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Kitabı oku: «Les illusions musicales et la vérité sur l'expression», sayfa 7

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6o Le Rythme

Dans le rythme, il faut tenir compte de deux choses distinctes, l'accentuation des syllabes et leur quantité (c'est-à-dire leur durée plus ou moins longue). Pour avoir méconnu ce principe si simple, on a fait fausse route en France depuis plusieurs siècles. Quelques indications historiques le montreront.

Après la Renaissance, on chercha naturellement à construire des vers français d'après le système prosodique des Grecs et des Romains. Le premier distique français est dû à Jodelle, qui l'a mis en tête des poésies d'Olivier de Magny, imprimées en 1553. Le voici sans commentaire:


Le traité de prosodie le plus estimé au siècle dernier était celui de l'abbé d'Olivet; la première édition parut en 1736, mais l'auteur s'empressa de faire une seconde édition considérablement améliorée. Il n'approuve pas la tentative de Jodelle; mais les résultats auxquels il est arrivé ne valent guère mieux, comme on peut le voir par la manière dont il prosodie un vers de Boileau. Pour la facilité typographique, je marquerai les syllabes longues par – et les syllabes brèves par un v:



Malgré les variations de la prononciation française, il n'est pas possible qu'au temps de Boileau ni à celui de l'abbé d'Olivet, on ait estropié ainsi la langue.

On peut voir, par l'Encyclopédie, avec quel soin on discutait, au siècle dernier, tout ce qui concerne la prosodie.

Le traité de Dubroca paraît être un des derniers essais d'une théorie de la versification fondée sur la quantité des syllabes14.

Inutile de dire que les indications prosodiques de l'auteur sont encore matière à contestation.

Un ancien inspecteur d'académie, J. A. Ducondut, a publié un Essai de rythmique française (Paris, 1856, chez Michel Lévy), où il y a d'excellentes remarques pour la musique et sur la versification en général; mais l'auteur s'égare à son tour. Il donne une centaine de pages de poésie, d'après son système, où les syllabes accentuées comptent comme longues, et les syllabes non accentuées comme brèves; à chaque pas il fait fausse route. Pour preuve, voici la première strophe d'une poésie dont les vers sont censés avoir le mètre du quatrième péon, c'est-à-dire trois syllabes brèves suivies d'une longue (vvv—).

 
Le fût de vin
Vide, au maillet
Répond, mais plein
Reste muet.
De tout souvent
Raisonne un sot
Quand le savant,
Lui, ne dit mot.
 

Le septième vers seul peut passer pour correct; tous les autres sont faux. Dans le premier, le mot fût est accentué d'autant plus qu'il est le sujet principal du discours. C'est tellement vrai qu'un musicien qui placerait vin sur le temps fort ferait une faute; c'est fût qu'il faut sur le temps fort.

Voici deux hexamètres que Ducondut donne comme formés chacun de cinq dactyles (—vv) et d'un trochée(—v):

 
Toi, cher Tityre, étendu sous l'abri des rameaux de ce hêtre,
Sur tes pipeaux tu médites un chant de ta muse rustique.
 

Dans ces vers, le premier dactyle est toujours faux, car la seconde syllabe n'est pas brève, elle est longue et accentuée.

Un littérateur belge, Van Hasselt a renouvelé la tentative de Ducondut, d'une manière moins riche en incorrections, mais sans être irréprochable15. Je prends au hasard ce couplet fait sur le mètre anapestique (vv—) en ne tenant pas compte de la rime féminine:

 
Tous les pleurs que je verse, ô mon ange,
Tous mes pleurs,
Le printemps les rassemble et les change
Tous en fleurs.
 

J'y vois deux fautes: dans le second vers le mot tous est nécessairement accentué, et par conséquent, compte comme une syllabe longue, sinon ce vers est la plus insipide des chevilles. Dans le troisième vers, la première syllabe du mot printemps, quoique non accentuée, ne saurait compter pour une brève, car sa durée est bien le double de celle de l'article le.

Voici un distique plus correct:

 
Blanche, au milieu des étoiles charmantes qui brillent, la lune
Mène leur chœur à travers l'ombre muette des nuits.
 

Reste à savoir si, dans les deux vers, la césure n'offre pas matière à critique; dans la déclamation, cette césure disparaît absolument, parce qu'on ne saurait séparer des mots liés intimement par le sens des phrases.

La quantité des mots à travers n'est certes pas la même dans l'expression: à travers l'ombre que dans celle-ci: à tort et à travers. Sans doute, il y a en français des syllabes accentuées et d'autres qui ne le sont pas; mais admettons que l'accent prosodique tombe le plus souvent sur la dernière syllabe sonore des mots, cet accent peut être modifié par l'accent oratoire ou pathétique, lequel se règle sur l'importance des mots pour le sens d'une phrase. Indépendamment de l'accentuation, il y a des syllabes longues ou brèves, car il serait absurde, par exemple, de regarder comme brèves les trois premières syllabes du mot mortellement; la troisième seule est brève. Au surplus, dans un mot de plusieurs syllabes, la dernière n'est pas la seule accentuée; ainsi dans le mot mortellement, on accentuera la seconde syllabe et la dernière. C'est de ces faits très simples, et non pas d'une prosodie plus ou moins factice, que résulte le rythme, véritable des vers français.

En 1872, M. Thurot a lu, à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, un mémoire sur l'accent tonique de la langue française16. Il a constaté qu'on n'est pas d'accord sur ce point; il a affirmé que l'accent tonique existe, et comme exemples, il a cité les mots: arrive, département, nation. A son avis, dans le premier de ces mots, l'accent tombe sur ar, dans le second, sur par, et dans la troisième, sur na. Je ne puis prétendre résoudre la question; peut-être y a-t-il toujours un accent sur la dernière syllabe sonore des mots, mais d'après ce que je viens de dire, cet accent n'est pas le seul; ainsi dans le mot: département, l'accent tombe sur la seconde syllabe et sur la dernière. On peut admettre que dans: nation, l'accent est sur la dernière syllabe; mais la première est longue et bien marquée. Il en est à peu près de même pour le mot: arrive. Dans un passage bien connu de la Dame blanche de Boieldieu, on chante: J'arrive, j'arrive, en galant paladin, l'accent (le temps fort) tombe toujours sur la seconde syllabe du mot: arrive, sans que jamais on y ait vu une faute de prosodie. Lorsqu'on dit par exemple: Arrivez donc! on appuie sur la première syllabe et sur la dernière; c'est une conséquence de ce que, faute d'un mot meilleur, j'ai appelé plus haut accent oratoire. Le rythme musical, proprement dit, offre des faits analogues.

En résumé, il faut donc considérer trois choses:

1o L'accent tonique, tombant sur une ou plusieurs syllabes d'un mot17.

2o La quantité des syllabes (longues ou brèves).

3o L'accent oratoire.

Un auteur belge, Boscaven, a publié à Bruxelles un petit traité de versification, où il prétend réduire tous les hémistiches des alexandrins de Racine et de Victor Hugo à sept types, dont voici les modèles; les syllabes imprimées en caractères plus gros sont les syllabes accentuées, et qui, selon Boscaven, déterminent la forme rythmique;

 
Ton orgueilLEUse TÊte.
DépouilLÉ d'artiFIce.
EsCLAve de l'aMOUR.
RIre de ma douLEUR.
Le JOUR éTAIT plus BEAU.
OUI, c'est MOI qui le DIS.
MEURS, que ton NOM péRISse.
 

Ces types ne sont évidemment pas les seuls, car Boscaven suppose que les deux dernières syllabes (les e muets de la fin ne comptant pas) forment toujours un ïambe; or, ce n'est pas le cas si l'hémistiche se termine par un mot comme relâcher, par exemple, où la dernière syllabe est brève et accentuée, tandis que la seconde est d'une longueur bien marquée. On voit encore ici combien on risque de se tromper en ne considérant rien que la quantité des syllabes ou rien que leur accentuation.

Un auteur plus récent, M. Becq de Fouquières, dans un traité de versification française (Paris, 1879), a tenté de noter musicalement le rythme des vers. Malheureusement, il attache trop d'importance à des allitérations et à des assonances. Exemples:

 
Je Mourrai, Mais au Moins Ma Mort Me vengera.
CetTe BêTe marchait, BatTue, exTénuée.
 

Ces allitérations sont purement fortuites; le poète ne les a pas cherchées, et le lecteur ou l'auditeur n'y fait pas attention; ou si l'on prenait garde aux m multipliés du premier vers, il en serait comme des s dans le fameux vers de Racine sur les serpents. Les assonances peuvent sembler suffisantes pour la rime, comme nous l'avons vu, mais pour le reste, l'harmonie des vers ne résulte ni des allitérations, ni des assonances, ni de la prétendue harmonie imitative, ni d'autres enfantillages.

7o Principes fondamentaux de l'harmonie des vers

L'harmonie des vers repose sur cette loi très simple, que la sonorité et le rythme doivent être en rapport avec la pensée ou le sentiment exprimé. Or, les éléments de la sonorité et du rythme sont des voyelles plus ou moins claires ou sombres, plus ou moins pointues pour ainsi dire, plus ou moins arrondies, des consonnes plus ou moins douces ou fortes, plus ou moins sèches ou coulantes, soit simples soit accumulées; puis, des syllabes plus ou moins longues ou brèves, plus ou moins accentuées, des rythmes plus ou moins légers ou rapides, ou plus ou moins lourds et massifs.

L'accumulation des consonnes peut servir à des effets durs ou énergiques; elle est plus fréquente en allemand qu'en français; elle n'existe que d'une façon très restreinte en italien, où elle ne produit pas de duretés, comme elle en donne trop souvent en allemand. L'effet des consonnes peut contribuer à l'harmonie des vers, comme le timbre des voyelles, sans être pour cela un effet musical.

Puis l'alternance des voyelles et des consonnes de qualités différentes peut former des modulations qui ont leur charme.

Pour montrer l'application de ces principes, je reprends les deux vers de Phèdre cités plus haut. J'y remarque que toutes les voyelles sont simples (ia ne forme pas diphtongue), et que le choix en est très heureux; le timbre sombre domine, surtout dans le second vers; il faut se garder, cependant, d'y voir, comme l'a fait il n'y a pas longtemps un poëte académicien, «des perspectives de plages désolées et de longues allées désertes».

Toutes les consonnes sont simples aussi, excepté dans un seul endroit, où trois consonnes se suivent; les deux dernières de ces consonnes sont très douces. Cet assemblage force l'acteur et l'auditeur d'arrêter leur attention sur la «blessure d'amour.»

Voyons le rythme. Je divise chaque vers en quatre pieds, de cette manière:



Le premier hémistiche de chaque vers forme deux anapestes (vv—) bien marqués; le dernier pied de chaque vers est un spondée (– —), car les syllabes sont nécessairement longues, grâce à la terminaison féminine et à l'accent pathétique ou oratoire. Le mètre du troisième pied est dans l'un des vers: vvv— (quatrième péon) et dans l'autre: vv—v (troisième péon). Cette petite irrégularité donne un charme de plus, et les deux vers sont très-beaux sous le rapport du rythme comme à tous les autres égards.

On a voulu voir aussi une beauté dans les liaisons produisant dans le second vers: zaux et zoù. Le z est une consonne douce, et les liaisons doivent être peu accusées; mais y chercher une allitération, par rapport aux ss qui suivent, c'est attribuer à Racine une puérilité qu'il n'a ni commise ni voulu commettre.

Condillac fait remarquer avec raison que le vers:

 
Traçât à pas tardifs un pénible sillon,
 

est plus long que celui-ci:

 
Le moment où je parle est déjà loin de moi.
 

Après avoir donné quelques autres exemples, il dit: «La qualité des sons contribue à l'expression des sentiments. Les sons ouverts et soutenus sont propres à l'admiration; les sons aigus et rapides, à la gaieté; les syllabes muettes, à la crainte; les syllabes traînantes et peu sonores, à l'irrésolution. Les mots durs à prononcer expriment la colère; plus faciles à prononcer, ils expriment le plaisir ou la tendresse. Les longues phrases ont une expression, les courtes en ont une autre; l'expression est la plus grande lorsque les mots y contribuent, non-seulement comme signes des idées, mais encore comme sons. C'est un effet du hasard quand on peut faire concourir toutes ces choses.» Tout cela n'est pas rigoureusement exact, mais en tout cas cette façon déconsidérer le sujet est la seule raisonnable.

Pour montrer comment on peut se tromper en ne tenant pas compte des véritables conditions rythmiques, je prends les deux vers suivants de Victor Hugo:

 
C'est naturellement que les monts sont fidèles
Et purs, ayant la forme âpre des citadelles.
 

Th. de Banville se contente d'admirer comment «le grand mot terrible citadelles est appuyé sur le mot court et solide âpre.» Le mot citadelles n'est terrible que par le sens; autrement le mot mortadelles serait plus terrible, s'il ne désignait une espèce de charcuterie. Puis le mot: citadelles n'est long que pour les yeux; pour l'oreille, le mot âpre est à peu près aussi long. Voilà le mot terrible, si tant est qu'il y en ait un: composé d'un â plein, long, demi-sombre, et de deux consonnes dures, il répond bien à sa signification. Les mots forme âpre donnent un spondée, appui solide et massif au milieu du vers, et qui est suivi immédiatement de quatre syllabes brèves avant l'arrivée d'une syllabe bien accentuée. Il faut seulement marquer un peu la première syllabe de citadelles. Otez ce lourd spondée, le reste du vers ne sera pas plus terrible musicalement que ne l'est un air de flageolet.

Par contraste, prenons quelques vers mauvais, toujours musicalement, car, pour le reste, je ne veux empêcher personne de les trouver excellents:

 
Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image;
Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents;
Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,
Elle s'avancait à pas lents.
 

Il y a bien des sons clairs dans le premier vers; dans le second, il y a trop d'ïambes. L'auteur paraît avoir voulu qu'on les marquât bien, afin de nous montrer les vents venus des quatre points cardinaux, et profitant des derniers moments de la pauvre Jeanne pour tirer ses cheveux à hue et à dia. Le troisième vers est d'une maigreur trop visible, mais le quatrième est le bouquet. Casimir Delavigne s'est-il figuré qu'en ne mettant que huit syllabes et en terminant par pas lents, il représenterait bien Jeanne prête à être brûlée vive? Voici les voyelles du vers (je ne compte pas l'e muet, qui est absorbé presque entièrement): è, à an, è, à, â, an. Quelle musique!

Il est évident, d'ailleurs, que l'harmonie des vers reste subordonnée au sens et au bon sens, autrement les vers suivants de Malherbe, sur la pénitence de Saint-Pierre, seraient superbes.

 
C'est alors que ses cris en tonnerres éclatent,
Ses soupirs se font vents qui les chênes combattent;
Et ses pleurs qui tantôt descendaient mollement,
Ressemblent au torrent qui des hautes montagnes,
Ravageant et noyant les voisines campagnes,
Veut que tout l'univers ne soit qu'un élément.
 

Le dernier vers est un peu mesquin; on n'est pas parfait.

En comparant des langues différentes, on peut faire d'intéressantes remarques sur leurs qualités plus ou moins harmonieuses; j'en donnerai un seul exemple. Les fantômes qui apparaissent à Richard III dans son sommeil (au cinquième acte de la tragédie de Shakespeare), terminent chacun leurs malédictions par les mots: despair and die (prononcez: dispêre annd' daï)! Les voyelles claires prennent ici une sonorité particulièrement mordante. En français: désespère et meurs! est plus faible; en allemand dans Verzweifle und stirble premier mot est bon, mais le dernier est sec et mesquin; mieux vaut l'italien par les voyelles ouvertes et bien accentuées: despera e mori! Le dernier mot surtout a une sonorité pleine et énergique.

Seulement, il n'y a pas une grande différence entre mori et amore. Il en sera toujours de même: chaque fois qu'un mot semblera d'un effet particulier, on en trouvera facilement un presque pareil et d'un effet tout autre; nous l'avions déjà vu. L'essentiel dans un mot, c'est la signification.

Concluons.

La poésie n'est pas une musique, ce n'est autre chose que l'aspiration du langage articulé à devenir musique, c'est-à-dire à agir directement sur le sentiment par son union avec le son musical. Cette union, pour être rationnelle, doit être le résultat d'un besoin, la musique acquérant par elle une clarté et une précision d'expression qui lui manquent; la poésie, à son tour, acquérant une action profonde sur le sentiment humain, action qu'elle cherche vainement dans les artifices de la versification.

TROISIÈME PARTIE

X
LE ROLE CARACTÉRISTIQUE DE LA MUSIQUE DANS LES BEAUX-ARTS

Si je voulais ne m'occuper que des Illusions musicales, je pourrais regarder ma tâche comme terminée; mais il y a peu de danger à vouloir faire dire à la musique plus qu'elle ne peut dire; il y en a bien davantage à prétendre qu'elle ne signifie rien ou peu de chose, et le nombre des personnes qui répètent cette absurdité est beaucoup plus grand qu'on n'est porté à le croire. Les Allemands et les Italiens se gardent bien de médire de l'art musical, parce qu'ils comptent leur musique comme une de leurs gloires nationales, et ils ont raison. En France, au contraire, on met volontiers la musique au-dessous de la poésie et des arts classiques; je réclame simplement sa place à côté de ces arts et au même rang, comme dans d'autres pays. Je dois donc examiner ce que la musique signifie réellement, et si difficile que soit la question, je tâcherai de parler le plus clairement possible.

1o L'unité tonale

Quand j'ai publié mes articles sur l'ethnographie des instruments de musique, nous venions seulement de savoir la vérité sur les Japonais, par l'ouvrage de M. Alexandre Crauss, de Florence, et sur les Hindous, par les instruments, les ouvrages, les renseignements dus à la générosité du rajah directeur de l'école indigène de musique à Calcutta. Fétis avait soutenu, on ne sait pourquoi, que les Orientaux chantaient par petits intervalles, ce dont on ne voit nulle raison.

On remarquera d'abord que partout où l'on était arrivé à un certain système musical, on a divisé une corde en deux, trois ou quatre parties égales, et ce fut le point de départ de la construction des instruments à cordes. Les instruments dont le manche est divisé en cases, ont naturellement précédé les instruments à archet sans cases.

Il n'est pas vrai que les Chinois n'emploient que la gamme de cinq notes, sans demi-tons, représentée par les touches noires du piano; quand cela serait exact, ce serait toujours un fragment de notre gamme. Les Chinois se servent seulement du demi-ton moins qu'autrefois, et un de leurs auteurs leur en fait un reproche. La gamme de cinq notes se trouve d'ailleurs aussi dans des mélodies du Nord. L'absence du demi-ton leur donne une apparence naïve et enfantine. On peut en faire la preuve sur la romance de la Rose, qui est une mélodie du Nord intercalée par Flotow dans Martha. Il suffit de supprimer le demi-ton qui s'y trouve, car la modulation au milieu est une addition trop évidente.

Les Japonais ont emprunté le système des Chinois en le développant et en se servant librement du demi-ton. Ils emploient même la gamme chromatique complète dans la musique instrumentale. Ils accordent les instruments dont le manche est divisé en cases par octave, par quarte et par quinte selon un des systèmes usités chez nous en physique.

Les Hindous, depuis un temps immémorial, accordaient leurs instruments à cordes absolument comme la plupart de nos physiciens, à une différence insignifiante près. Le procédé dont ils se servent aujourd'hui, et qui date de plusieurs siècles avant Jésus-Christ, n'est rien qu'un moyen expéditif d'obtenir une justesse suffisante, car la déviation de la justesse mathématique n'atteint jamais un comma (neuvième partie d'un ton). Ils se servent de notre gamme transposée en différents tons.

Les Arabes ont montré une oreille moins délicate que les Hindous dans l'accord de leurs instruments. Ils se sont aussi servis de notre gamme; mais à une certaine époque ils ont tenté, non pas de chanter par tiers de ton, ce qui est impossible, mais d'intercaler deux sons dans l'intervalle d'une seconde majeure, à peu près comme nous le faisons, en distinguant ut dièze de ré bémol; puis ils ont renoncé à ce raffinement dont on ne rencontre aujourd'hui aucune trace dans la pratique. Salvator Daniel, qui jouait du violon, se plaisait à faire de la musique, en Algérie, avec les indigènes, sans jamais rencontrer d'autre système que le nôtre. M. Victor Loret, en Egypte, a noté la partition de tout un ballet d'almées. Il se faisait jouer chaque partie d'instrument isolément, puis mettait le tout en partition et vérifiait l'ensemble pendant l'exécution. La musique est conforme à la nôtre, et tous les instruments que j'ai pu examiner moi-même étaient chromatiques.

Les anciens Grecs avaient aussi cherché à utiliser des quarts de ton, puis ils les ont abandonnés et s'en sont tenus à la gamme diatonique sur laquelle est basé le plain-chant.

Si nous passons aux nations qui n'en sont pas arrivées à un système tonal et sont restées au bas de l'échelle sociale, nous trouvons les airs de musique conformes à notre gamme. M. Petitot, un très digne et très respectable prêtre, a passé quinze ans sous le cercle polaire, chez les Danites ou habitants indigènes du Canada. Il avait demandé à être envoyé comme missionnaire, le plus loin possible, pour faire des études de folkloriste. Il a décrit le pays et les mœurs de ses habitants dans les livres qu'il a publiés; il en étudiait et il en parlait la langue.

Il se servait d'un harmonium pour le culte religieux; il a noté près de cinquante airs du pays, dont il n'a pu publier qu'une partie dans ses ouvrages, mais dont j'ai la collection.

A l'autre extrémité de la terre habitée, nous trouvons les Hottentots. Nous en avons vu, il y a quelques années, au Jardin d'acclimatation. Je les ai entendus à différentes époques, je les ai bien examinés et j'ai noté les airs qu'ils chantaient; c'étaient des mélodies courtes, simples et faciles à saisir. Nous avons vu ensuite des spécimens de diverses populations d'Asie ou d'Afrique, soit au Jardin d'acclimatation, soit aux expositions universelles; j'ai noté leur musique, ou d'autres personnes s'occupant d'études folkloristes l'ont fait, et j'ai recueilli tous ces documents, dont la conclusion à tirer est toujours la même.

Les renseignements authentiques nous sont arrivés d'autant plus en retard, que les voyageurs, généralement, sont peu experts dans les questions musicales, et que les oreilles européennes sont d'abord déroutées par une musique qui ne leur est pas habituelle. Nous en avons vu un exemple à l'Exposition universelle de 1889, au théâtre annamite de l'esplanade des Invalides. En cas pareil, le mieux est de se mettre directement en communication avec les musiciens et d'obtenir ainsi des renseignements exacts. Quelques bizarreries qu'on peut rencontrer ne prouvent rien d'ailleurs. Il paraît qu'aujourd'hui, dans les églises chrétiennes d'Orient, les chanteurs qui ne semblent pas très habiles veulent faire des intervalles de trois quarts et de cinq quarts de son; ils les font nécessairement faux. Je suppose que la cause en est à une expression erronée mise en circulation par Fétis: celle de notes attractives. Les tendances vers une résolution, pour parler correctement, résultent des rapports harmoniques. Quant on chante do, ré, mi, il n'y a pas plus de raison de faire le trop haut que de le faire trop bas, quand on chante mi, ré, do. C'est le cas de rappeler la vieille question: vaut-il mieux chanter trop haut ou trop bas? Réponse: il vaut mieux chanter juste.

Si maintenant nous suivons le développement de l'art depuis le moyen âge, nous pouvons en constater la marche progressive très exactement. La découverte de l'harmonie devait commencer par des tâtonnements, mais grâce au sens musical des compositeurs, le système s'est développé, et les compositions du XVIe siècle, dont les plus célèbres sont celles de Palestrina et de Roland de Lassus, sont encore fort correctes aujourd'hui, quoiqu'écrites dans un système différent du nôtre. La distinction fondamentale entre l'ancienne tonalité et la tonalité moderne, c'est que dans la tonalité du plain-chant on est parti de l'équivalence des degrés de la gamme, et l'on a dû marcher d'inconséquence en inconséquence. Dans la tonalité moderne, au contraire, chaque degré a son rôle distinct. Je prends pour exemple l'air: au clair de la lune; il comprend deux phrases dont la première est répétée immédiatement et après la seconde. La première phrase n'a que trois notes, do, ré, mi; cependant le do est posé franchement comme tonique ou note fondamentale. La deuxième phrase a cinq notes, elle se termine par une modulation en sol, quoique le fa dièze ne soit pas exprimé. Ces propriétés se manifestent par la disposition des notes de la division rythmique; elles ne sont pas tout à fait évidentes par elles-mêmes, j'en conviens, mais l'usage de l'harmonie les rend incontestables.

Dégagée des entraves contre lesquelles elle s'était insurgée, la musique put désormais prendre un développement libre, dont les principaux représentants sont: Bach, Hændel, Haydn, Mozart et Beethoven. Le guide le plus sûr était toujours leur propre sens musical, aidé de l'exemple de leurs prédécesseurs; ils dépassaient les limites des théoriciens; Gottfried Weber, le premier, prit pour base une analyse exacte des œuvres de composition.

Nous en conclurons que notre gamme est partout le fondement de la musique, et elle doit l'être; nous ne pouvons agir que conformément à notre nature, et la musique ne nous toucherait pas si profondément, si elle n'avait une liaison intime avec cette nature. Les lois fondamentales du rythme et de la tonalité sont inhérentes à notre esprit, comme le sont les lois de la pensée. Celles-ci sont partout les mêmes, ce qui ne veut pas dire qu'elles sont partout également bien en jeu. M. Petitot, par exemple, nous a transmis, avec une fidélité et une exactitude de folkloriste modèle, des légendes en langue danite, avec la traduction. Il est curieux de voir une peuplade absolument inculte, mais non point inintelligente, que la rigueur du climat et la pauvreté du pays ont empêché, d'être civilisée, mais aussi détériorée par l'influence européenne.

Nous pouvons constater les lois musicales, comme nous constatons les lois de la pensée, les lois de la physique ou de la chimie, et nous ne pouvons pas démontrer autrement les lois du beau dans les arts classiques.

Ces comparaisons n'empêchent pas que la musique ne soit un art tout à fait à part, ne relevant point du monde extérieur, comme les arts plastiques, ni d'un langage articulé. On ne saurait apprécier de prime abord, ni la peinture, ni la sculpture, ni une littérature quelconque; c'est encore plus vrai pour la musique. Le plus grand des poètes allemands, Gœthe, nous en offre la preuve. Certes, il avait une grande intelligence, mais jamais ses études ne s'étaient portées sur la musique. Mendelssohn raconte dans ses lettres, quelle peine il eut de donner à Gœthe, au moyen du piano, une idée de ce que pouvait être une symphonie de Beethoven. Gœthe lui-même a fait plusieurs pièces d'opéra; une seule a pu servir: c'est une assez grossière paysannerie qui, spirituellement transformée par Scribe, a fourni le texte du Châlet d'Adolphe Adam. Il faut voir la deuxième partie écrite par Gœthe pour la Flûte enchantée; ce ne sont rien que des puérilités, où l'élément musical n'a point de prise. Gœthe, cependant, était allemand, et il ne lui aurait pas été trop difficile de savoir la vérité. L'opéra de Mozart ne devait d'abord être qu'une féerie, d'après un conte de Wieland, et il commence ainsi; c'est par suite de circonstances politiques qu'il devint un plaidoyer en faveur de la franc-maçonnerie. Mozart sut y distinguer, avec un tact exquis, le côté musical, et quand on sait dans quelles limites étroites il devait se maintenir pour le théâtricule de Schikaneder, on comprendra que la Flûte enchantée est non seulement un chef-d'œuvre, mais un tour de force que Mozart seul pouvait accomplir.

14.Traité de la prononciation des consonnes et des voyelles finales des mots français dans leur rapport avec les consonnes et les voyelles initiales des mots suivants, suivi de la prosodie de la langue française; un volume in-8o, Paris, 1824.
15.Les quatre incarnations du Christ, poëme suivi de soixante-sept nouvelles études rythmiques, un vol. in-12, Bruxelles, 1867.
16.Le travail de M. Thurot paraît être resté inédit; je l'ai vainement cherché dans les mémoires de l'Académie qui ont été publiés. Voir le Temps du 10 septembre, du 11 et du 30 octobre 1872.
17.Dans le mot: considérablement, par exemple, il y a trois syllabes accentuées.