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Kitabı oku: «Voyage musical en Allemagne et en Italie, II», sayfa 12

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Ombres! larves! pâles compagnes de la mort!
 

Sans doute le rimailleur n'était pas content de la structure de ce vers, et plutôt que de manquer aux règles de l'hémistiche il a profané, gâté, mutilé, défiguré la plus étonnante inspiration de l'art tragique. C'était quelque chose de si important, en effet, que les vers de M. Du Rollet!! – Le premier acte finit là, qui oserait aujourd'hui remplir une dernière scène avec un seul personnage, et faire baisser la toile sur un air? Celui-là seul, probablement, qui serait capable d'en écrire un pareil, et certes il n'aurait pas à se repentir de sa témérité. Le public est plus las qu'on ne pense du retour constant et par conséquent toujours prévu, des mêmes effets produits aux mêmes endroits, par les mêmes moyens; un changement ne lui déplairait pas, et peut-être bien qu'il ne serait pas fort difficile de le faire divorcer avec la grosse caisse, même dans un final.

Les actes suivants de la partition d'Alceste passent pour inférieurs au premier; ils sont d'un effet moins saisissant à la vérité, à cause de la marche de l'action qui ne suit pas une progression croissante, et force le compositeur d'avoir trop constamment recours aux accents de deuil et d'effroi, ceux de tous dont se fatigue le plus aisément un auditoire français. Mais en réalité, nous ne croyons pas que le musicien ait fait preuve de moins de génie dans les deux derniers actes. S'il était possible, sans tomber dans des redites fastidieuses pour le lecteur, de faire une analyse détaillée de toutes les beautés que Gluck a répandues à pleines mains sur le reste de son chef-d'œuvre, nous ne serions pas embarrassé de le prouver. Bornons-nous à indiquer les deux airs: Alceste, au nom des Dieux et Caron t'appelle, comme deux modèles, l'un de sensibilité et l'autre d'imagination. Le premier n'a subi aucune altération en passant sur la scène française; il n'en est pas de même du second, dont l'instrumentation a beaucoup gagné à cette épreuve. Gluck a donné aux cors seuls à l'unisson l'appel lointain de la conque de Caron, qu'il avait, dans la pièce italienne, représentée avec infiniment moins de bonheur par des trombones et des bassons. Le son du cor piano, mystérieux et sourd, convient parfaitement à ce genre d'effet. Gluck le rendit en même temps caverneux et étrange, en faisant aboucher l'un contre l'autre, les pavillons des cors, de manière à ce que les sons dussent se heurter au passage, et les deux instruments se servir de sourdine mutuellement. L'opposition qu'on trouve toujours chez les exécutants dès qu'il s'agit de déranger quelque chose à leurs habitudes, a fait abandonner depuis longtemps ce moyen employé du vivant de l'auteur; et comme la partition ne porte aucune indication à ce sujet, il est probable que ce sera dans peu une tradition perdue.

Parmi les fragments des derniers actes de l'Alceste italienne qui ont été supprimés dans la traduction, citons le grand récitatif mesuré: Ovve fuggo?.. ovve m'ascondo?.. Bizarre, pathétique et effrayant au plus haut degré; et l'air fort développé, mais très insignifiant d'Evandre, dont les premières paroles m'échappent. L'Alceste française compte plusieurs morceaux fort beaux, que Gluck a écrits à Paris spécialement pour elle; tels que l'air sublime: Ah! divinités implacables! le chœur: Vivez, régnez; et le monologue d'Alceste pendant le ballet: Ces chants me déchirent le cœur.

Pour le délicieux chœur de danse: Parez vos fronts de fleurs nouvelles, Gluck l'avait emprunté à sa partition d'Helena e Paride, aujourd'hui tout-à-fait inconnue.

LE SUICIDE PAR ENTHOUSIASME

L'enthousiasme est une passion comme l'amour. Le fait que nous allons rapporter en fournit une preuve nouvelle. En 1808, un jeune musicien remplissait depuis trois ans, avec un dégoût évident, l'emploi de premier violon dans un théâtre du midi de la France. L'ennui qu'il apportait chaque soir à l'orchestre, où il s'agissait presque toujours d'accompagner le Tonnelier, le Roi et le Fermier, les Prétendus ou quelque autre partition de la même école, l'avait fait passer dans l'esprit de la plupart de ses camarades pour un insolent fanfaron de goût et de science, qu'il s'imaginait, disaient-ils, avoir seul en partage, ne faisant aucun cas de l'opinion du public dont les applaudissements lui faisaient hausser les épaules, ni de celles des artistes qu'il avait l'air de regarder comme des enfants. Ses rires dédaigneux et ses mouvements d'impatience, chaque fois qu'un pont-neuf se présentait sous son archet, lui avaient fréquemment attiré de sévères réprimandes de la part de son chef d'orchestre, auquel il eût depuis longtemps envoyé sa démission, si la misère, qui semble presque toujours choisir pour ses victimes des êtres de cette nature, ne l'avait irrévocablement cloué devant son pupitre huileux et enfumé.

Adolphe D*** était, comme on voit, un de ces artistes prédestinés à la souffrance qui, portant en eux-mêmes un idéal du beau, le poursuivent sans relâche, haïssant avec fureur tout ce qui n'y ressemble pas. Gluck, dont il avait copié les partitions pour mieux les connaître, et qu'il savait par cœur, était son idole. Il le lisait, jouait et chantait à toute heure. Un malheureux amateur auquel il donnait des leçons de solfége, eut l'imprudence de lui dire un jour que ces opéras de Gluck n'étaient que des cris et du plain-chant; D***, rougissant d'indignation, ouvre précipitamment le tiroir de son bureau, en tire une dizaine de cachets de leçons, dont l'amateur lui devait le prix, et les lui jetant à la tête: «Sortez de chez moi, dit-il, je ne veux ni de vous, ni de votre argent, et si vous osez repasser le seuil de ma porte, je vous jette par la fenêtre.»

On conçoit qu'avec une pareille tolérance pour le goût des élèves, D*** ne dût pas faire fortune en donnant des leçons. Spontini était alors dans toute sa gloire. L'éclatant succès de la Vestale, annoncé par les mille voix de la presse, rendait les dilettanti de chaque province jaloux de connaître cette partition tant vantée par les Parisiens, et les malheureux directeurs de théâtre s'évertuaient à tourner, sinon à vaincre, les difficultés d'exécution et de mise en scène du nouvel ouvrage.

Le directeur de D***, ne voulant pas rester en arrière du mouvement musical, annonça bientôt à son tour que la Vestale était à l'étude. D***, exclusif comme tous les esprits ardents auxquels une éducation solide n'a pas appris à motiver leurs jugements, montra d'abord une prévention défavorable à l'opéra de Spontini dont il ne connaissait pas une note. «On prétend que c'est un style nouveau, plus mélodique que celui de Gluck: tant pis pour l'auteur, la mélodie de Gluck me suffit; le mieux est ennemi du bien. Je parie que c'est détestable.»

Ce fut en pareilles dispositions qu'il arriva à l'orchestre le jour de la première répétition générale. Comme chef de pupitre, il n'avait pas été tenu d'assister aux répétitions partielles qui avaient précédé celle-là, et les autres musiciens, qui, tout en admirant Lemoine, trouvaient néanmoins Spontini fort beau, se dirent à son arrivée: «Voyons ce que va décider le grand Adolphe.» Celui-ci répéta sans laisser échapper un mot, un signe d'admiration ou de blâme. Un étrange bouleversement s'opérait en lui. Comprenant bien, dès la première scène, qu'il s'agissait là d'une œuvre haute et puissante, que Spontini était un génie dont il ne pouvait méconnaître la supériorité, mais ne se rendant pas compte cependant de ses procédés, tout nouveaux pour lui, et qu'une mauvaise exécution de province rendait encore plus difficile à saisir, D*** emprunta la partition, en apprit les paroles, étudia un à un l'esprit, le caractère de chaque personnage, et se jetant ensuite dans l'analyse de la partie musicale, suivit ainsi la route qui devait l'amener à une connaissance véritable et complète de l'opéra entier. Depuis lors, on observa qu'il devenait de plus en plus morose et taciturne, éludant les questions qui lui étaient adressées, ou riant d'un air sardonique quand il entendait ses camarades se récrier d'admiration: «Imbéciles! pensait-il sans doute, vous êtes bien capables de concevoir un tel ouvrage, vous qui admirez les Prétendus

Ceux-ci ne doutaient pas, à cette expression d'ironie empreinte sur les traits de D*** qu'il ne fût aussi sévère pour Spontini qu'il l'avait été pour Lemoine, et qu'il ne confondît les trois compositeurs dans la même condamnation. Le final du second acte l'ayant ému cependant jusqu'aux larmes, un jour que l'exécution était un peu moins exécrable que de coutume, on ne sut plus que penser de lui. Il est fou, disaient les uns; c'est une comédie qu'il joue, disaient les autres; et tous, c'est un pauvre musicien. D***, immobile sur sa chaise, plongé dans une rêverie profonde, essuyant furtivement ses yeux, ne répondait mot à toutes ces impertinences; mais un trésor de mépris et de rage s'amassait dans son cœur. L'impuissance de l'orchestre, celle plus évidente encore des chœurs, le défaut d'intelligence et de sensibilité des acteurs, les broderies de la première chanteuse, les mutilations de toutes les phrases, de toutes les mesures, les coupures insolentes, en un mot les tortures de toute espèce qu'il voyait infliger à l'œuvre devenue l'objet de sa profonde adoration et qu'il possédait comme l'auteur lui-même, lui faisaient éprouver un supplice que je connais fort bien, mais que je ne saurais décrire. Après le second acte, la salle entière s'étant levée un soir en poussant des cris d'admiration, D*** sentit sa fureur le submerger, et comme un habitué du parquet lui adressait, plein de joie, cette question banale:

– «Eh bien! monsieur Adolphe, que dites-vous de cela?

– »Je dis, lui cria D*** pâle de colère, que vous et tous ceux qui se démènent dans cette salle, êtes des sots, des ânes, des brutes, dignes tout au plus de la musique de Lemoine, puisque au lieu d'assommer le directeur, les chanteurs et les musiciens, vous prenez part, en applaudissant, à la plus indigne profanation dont on puisse flétrir le génie.»

Pour cette fois, l'incartade était trop forte, et malgré le talent d'exécution du fougueux artiste, qui en faisait un sujet précieux, malgré la misère affreuse où l'allait réduire une destitution, le directeur, pour venger l'injure du public, se vit forcé de la lui envoyer.

D***, contre l'ordinaire des caractères de sa trempe, avait des goûts fort peu dispendieux. Quelques épargnes faites sur les appointements de sa place et les leçons qu'il avait données jusqu'à cette époque, lui assurant pour trois mois au moins son existence, amortirent le coup de la destitution et la lui firent même envisager comme un événement heureux qui pouvait exercer une influence favorable sur sa carrière d'artiste, en le rendant à la liberté. Mais le charme principal de cette délivrance inattendue venait d'un projet de voyage que D*** roulait dans sa tête, depuis que le génie de Spontini lui était apparu. Entendre la Vestale à Paris, tel était le but constant de son ambition. Le moment d'y atteindre paraissait arrivé, quand un incident, que notre enthousiaste ne pouvait prévoir, vint y mettre obstacle. Né avec un tempérament de feu, des passions indomptables, Adolphe cependant était timide auprès des femmes, et à part quelques intrigues, fort peu poétiques avec les princesses de son théâtre, l'amour furieux, dévorant, l'amour frénésie, le seul qui pût être le véritable pour lui, n'avait point encore ouvert de cratère dans son cœur. En rentrant un soir chez lui, il trouva le billet suivant:

«Monsieur, s'il vous était possible de consacrer quelques heures à l'éducation musicale d'une élève, assez forte déjà pour ne pas mettre votre patience à de trop rudes épreuves, je serais heureuse que vous voulussiez bien en disposer en ma faveur. Vos talents sont connus et appréciés, beaucoup plus peut-être que vous ne le soupçonnez vous-même; ne soyez donc pas surpris si, à peine arrivée dans votre ville, une parisienne s'empresse de vous confier la direction de ses études dans le bel art que vous honorez et comprenez si bien.

«HORTENSE N***.»

Le mélange de flatterie et de fatuité, le ton à la fois dégagé et engageant de cette lettre, excitèrent la curiosité de D***, et au lieu d'y répondre par écrit, il résolut d'aller en personne remercier la Parisienne de sa confiance, l'assurer qu'elle ne le surprenait nullement, et lui apprendre que, sur le point de partir lui-même pour Paris, il ne pouvait entreprendre la tâche fort agréable sans doute qu'elle lui proposait. Ce petit discours, répété d'avance avec le ton d'ironie qui lui convenait, expira sur les lèvres de l'artiste en entrant dans le salon de l'étrangère. Sa grâce originale et mordante, sa mise élégante et recherchée, ce je ne sais quoi enfin qui fascine dans la démarche, dans tous les mouvements d'une beauté de la Chaussée-d'Antin, produisirent tout leur effet sur Adolphe. Au lieu de railler, il commençait à exprimer sur son prochain départ des regrets, dont le son de sa voix et le trouble de toute sa personne décelaient la sincérité, quand madame N***, en femme habile, l'interrompit:

– «Vous partez, monsieur? oh! mon Dieu! j'ai été bien inspirée de ne pas perdre de temps. Puisque c'est à Paris que vous allez, commençons nos leçons pendant le peu de jours qui vous restent; immédiatement après la saison des eaux, je retourne dans la capitale où je serai charmée de vous revoir et de profiter alors plus librement de vos conseils.» Adolphe, heureux intérieurement de voir les raisons dont il avait motivé son refus si facilement détruites, promit de commencer le lendemain, et sortit tout rêveur. Ce jour-là il ne pensa pas à la Vestale.

Madame M*** était une de ces femmes adorables (comme on dit au café Anglais, chez Tortoni et dans trois ou quatre autres foyers de dandysme) qui, trouvant délicieusement originales leurs moindres fantaisies, pensent que ce serait un meurtre de ne pas les satisfaire, et professent en conséquence une sorte de respect pour leurs propres caprices, quelque absurdes qu'ils soient.

– «Mon cher Fr***, disait, il y a quelques mois, une de ces charmantes créatures à un dilettante célèbre, vous connaissez Rossini, dites-lui donc de ma part que son Guillaume Tell est une chose mortelle; que c'est à périr d'ennui, et qu'il ne s'avise pas d'écrire un second opéra dans ce style, autrement madame M***** et moi, qui l'avons si bien soutenu, nous l'abandonnerions sans retour.»

Une autre fois:

– «Qu'est-ce donc que ce nouveau pianiste polonais, dont tous les artistes raffolent et dont la musique est si bizarre? Je veux le voir, amenez-le moi demain.»

– «Madame, je ferai mon possible pour cela, mais je dois vous avouer que je connais peu l'auteur des mazourkas et qu'il n'est point à mes ordres.»

– «Non, sans doute, il n'est pas à vos ordres, mais il doit être aux miens. Ainsi je compte sur lui.»

Cette singulière invitation n'ayant pas été acceptée, la souveraine annonça à ses sujets que M. Chopin était un petit original jouant passablement du piano, mais dont la musique n'était qu'un logogriphe perpétuel fort ridicule.

Une fantaisie de cette nature fut le seul motif de la lettre passablement impertinente qu'Adolphe reçut de madame N***, au moment où il s'occupait de son départ pour Paris. La belle Hortense était de la plus grande force sur le piano et possédait une voix superbe, dont elle se servait aussi avantageusement qu'il est possible de le faire, quand l'ame n'y est pas. Elle n'avait donc nul besoin des leçons de l'artiste provençal; mais l'apostrophe lancé par celui-ci, en plein théâtre, à la face du public, avait, comme on le pense bien, retenti dans la ville. Notre Parisienne en entendant parler de toutes parts, demanda et obtint sur le héros de l'aventure des renseignements qui lui parurent piquants. Elle voulut le voir aussi; comptant bien, après avoir à loisir examiné l'original, fait craquer tous ses ressorts, joué de lui comme d'un nouvel instrument, lui donner un congé illimité. Il en arriva tout autrement cependant, au grand dépit de la jolie simia parisiensis. Adolphe était fort bien; de grands yeux noirs pleins de feu, des traits réguliers qu'une pâleur habituelle couvrait d'une teinte légère de mélancolie, mais où brillait par intervalles l'incarnat le plus vif, selon que l'enthousiasme ou l'indignation faisaient battre son cœur; une tournure distinguée et des manières fort différentes de celles qu'on aurait pu lui supposer, à lui qui n'avait guère vu le monde que par le trou de la toile de son théâtre; son caractère emporté et timide à la fois, où se rencontrait le plus singulier assemblage de raideur et de grâce, de patience et de brusquerie, de jovialité subite et de rêverie profonde, en faisaient, par tout ce qu'il y avait en lui d'imprévu, l'homme le plus capable d'enlacer une coquette dans ses propres filets. C'est ce qui arriva, sans préméditation aucune de la part d'Adolphe pourtant; car il fut pris le premier. Dès la première leçon, la supériorité musicale de madame N*** se montra dans tout son éclat; au lieu de recevoir des conseils, elle en donna presque à son maître. Les sonates de Steibelt, le Hummel du temps, les airs de Paësiello et de Cimarosa qu'elle couvrait de broderies parfois d'une audacieuse originalité, lui fournirent l'occasion de faire scintiller successivement chacune des facettes de son talent. Adolphe, pour qui une telle femme et une pareille exécution étaient choses nouvelles, fut bientôt complètement sous le charme. Après la grande fantaisie de Steibelt (l'Orage), où Hortense lui sembla disposer de toutes les puissances de l'art musical:

– «Madame, lui dit-il tremblant d'émotion, vous vous êtes moquée de moi en me demandant des leçons; mais comment pourrais-je vous en vouloir d'une mystification qui m'a ouvert à l'improviste le monde poétique, le ciel de mes songes d'artiste, en faisant de chacun de mes rêves autant de sublimes réalités? Continuez à me mystifier ainsi, madame, je vous en conjure, demain, après-demain, tous les jours, et je vous devrai les plus enivrantes jouissances qu'il m'ait été donné de connaître de ma vie.»

L'accent avec lequel ces paroles furent dites par D***, les larmes qui roulaient dans ses yeux, le spasme nerveux qui agitait ses membres, étonnèrent Hortense bien plus encore que son talent à elle n'avait surpris le jeune artiste. Si les cadences, les traits, les harmonies pompeuses, les mélodies découpées en dentelle, en naissant sous les blanches mains de la gracieuse fée, causaient à Adolphe une sorte d'asphixie d'admiration, la nature impressionnable de celui-ci, sa vive sensibilité, les expressions pittoresques dont il se servait pour exprimer son enthousiasme, ne frappèrent pas moins vivement Hortense.

Il y avait si loin des suffrages passionnés, de ces joies si vraies de l'artiste, aux bravos tièdes et étudiés des merveilleux de Paris, que l'amour-propre tout seul aurait suffi pour faire regarder, sans trop de rigueur, un homme d'un extérieur moins avantageux que notre héros. L'art et l'enthousiasme se trouvaient en présence pour la première fois; le résultat d'une pareille rencontre était facile à prévoir… Adolphe, ivre, fou d'amour, ne cherchant ni à cacher, ni même à modérer les élans de sa passion toute méridionale, désorienta Hortense et déjoua ainsi, sans s'en douter, le plan de défense médité par la coquette. Tout cela était si neuf pour elle! Sans ressentir réellement rien qui approchât de la dévorante ardeur de son amant, elle comprenait cependant qu'il y avait là tout un monde de sensations (si non de sentiments), que de fades liaisons contractées antérieurement ne lui avaient jamais dévoilé. Ils furent heureux ainsi, chacun à sa manière, pendant quelques semaines; le départ pour Paris fut, on le pense bien, indéfiniment ajourné. La musique était pour Adolphe un écho de son bonheur profond, le miroir où allaient se réfléchir les rayons de sa délirante passion, et d'où ils revenaient plus brûlants à son cœur. Pour Hortense, au contraire, l'art musical n'était qu'un délassement sur lequel elle était blasée dès longtemps; il ne lui procurait que d'agréables distractions, et le plaisir de briller aux yeux de son amant, était bien souvent le mobile unique qui pût l'attirer au piano.

Tout entier à sa rage de bonheur, Adolphe dans les premiers jours, avait un peu oublié le fanatisme qui jusqu'alors avait rempli sa vie. Quoiqu'il fût loin de partager les opinions parfois étranges de madame N**, sur le mérite des différentes compositions qui formaient son répertoire, il lui faisait néanmoins d'étonnantes concessions, évitant, sans trop savoir pourquoi, les points de doctrine artistique où un vague instinct l'avertissait qu'il y aurait eu entre eux une divergence trop marquée. Il ne fallait rien moins qu'un blasphême affreux, comme celui qui lui avait fait mettre à la porte un de ses élèves, pour détruire l'équilibre, que l'amour violent de D*** établissait dans son cœur avec ses convictions despotiques et passionnées sur la musique. Et ce blasphême, les jolies lèvres d'Hortense le laissèrent échapper.

C'était par une belle matinée de printemps; Adolphe, aux pieds de sa maîtresse, savourait ce bonheur mélancolique, cet accablement délicieux qui succède aux grandes crises de volupté. L'athée lui-même, en de pareils instants, entend au dedans de lui s'élever un hymne de reconnaissance vers la cause inconnue qui lui donna la vie; la mort, la mort rêveuse et calme comme la nuit, suivant la belle expression de Moore, est alors le bien auquel on aspire, le seul que nos yeux voilés de pleurs célestes nous laissent entrevoir, pour couronner cette ivresse surhumaine. La vie commune, la vie sans poésie, sans amour, la vie en prose, où l'on marche au lieu de voler, où l'on parle au lieu de chanter, où tant de fleurs aux couleurs brillantes sont sans parfum et sans grâce, où le génie n'obtient que le culte d'un jour et des hommages glacés, où l'art trop souvent contracte d'indignes alliances; la vie enfin, se présente alors sous un aspect si morne, si désert et si triste, que la mort, fût-elle dépourvue du charme réel que l'homme noyé dans le bonheur lui trouve, serait encore pour lui désirable, en lui offrant un refuge assuré contre l'existence insipide qu'il redoute par-dessus tout.

Perdu en de telles pensées, Adolphe tenait une des mains délicates de son amie, imprimant sur chaque doigt de petites morsures qu'il effaçait aussitôt par des baisers sans nombre; pendant que de son autre main, Hortense bouclait en fredonnant les noirs cheveux de son amant.

En écoutant cette voix si pure, si pleine de séductions, une tentation irrésistible le saisit à l'improviste.

« – Oh! dis-moi l'élégie de la Vestale, mon amour, tu sais:

 
Toi que je laisse sur la terre,
Mortel que je n'ose nommer37.
 

«Chantée par toi, cette prodigieuse inspiration doit être d'un sublime inouï. Je ne sais comment je ne te l'ai pas encore demandée. Chante, chante-moi Spontini; que j'obtienne tous les bonheurs ensemble!

« – Quoi! c'est cela que vous voulez? répliqua madame N***, en faisant une petite moue qu'elle croyait charmante, cette grande lamentation monotone vous plaît?.. Oh Dieu! que c'est ennuyeux! quelle psalmodie! Pourtant, si vous y tenez…»

La froide lame d'un poignard en entrant dans son cœur ne l'eût pas déchiré plus cruellement que ces paroles. Se levant en sursaut comme un homme qui découvre un animal immonde dans l'herbe sur laquelle il s'était assis, Adolphe, fixa d'abord sur Hortense des yeux pleins d'un feu sombre et menaçant; puis, se promenant avec agitation dans l'appartement, les poings fermés, les dents serrées convulsivement, il sembla se consulter sur la manière dont il allait répondre et entamer la rupture; car pardonner un pareil mot, était chose impossible. L'admiration et l'amour avaient fui; l'ange devenait une femme vulgaire; l'artiste supérieure retombait au niveau des amateurs ignorants et superficiels, qui veulent que l'art les amuse, et n'ont jamais soupçonné qu'il eût une plus noble mission; Hortense n'était plus qu'une forme gracieuse sans intelligence et sans ame; la musicienne avait des doigts agiles et un larynx sonore… rien de plus.

Toutefois, malgré la torture affreuse qu'Adolphe ressentait d'une pareille découverte, malgré l'horreur d'un aussi brusque désenchantement, il n'est pas probable qu'il eût manqué d'égards et de ménagements, en rompant avec une femme dont le seul crime, après tout, était de n'avoir qu'une organisation inférieure à la sienne, d'aimer le joli sans comprendre le beau. Mais, incapable comme était Hortense de croire à la violence de l'orage qu'elle venait de soulever, la contraction subite de tous les traits d'Adolphe, sa promenade agitée dans le salon, son indignation à peine contenue, lui parurent choses si comiques, qu'elle ne put résister à un accès de folle gaîté, et laissa échapper un bruyant éclat de rire. Avez-vous jamais remarqué tout ce que le rire éclatant a d'odieux dans certaines femmes?.. Pour moi il est l'indice le plus sûr de la sécheresse de cœur, de l'égoïsme et de la coquetterie. Autant l'expression d'une joie vive a de charme et de pudeur chez quelques femmes, autant elle est chez d'autres pleine d'une indécente ironie. Leur voix prend alors un timbre incisif, effronté, impudique, d'autant plus haïssable que la femme est plus jeune et plus jolie; en pareille occasion, je comprends les délices du meurtre, et je cherche machinalement sous ma main l'oreiller d'Othello. Adolphe avait sans doute la même manière de sentir à cet égard. Il n'aimait déjà plus madame N*** l'instant d'auparavant; mais il la plaignait d'avoir des facultés aussi bornées; il l'eût quittée avec froideur, mais sans outrage. Ce rire sot et bruyant auquel elle s'abandonna sans réserve, au moment où le malheureux artiste sentait sa poitrine se déchirer, l'exaspéra. Un éclair de haine et d'un indicible mépris brilla soudain dans ses yeux; essuyant d'un geste rapide, et son front couvert d'une froide sueur et l'écume sanglante qui s'échappait de ses lèvres:

– «Madame, lui dit-il, d'une voix qu'elle ne lui avait jamais vu prendre, vous êtes une sotte!»

Le soir même il était sur la route de Paris.

Ce que pensa la moderne Ariane en se voyant ainsi délaissée, nul ne le sait. En tout cas, il est probable que le Bacchus qui devait la consoler et guérir la cruelle blessure faite à son amour-propre, ne se fit pas attendre. Hortense n'était pas femme à demeurer ainsi dans l'inaction. Il fallait un aliment à l'activité de son esprit et de son cœur. C'est la phrase consacrée au moyen de laquelle ces dames poétisent et veulent justifier leurs écarts les plus prosaïques.

Quoi qu'il en soit, dès la seconde journée de son voyage, Adolphe, complètement désenchanté, était tout entier au bonheur de voir son projet favori, son idée fixe, sur le point de devenir une réalité. Il allait se trouver enfin à Paris, au centre du monde musical, il allait entendre ce magnifique orchestre de l'Opéra, ces chœurs si nombreux, si puissants, entendre madame Branchu dans la Vestale… Un feuilleton de Geoffroy, qu'Adolphe lut en arrivant à Lyon, vint exaspérer encore son impatience. Contre l'ordinaire du célèbre critique, il n'avait eu que des éloges à donner.

«Jamais, disait-il, la belle partition de Spontini n'a été rendue avec un pareil ensemble par les masses, ni avec une inspiration aussi véhémente par les acteurs principaux. Madame Branchu, entre autres, s'est élevée au plus haut degré de pathétique; cantatrice habile, douée d'une voix puissante, tragédienne consommée, elle est peut-être le sujet le plus précieux dont ait pu s'enorgueillir l'Opéra depuis sa fondation; n'en déplaise aux partisans exclusifs de la Saint-Huberti. Madame Branchu est petite malheureusement; mais le naturel de ses poses, l'énergique vérité de ses gestes et le feu de ses yeux font disparaître ce défaut de stature; et dans ses débats avec les prêtres de Vesta, l'expression de son jeu est si grandiose qu'elle semble dominer le colosse Dérivis de toute la tête. Hier, un entre-acte fort long a précédé le troisième acte. La raison de cette interruption insolite dans la représentation était due à l'état violent où le rôle de Julia et la musique de Spontini avaient jeté la cantatrice. Dans la prière (O des infortunés), sa voix tremblante indiquait déjà une émotion qu'elle avait peine à maîtriser; mais au final (De ces lieux prêtresse adultère), son rôle tout de pantomime ne l'obligeant pas aussi impérieusement à contenir les transports qui l'agitaient, des larmes ont inondé ses joues, ses gestes sont devenus désordonnés, incohérents, fous, et au moment où le pontife lui jette sur la tête l'immense voile noir, qui la couvre comme un linceul, au lieu de s'enfuir éperdue, ainsi, qu'elle avait fait jusqu'alors, madame Branchu est tombée évanouie aux pieds de la grande Vestale. Le public, qui prenait tout cela pour de nouvelles combinaisons de l'actrice, a couvert de ses acclamations la péroraison de ce magnifique final; chœurs, orchestre, tamtam, Dérivis, tout a disparu sous les cris du parterre. La salle entière était bouleversée.»

Un cheval! un cheval! mon royaume pour un cheval! s'écriait Richard III. Adolphe eût donné la terre entière pour pouvoir à l'instant même quitter Lyon au galop. Il respirait à peine en lisant ces lignes; ses artères battaient dans son cerveau à lui donner des vertiges, il avait la fièvre. Force lui fut cependant d'attendre le départ de la lourde voiture, si improprement nommée diligence, où sa place était retenue pour le lendemain. Pendant les quelques heures qu'il dut demeurer dans les murs de Lyon, Adolphe n'eut garde d'entrer dans un théâtre. En toute autre occasion, il s'en fût empressé; mais certain aujourd'hui d'entendre bientôt le chef-d'œuvre de Spontini dignement exécuté, il voulait jusque-là rester vierge et pur de tout contact avec les muses provinciales. On partit enfin. D***, enfoncé dans un coin de la voiture, tout entier à ses pensées, gardait un farouche silence, ne prenant aucune part au caquetage de trois dames fort attentives à entretenir avec deux militaires une conversation suivie. On parla de tout comme à l'ordinaire; et quand vint le tour de la musique, les mille et une absurdités débitées, à ce sujet, purent à peine arracher à Adolphe ce laconique à parte:»Bécasses!!» Il fut obligé pourtant, le second jour du voyage, de répondre aux questions que la plus âgée des femmes s'avisa de lui adresser. Impatientées toutes les trois du mutisme obstiné du jeune voyageur et des sourires sardoniques qui se dessinaient de temps en temps sur ses traits, elles décidèrent qu'il parlerait et qu'on saurait le but de son voyage.

37.Cet air est toujours supprimé à la représentation.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
244 s. 7 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain