Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «La Comédie humaine, Volume 4», sayfa 39

Yazı tipi:

Ici la mère se livra, comme toutes les femmes, à des lamentations verbeuses: comment allait-elle faire, privée des secours en nature que la régie de Presles permettait à Moreau de lui envoyer? Oscar avait renversé la fortune de son protecteur. Après le commerce et l'administration, carrières auxquelles son fils ne devait pas songer, faute par elle de pouvoir l'entretenir, venaient les professions privilégiées du Notariat, du Barreau, des avoués et des huissiers. Mais il fallait faire son Droit, étudier pendant trois ans, et payer des sommes considérables pour les inscriptions, pour les examens, pour les thèses et les diplômes; le grand nombre des aspirants forçait à se distinguer par un talent supérieur; enfin la question de l'entretien d'Oscar se représentait toujours.

– Oscar, dit-elle en terminant, j'avais mis en toi tout mon orgueil et toute ma vie. En acceptant une vieillesse malheureuse, je reposais ma vue sur toi, je te voyais embrassant une belle carrière et y réussissant. Cet espoir m'a donné le courage de dévorer les privations que j'ai subies depuis six ans pour te soutenir au collége, où tu nous coûtais encore sept à huit cents francs par an, malgré la demi-bourse. Maintenant que mon espérance s'évanouit, ton sort m'effraie! Je ne puis pas disposer d'un sou sur les appointements de monsieur Clapart pour mon fils, à moi. Que vas-tu faire? Tu n'es pas assez fort en mathématiques pour entrer aux Écoles Spéciales, et d'ailleurs où prendrais-je les trois mille francs de pension qu'on exige? Voilà la vie comme elle est, mon enfant! Tu as dix-huit ans, tu es fort, engage-toi comme soldat, ce sera la seule manière de gagner ton pain…

Oscar ne savait rien encore de la vie. Comme tous les enfants de qui l'on a pris soin en leur cachant la misère au logis, il ignorait la nécessité de faire fortune; le mot Commerce ne lui apportait aucune idée, et le mot Administration ne lui disait pas grand'chose, car il n'en apercevait pas les résultats: il écoutait donc d'un air soumis, qu'il essayait de rendre penaud, les remontrances de sa mère, mais elles se perdaient dans le vide. Néanmoins, l'idée d'être soldat, et les larmes qui roulaient dans les yeux de sa mère, firent pleurer cet enfant. Aussitôt que madame Clapart vit les joues d'Oscar sillonnées de pleurs, elle se trouva sans force; et, comme toutes les mères en pareil cas, elle chercha la péroraison qui termine ces espèces de crises, où elles souffrent à la fois leurs douleurs et celles de leurs enfants.

– Allons, Oscar, promets-moi d'être discret à l'avenir, de ne plus parler à tort et à travers, de réprimer ton sot amour-propre, de, etc., etc.

Oscar promit tout ce que sa mère lui demanda de promettre, et après l'avoir attiré doucement à elle, madame Clapart finit par l'embrasser pour le consoler d'avoir été grondé.

– Maintenant, dit-elle, tu écouteras ta mère, tu suivras ses avis, car une mère ne peut donner que de bons conseils à son fils. Nous irons chez ton oncle Cardot. Là est notre dernière espérance. Cardot a dû beaucoup à ton père, qui en lui accordant sa sœur, mademoiselle Husson, avec une énorme dot pour ce temps-là, lui a permis de faire une grande fortune dans la soierie. Je pense qu'il te placera chez monsieur Camusot, son successeur et son gendre, rue des Bourdonnais… Mais, vois-tu, ton oncle Cardot a quatre enfants. Il a donné son établissement du Cocon-d'Or à sa fille aînée, madame Camusot. Si Camusot a des millions, il a aussi quatre enfants de deux lits différents, et il sait à peine que nous existons. Cardot a marié Marianne, sa seconde fille, à monsieur Protez, de la maison Protez et Chiffreville. L'Étude de son fils aîné, le notaire, a coûté quatre cent mille francs, et il vient d'associer Joseph Cardot, son second fils, à la maison de droguerie Matifat. Ton oncle Cardot aura donc bien des raisons pour ne pas s'occuper de toi, qu'il voit quatre fois par an. Il n'est jamais venu me rendre visite ici; tandis qu'il savait bien, lui, venir me voir chez Madame-mère pour obtenir les fournitures des Altesses impériales, de l'Empereur et des grands de sa cour. Maintenant les Camusot font les ultra! Camusot a marié le fils de sa première femme à la fille d'un huissier du cabinet du roi! Le monde est bien bossu quand il se baisse! Enfin, c'est habile, le Cocon-d'Or a la pratique de la Cour sous les Bourbons comme sous l'Empereur. Demain nous irons donc chez ton oncle Cardot, j'espère que tu sauras t'y tenir comme il faut; car là, je te le répète, est notre dernier espoir.

Monsieur Jean-Jérôme-Séverin Cardot était depuis six ans veuf de sa femme, mademoiselle Husson, à qui le fournisseur, au temps de sa splendeur, avait donné cent mille francs de dot en argent. Cardot, le premier commis du Cocon-d'Or, une des plus vieilles maisons de Paris, avait acheté cet établissement en 1793, au moment où ses patrons étaient ruinés par le maximum; et l'argent de la dot de mademoiselle Husson lui avait permis de faire une fortune presque colossale en dix ans. Pour établir richement ses enfants, il avait eu l'idée ingénieuse de placer en viager une somme de trois cent mille francs sur la tête de sa femme et sur la sienne, ce qui lui produisait trente mille livres de rente. Quant à ses capitaux, il les avait partagés en trois dots de chacune quatre cent mille francs pour ses enfants. Le Cocon-d'Or, la dot de sa fille aînée, fut accepté pour cette somme par Camusot. Le bonhomme, presque septuagénaire, pouvait donc dépenser et dépensait ses trente mille francs par an, sans nuire aux intérêts de ses enfants, tous supérieurement établis, et dont les témoignages d'affection n'étaient alors entachés d'aucune pensée cupide. L'oncle Cardot habitait à Belleville une des premières maisons situées au-dessus de la Courtille. Il y occupait, à un premier étage d'où l'on planait sur la vallée de la Seine, un appartement de mille francs, à l'exposition du midi, et avec la jouissance exclusive d'un grand jardin; aussi ne s'embarrassait-il guère des trois ou quatre autres locataires logés dans cette vaste maison de campagne. Assuré par un long bail de finir là ses jours, il vivait assez mesquinement, servi par sa vieille cuisinière et par l'ancienne femme de chambre de feu madame Cardot qui s'attendaient à recueillir chacune quelque six cents francs de rente à sa mort, et qui, par conséquent, ne le volaient point. Ces deux femmes prenaient de leur maître des soins inouïs et s'y intéressaient d'autant plus que personne n'était moins tracassier ni moins vétilleux que lui. L'appartement, meublé par feu madame Cardot, restait dans le même état depuis six ans, le vieillard s'en contentait; il ne dépensait pas en tout mille écus par an, car il dînait à Paris cinq fois par semaine, et rentrait tous les soirs à minuit dans un fiacre attitré dont l'établissement se trouvait à la barrière de la Courtille. La cuisinière n'avait guère à s'occuper que du déjeuner. Le bonhomme déjeunait à onze heures, puis il s'habillait, se parfumait et allait à Paris. Ordinairement les bourgeois préviennent quand ils dînent en ville; le père Cardot, lui, prévenait quand il dînait chez lui.

Ce petit vieillard, gras, frais, trapu, fort, était, comme dit le peuple, toujours tiré à quatre épingles; c'est-à-dire toujours en bas de soie noire, en culotte de pou-de-soie, gilet de piqué blanc, linge éblouissant, habit bleu-barbeau, gants de soie violette, des boucles d'or à ses souliers et à sa culotte, enfin un œil de poudre et une petite queue ficelée avec un ruban noir. Sa figure se faisait remarquer par des sourcils épais comme des buissons sous lesquels petillaient des yeux gris, et par un nez carré, gros et long qui lui donnait l'air d'un ancien prébendier. Cette physionomie tenait parole.

Le père Cardot appartenait en effet à cette race de Gérontes égrillards qui disparaît de jour en jour et qui défrayait de Turcarets les romans et les comédies du dix-huitième siècle. L'oncle Cardot disait: Belle dame! il reconduisait en voiture les femmes qui se trouvaient sans protecteur; il se mettait à leur disposition, selon son expression, avec des façons chevaleresques. Sous son air calme, sous son front neigeux, il cachait une vieillesse uniquement occupée de plaisir. Entre hommes, il professait hardiment l'épicuréisme et se permettait des gaudrioles un peu fortes. Il n'avait pas trouvé mauvais que son gendre Camusot fît la cour à la charmante actrice Coralie, car lui-même était secrètement le Mécène de mademoiselle Florentine, première danseuse du théâtre de la Gaîté. Mais de cette vie et de ces opinions, il ne paraissait rien chez lui, ni dans sa conduite extérieure. L'oncle Cardot, grave et poli, passait pour être presque froid, tant il affichait de décorum, et une dévote l'eût appelé hypocrite. Ce digne monsieur haïssait particulièrement les prêtres, il faisait partie de ce grand troupeau de niais abonnés au Constitutionnel, et se préoccupait beaucoup des refus de sépulture. Il adorait Voltaire, quoique ses préférences fussent pour Piron, Vadé, Collé. Naturellement il admirait Béranger, qu'il appelait ingénieusement le grand prêtre de la religion de Lisette. Ses filles, madame Camusot et madame Protez, ses deux fils, seraient, suivant une expression populaire, tombés de leur haut, si quelqu'un leur eût expliqué ce que leur père entendait par: chanter la mère Godichon! Ce sage vieillard n'avait point parlé de ses rentes viagères à ses enfants, qui, le voyant vivre si mesquinement, songeaient tous qu'il s'était dépouillé de sa fortune pour eux, et redoublaient de soins et de tendresse. Aussi, parfois disait-il à ses fils: – «Ne perdez pas votre fortune, car je n'en ai point à vous laisser.» Camusot, à qui il trouvait beaucoup de son caractère et qu'il aimait assez pour le mettre de ses parties fines, était le seul dans le secret des trente mille livres de rentes viagères. Camusot approuvait fort la philosophie du bonhomme, qui, selon lui, après avoir fait le bonheur de ses enfants et si noblement rempli ses devoirs, pouvait bien finir joyeusement la vie. – «Vois-tu, mon ami, lui disait l'ancien chef du Cocon-d'Or, je pouvais me remarier, n'est-ce pas? Une jeune femme m'aurait donné des enfants… Oui, j'en aurais eu, j'étais dans l'âge où l'on en a toujours… Eh bien! Florentine ne me coûte pas si cher qu'une femme, elle ne m'ennuie pas, elle ne me donnera point d'enfants, et ne mangera jamais votre fortune.»

Camusot proclamait, dans le père Cardot, le sens le plus exquis de la famille; il le regardait comme un beau-père accompli. – «Il sait, disait-il, concilier l'intérêt de ses enfants avec les plaisirs qu'il est bien naturel de goûter dans la vieillesse, après avoir subi tous les tracas du commerce.»

Ni les Cardot, ni les Camusot, ni les Protez ne soupçonnaient l'existence de leur ancienne tante madame Clapart. Les relations de famille étaient restreintes à l'envoi des billets de faire part en cas de mort ou de mariage, et des cartes au jour de l'an. La fière madame Clapart ne faisait céder ses sentiments qu'à l'intérêt de son Oscar, et devant son amitié pour Moreau, la seule personne qui lui fût demeurée fidèle dans le malheur. Elle n'avait pas fatigué le vieux Cardot de sa présence ni de ses importunités; mais elle s'était attachée à lui comme à une espérance, elle allait le voir une fois tous les trimestres, elle lui parlait d'Oscar Husson, le neveu de feu la respectable madame Cardot, et le lui amenait trois fois pendant les vacances. A chaque visite, le bonhomme avait fait dîner Oscar au Cadran-Bleu, l'avait mené le soir à la Gaîté, et l'avait ramené rue de la Cerisaie. Une fois, après l'avoir habillé tout à neuf, il lui avait donné la timbale et le couvert d'argent exigés dans le trousseau du collége. La mère d'Oscar tâchait de prouver au bonhomme qu'il était chéri de son neveu, elle lui parlait toujours de cette timbale, de ce couvert, et de ce charmant habillement dont il ne restait plus que le gilet. Mais ces petites finesses nuisaient plus à Oscar qu'elles ne le servaient auprès d'un vieux renard aussi madré que l'oncle Cardot. Le père Cardot n'avait jamais aimé beaucoup sa défunte, grande femme, sèche et rousse; il connaissait d'ailleurs les circonstances du mariage de feu Husson avec la mère d'Oscar; et, sans la mésestimer le moins du monde, il n'ignorait pas que le jeune Oscar était posthume: ainsi, son pauvre neveu lui semblait parfaitement étranger aux Cardot. En ne prévoyant pas le malheur, la mère d'Oscar n'avait pas remédié à ces défauts d'attache entre Oscar et son oncle, en inspirant au marchand de l'amitié pour son neveu dès le jeune âge. Semblable à toutes les femmes qui se concentrent dans le sentiment de la maternité, madame Clapart ne se mettait guère à la place de l'oncle Cardot, elle croyait qu'il devait s'intéresser énormément à un si délicieux enfant, et qui portait enfin le nom de feu madame Cardot.

– Monsieur, c'est la mère d'Oscar, votre neveu, dit la femme de chambre à monsieur Cardot qui se promenait dans son jardin en attendant son déjeuner, après avoir été rasé, poudré par son coiffeur.

– Bonjour, belle dame, dit l'ancien marchand de soieries en saluant madame Clapart et s'enveloppant dans sa robe de chambre de piqué blanc. Eh! eh! votre petit gaillard grandit, ajouta-t-il en prenant Oscar par une oreille.

– Il a fini ses classes, et il a bien regretté que son cher oncle n'assistât pas à la distribution des prix de Henri IV, car il a été nommé. Le nom de Husson, qu'il portera dignement, espérons-le, a été proclamé…

– Diable! diable! fit le petit vieillard en s'arrêtant. Madame Clapart, Oscar et lui se promenaient sur une terrasse devant des orangers, des myrtes et grenadiers. Et qu'a-t-il eu?

– Le quatrième accessit de philosophie, répondit glorieusement la mère.

– Oh! le gaillard a du chemin à faire pour rattraper le temps perdu, s'écria l'oncle Cardot, car finir par un accessit?.. ce n'est pas le Pérou! Vous déjeunez avec moi? reprit-il.

– Nous sommes à vos ordres, répondit madame Clapart. Ah! mon bon monsieur Cardot, quelle satisfaction pour des pères et mères quand leurs enfants débutent bien dans la vie! Sous ce rapport, comme sous tous les autres d'ailleurs, dit-elle en se reprenant, vous êtes un des plus heureux pères que je connaisse… Sous votre vertueux gendre et votre aimable fille, le Cocon-d'Or est resté le premier établissement de Paris. Voilà votre aîné depuis dix ans à la tête de la plus belle étude de notaire de la capitale et richement marié. Votre dernier vient de s'associer à la plus riche maison de droguerie. Enfin vous avez de charmantes petites-filles. Vous vous voyez le chef de quatre grandes familles… – Laisse-nous, Oscar, va voir le jardin sans toucher aux fleurs.

– Mais il a dix-huit ans, dit l'oncle Cardot en souriant de cette recommandation qui rapetissait Oscar.

– Hélas! oui, mon bon monsieur Cardot, et après avoir pu l'amener jusque-là, ni tortu ni bancal, sain d'esprit et de corps, après avoir tout sacrifié pour lui donner de l'éducation, il serait bien dur de ne pas le voir sur le chemin de la fortune.

– Mais ce monsieur Moreau, par qui vous avez eu sa demi-bourse au collége Henri IV, le lancera dans une bonne voie, dit l'oncle Cardot avec une hypocrisie cachée sous un air bonhomme.

– Monsieur Moreau peut mourir, dit-elle, et d'ailleurs il est brouillé sans raccommodement possible avec monsieur le comte de Sérisy, son patron.

– Diable! diable!.. Écoutez, madame, je vous vois venir…

– Non, monsieur, dit la mère d'Oscar en interrompant net le vieillard qui par égard pour une belle dame retint le mouvement d'humeur qu'on éprouve à se voir interrompu. Hélas! vous ne savez rien des angoisses d'une mère qui, depuis sept ans, est forcée de prendre pour son fils une somme de six cents francs par an sur les dix-huit cents francs d'appointements de son mari… Oui, monsieur, voilà toute notre fortune. Ainsi, que puis-je pour mon Oscar? Monsieur Clapart exècre tellement ce pauvre enfant, qu'il m'est impossible de le garder à la maison. Une pauvre femme, seule au monde, ne devait-elle pas dans cette circonstance venir consulter le seul parent que son fils ait sous le ciel?

– Vous avez eu raison, répondit le bonhomme Cardot. Vous ne m'aviez jamais rien dit de tout cela…

– Ah! monsieur, reprit fièrement madame Clapart, vous êtes le dernier à qui je confierais jusqu'où va ma misère. Tout est ma faute, j'ai pris un mari dont l'incapacité dépasse toute croyance. Oh! je suis bien malheureuse…

– Écoutez, madame, reprit gravement le petit vieillard, ne pleurez pas. J'éprouve un mal affreux à voir pleurer une belle dame… Après tout, votre fils se nomme Husson, et si ma chère défunte vivait, elle ferait quelque chose pour le nom de son père et de son frère…

– Elle aimait bien son frère, s'écria la mère d'Oscar.

– Mais toute ma fortune est donnée à mes enfants qui n'ont plus rien à attendre de moi, dit le vieillard en continuant, je leur ai partagé les deux millions que j'avais, car j'ai voulu les voir heureux et avec toute leur fortune de mon vivant. Je ne me suis réservé que des rentes viagères; et, à mon âge, on tient à ses habitudes… Savez-vous sur quelle route il faut pousser ce gaillard-là? dit-il en rappelant Oscar et lui prenant le bras, faites-lui faire son Droit, je paierai les inscriptions et les frais de thèse. Mettez-le chez un procureur, qu'il y apprenne le métier de la chicane; s'il va bien, s'il se distingue, s'il aime l'état, si je vis encore, chacun de mes enfants lui prêtera le quart d'une charge en temps et lieu; moi, je lui prêterai son cautionnement. Vous n'avez donc, d'ici là, qu'à le nourrir et l'habiller; il mangera bien un peu de vache enragée, mais il apprendra la vie. Eh! eh! moi, je suis parti de Lyon avec deux doubles louis que m'avait donnés ma grand'mère, je suis venu à pied à Paris, et me voilà. Le jeûne entretient la santé. Jeune homme, de la discrétion, de la probité, du travail, et l'on arrive! On a bien du plaisir à gagner sa fortune; et quand on a conservé des dents, on la mange à sa fantaisie dans sa vieillesse, en chantant, comme moi, de temps à autre, la Mère Godichon! Souviens-toi de mes paroles: probité, travail et discrétion.

– Entends-tu, Oscar? dit la mère. Ton oncle te met en trois mots le résumé de toutes mes paroles, et tu devrais te graver le dernier en lettres de feu dans ta mémoire…

– Oh! il y est, répondit Oscar.

– Eh bien! remercie donc ton oncle, n'entends-tu pas qu'il se charge de ton avenir? Tu peux devenir avoué à Paris.

– Il ignore la grandeur de ses destinées, répondit le petit vieillard en voyant l'air hébété d'Oscar, il sort du collége. Écoute, je ne suis pas bavard, reprit l'oncle. Souviens-toi qu'à ton âge la probité ne s'établit qu'en sachant résister aux tentations, et dans une grande ville comme Paris, il s'en trouve à chaque pas. Demeure chez ta mère, dans une mansarde; va tout droit à ton École, de là reviens à ton Étude, pioches-y soir et matin, étudie chez ta mère; deviens à vingt-deux ans second clerc, à vingt-quatre ans premier; sois savant, et ton affaire est dans le sac. Eh bien! si l'état te déplaisait, tu pourrais entrer chez mon fils le notaire, et devenir son successeur… Ainsi, travail, patience, discrétion, probité, voilà tes jalons.

– Et Dieu veuille que vous viviez encore trente ans, pour voir votre cinquième enfant réalisant tout ce que nous attendons de lui, s'écria madame Clapart en prenant la main de l'oncle Cardot et la lui serrant par un geste digne de sa jeunesse.

– Allons déjeuner, répondit le bon petit vieillard en emmenant Oscar par une oreille.

Pendant le déjeuner, l'oncle Cardot observa son neveu sans en avoir l'air, et remarqua qu'il ne savait rien de la vie.

– Envoyez-le-moi de temps en temps, dit-il à madame Clapart en la congédiant et lui montrant Oscar, je vous le formerai.

Cette visite calma les chagrins de la pauvre femme, qui n'espérait pas un si beau succès. Pendant quinze jours, elle sortit avec Oscar pour le promener, le surveilla presque tyranniquement, et atteignit ainsi à la fin du mois d'octobre. Un matin, Oscar vit entrer le redoutable régisseur qui surprit le pauvre ménage de la rue de la Cerisaie déjeunant d'une salade de hareng et de laitue, avec une tasse de lait pour dessert.

– Nous sommes établis à Paris, et nous n'y vivons pas comme à Presles, dit Moreau qui voulait ainsi annoncer à madame Clapart le changement apporté dans leurs relations par la faute d'Oscar, mais j'y serai peu. Je me suis associé avec le père Léger et le père Margueron de Beaumont. Nous sommes marchands de biens, et nous avons commencé par acheter la terre de Persan. Je suis le chef de cette société qui a réuni un million, car j'ai emprunté sur mes biens. Quand je trouve une affaire, le père Léger et moi nous l'examinons, mes associés ont chacun un quart et moi moitié dans les bénéfices, car je me donne toute la peine; aussi serai-je toujours sur les routes. Ma femme vit à Paris, dans le faubourg du Roule, bien modestement. Quand nous aurons réalisé quelques affaires, quand nous ne risquerons plus que des bénéfices, si nous sommes contents d'Oscar, peut-être l'emploierons-nous.

– Allons, mon ami, la catastrophe due à la légèreté de mon malheureux enfant sera sans doute la cause d'une brillante fortune pour vous; car, vraiment, vous enterriez vos moyens et votre énergie à Presles…

Puis madame Clapart raconta sa visite à l'oncle Cardot afin de montrer à Moreau qu'elle et son fils pouvaient ne plus lui être à charge.

– Il a raison, ce vieux bonhomme, reprit l'ex-régisseur, il faut maintenir Oscar dans cette voie avec un bras de fer, et il sera certainement notaire ou avoué. Mais qu'il ne s'écarte pas du sentier tracé. Ah! j'ai votre affaire. La pratique d'un marchand de biens est importante, et l'on m'a parlé d'un avoué qui vient d'acheter un titre nu, c'est-à-dire une Étude sans clientèle. C'est un jeune homme dur comme une barre de fer, âpre à l'ouvrage, un cheval d'une activité féroce; il se nomme Desroches, je vais lui offrir toutes nos affaires à la condition de me morigéner Oscar; je lui proposerai de le prendre chez lui moyennant neuf cents francs, j'en donnerai trois cents, ainsi votre fils ne vous coûtera que six cents francs, et je vais bien le recommander à monsieur le prieur. Si l'enfant veut devenir un homme, ce sera sous cette férule; car il sortira de là, notaire, avocat ou avoué.

– Allons, Oscar, remercie donc ce bon monsieur Moreau, tu es là comme un terme! Tous les jeunes gens qui font des sottises n'ont pas le bonheur de rencontrer des amis qui s'intéressent encore à eux après en avoir reçu du chagrin…

– La meilleure manière de faire ta paix avec moi, dit Moreau en serrant la main d'Oscar, c'est de travailler avec une application soutenue et de te bien conduire…

Dix jours après, Oscar fut présenté par l'ex-régisseur à maître Desroches, avoué, récemment établi rue de Béthisy, dans un vaste appartement au fond d'une cour étroite, et d'un prix relativement modique. Desroches, jeune homme de vingt-six ans, élevé durement par un père d'une excessive sévérité, né de parents pauvres, s'était vu dans les conditions où se trouvait Oscar; il s'y intéressa donc, mais comme il pouvait s'intéresser à quelqu'un, avec les apparences de dureté qui le caractérisent. L'aspect de ce jeune homme sec et maigre, à teint brouillé, à cheveux taillés en brosse, bref dans ses discours, à l'œil pénétrant et d'une vivacité sombre, terrifia le pauvre Oscar.

– Ici l'on travaille jour et nuit, dit l'avoué du fond de son fauteuil et derrière une longue table où les papiers étaient amoncelés en forme d'alpes. Monsieur Moreau, nous ne vous le tuerons pas, mais il faudra qu'il marche à notre pas. – Monsieur Godeschal! cria-t-il.

Quoique ce fût un dimanche, le premier clerc se montra, la plume à la main.

– Monsieur Godeschal, voici l'apprenti basochien de qui je vous ai parlé, et à qui monsieur Moreau prend le plus vif intérêt; il dînera avec nous et prendra la petite mansarde à côté de votre chambre; vous lui mesurerez le temps nécessaire pour aller d'ici à l'École de Droit et revenir, de manière qu'il n'ait pas cinq minutes à perdre; vous veillerez à ce qu'il apprenne le Code et devienne fort à ses Cours, c'est-à-dire, que, quand il aura fini ses travaux d'Étude, vous lui donnerez des auteurs à lire; enfin, il doit être sous votre direction immédiate, et j'y aurai l'œil. On veut faire de lui ce que vous vous êtes fait vous-même, un premier clerc habile, pour le jour où il prêtera son serment d'avocat. – Allez avec Godeschal, mon petit ami, il va vous montrer votre gîte et vous vous y emménagerez… Vous voyez Godeschal?.. reprit Desroches en s'adressant à Moreau, c'est un garçon qui, comme moi, n'a rien; il est le frère de Mariette, la fameuse danseuse qui lui amasse de quoi traiter dans dix ans. Tous mes clercs sont des gaillards qui ne doivent compter que sur leurs dix doigts pour gagner leur fortune. Aussi mes cinq clercs et moi, travaillons-nous autant que douze autres! Dans dix ans, j'aurai la plus belle clientèle de Paris. Ici on se passionne pour les affaires et pour les clients! et cela commence à se savoir. J'ai pris Godeschal à mon confrère Derville, il n'était que second clerc et depuis quinze jours; mais nous nous sommes connus dans cette grande Étude. Chez moi, Godeschal a mille francs, la table et le logement. C'est un garçon qui me vaut, il est infatigable! Je l'aime, ce garçon! il a su vivre avec six cents francs, comme moi, quand j'étais clerc. Ce que je veux surtout, c'est une probité sans tache; et quand on la pratique ainsi dans l'indigence, on est un homme. A la moindre faute, dans ce genre, un clerc sortira de mon Étude.

– Allons, l'enfant est à la bonne école, dit Moreau.

Pendant deux ans entiers, Oscar vécut rue de Béthisy, dans l'antre de la Chicane, car si jamais cette expression surannée a pu s'appliquer à une Étude, ce fut à celle de Desroches. Sous cette surveillance à la fois méticuleuse et habile, il fut maintenu dans ses heures et dans ses travaux avec une telle rigidité, que sa vie au milieu de Paris ressemblait à celle d'un moine.

A cinq heures du matin, en tout temps, Godeschal s'éveillait. Il descendait avec Oscar à l'Étude afin d'économiser le feu en hiver, et ils trouvaient toujours le patron levé, travaillant. Oscar faisait des expéditions pour l'Étude et préparait ses leçons pour l'École; mais il les préparait sur des proportions énormes. Godeschal et souvent le patron indiquaient à leur élève les auteurs à compulser et les difficultés à vaincre. Oscar ne quittait un Titre du Code qu'après l'avoir approfondi et satisfait tour à tour son patron et Godeschal, qui lui faisaient subir des examens préparatoires plus sérieux et plus longs que ceux de l'École de Droit. Revenu du Cours où il restait peu de temps, il reprenait sa place à l'Étude, il y retravaillait, il allait au Palais parfois, il était enfin à la dévotion du terrible Godeschal, jusqu'au dîner. Le dîner, celui du patron d'ailleurs, consistait en un gros plat de viande, un plat de légumes et une salade. Le dessert se composait d'un morceau de fromage de Gruyère. Après le dîner, Godeschal et Oscar rentraient à l'Étude et y travaillaient jusqu'au soir. Une fois par mois, Oscar allait déjeuner chez son oncle Cardot, et il passait les dimanches chez sa mère. De temps en temps, Moreau, quand il venait à l'Étude pour ses affaires, emmenait Oscar dîner au Palais-Royal et le régalait en lui faisant voir quelque spectacle. Oscar avait été si bien rembarré par Godeschal et par Desroches à propos de ses velléités d'élégance, qu'il ne pensait plus à la toilette.

– Un bon clerc, lui disait Godeschal, doit avoir deux habits noirs (un neuf et un vieux), un pantalon noir, des bas noirs et des souliers. Les bottes coûtent trop cher. On a des bottes quand on est avoué. Un clerc ne doit pas dépenser en tout plus de sept cents francs. On porte de bonnes grosses chemises de forte toile. Ah! quand on part de zéro pour arriver à la fortune, il faut savoir se réduire au nécessaire. Voyez monsieur Desroches! il a fait ce que nous faisons, et le voilà arrivé.

Godeschal prêchait d'exemple. S'il professait les principes les plus stricts sur l'honneur, sur la discrétion, sur la probité, il les pratiquait sans emphase, comme il respirait, comme il marchait. C'était le jeu naturel de son âme, comme la marche et la respiration sont le jeu des organes. Dix-huit mois après l'installation d'Oscar, le second clerc eut pour la deuxième fois une légère erreur dans le compte de sa petite caisse. Godeschal lui dit devant toute l'Étude: – Mon cher Gaudet, allez-vous-en d'ici de votre propre mouvement, pour qu'on ne dise pas que le patron vous a renvoyé. Vous êtes ou distrait ou peu exact, et le plus léger de ces défauts ne vaut rien ici. Le patron n'en saura rien, voilà tout ce que je puis pour un camarade.

A vingt ans, Oscar se vit troisième clerc de l'Étude de maître Desroches. S'il ne gagnait rien encore, il fut nourri, logé, car il faisait la besogne d'un second clerc. Desroches occupait deux maîtres-clercs, et le second clerc pliait sous le poids de ses travaux. En atteignant à la fin de sa seconde année de Droit, Oscar, déjà plus fort que beaucoup de Licenciés, faisait le Palais avec intelligence, et plaidait quelques référés. Enfin Godeschal et Desroches étaient contents de lui. Seulement, quoique devenu presque raisonnable, il laissait voir une propension au plaisir et une envie de briller que comprimaient la discipline sévère et le labeur continu de cette vie. Le marchand de biens, satisfait des progrès du clerc, se relâcha de sa rigueur. Quand, au mois de juillet 1825, Oscar passa ses derniers examens à boules blanches, Moreau lui donna de quoi s'habiller élégamment. Madame Clapart, heureuse et fière de son fils, préparait un superbe trousseau au futur Licencié, au futur second clerc. Dans les familles pauvres, les présents ont toujours l'opportunité d'une chose utile. A la rentrée, au mois de novembre, Oscar Husson eut la chambre du second clerc qu'il remplaçait enfin, il eut huit cents francs d'appointements, la table et le logement. Aussi l'oncle Cardot, qui vint secrètement chercher des informations sur son neveu auprès de Desroches, promit-il à madame Clapart de mettre Oscar en état de traiter d'une Étude, s'il continuait ainsi.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
05 temmuz 2017
Hacim:
813 s. 6 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain