, ne l'ayant jamais encore chanté en scène, il lui faut au moins une répétition, pour laquelle il est nécessaire de réunir l'orchestre, le chœur et les personnages principaux de la pièce. Ici commence une série d'intrigues, de mauvais vouloirs, de niaiseries, de perfidies, d'actes de paresse, d'insouciance, à faire damner une sainte. Tel jour on ne peut convoquer l'orchestre, tel autre on ne peut avoir le chœur; demain le théâtre ne sera pas libre, on y répète un ballet; après-demain le ténor va à la chasse, deux jours plus tard il en reviendra, il sera fatigué; la semaine prochaine le baryton a un procès à Rouen qui l'oblige à quitter Paris; il ne sera de retour que dans huit ou dix jours; à son arrivée sa femme est en couches, il ne peut la quitter; mais, désireux d'être agréable à la débutante, il lui envoie des dragées le jour du baptême de l'enfant; on prend rendez-vous pour répéter au moins avec le soprano au foyer du chant, la débutante s'y rend à l'heure indiquée; le soprano, qui n'est pas trop enchanté de voir poindre une nouvelle étoile, se fait un peu attendre, il arrive cependant; l'accompagnateur seulement ne paraît pas. On s'en retourne sans rien faire. La débutante voudrait se plaindre au directeur. Le directeur est sorti, on ne sait quand il rentrera. On lui écrit; la lettre est mise sous ses yeux au bout de vingt-quatre heures. L'accompagnateur admonesté reçoit une convocation pour une nouvelle séance, il est exact cette fois; le soprano à son tour n'a garde de paraître. Pas de répétition possible; le baryton n'a pu être convoqué, la barytone étant toujours malade; ni le ténor, qui est toujours fatigué. Alors si on utilisait ces loisirs en allant visiter les critiques influents… (on a fait croire à la débutante qu'il y avait des critiques influents, c'est-à-dire, pour parler français, qui exercent sur l'opinion une certaine influence).
« – Êtes-vous allée, lui dit-on, faire une visite à M***, le farouche critique sous la griffe duquel vous avez le malheur de tomber? Ah! il faut prendre bien garde à celui-là. C'est un capricieux, un entêté, il a des manies musicales terribles, des idées à lui, c'est un hérisson, on ne sait par quel bout le prendre. Si vous voulez lui faire une politesse, il se fâche. Si vous lui faites une impolitesse, il se fâche encore. Si vous allez le voir, vous l'ennuyez; si vous n'y allez pas, il vous trouve dédaigneuse; si vous l'invitez à dîner la veille de votre début, il vous répond que «lui aussi, ce jour-là, il donne un dîner d'affaires.» Si vous lui proposez de chanter une de ses romances (car il fait des romances), et c'est pourtant fin et délicat, cela, c'est une charmante séduction, essentiellement artiste et musicale, il vous rit au nez et vous offre de chanter lui-même les vôtres quand vous en composerez. Ah! faites attention à ce méchant homme et à quelques autres encore, ou vous êtes perdue.» – Et la pauvre débutante aux cent mille francs commence à éprouver cent mille terreurs.
Elle court chez ce calomnié.
Le monsieur la reçoit assez froidement.
« – Il n'y a que deux mois qu'on annonce votre début, mademoiselle, en conséquence vous avez encore au moins six semaines d'épreuves à subir avant de faire votre première apparition.
– Six semaines, monsieur!..
– Ou sept ou huit. Mais enfin ces épreuves finiront. Dans quel ouvrage débutez-vous?»
A l'énoncé du titre de l'opéra choisi par la débutante, le critique devient plus sérieux et plus froid.
« – Trouvez-vous que j'aie mal fait de prendre ce rôle?
– Je ne sais si le choix sera heureux pour vous, mais il est fatal pour moi, la représentation de cet opéra me faisant toujours éprouver de violentes douleurs intestinales. Je m'étais juré de ne plus jamais m'y exposer, et vous allez me forcer de manquer à mon serment. Je vous pardonne mes coliques néanmoins, mais je ne saurais vous pardonner de me faire manquer à ma parole et perdre ainsi l'estime de moi-même. Car j'irai, mademoiselle, j'irai vous entendre malgré tout; je vais prévenir mon médecin.»
La débutante sent le frisson parcourir ses veines à ces paroles menaçantes; ne sachant plus quelle contenance faire, elle prend congé du monsieur en réclamant son indulgence, et sort le cœur navré. Mais un autre critique influent la rassure. – «Soyez tranquille, mademoiselle, nous vous soutiendrons, nous ne sommes pas des gens sans entrailles comme notre confrère, et l'opéra que vous avez choisi, quoiqu'un peu dur à digérer, ne nous fait pas peur.» Enfin le directeur espère qu'il ne sera pas impossible de réunir prochainement les artistes pour une répétition générale. Le baryton a gagné son procès, sa femme est rétablie, son enfant a fait ses premières dents; le ténor est remis de sa fatigue, il est même fort engraissé; le soprano est rassuré, on lui a promis que la débutante ne réussirait pas; le chœur et l'orchestre n'ayant pas fait de répétitions depuis deux mois, on peut risquer un appel à leur dévouement. Le directeur, s'armant de tout son courage, aborde même un soir les acteurs et les chefs de service et leur tient le despotique langage de ce capitaine de la garde nationale qui commandait ainsi l'exercice: «Monsieur Durand, pour la troisième et dernière fois, je ne le répéterai plus, oserais-je vous prier d'être assez bon pour vouloir bien prendre la peine de me faire le plaisir de porter armes?»
Le jour de la répétition est fixé, bravement affiché dans les foyers du théâtre, et, chose incroyable, presque personne ne murmure de cet abus de pouvoir du directeur. Bien plus, le jour venu, une heure et demie à peine après l'heure indiquée, tout le monde est présent. Le directeur des succès est au parterre entouré de sa garde et une partition à la main; car ce directeur-là, qui est un original, a senti le besoin d'apprendre la musique pour pouvoir suivre de l'œil les répliques mélodiques et ne pas faire faire à son monde de fausses entrées.
Le chef d'orchestre donne le signal, on commence… «Eh bien! eh bien! et la débutante où donc est-elle? Appelez-la.» On la cherche, on ne la trouve pas; seulement un garçon de théâtre présente à M. le directeur une lettre qu'on venait d'apporter la veille, dit-il, annonçant que la débutante, atteinte de la grippe, est dans l'impossibilité de quitter son lit, et par conséquent de répéter. Fureur de l'assemblée; le directeur des succès ferme violemment sa partition; l'autre directeur se hâte de quitter la scène; M. Durand qui commençait à porter armes, remet son fusil sous son bras et rentre chez lui en grommelant. Et tout est à recommencer; et la pauvre grippée, à la fin guérie, doit s'estimer heureuse que le baryton ne puisse avoir de procès et d'enfants que tous les dix ou onze mois, que le ténor ne se soit pas fait découdre par un sanglier, et que M. Durand, n'ayant pas monté la garde depuis fort longtemps, soit assez bon pour vouloir bien prendre la peine encore une fois de porter armes. Car, il faut lui rendre cette justice, il finit par la prendre.
En ce cas la débutante finit aussi par débuter; à moins qu'un nouvel obstacle ne survienne. Oh! alors, M. le directeur, exaspéré, ne se connaît plus, et vient dire carrément à ses administrés sans employer de précautions oratoires, et d'un ton qui n'admet pas de réplique: «Mesdames et Messieurs, je vous préviens que demain à midi, il n'y aura pas de répétition!»
Le chant des coqs. – Les coqs du chant
«Que pensez-vous de l'emploi du trille vocal dans la musique dramatique? me demandait un soir un amateur dont une prima donna venait de vriller le tympan.
– Le trille vocal est quelquefois d'un bon effet, comme expression d'une joie folâtre, comme imitation musicale du rire gracieux; employé sans raison, introduit dans le style sérieux et ramené à tout bout de chant, il m'agace le système nerveux, il me rend féroce. Cela me rappelle les cruautés que j'exerçais dans mon enfance sur les coqs. Le chant triomphal des coqs m'exaspérait alors presque autant que le trille victorieux des prime donne me fait souffrir aujourd'hui. Maintes fois aussi m'est-il arrivé de rester en embuscade, attendant le moment où l'oiseau sultan, battant des ailes, commencerait son cri ridicule qu'on ose appeler chant, pour l'interrompre brusquement et souvent pour l'étendre mort d'un coup de pierre.»
Plus tard, je me corrigeai de cette mauvaise habitude, je me bornai à couper le cri du coq d'un coup de fusil. Aujourd'hui l'explosion d'une pièce de quarante-huit suffirait à peine à exprimer l'horreur que le trille des coqs du chant m'inspire en mainte circonstance.
Le trille vocal est en général aussi ridicule en soi, aussi odieux, aussi sottement bouffon que les flattés, les martelés et les autres disgrâces dont Lulli et ses contemporains inondèrent leur lamentable mélodie. Quand certaines voix de soprano l'exécutent sur une note aiguë, il devient furieux, enragé, atroce, (l'auditeur bien plus encore) et un canon de cent dix, alors, ne serait pas de trop.
Le trille des voix graves, au contraire, sur les notes basses surtout, est d'un comique irrésistible; il en résulte une sorte de gargouillement assez semblable au bruit de l'eau sortant d'une gouttière mal faite. Les musiciens de style l'emploient peu. On commence à reconnaître la laideur de cet effet de voix humaine. Il est déjà si ridicule, qu'un chanteur a l'air de commettre une action honteuse en le produisant. On en rougit pour lui. Dans deux ou trois cents ans on y renoncera tout à fait.
Un compositeur parisien de l'école parisienne a publié dernièrement un morceau religieux funèbre, pour voix de basse. A la fin de son morceau se trouve un long trille sur la première syllabe du mot requiem:
Pie Jesu, domine, dona eis re…quiem!!!!
Voilà le sublime du genre.