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Kitabı oku: «Les illusions musicales et la vérité sur l'expression», sayfa 6

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IX
LA MUSIQUE DES VERS

1o Des limites de la poésie

Si les musiciens ont des illusions, les littérateurs en ont aussi. Ils parlent souvent de la «musique des vers»; parfois même de la «symphonie des vers», ce qui est un étrange abus de mots. S'ils disaient: harmonie des vers, ils parleraient correctement, puisque le mot harmonie, outre sa signification musicale, a un sens général. Écoutons un des littérateurs français les plus distingués d'aujourd'hui et un des plus habiles à tourner le vers: «La poésie est à la fois musique, statuaire, peinture, éloquence; elle doit charmer l'oreille, enchanter l'esprit, représenter les sons, imiter les couleurs, rendre les objets visibles et exciter en nous les mouvements qu'il lui plaît de produire; aussi est-elle le seul art complet, nécessaire et qui contient tous les autres, comme elle préexiste à tous les autres8.» On voit que les erreurs et les exagérations ne coûtent pas aux poètes; peut-être même sans cela ne seraient-ils pas poètes.

La poésie, dans le sens restreint du mot, est un art comme un autre, ayant ses limites comme en ont les autres arts. L'instrument dont elle se sert est le langage articulé. Or, ce langage, malgré une origine attestée par exemple par les onomatopées, est un langage conventionnel et dont les signes se rapportent à des notions de l'entendement. Prenez un tableau peint par un Hollandais, un Allemand, un Français, un Italien; présentez-le à un Anglais, à un Espagnol, à un Russe, à tout homme un peu civilisé, chacun comprendra aussitôt ce que le peintre a représenté. Mais faites une description parlée, il faudra d'abord qu'on sache la langue dont vous vous servez; puis, les mots de cette langue ne pourront rien peindre. Ils ne pourront que rappeler à votre interlocuteur des choses qu'il doit avoir vues; la géométrie elle-même est incapable de définir la ligne droite à qui ne la connaît pas. Th. de Banville assure que très peu de Français comprennent les idées de Victor Hugo.

Pour les mêmes raisons, les paroles ne sont pas l'expression directe ni certaine des sentiments. Dites à une personne: «Je vous aime!» Elle saura d'abord que le verbe aimer ne signifie pas grand'chose, puisqu'on l'applique indifféremment à une odeur, à un mets, à la couleur ou à la forme d'un vêtement, à un chien, à une femme, et encore, pour ce qui est des femmes, y a-t-il bien des manières de les aimer. Puis, la personne à qui vous parlez vous croira ou ne vous croira pas; peut-être même s'imaginera-t-elle que vous vous moquez d'elle. Un regard, une inflexion de voix, un geste et tout autre mouvement spontané sont des expressions plus directes des sentiments que ne le sont les paroles.

Il en est du langage articulé comme des signes du calcul; à défaut de ces signes, nos calculs resteraient très élémentaires et n'atteindraient jamais les résultats prodigieux auxquels on est parvenu. De même, sans le langage articulé, nous ne posséderions pas notre énorme supériorité sur les animaux; l'incapacité de ceux-ci à se servir d'un langage articulé, à part quelques formes très simples, est une des causes de l'impossibilité où ils se trouvent, d'avoir mieux qu'une faculté de penser et de raisonner rudimentaire9.

Mais, d'autre part, l'imperfection radicale du langage articulé, c'est d'être le résultat d'une opération de l'entendement, de n'être qu'un signe conventionnel et un signe souvent équivoque, grâce aux acceptions multiples des mots.

Les poètes le sentent si bien, qu'ils se servent de tous les artifices possibles pour agir plus ou moins indirectement sur l'imagination et sur le sentiment; un de ces moyens, c'est précisément ce qu'on appelle la «musique des vers». Nous allons voir en quoi elle consiste.

2o Éléments sonores: Voyelles et consonnes

S'il y a une musique dans les vers, nous devons y retrouver les éléments qui constituent la musique des musiciens. Ces éléments sont au nombre de quatre. L'intonation donne des sons plus ou moins aigus ou graves, ou bien, comme on dit aussi, plus ou moins hauts ou bas; ces désignations, quoique sujettes à critique, nous suffisent; la durée des sons fournit la mesure et le rythme; l'intensité donne des sons plus ou moins forts ou plus ou moins faibles; enfin le timbre sert de signe distinctif entre des voix ou des instruments différents; personne ne confondra le son d'un violon avec celui d'une flûte ou d'une clarinette, ni la voix de Mme Patti avec celle de Mme Nilsson.

Dans les vers, l'intonation et l'intensité dépendent principalement de la personne qui les déclame. Ce n'est pas au hasard que l'on hausse ou baisse la voix et qu'on parle plus ou moins fort; les modifications de l'intonation et de l'intensité ont leur raison d'être; mais on n'y saurait trouver aucune régularité musicale. Reste donc le timbre et le rythme; ajoutons-y l'articulation des consonnes.

La voix humaine n'a que deux timbres normaux, mais qui admettent des gradations, de manière qu'on peut passer peu à peu du timbre le plus sombre au timbre le plus clair. On dit que certaines langues ont des sons gutturaux. On abuse beaucoup de ce mot. Il n'y a qu'un seul son en allemand qui n'existe pas en français, c'est le ch. Il est si peu guttural qu'il se prononce en envoyant le souffle vers la partie antérieure du palais. En espagnol, il est plus en arrière dans la bouche, mais il ne saurait être guttural. Toutes les langues se prononcent dans la bouche et le nez et ne peuvent pas se prononcer ailleurs. Le mot guttural n'a un peu de sens que lorsqu'on l'applique à la sonorité grasse des voyelles obtenues par une pression de la base de la langue qui se refoule sur l'épiglotte. Il en résulte une sonorité qui, sans doute, est vicieuse. On ne prendra pas non plus les voyelles nasales françaises pour des beautés. L'allemand et l'anglais cependant, ont des voyelles nasales qui s'écrivent par ng et se prononcent comme dans le Midi de la France. Nos nasales sont des voyelles simples, dont la résonance est un peu altérée par la part qu'y prennent les fosses nasales, part heureusement peu considérable. Dans la voix chuchotée, les voyelles sont produites par un simple souffle; elles peuvent même l'être par un courant d'air qu'on fait passer à la partie antérieure de la bouche; c'est une petite expérience acoustique dont je ne parle ici que pour mémoire.

La meilleure classification des voyelles me paraît être celle de Michelot, ancien professeur au Conservatoire et artiste du Théâtre-Français. Il faut remarquer seulement que l'orthographe ne répond pas toujours à la prononciation exacte. Ainsi, lorsqu'il y a plusieurs e de suite, c'est le dernier qui doit faire loi. Par exemple, les mots: éternel, j'aimai, j'aimais, se prononcent comme ètèrnèl, j'émé, j'èmè. J'ajouterai que Michelot distinguait trois sons pour l'e: un e très ouvert: ê; un e moins ouvert: è, et l'e dit fermé: é. Tout le monde n'appréciera pas ces délicatesses: je me contenterai donc d'un seul e ouvert. Dans l'échelle suivante, les sons passent du timbre le plus sombre au plus clair, de manière que la cavité de résonance semble se resserrer de plus en plus.

Ou, ô, o (dit ouvert, c'est-à-dire moins sombre), â, à, è, é, i.

Je mets à part les trois voyelles suivantes, parce que leur place exacte dans l'échelle n'est pas facile à préciser; toutes les trois ont une quantité plus ou moins considérable de timbre sombre:

eu fermé (comme dans heureux), eu ouvert (comme dans heure) et u.

Enfin les quatre nasales: on (nasale de ô), an (nasale de â), in (nasale de è et non pas de i) et un (nasale de eu).

L'Académie n'ayant pas réglé la prononciation exacte des mots, l'accord sur ce point n'est pas établi10. Ainsi, Littré veut qu'on prononce fermé le premier e des mots tels que éternel et céleste; il est forcé cependant d'avouer que, dans les terminaisons ége, l'orthographe fixée autrefois par l'Académie est contraire à la prononciation exacte. Il distingue, comme Michelot, deux e ouverts à des degrés différents; mais il veut que dans les temps du verbe aimer, le premier son se prononce toujours comme ê; que dans le verbe blesser, la première voyelle se prononce toujours comme è, et dans le verbe laisser, toujours comme ê (c'est-à-dire très ouvert). Eh bien, appliquez cette prononciation aux deux vers de Racine que tout le monde cite comme un parfait modèle:

 
Ariane, ma sœur, de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée!
 

Il me semble qu'en disant blèssée et lêssée, on gâte sensiblement l'harmonie de ces vers, qui est très belle si l'on prononce bléssée et léssée, comme le voulait Michelot et comme paraît le vouloir aussi M. Legouvé11. Puisque nous parlons de la «musique» des vers, avouons que c'est une singulière musique: à chaque instant on ne sait s'il faut faire un dièze ou un bémol.

On peut légèrement altérer les voyelles, selon qu'on veut faire dominer le timbre clair ou le timbre sombre, mais quand cette altération devient trop sensible, les voyelles se substituent les unes aux autres. Nous en avons des preuves journalières dans le charabia des chanteurs aimant à faire la grosse voix. D'autre part, il arrive que des sopranos à voix blanche et légère altèrent les voyelles en sens contraire. Mme Cabel en était un des exemples les plus marqués. Il suffisait de l'avoir entendue dans le Pardon de Ploërmel, commencer ainsi: Bélla mê chévre chérie.

Involontairement nous altérons le timbre des voyelles, selon les sentiments dont nous sommes affectés ou que nous voulons exprimer. Le timbre sombre convient en général dans les dispositions graves, sérieuses ou tristes; le timbre clair à la gaîté. En Angleterre, on appelle l'angine granuleuse «la maladie des prédicateurs», parce qu'elle provient chez eux de l'abus du timbre sombre.

La différence de timbre des voyelles peut fournir un moyen de trancher la question de l'hiatus. La règle draconienne, contre laquelle se révolte Th. de Banville, avec raison, n'existait pas autrefois. Il est assurément peu logique que deux voyelles puissent se rencontrer au milieu d'un mot et que les mêmes voyelles ne puissent pas le faire si l'une se trouve à la fin d'un mot, et l'autre au commencement du mot suivant, ou qu'elles le puissent dans ce cas, si elles sont séparées par un e muet qui s'élide. Il y a une grande différence entre des hiatus tels que les suivants:

 
Mon fait est venu au contraire…
Je suis ravi, assis entre les dieux…
 

et ceux-ci:

 
Chacun s'en va gai et falot…
Auprès de toi, en mille sortes…
 

Passons aux consonnes. Pour se rendre bien compte de leurs effets, il n'est pas inutile de considérer la manière dont elles se prononcent; mais si je parlais de labiales, de labio-dentales, de linguo-dentales, de palatales, ma démonstration paraîtrait trop scolastique; je me contenterai donc des grandes divisions, très faciles à saisir. On appelle muettes les consonnes qui ne peuvent exister sans voyelles. Par exemple, en prononçant le mot été, le t n'existe qu'au moment où l'on quitte le premier é et au moment où l'on attaque le second é.

Il y a six consonnes muettes, dont trois dites fortes: p, t, k, auxquelles correspondent trois douces: b, d, gu. Aux six consonnes muettes correspondent six sifflantes, à savoir, trois fortes: f, s, ch, et trois douces: v, z, j. On remarquera que les trois dernières contiennent habituellement un son; il en est de même des quatre consonnes appelées liquides dans la grammaire grecque: l, m, n, r, dont les trois premières sont plus propres à des effets de douceur, et la dernière à des effets de vigueur. Dans la chanson des vivandières de l'Étoile du Nord, Meyerbeer fait vocaliser sur la lettre r; on peut en faire autant sur les six autres consonnes qui renferment un son.

Je n'ai pas compté l'h aspiré parmi les consonnes; ce n'est pas une consonne comme les autres, et puis il faut distinguer deux h aspirés à des degrés différents, comme on le fait dans la grammaire grecque. Toute voyelle non précédée d'une autre voyelle ou d'une consonne à laquelle elle se lie sans discontinuation, est affectée d'une aspiration (ou plutôt d'une expiration), plus ou moins marquée. Si l'on veut la prononcer sèchement, il faut l'attaquer par ce qu'on appelle le coup de glotte; cette attaque, bonne dans les exercices pour la pose et l'assouplissement de la voix, serait vicieuse quand on parle ou qu'on chante.

3o L'Harmonie Imitative

Avant d'aller plus loin, je dois faire le procès à ce qu'on appelle l'harmonie imitative des vers; en bonne justice, je ne puis la traiter mieux que je n'ai traité la musique imitative; au contraire, elle me semble encore plus puérile.

Racine a-t-il réellement voulu, ce que je ne crois pas, faire entendre le sifflement des serpents dans ce vers:

 
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?
 

S'il l'a voulu, c'est une fantaisie qu'il faut lui pardonner, sans l'admirer. Dans l'hémistiche:

 
L'essieu crie et se rompt…
 

la chute est la même que dans la phrase: L'essieu est rond. Tous les ron ron du monde ne peindront pas un essieu qui se brise. Si on veut le faire, il faut se borner à dire: Crrrac. C'est encore ce qu'on a trouvé de plus imitatif. Dans le fameux vers:

 
Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum,
 

le rythme imite le galop du cheval; encore faut-il scander le vers mathématiquement. On trouverait facilement des vers latins ou français ayant le même rythme, sans qu'il soit question de galop ni de cheval. J'en conclus qu'un vers dactylique imite plus mal encore le galop du cheval qu'un coup de grosse caisse n'imite le bruit du canon.

Les traités de rhétorique abondent en puérilités de ce genre; je les ai lues pour la première fois, il y a bien longtemps, dans le traité de l'abbé Girard, et je les ai retrouvées, par exemple, dans le traité de Leclerc, dix-neuvième édition12, «approuvé pour les écoles publiques». On y lit entre autres: «Homère fait entendre par son harmonie le bruit des flots, le choc des vents, le cri des voiles déchirées, la chute du rocher de Sisyphe.»

Les auteurs terminent invariablement par une citation de Racine, le fils, accompagnée d'une citation de Cicéron, pour dire que les gens insensibles à ces beautés imitatives n'ont pas d'oreilles et ne sont même pas des hommes. Et c'est avec ces niaiseries pédantesques que l'on prétend former le goût de la jeunesse!

4o Allitérations et Assonances

Le dictionnaire de l'Académie définit ainsi l'allitération:

«Figure de mots qui consiste dans la répétition recherchée des mêmes lettres ou des mêmes syllabes.» Cette définition est une condamnation; mais les auteurs qui ont parlé plus longuement de ce sujet, n'ont pas osé refuser les circonstances atténuantes; ils ont cru, surtout, devoir faire grâce au vers de Racine sur les serpents. Cependant, les allitérations dans ce vers ne valent pas mieux que celles du vers de Voltaire:

 
Non, il n'est rien que Nanine n'honore.
 

Dans un bon style, loin de chercher les allitérations, on les évite autant que possible.

Quand l'allitération dure peu et se présente naturellement, elle peut ne point choquer, sans pour cela être une véritable beauté. Il suffit, par exemple, de mettre plusieurs verbes de suite au même temps pour qu'il puisse y avoir allitération. Le sublime du genre, c'est un poème latin en l'honneur de Charles le Chauve, où tous les mots commencent par un c, et un poème sur la guerre des pourceaux, où tous les mots commencent par un p.

L'allitération était fort usitée dans les anciennes poésies du Nord. Dans les anciennes poésies françaises, telles que, par exemple, la Chanson de Roland, c'est l'assonance: en d'autres mots, la parité des voyelles suffisait pour la rime. Th. de Banville dit à ce sujet: «L'assonance n'est nullement employée par la poésie actuelle, si ce n'est dans l'intérieur des vers, et pour produire des effets d'un ordre musical trop sublime et trop subtil pour qu'il soit possible d'en résumer le principe en des règles d'école.» Que peut-il y avoir de sublime ou de subtil à faire rimer France avec bande, tanche ou chante? Quant à la règle à établir, elle est bien simple, car elle découle de l'analyse que j'ai faite du timbre des voyelles. L'assonance abonde dans le vers suivant de Victor Hugo:

 
Sorte de héros, monstre aux cornes de taureau.
 

Pour faire peur aux petits enfants, on fait la grosse voix; Victor Hugo fait la grosse voix pour agir sur l'imagination des grands enfants; grands ou petits, c'est toujours le même procédé.

Dans les Chants du crépuscule, de Victor Hugo, on trouve la strophe suivante:

 
Vérité profonde!
Granit éprouvé
Qu'au fond de toute onde
Mon ancre a trouvé!
De ce monde sombre
Où passent dans l'ombre
Des songes sans nombre,
Plafond et pavé!
 

L'effet singulier produit par la chute finale, n'est pas dû seulement au malheureux choix de l'image par laquelle la vérité devient plafond et pavé, mais aussi, aux sons clairs qui détonnent après l'abondance de voyelles sombres. On dirait un homme faisant la grosse voix pour vous communiquer quelque chose de très sérieux, et partant tout à coup d'un éclat de rire à votre nez.

L'allitération et l'assonance jouent un rôle capital dans le poème de l'Anneau du Nibelung de R. Wagner. Wagner cherchait le point où la poésie sent le besoin du secours de la musique. Il croyait l'avoir trouvé, non pas dans la versification usuelle qui est plus ou moins factice, mais dans la versification primitive, où la poésie cherche à devenir musicale, en faisant usage au moyen des sons qu'elle emploie, c'est-à-dire par les allitérations (similitude des consonnes) et les assonances (similitude des voyelles). Le texte de l'Anneau du Nibelung est tout entier fait d'après ce système. Mais quand Wagner s'est mis à écrire la musique, il n'a pas tardé à s'apercevoir que les allitérations et les assonances étaient de nul effet sous la richesse et la puissance de la musique. Il a donc interrompu la composition de la Tétralogie qu'il venait de commencer, pour écrire Tristan et Iseult, espérant que cet ouvrage serait plus facile à monter, et le tirerait des embarras pécuniaires où il se débattait. Il y est revenu à la versification usuelle qu'il avait cependant critiquée, et jamais, depuis ce temps, il n'a eu recours au système d'allitération et d'assonance. C'est une preuve qu'il l'a condamné comme inutile et sans effet.

Voilà un fait que les traducteurs semblent ignorer. Wagner, d'ailleurs, a formellement protesté contre les traductions de ses ouvrages, y compris Lohengrin.

5o La Rime

La rime constitue-t-elle une grande beauté? En ce cas, les anciens Grecs et les Romains étaient bien malheureux de s'en passer. Y a-t-il quelque chose de plus plat et de plus pauvre que des vers comme les suivants (je parle au point de vue musical):

 
Dies iræ, dies illa
Solvet sæclum in favilla,
Teste David cum Sybilla.
Quantus tremor est futurus
Quando judex est venturus
Cuncta stricte discussurus!
 

La rime est riche, mais le rythme est pitoyable. Dans la poésie, le rythme est beaucoup plus essentiel et plus puissant que la rime. Les anciens ayant le rythme, n'avaient que faire de la rime. Celle-ci peut sembler utile en français, parce que le rythme n'y est pas assez marqué, et que l'accentuation même est défectueuse, puisqu'on prétend qu'elle tombe presque toujours sur la dernière syllabe des mots et qu'on n'a jamais pu se mettre d'accord sur ce point13.

Rationnellement, la rime doit porter sur un mot important d'une phrase, parce qu'elle lui donne un relief particulier. Mais il en résulte forcément un défaut, que je laisse à Th. de Banville le soin de décrire. Voici, selon lui, comment procède le poète qui connaît bien son art: «Il entend à la fois non pas seulement une rime jumelle, mais toutes les rimes d'une strophe ou d'un morceau, et après les rimes, tous les mots caractéristiques et saillants qui feront image, et après ces mots tous ceux qui leur sont corrélatifs, longs, si les premiers sont courts, sourds, brillants, muets, colorés de telle ou telle façon, tels enfin qu'ils doivent être pour compléter le sens et l'harmonie des premiers..... Le reste, ce qui n'a pas été révélé, trouvé ainsi, les soudures, ce que le poète doit ajouter pour boucher les trous avec sa main d'artiste et d'ouvrier, est ce qu'on appelle les chevilles.»

En effet, il faudrait n'avoir jamais analysé des vers, pour ignorer qu'il n'est pas possible d'en faire d'une manière suivie, sans chevilles. Dans le travail de rapiécetage, l'essentiel est d'assortir les morceaux et de déguiser les coutures le mieux qu'on peut.

8.Petit traité de poésie française, par Th. de Banville.
9.Quelques oiseaux imitent, fort mal à la vérité, la parole humaine; la corrélation entre la faculté de penser et le langage articulé n'en est pas moins évidente.
10.Cette question assez importante est trop négligée. Il m'a passé par les mains un bon nombre d'ouvrages didactiques sur l'allemand, le français, l'anglais, l'italien, l'espagnol; jamais je n'ai pu y trouver des indications assez exactes sur la prononciation, sans compter que les contradictions n'y manquent pas.
11.Voir le Temps du 17 avril 1873.
12.Paris, 1874, chez Delalain.
13.Je reviendrai plus loin sur ce sujet.