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Kitabı oku: «Amitié amoureuse», sayfa 17

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CLXXIX
Philippe à Denise

11 février.

Que vous étiez touchante et jolie, pauvre mie, ce tantôt… toute courbaturée, toute alanguie, si noblement contusionnée à la lutte du devoir, avec vos beaux yeux cernés… j'aurais voulu pouvoir les baiser.

Vous avez eu un petit rire sceptique quand, à genoux à vos pieds et entourant votre taille de mon bras, j'ai tenu si longuement, si amoureusement votre main dans ma main. Ah! Nisette, chérie d'Hélène, si vous saviez comme j'aime votre droiture, votre martyre! mais ne riez plus ainsi; ce rire m'a fait mal. J'y ai senti un détachement ironique de moi et j'ai si peur d'avoir perdu votre tendresse dans cette rude crise… j'ai si peur de vous perdre, mon amie.

Je viendrai encore demain, n'est-ce pas? J'ai un besoin maladif, plein d'anxiété, de suivre de près cette convalescence…

CLXXX
Denise à Philippe

12 février.

Venez si vous voulez. Ah! c'est un beau dressage en liberté, pas vrai? Vous m'amusez…

Vous dites: «Aimez-moi… là, très bien… pas tant… allons, un peu plus…»

J'ai une vague peur de ressembler à la pauvre grenouille implorant:

«Est-assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?

»Nenni. – M'y voici donc? – Point du tout. – M'y voilà?

»Vous n'en approchez point»…

J'espère n'en pas crever ainsi qu'a fait la chétive pécore… encore n'en suis-je pas bien sûre.

Pour ce qui est de notre amitié, soyez rassuré: je ne sais pas ménager ce que je méprise, mais je ne vous méprise pas, je vous aime presque; je saurai donc rester l'amie que vous vous êtes rêvée.

CLXXXI
Philippe à Denise

19 février.

Mon amie, vous nous inquiétez, Gérald et moi. Nous avons causé comme deux frères hier au soir en vous quittant. Ces syncopes fréquentes, survenues depuis trois jours, nous préoccupent. Nous avons décidé que, pour vous distraire sans fatigue, pour vous tirer de la prostration où vous êtes, il fallait partir pour le Midi.

Ne vous récriez pas; vos deux frères ont combiné ainsi le voyage: nous partons tous pour Cannes, madame de Nimerck, Gérald, tite-Lène, vous et moi – si vous me voulez – pour vous installer et demeurer quinze jours près de vous.

Gérald va vous avertir de ce projet en allant déjeuner ce matin avec vous; mais j'ai voulu qu'avant de l'entendre vous sachiez que votre ami inquiet, torturé, vous supplie à genoux de ne pas dire: non.

CLXXXII
Denise à Philippe

Ce 19.

Faites de moi, tous les deux, ce que vous voudrez; je suis désemparée, lasse de vivre. Je voudrais dormir, dormir longtemps, dormir toujours, seule avec ma chère petite…

Le reste?.. Je ne sais plus et ça m'est égal…

 
Terre, il est des vivants dont la vie est passée,
Tombeaux, vous n'avez pas tout le peuple des morts.
 

CLXXXIII
Denise à Philippe

Les Ravenelles, Cannes. 8 mars.

Cette lettre va vous surprendre. Pourquoi vous écrire, puisque nous passons nos journées ensemble?

J'aurai la force d'écrire; je n'aurais pas celle de vous dire: «Éloignez-vous!»

Quand vous êtes auprès de moi, la douceur de votre présence m'alanguit, me rend lâche; mon ami, quittez-nous, rentrez à Paris, abandonnez-moi à ma solitude, au calme de ma vie entre Hélène et mère.

Attendre l'heure de votre arrivée au chalet, voir votre cher regard se poser sur moi, triste, inquiet; suivre de la fenêtre de ma chambre vos ébats dans le jardin avec tite-Lène, entendre, immobilisée sur ma chaise longue, votre voix mâle se mêler à la voix argentine de la mignonne, c'est encore fondre trop mes sensations aux vôtres; tout cela me met dans l'âme des troubles, des découragements atroces dont pourtant je vis. Ces choses charmantes, tendres, bizarres, cruelles aussi – qui sont notre amitié – font la joie et la douleur de votre amie. Laissez-moi tâcher de reconquérir le calme dans mes habitudes pensives…

Philippe, que ne vous ai-je aimé quand vous m'aimiez! la possession ne m'eût pas permis d'atteindre au délire d'amour où j'ai été, et vous ne seriez pas devenu l'âme de ma vie comme vous l'êtes… La réalité aurait tué l'exaltation du rêve, tandis que mon rêve demeure, en dépit de mes efforts pour l'anéantir.

La vertu ne m'est plus qu'une habitude sans joie, stérile à tout bonheur; la froideur de votre raison a brisé toute chaude émotion dans mon cœur; tout mon être fait silence. Je n'ai plus qu'une aspiration: l'oubli.

Partez, cher. Tant que vous êtes auprès de moi j'oublie mal.

CLXXXIV
Philippe à Denise

Splendid Hôtel, Cannes, 8 mars.

Je trouve votre lettre en revenant de vous conduire tite-Lène; c'est donc pour cela que, lorsque j'ai demandé à monter vous saluer dans votre chambre, le domestique m'a dit: «Madame repose.»

Nous nous hâtions Hélène, miss May et moi, de revenir aux Ravenelles pour vous conter notre belle promenade et vous parer de nos fleurs; nous voulions admirer avec la «chérie» le coucher du soleil… J'étais fier aussi du rose pâle que notre marche dans la montagne avait mis aux joues de «la chérie de la chérie…»

Je suis triste de cette décision, mais elle est sage. Ce va m'être un déchirement de vous quitter encore si malade et si faible. Je me sens malheureux à cette idée; j'ai bien envie de ne pas venir dîner ce soir aux Ravenelles; je vous fais porter ce billet pendant que je passe mon habit: faites dire par le chasseur si vous voulez de moi; sinon, je dîne à l'hôtel.

CLXXXV
Denise à Philippe

Les Ravenelles.

Venez, au contraire; mère ne comprendrait rien à cette abstention et s'en étonnerait.

Vous annoncerez ce soir même votre rappel à Paris, cela sera plausible… et puis, je suis un peu lâche et veux jouir des heures qui me restent à vous voir.

Mon Dieu, comme tite-Lène aussi vous aime!

CLXXXVI
Philippe à Denise

Paris, ce mardi 14 mars.

Je suis arrivé avant-hier matin à Paris; la dépêche d'Hélène m'a fait plaisir; mon dimanche a été supportable, grâce à ce mieux signalé dans votre état.

Cette promesse de ne plus nous écrire, j'ai essayé de la tenir en envoyant des dépêches à madame de Nimerck; mais le laconisme des siennes me désespère; pour me les faire supporter si courtes, il faudrait qu'elles fussent signées de vous. Ce Denise, je l'aime syllabe par syllabe, lettre par lettre, jusque dans sa forme. Ce nom seul me serait un calmant, une détente dans mes inquiétudes.

Donc, je romps le traité – c'est le sort habituel des traités d'être rompus, d'ailleurs. – Je vous écrirai et serai bien heureux si vous voulez, si vous pouvez me répondre; si courtes que soient vos lettres, elles m'apporteront la manne dont j'ai besoin pour vivre calme loin de vous.

Je baise tendrement vos mains, mon amie.

CLXXXVII
Philippe à Denise

15 mars.

Pas de dépêche hier ni aujourd'hui; qu'est-ce que cela veut dire? Je suis inquiet… Ah! je n'aurais pas dû partir.

J'ai beau penser que les apprêts pour la matinée d'enfants chez lady Lewsings sont la cause de ce silence, je ne vis pas.

Madame Trémors, madame d'Aulnet, que je vais voir le plus souvent possible pour avoir des nouvelles, n'ont rien reçu… Je viens de télégraphier longuement à Gérald; qu'est-ce qu'il fiche donc à Cannes qu'il n'écrit pas? Faites répondre à mes lettres par miss May, alors. Il me faut des nouvelles.

Je suis douloureusement tout entier à vous.

CLXXXVIII
Denise à Philippe

Aux Ravenelles, 18 mars.

Gérald n'est plus auprès de nous; il rentre vers Paris en visitant Aigues-Mortes, Arles; il était parti quand est arrivée votre dépêche. Mais quelles que soient vos inquiétudes, quelle que soit votre souffrance, elle n'est rien auprès de la mienne…

O mon ami, passez-vous les nuits à pleurer votre rêve, à regretter la splendeur de votre tendresse méconnue, et à vous dire: je ne saurais plus être heureux?

Je suis toujours faible; mon sang, il me semble, n'alimente que mon cœur et mon cerveau et s'est retiré de ma chair. Je ne peux manger: j'avale avec une répulsion grandissante un peu de lait. Je deviens diaphane, et ces trois lignes écrites pour vous rassurer, dans un grand effort de volonté, m'ont une première fois épuisée jusqu'à l'évanouissement.

Je m'arrête, n'en pouvant plus. Adieu, Philippe.

CLXXXIX
Philippe à Denise

20 mars.

Ma chérie, votre faiblesse m'inquiète; ce mot-là toujours répété dans les télégrammes, m'angoisse.

Pauvre petite! cette lettre qui vous a coûté un évanouissement, mes yeux ne s'en peuvent détacher.

Je vous en prie, ayez la volonté de réagir. Vous guérie, nous pourrons être si heureux! Toute ma tendresse pour vous, tout votre amour, ont cahoté un peu notre amitié; mais elle demeurera plus noble, plus belle, plus douce aussi… Ah! ayez la force de vivre!

Cette amitié représentera un grand effort d'honnêteté de ma part; de la vôtre une droiture sublime, rare à rencontrer. Les joies intimes qu'elle nous a déjà données, c'est un peu de bonheur, croyez-moi.

Adieu, mon amie. Je suis triste. Je ne sais plus si j'ai fait bien ou mal quand je songe à l'état affreux où vous êtes… par pitié, guérissez!

CXC
Denise à Philippe

Les Ravenelles, 23 mars.

C'est peut-être me guérir que de ne plus savoir ce que sont mes regrets ni ce qu'ils regrettent; mes heures se traînent, mes grands désirs sont morts, j'en reste abattue et tremblante.

Mes jours, mes nuits sont singulièrement mélancoliques. Je cherche à suicider mes souvenirs. Ne me trouvez pas faible de ne pas vous cacher ces souffrances: j'ai le cœur plein de larmes.

Mais vous? pourquoi être triste? qu'avez-vous?

CXCI
Philippe à Denise

26 mars.

J'ai votre tristesse, et c'est assez pour que j'y succombe. Je me sens criminel; j'en arrive à trouver ridicules, imbéciles, mes scrupules et notre honnêteté. Je vous aime bien plus que je ne croyais. Quelle force m'a animé et fait lutter contre cet amour?..

Vous êtes née pour aimer; rien ne vous sollicite dans la vie, hors l'amour; il vous a embellie, électrisée; maintenant, il vous tue.

Eh bien, aimons-nous. Je me sens pénétré, à mon insu, d'un tel orgueil d'être celui que vous avez choisi…

Nous avons, ma Denise, de belles heures à vivre, j'attendrai qu'elles sonnent pour vous, j'attendrai que les fleurs de cet amour éclosent encore une fois sous vos pas pour les cueillir. Je promets de vous guérir, ma bien-aimée, dans l'apaisement de mes baisers passionnés. Je viens, n'est-ce pas?

Yours for ever.

CXCII
Denise à Philippe

Les Ravenelles, 29 mars.

Non, non; j'ai trop pensé, j'ai trop pleuré, j'ai trop souffert.

J'ai vécu longtemps avec délices dans l'incohérence de mes sensations; mais tant de secousses ont épuisé mon amour.

J'en arrive à ne plus savoir si je désire ou non que vous vous souveniez d'avoir été, par moi, immensément aimé.

Quels arriérés de tendresse inemployée je vous ai donnés pourtant! c'est une douleur de prendre, ainsi que je le fais, toute chose et tout sentiment à l'extrême… Mais maintenant c'est fini. Le rêve, resté rêve, s'efface lentement sans s'imprégner d'aucun souvenir, d'aucun frisson de réalité l'attachant à ma vie.

Ma fille m'a reprise tout entière. Je ne supporte avec joie ses tendresses qu'à la condition de valoir quelque chose. Ce quelque chose c'est la pureté de mon corps à défaut du calme de mon cœur.

Je ne pourrais, maintenant que j'ai réfléchi, vivre auprès de mon enfant dans le mensonge. Je l'ai senti d'une manière violente, cette nuit lointaine déjà qui m'a brisée et où j'ai tant souffert.

Mon ami j'aime Hélène plus que vous, plus que moi, plus que mon amour.

Ne venez pas. Allez, je guérirai… on ne meurt pas d'amour.

CXCIII
Philippe à Denise

31 mars.

C'est bien. Cette lettre m'a fait peine. Ce n'est pas la pitié qui m'entraîne vers vous, Denise. Votre tendresse ardente m'a pénétré au point que, de toute mon âme je vous désire…

Mais je respecte la sagesse, la pudeur maternelle qui vous font m'écrire ce dernier, ce suprême renoncement.

Et je vous pleure, et je vous aime, et je vous bénis.

CXCIV
Denise à Philippe

Les Ravenelles, 2 avril.

Moi aussi, je vous ai bien aimé; cet instant-là a contenu une éternité de souffrances et de joies…

Je vous offrais toutes les belles illusions gardées dans mon cœur, toute la force de ma jeune vie, les plus pures, les plus nobles aspirations de mon être…

Vous m'avez donné la déception. La force de mon amour était si grande que j'ai pu, sans révolte, sans rancune, sans haine, vous obéir quand vous m'avez ordonné le renoncement. Je vous aimais jusqu'à l'abnégation, jusqu'au sacrifice.

Me voilà armée pour aller désormais l'âme froide et libre. Cette armure est, après tout, un riche présent que vous m'avez fait. Nous sommes quittes: je vous l'ai payée de la souffrance causée par mon misérable amour.

CXCV
Philippe à Denise

4 avril.

Votre ironie m'a fait mal. Je désire ardemment votre retour. J'ai peur de vous perdre. Cette lettre un peu cruelle est si loin de votre cœur! Il me semble qu'il y a des siècles que nous sommes séparés. Quand pourrez-vous revenir? Je ne m'habitue pas à vivre loin de vous.

Je baise vos mains dévotement.

CXCVI
Philippe à Denise

4 avril.

Je vous écris ce deuxième mot du cercle où je viens de dîner avec Gérald; on est venu le chercher tout à l'heure de chez madame de Giraucourt; votre tante a eu une attaque. Gérald a couru chez elle, me chargeant de vous prévenir afin que vous prépariez madame votre mère à cette triste nouvelle.

J'espère que ce mot vous arrivera à temps; je le fais porter par le chasseur, au train rapide de huit heures quinze.

Je suis malheureux à la pensée de l'émoi qu'il va vous causer, vous si faible; c'est au moment même où je voudrais le plus grand calme pour vous, qu'arrive ce cruel accident. Madame de Nimerck aimait-elle tendrement sa sœur?

Ma pauvre Denise, quel chaos que nos vies!

CXCVII
Denise à Philippe

Dépêche. – 6 avril.

Avons reçu télégramme Gérald. Tante très mal, partons; mère désolée; serons Paris demain. Triste nouvelle m'a secouée; suis presque mieux et forte devant ce réel malheur.

LIVRE V

L'amour qui s'éteint tombe rapidement et rarement se ranime.

Quant au courage moral, si supérieur à l'autre, la fermeté d'une femme qui résiste à son amour est seulement la chose la plus admirable qui puisse exister sur la terre. Toutes les autres marques possibles de courage sont des bagatelles auprès d'une chose si fort contre nature et si pénible. Peut-être trouvent-elles des forces dans cette habitude des sacrifices que la pudeur fait contracter… les preuves de ce courage restent toujours secrètes… presque indivulgables.

Le saut de Leucade était une belle image dans l'antiquité. En effet, le remède à l'amour est presque impossible. Il faut le danger qui rappelle fortement l'attention de l'homme au soin de sa propre conservation.

STENDHAL

CXCVIII
Denise à Philippe

Paris, ce dimanche, 30 avril.

J'ai dit «oui», tout à l'heure, quand aux Acacias, au milieu de ces messieurs et de leurs pimpantes caillettes, vous organisiez le déjeuner chez Ledoyen; mais l'ouverture du Salon des Champs-Élysées, demain, se passera de moi. Pourquoi n'ai-je pas dit: «non», tout de suite? Vous savez la théorie? Non se discute, non se combat, et met les amis au désespoir. Oui, au contraire, s'accepte d'emblée, ne suscite aucun conflit, n'éveille pas les tolle obligeants de ceux qui veulent s'amuser et qui, par politesse excessive, prétendent ne le pouvoir sans vous.

Mon grand deuil s'accommoderait mal de cette partie fine, le crêpe n'étant guère de mode en cabinet particulier. Cette sortie mondaine pourrait choquer mère: trois semaines de recueillement sont à peine suffisantes au gré de son cœur pour que je reprenne une vie active. Elle aimait beaucoup sa sœur; c'était une seconde mère pour elle, à cause de leur différence d'âge.

Je ne dois pas oublier non plus, mon cher Philippe, que je dois à la secousse que m'a causée cette mort, d'avoir été tirée de mon propre chagrin. La douleur réelle qui nous frappait a éloigné la douleur imaginaire où volontairement et avec volupté se plongeait, s'engourdissait mon âme.

Perdre un être qu'on aime, m'est apparu la suprême souffrance. J'ai frémi à la pensée de la consomption où je me laissais aller pour un mal que je pouvais combattre, que j'oublierais, que j'avais déjà un peu oublié, en songeant qu'au lieu de ma tante, ma fille, ma mère, auraient pu m'être ainsi violemment arrachées. Voilà le seul, l'unique malheur qui puisse atteindre une vie; les autres ne sont rien.

Pour consoler maman de cette perte cruelle, j'ai repris ma santé. C'est donc en pieux souvenir et hommage à notre pauvre morte, plus encore que par peur de choquer le monde, que je m'abstiendrai demain.

N'allez pas conclure méchamment à un petit lâchage; jamais, mon ami, dans la solitude où me met mon deuil, je n'ai senti mieux le cher de notre amitié.

Je vous aime toujours, mais d'autre sorte; je vous aime avec le besoin de vous rendre heureux, c'est donc avec maternité – malgré vos ans de plus que moi – avec le désintéressement d'une vie sentimentale active: votre bonheur m'est nécessaire pour que j'en aie un. Je vous sens heureux d'être aimé ainsi; donc, malgré quelques vagues et fugitives peines secrètes, je suis heureuse.

Quel auteur a dit: «La douleur est le creuset où l'amour s'épure.»

CXCIX
Philippe à Denise

1er mai.

Mon cher bonheur,

Vous êtes exquise et je vous aime. Je comprends ce scrupule et l'approuve. J'ai bêtement organisé ce déjeuner, je ne sais pourquoi. N'avez-vous pas éprouvé de ces choses? on entraîne les gens dans une partie de plaisir quelconque; on déploie une éloquence vertigineuse à combiner, à vaincre les obstacles, les hésitations de ceux-ci, de ceux-là; puis, quand tout est bien résolu, convenu, le rendez-vous pris, une réaction se fait; on s'appelle imbécile, on se reproche d'avoir mis en branle cette troupe qui va vous accaparer, vous assommer pendant des heures; les amis eux-mêmes sont au regret d'avoir promis; chacun nous envoyons les autres au diable, in-petto… ce qui n'empêche la foule, regardant passer les réunis malgré eux, sortes de forçats du plaisir, de murmurer: «C'est la bande des Luzy et autres, des fêtards!»

Lâchez-moi donc, je l'ai bien mérité; mais puisque je ne vous fais pas de scène, récompensez-moi en me recevant à dîner?

Sauf dépêche contre-ordre trouvée chez moi vers six heures et demie, au moment où je rentrerai passer mon habit, je viendrai.

Your loving friend.

CC
Philippe à Denise

12 mai.

Ma chère amie,

Je ne sais trop ce que mademoiselle de Lespinasse va penser de moi; voilà deux fois que je l'oublie.

Voulez-vous être assez bonne pour me l'apporter ce soir chez les d'Aulnet?

Vers dix heures n'est-ce pas? J'aime vous voir entrer.

Tendrement à vous.

CCI
Denise à Philippe

12 mai.

Votre dépêche m'est arrivée à deux heures; j'ai téléphoné au cercle, vous n'y étiez pas; j'envoie cette lettre chez vous, par un fiacre.

Faites-moi un plaisir, mon ami, venez prendre mademoiselle de Lespinasse avant de vous rendre chez ma belle-sœur. C'est le moins que vous puissiez faire pour la tendre fille après votre oublieux abandon. Encore qu'elle soit aimante et habituée au sacrifice, je crains qu'elle ne vous en veuille de tant de négligence…

Quittons ce ton badin et revenons à nos moutons: J'ai un mal de tête fou – non, sans plaisanter – je vous jure, je n'en puis plus; je n'irai donc pas chez Alice ce soir, – j'y rate mon entrée – gros bête, allez!

Depuis que je vous ai dit mon idée de composition, je suis en gestation; je porte dans mon pauvre petit cerveau une grosse pensée touffue, diffuse… elle me fait très souffrir; je crois qu'elle sort, je veux la noter… frrrr: elle s'enfuit. Ce sera en trois parties… j'accouche, j'accouche… Ah! c'est un mâle!.. Fasse le ciel que c'en soit un.

En attendant, sans la plus petite blague mignonne, c'est un mal et très douloureux.

Il faut que je vous aime comme je vous aime, c'est-à-dire infiniment, pour vous permettre de venir, car tous les grands malaises sont horribles à voir. Mon front éclate, il ne supporte rien qui voile sa nudité… Vous connaissez mon âme, non mon front; je suis tout bonnement affreuse coiffée à la chinoise.

Cela, petite lueur, n'a entre nous aucune importance. J'ai l'intuition que vous aimez l'inachevé dans les sensations; nous en avons exploité beaucoup, nous n'irons jamais plus loin qu'où nous sommes. Donc, faisant abstraction de mon moi humain, de la médiocre, de la mince silhouette que je suis, je puis consentir à vous voir sans bandeaux; cela ne vous empêchera pas de vous écrier: «Je vous aime!» comme vous le faites précisément depuis que vous ne m'aimez plus. Cette gigantomachie (moi tout petit géant, vous dieu) que nous nous jouons m'intéresse, en somme… tout est faux dans notre manière d'être; il n'y a de vrai que ce qui, l'un après l'autre, nous a agités.

Ce tantôt pourtant, je ne sais si c'est ce rayon de soleil se jouant sur mon papier et dans lequel s'agite ma plume, ou le souvenir de trois doux mots dits par vous avant-hier soir, mais j'ai besoin de chanter à votre indifférence la tendresse, plaintive un peu, de mes vagues et éternels: je vous aime.

Ah! que du rien que vous me donnez je sais faire un peu de bonheur, pas vrai?

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ekim 2017
Hacim:
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Metin
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