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Kitabı oku: «Les grotesques de la musique», sayfa 10

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Les moineaux

Quelqu'un désignait un jour Paris comme la ville du monde où l'on aime le moins la musique et où l'on fabrique le plus d'opéras comiques. La première proposition est peu soutenable. Évidemment on aime encore plus la musique à Paris qu'à Constantinople, à Ispahan, à Canton, à Nangasaki et à Bagdad. Mais nulle part, à coup sûr, on ne confectionne des opéras comiques en quantité aussi prodigieuse et d'aussi bonne qualité qu'à Paris. Ce que deviennent ces innombrables produits est un mystère qu'il ne m'a été donné de pénétrer jusqu'ici. Si on les brûlait, ils deviendraient de la cendre, on en ferait même de la potasse utile dans le commerce. Mais on se garde bien de les livrer aux flammes, je m'en suis informé; on conserve avec soin, au contraire, ces masses de papier de musique, parties d'orchestre, parties de chant, rôles et partitions qui coûtèrent si cher à couvrir de notes, et dont la valeur, au bout de quelques années, est celle des feuilles mortes amassées par l'hiver au fond des bois. Où les cache-t-on, ces monceaux de papier? où trouve-t-on des greniers, des hangars, des caves pour les y entasser? à Paris, où le terrain est à si haut prix, où les auteurs d'opéras comiques ont eux-mêmes tant de peine à se loger?.. La statistique est aussi ignorante à ce sujet que sur le chapitre des moineaux. Que deviennent les moineaux de Paris? Toutes les recherches des savants ont été vaines jusqu'à ce jour pour éclaircir cette question, qui n'est pas sans importance pourtant, qui en a même beaucoup plus que celle relative aux opéras comiques. En effet, en supposant qu'un couple de ces mélodieux oiseaux vive cinq ans, chaque couple produisant deux nichées par saison, chaque nichée étant de quatre petits au moins, c'est donc quatre couples de plus au bout d'un an; lesquels couples produisant à leur tour, sans que leurs parents pendant quatre années cessent de produire, doivent nécessairement donner naissance, au bout d'un siècle seulement, à une fourmilière de moineaux dont s'épouvante l'imagination, et qui devrait avoir couvert depuis longtemps la surface de la terre. Les mathématiques sont là pour en donner la preuve: ce qui prouve une fois de plus que les preuves ne prouvent rien; car, en dépit de toutes les démonstrations algébriques, nous voyons que la population des moineaux de Paris n'est pas plus nombreuse aujourd'hui qu'elle ne le fut au temps du roi Dagobert.

De même, chaque théâtre lyrique (l'Opéra excepté) produisant un nombre vraiment extraordinaire de petits moineaux, je veux dire d'opéras comiques, tous les ans, hiver comme été, qu'il vente, qu'il grêle, qu'il tonne, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de chanteurs, que le public s'absente, qu'on assiège Sébastopol, que le choléra sévisse, que les Indes-Orientales soient en feu, que l'Amérique du Nord fasse banqueroute, organise le brigandage et avoue cette nouvelle manière de faire des affaires, sur ce nombre effrayant de productions musicales et littéraires, on ne rencontre pas plus de chefs-d'œuvre qu'on n'en trouvait, je ne dirai pas au temps du roi Dagobert, mais à l'époque de Sédaine, de Grétry, de Monsigny, où les théâtres lyriques, peu nombreux, fonctionnaient avec une si louable réserve. Cette inexplicable circonstance doit donc donner beaucoup de prix aux moineaux qui chantent bien, quand on a le bonheur d'en attraper un en lui mettant un grain de sel sur la queue; en ce temps-ci surtout, où le vrai sel est devenu si rare, qu'on se voit bien souvent forcé d'employer pour les opéras comiques du sel de Glauber.

– Qu'est-ce que le sel de Glauber, direz-vous?

– Demandez à votre médecin, et priez-le de ne vous en faire jamais prendre.

La musique pour rire

Un nouveau genre de musique (du moins on prétend qu'il y a de la musique là dedans) est en grand honneur à cette heure à Paris. On l'appelle la musique pour rire. Cela se vend, comme la galette des pâtissiers du boulevard Bonne-Nouvelle, à très-bon marché. On en a, si l'on veut, pour six sous, pour quatre sous, pour deux sous même; cela veut être chanté par les gens qui n'ont point de voix et ne savent pas la musique, cela veut être accompagné par des pianistes qui n'ont pas de doigts et ne savent pas la musique, et cela plaît aux gens dont l'esprit ne court pas les rues et qui pourraient se piquer de ne savoir ni le français ni la musique.

On juge de la quantité des consommateurs. Aussi le nombre des théâtres où cette musique appelle les passants augmente-t-il chaque jour. Il y en a intrà muros et extrà muros. Les amateurs ne prennent même aucune précaution pour y entrer. Ils ne se cachent pas; les représentations eussent-elles lieu en plein jour, je crois, Dieu me pardonne, qu'ils s'y rendraient sans hésiter. Bien plus, dans certains salons même on organise maintenant des concerts de musique pour rire. Seulement on a remarqué que l'auditoire de ces concerts restait toujours fort sérieux et que les chanteurs seuls avaient l'air de rire. Je dis avaient l'air, parce que ces pauvres gens sont en général mélancoliques comme Triboulet.

L'un d'eux, qui avait chanté de la musique pour rire toute sa vie sans avoir pu trouver un seul instant de gaieté, est mort d'ennui l'année dernière. Un autre vient, dit-on, de se faire professeur de philosophie. On en cite un seul plus chanceux que ses émules. Celui-là vit entouré de l'estime et de la considération que lui vaut son immense fortune amassée dans une entreprise de pompes funèbres. Mais cet heureux est si gai, qu'il ne chante plus.

Témoin de ce triomphe de la musique pour rire et de l'influence incontestable qu'elle exerce, l'Opéra-Comique a voulu y recourir pour rendre son public un peu plus sérieux. Il avait entendu parler de la chanson de l'Homme au serpent, chantée et exécutée avec tant de succès dans les Concerts-de-Paris, et d'une comédie intitulée les Deux Anglais, qui eut à l'Odéon un grand nombre de représentations, il y a vingt-huit ou trente ans, et puis encore de deux ou trois vaudevilles sur le même sujet. Alors l'Opéra-Comique s'est dit avec un bon sens au-dessous de son âge: si je faisais confectionner avec tout cela quelque chose de nouveau, ce serait fort; ce serait très-fort, et cela ferait le pendant d'un autre nouvel ouvrage que j'ai inventé et qui s'appelle l'Avocat Pathelin. – Et l'Opéra-Comique a réussi. Il a maintenant deux cordes à son arc, il ne lui manque plus que le trait; mais il sait faire flèche de tout bois, et le trait vient à point à qui sait l'attendre.

Les sottises des nations.
(Castigat ridendo mores.)

Je déteste la tartuferie, et rien ne m'exaspère comme les proverbes, qui affichent, et sur une toile de théâtre encore, des prétentions morales. Une sentence latine prétend que le théâtre de l'Opéra-Comique épure les mœurs. Car son castigat n'a pas d'autre signification réelle. N'est-ce pas là une tartuferie stupide en style lapidaire? Et quand ce serait une vérité, qui demande aux théâtres cette fonction dépurative? Nigauds! Épurez votre répertoire, épurez la voix de vos chanteurs, épurez le style de vos auteurs et de vos compositeurs, épurez le goût de votre public, épurez la population de vos premières loges et n'y laissez entrer que de jeunes et jolies femmes, votre mission sera remplie, c'est tout ce que nous voulons. D'ailleurs, voyez à quel point est sage la sagesse des proverbes!

Qui trop embrasse mal étreint!

Il ne faudrait donc jamais s'occuper que d'un seul travail, que d'une seule entreprise, il ne faudrait pas avoir plus d'un vaisseau sur le chantier, plus d'un canon à la fonte, plus d'un régiment à l'exercice. César, qui dictait trois lettres à la fois en trois langues différentes, était un sot; Napoléon qui, à Moscou, trouvait le temps de réglementer le Théâtre-Français, un esprit léger. Et les maris affligés d'une grosse femme ont donc tort de l'embrasser, car en l'embrassant ils embrassent beaucoup et étreignent mal.

Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras

Ce proverbe-ci tend à déconsidérer et à détruire le commerce, ni plus ni moins. Il tend à détruire même l'agriculture, car si le laboureur en tenait compte, il garderait son grain au lieu d'ensemencer sa terre; et nous mourrions de faim.

L'ennui porte conseil

Néo-proverbe mensonger; j'assiste journellement à des opéras, à des cantates, à des soirées, à des sonates d'un ennui mortel, et loin d'être bien conseillé par l'ennui, je sens, en sortant du lieu de l'épreuve, que j'étranglerais avec transport des gens que j'eusse volontiers salués courtoisement en y entrant.

On n'est jamais trahi que par les chiens

Celui-ci est d'une naïveté qui le met au-dessous de la critique; on est trahi par tout le monde.

Il faut hurler avec les loups

Quant à cet aphorisme, une foule de chanteurs de notre temps en ont reconnu la justesse; ils en blâment seulement la forme; ils le trouvent trop long de moitié.

Ces exemples me paraissent suffisants pour démontrer que les proverbes latins et français sont les sottises des nations.

L'ingratitude est l'indépendance du cœur

Il y avait une fois un homme de beaucoup d'esprit, d'un naturel excellent, très-gai, mais dont la sensibilité était si vive, qu'à force d'avoir le cœur froissé et meurtri par le monde qui l'entourait, il avait fini par devenir mélancolique. Un grand défaut déparait ses rares qualités: il était moqueur, oh! mais, moqueur, comme nul ne le fut avant ni après lui. Il se moquait de tous, sinon de tout; des philosophes, des amoureux, des savants, des ignorants, des dévots, des impies, des vieillards, des jeunes gens, des malades, des médecins (des médecins surtout), des pères, des enfants, des filles innocentes, des femmes coupables, des marquis, des bourgeois, des acteurs, des poëtes, de ses ennemis, de ses amis, et enfin de lui-même. Les musiciens seuls ont échappé, je ne sais comment, à son infatigable raillerie. Il est vrai que la satire des musiciens était déjà faite: Shakspeare les avait assez bien fustigés dans la scène finale du quatrième acte de Roméo et Juliette:

PIERRE

«Et toi, Jacques Colophane, que dis-tu?

TROISIÈME MUSICIEN

Ma foi, je ne saurais rien dire.

PIERRE

Tu ne sais rien dire? Ah! c'est juste! Tu es le chanteur de la troupe.

DEUXIÈME MUSICIEN

Descendons; attendons le convoi funèbre; nous souperons

On ne conçoit pas qu'après avoir vilipendé tant de monde, l'excellent homme dont je parle n'ait pas été une seule fois assassiné. Après sa mort, le peuple, il est vrai, n'eût pas mieux demandé que de le traîner sur la claie, et sa femme ne vint à bout de calmer les furieux qu'en leur jetant de l'argent par les fenêtres de la chambre mortuaire. Quoique fils d'un simple tapissier, il avait fait de bonnes études classiques. Il écrivait en vers et en prose d'une façon remarquable; on a fini même par le tant remarquer, qu'après un siècle et demi de réflexions les Parisiens ont eu l'idée de lui ériger une statue de bronze, portant sur le socle le titre de ses nombreux ouvrages. C'était très-bien de leur part. Seulement, comme les gens chargés de la direction de ce travail, entrepris pour glorifier un homme de lettres, n'étaient pas forts en orthographe, ils écrivirent ainsi le nom de l'un des chefs-d'œuvre de l'illustre railleur: l'Avarre. Ce qui produisit dans le temps une assez vive sensation parmi les épiciers savants de la rue Richelieu, et mit le directeur des travaux du monument dans l'obligation de faire gratter l'inscription irrégulière pendant la nuit.

Juste retour, monsieur, des choses d'ici-bas

Vous avez tourné en dérision un individu qui sollicitait l'emploi de correcteur des enseignes et inscriptions de Paris, et voilà qu'au dix-neuvième siècle on vous appelle à Paris, dans une inscription, l'auteur de l'Avarre.

Ce misanthrope (le lecteur ne l'eût jamais deviné) se nommait Poquelin de Molière, et voici à quel propos je me permets de parler ici de lui: le fouet de cet enragé fouetteur de ridicules n'est jamais tombé, je le disais tout à l'heure, sur les épaules des musiciens. Ne faut-il pas encore reconnaître une ironie du sort dans l'acharnement que les musiciens seuls ont mis, sinon à égratigner, au moins à farder, à enjoliver les figures des personnages qu'il a mis au monde, et à les enduire de mélodies qui leur donnent une sorte d'éclat factice dont Molière sans doute serait peu jaloux de les voir briller?.. Il est donc vrai que pour les musiciens au moins «l'ingratitude est l'indépendance du cœur.»

L'un de ces ingrats a ouvert le feu contre Molière avec une énergie et un succès qui, fort heureusement, n'ont pas été égalés depuis lors. Il se nommait Mozart. Il vint à Paris fort jeune. Il manifesta le désir d'écrire une grande partition pour le théâtre de l'Opéra (l'Académie royale de musique). Mais comme il jouait très-bien du clavecin et qu'il avait déjà publié plusieurs sonates pour cet instrument, les administrateurs de l'Opéra, en hommes judicieux et sagaces, lui firent sentir l'impertinence de son ambition, et l'éconduisirent en l'engageant à se borner à écrire des sonates. Mozart ayant reconnu, avec peine il est vrai, qu'il n'était qu'un paltoquet, s'en retourna piteusement en Allemagne, où il se fit arranger en libretto un drame de Molière dont la représentation l'avait beaucoup frappé. Puis il le mit en musique et le fit représenter à Prague avec un succès prodigieux, au dire des uns, sans succès, au dire des autres. Ainsi apparut le Don Giovanni, dont la contre-gloire pendant nombre d'années a fait un peu pâlir la gloire du Don Juan. Les grands compositeurs qu'honorait alors la confiance de messieurs les directeurs de l'Opéra eussent été incapables d'un tel acte d'ingratitude.

Beaucoup plus tard, on porta à l'Opéra-Comique une petite partition écrite sur une autre pièce de Molière, le Sicilien ou l'Amour peintre. Je ne sais si elle a été représentée. Plus tard est venue la Psyché, de M. Thomas. Le Médecin malgré lui, de M. Gounod, fait et fera longtemps encore les beaux jours du Théâtre-Lyrique. Enfin les Fourberies de Marinette, de M. Creste, constituent le dernier attentat contre l'auteur de Don Juan qui ait été enregistré dans les annales de l'ingratitude musicale.

En somme, il est inutile de le nier aujourd'hui, de tous les musiciens qui devaient de la reconnaissance à Molière, Mozart fut évidemment le plus ingrat.

Vanité de la gloire

Un directeur de l'Opéra rencontrant un soir Rossini sur le boulevard des Italiens, l'aborde d'un air riant, comme quelqu'un qui vient annoncer à un ami une bonne nouvelle:

– Eh bien, cher maître, lui dit-il, nous donnons demain le troisième acte de votre Moïse!

– Bah! réplique Rossini, tout entier?

La repartie est admirable, mais ce qui l'est plus encore, c'est qu'en effet on ne donnait pas le troisième acte tout entier. Ainsi sont respectées à Paris les plus belles productions des grands maîtres.

Certains ouvrages, d'ailleurs, sont prédestinés aux palmes du martyre. Il en est peu dont le martyre ait été aussi cruel et aussi long que celui de l'opéra de Guillaume Tell. Nous ne saurions trop insister sur cet exemple offert par Rossini aux compositeurs de toutes les écoles, pour prouver le peu d'autorité et de respect accordé dans les théâtres aux dons les plus magnifiques de l'intelligence et du génie, à des travaux herculéens, à une immense renommée, à une gloire éblouissante. On dirait même que, plus la supériorité de certains grands hommes qui ont daigné écrire pour le théâtre est incontestable et incontestée, et plus la racaille des petits met à insulter leurs ouvrages d'acharnement et de ténacité. Je ne rappellerai pas ici ce qu'on a fait en France de l'œuvre dramatique de Mozart, en Angleterre de celle de Shakspeare, je dirai comme Othello: They know it, no more of that (On le sait, n'en parlons plus). Mais ce que devient peu à peu l'œuvre de Gluck en ce moment dans les théâtres où on la représente encore (j'en excepte celui de Berlin), dans les concerts où l'on en chante des fragments, dans les boutiques où l'on en vend des lambeaux, c'est ce dont la plus active imagination de musicien ne saurait se faire une idée. Il n'y a plus un chanteur qui en comprenne le style, un chef d'orchestre qui en possède l'esprit, le sentiment et les traditions. Ceux-là au moins ne sont pas coupables, et c'est presque toujours involontairement qu'ils en dénaturent et éteignent les plus radieuses inspirations. Les arrangeurs, les instrumentateurs, les éditeurs, les traducteurs, au contraire, ont fait avec préméditation, en divers endroits de l'Europe, de cette noble figure antique de Gluck un masque si hideux et si grotesque, qu'il est déjà presque impossible d'en reconnaître les traits.

Une fourmilière de Lilliputiens s'est acharnée sur ce Gulliver. Des batteurs de mesure du dernier ordre, de détestables compositeurs, de ridicules maîtres de chant, des danseurs même, ont instrumenté Gluck, ont déformé ses mélodies, ses récitatifs, ont changé ses modulations, lui ont prêté de plates stupidités. L'un a ajouté des variations pour la flûte (je les ai vues) au solo de harpe de l'entrée d'Orphée aux enfers, trouvant ce prélude trop pauvre sans doute et insignifiant. L'autre a bourré d'instruments de cuivre le chœur des ombres du Tartare du même ouvrage, en leur adjoignant le serpent (je l'ai vu), apparemment parce que le serpent doit tout naturellement figurer dans une scène infernale où il est question des Furies. Ici au contraire on a réduit à un simple quatuor toute la masse des instruments à cordes. Ailleurs un maître de chapelle a imaginé de faire aboyer les choristes (j'ai entendu cette horreur) en leur recommandant expressément de ne pas chanter… encore dans la scène des enfers d'Orphée. Il avait voulu produire ainsi un chœur de Cerbères, de chiens dévorants… invention sublime qui avait échappé à Gluck.

J'ai sous les yeux une édition allemande de l'Iphigénie en Tauride, où l'on remarque, entre autres mutilations, la suppression de huit mesures dans le fameux chœur des Scythes: «Les dieux apaisent leur courroux», et les inversions les plus tristement comiques dans le texte de la traduction. Celle-ci, entre mille, quand Iphigénie dit:

 
J'ai vu s'élever contre moi
Les dieux, ma patrie… et mon père.
 

la phrase musicale se termine par un accent douloureux et tendre sur «et mon père», dont il est impossible de méconnaître l'intention. Cet accent se trouve faussement appliqué dans l'édition allemande, le traducteur ayant interverti l'ordre des mots et dit:

Mon peuple, mon père et les dieux

supposant qu'il n'importait guère que père fût devant ou bien qu'il fût derrière. Ceci me rappelle une traduction anglaise de la ballade allemande le Roi des Aulnes, dans laquelle le traducteur, par suite de je ne sais quelle licence poétique, avait jugé à propos d'intervertir l'ordre du dialogue établi entre deux des personnages. A la place de l'interpellation placée par le poëte allemand dans la bouche du père, se trouvait dans la traduction anglaise la réponse de l'enfant. Un éditeur de Londres, désireux de populariser en Angleterre la belle musique écrite par Schubert sur cette ballade, y fit ajuster tant bien que mal les vers du traducteur anglais. On devine le bouffon contre-sens qui en résulta; l'enfant s'écriant dans un paroxysme d'épouvante: «Mon père! mon père! j'ai peur!» sur la musique destinée aux paroles: «Calme-toi, mon fils, etc.», et réciproquement.

Les traductions des opéras de Gluck sont émaillées de gentillesses pareilles.

Et le malheur veut que l'ancienne édition française, la seule où l'on puisse retrouver intacte la pensée du maître (je parle de celle des grandes partitions), devienne de jour en jour plus rare, et soit très-mauvaise sous le double rapport de l'ordonnance et de la correction. Un déplorable désordre et d'innombrables fautes de toute espèce la déparent.

Dans peu d'années, quelques exemplaires de ces vastes poëmes dramatiques, de ces inimitables modèles de musique expressive resteront seuls dans les grandes bibliothèques, incompréhensibles débris de l'art d'un autre âge, comme autant de Memnons qui ne feront plus entendre de sons harmonieux, sphinx colossaux qui garderont éternellement leur secret. Personne n'a osé en Europe entreprendre une édition nouvelle, et soignée, et mise en ordre, et annotée, et bien traduite en allemand et en italien des six grands opéras de Gluck. Aucune tentative sérieuse de souscription à ce sujet n'a été faite. Personne n'a eu l'idée de risquer vingt mille francs (cela ne coûterait pas davantage) pour combattre ainsi les causes de plus en plus nombreuses de destruction qui menacent ces chefs-d'œuvre. Et malgré les ressources dont l'art et l'industrie disposent, grâce à cette monstrueuse indifférence de tous pour les grands intérêts de l'art musical, ces chefs-d'œuvre périront.

Hélas! hélas! Shakspeare a raison: La gloire est comme un cercle dans l'onde, qui va toujours s'élargissant, jusqu'à ce qu'à force de s'étendre il disparaisse tout à fait. Et Rossini a depuis longtemps semblé croire que le cercle de la sienne était trop étendu, tant il a accablé d'un colossal dédain tout ce qui pouvait y porter atteinte. Sans cela, sans cette prodigieuse et grandiose indifférence, peut-être se fût-on contenté, à l'Opéra de Paris, de mettre aux archives ses partitions du Siège de Corinthe, de Moïse et du Comte Ory, et se fût-on abstenu de fouailler comme on l'a fait son Guillaume Tell. Qui n'y a pas mis la main? qui n'en a pas déchiré une page? qui n'en a pas changé un passage, par simple caprice, par suite d'une infirmité vocale ou d'une infirmité d'esprit? A combien de gens qui ne savent ce qu'ils font le maître n'a-t-il pas à pardonner? Mais quoi! pourrait-il se plaindre? ne vient-on pas de reproduire Guillaume Tell presque tout entier? On a remis au premier acte la marche nuptiale qu'on en avait retranchée depuis longtemps; tous les grands morceaux d'ensemble du troisième nous sont rendus; l'air «Amis, secondez ma vaillance!» qui avait disparu plus d'un an avant les débuts de Duprez et qu'on réinstalla ensuite pour en faire le morceau final de la pièce en supprimant tout le reste, fut plus tard tronqué dans sa péroraison pour garantir un chanteur du danger que lui présentait la dernière phrase,

Trompons l'espérance homicide

Eh bien! cette péroraison ne vient-elle pas d'être restituée au morceau? N'a-t-on pas poussé la condescendance jusqu'à faire entendre au dénoûment le magnifique chœur final avec ses larges harmonies sur lesquelles retentissent si poétiquement des réminiscences d'airs nationaux suisses? et le trio avec accompagnement d'instruments à vent, et même la prière pendant l'orage, qu'on avait supprimée avant la première représentation? Car dès le début déjà, aux répétitions générales, les hommes capables du temps s'étaient mis à l'œuvre sur l'œuvre, ainsi que cela se pratique en pareil cas, pour donner de bonnes leçons à l'auteur, et bien des choses qui, à leur avis, devaient infailliblement compromettre le succès du nouvel opéra, en furent impitoyablement arrachées. Et ne voilà-t-il pas toutes ces belles fleurs mélodiques qui repoussent maintenant, sans que le succès de l'œuvre soit moindre qu'auparavant, au contraire? Il n'y a guère que le duo «Sur la rive étrangère» qu'on n'a pas cru prudent de laisser chanter. On ne peut pas donner le chef-d'œuvre de Rossini absolument tel qu'il l'a composé, que diable! ce serait trop fort et d'un trop dangereux exemple. Tous les autres auteurs jetteraient ensuite les hauts cris sous le scalpel des opérateurs.

Après une des batailles les plus meurtrières de notre histoire, un sergent chargé de présider à l'ensevelissement des cadavres étant accouru tout effaré vers son capitaine:

– Eh bien! qu'y a-t-il? lui dit cet officier. Pourquoi ne comble-t-on pas cette fosse?

– Ah! mon capitaine, il y en a qui remuent encore et qui disent comme ça qu'ils ne sont pas morts…

– Allons! sacredieu, jetez-moi de la terre là-dessus vivement; si on les écoutait, il n'y en aurait jamais un de mort!..

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
257 s. 13 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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