Kitabı oku: «La Théorie Postcoloniale», sayfa 2
On peut regretter que Nkolo Ndjodo – en dehors d’une note rapide – n’affronte pas frontalement la perspective d’Achille Mbembe qui entend neutraliser d’un point de vue postmoderne Fanon. La pensée de ce dernier est réduite au rang d’un « processus général de cure », d’une « dimension éthique des soins et de la guérison », d’une « éthique du soin », d’une « relation de soin », c’est-à-dire qu’elle est réduite au care, à la réparation, entreprise que poursuivent les travaux webinairisés sous l’annonce « Fanon After Fanon », en vue de retrouver le lien dynamique entre le politique et le clinique. On sait que, dès le Moyen Âge avec les Dominicains, la cura animarum (le soin des âmes) était une mise au pas. Mais cette mise en perspective critique doit en même temps retrouver la vision esthétique, de la culture et de l’art de Fanon, celle qui nait de sa volonté d’extirper les germes de la pourriture laissée par la colonisation, cette maladie à guérir par le processus révolutionnaire.
La thèse critique fondamentale de Nkolo Ndjodo est que « l’imagination culturelle dite « postcoloniale » est la forme de l’inventivité propre aux sociétés néocoloniales de l’époque néolibérale : elle accompagne et légitime au niveau de la conscience esthétique africaine la phase actuelle de l’insertion violente de l’Afrique dans le marché mondial.
De là découlent trois affirmations fondamentales.
1. Le flottement de la culture contemporaine correspond aux formes déterritorialisées et anonymes du capitalisme multinational de la fin du XXe siècle ; il se caractérise par sa volonté de détruire les structures collectives pour ne laisser debout que le calcul égoïste. De ce point de vue, la morale culturelle internationaliste, cosmopolite ou hybride de la théorie postcoloniale est une pernicieuse idéologie de la soumission.
2. Aussi, en deuxième lieu, à travers la notion d’« hybridité », le flottement de la culture africaine contemporaine à travers un nouveau cosmopolitisme ratifie-t-il le caractère débridé et subalterne des régimes d’exploitation capitalistes de la périphérie par le biais d’un art qui consacre l’insertion clandestine, marginale et interstitielle de l’Afrique dans la modernité.
3. Les philosophies et esthétiques de la liberté s’opposent vigoureusement à une « réinsertion frangée » du sous-continent dans le monde moderne. Dès lors, pour celles-ci, la réémergence au monde de l’Afrique passe par le besoin de reformuler les orientations de ses arts et de ses cultures par un grand effort de clarification et d’unification de la conscience autour de l’idée de construire l’Afrique comme un centre autonome de civilisation et de culture.
Voici un livre vigoureux qui veut nous sortir du découragement que l’esthétique et la pensée postcoloniales veulent installer dans nos consciences. Il est servi par un grand souci de clarté et d’intelligibilité. Il sera un précieux outil pour mieux comprendre notre univers mental.
Charles Romain Mbele
Professeur Titulaire
Université de Yaoundé I
Remerciements
Ce livre est une synthèse des recherches conduites depuis une décennie sous la houlette de maîtres bienveillants, les Professeurs Nkolo Foé, C. R. Mbele et L. Ayissi. Je dois mes premiers pas en philosophie à ces maîtres de qui je tiens les bases du raisonnement logique et les principes de la pensée critique. Dans leur effort théorique, ils m’ont mis sur la voie de la problématique esthétique et culturelle postmoderne et postcoloniale. Mes remerciements vont en premier lieu à ces hommes d’exception, penseurs d’envergure, pédagogues compétents et modèles de vie éthique.
Les thèses fondamentales développées dans ce livre ont été exposées sous formes d’intuitions lors de séminaires, d’ateliers d’écriture et de conférences organisés par le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Mes remerciements vont à ces institutions et à quelques personnalités éminentes, notamment les Professeurs J.-B. Ouédraogo, A. Olokushi, B. Mvé Ondo et S. Pathé Guèye de regretté mémoire.
Le livre est le fruit de la collaboration scientifique avec le Dr M. Kuhn, le Dr Y. Okamoto et le Professeur S. Yazawa au sein du World Social Sciences and Humanities Network (WSSH Net). Il s’est nourri des échanges sur les poétiques de la révolte, l’hybridisme et le diasporique avec des amis chers, en particulier J. Des Rosiers, J.-M. Rosier, A. Dickow, G. Désert et B. Malela dans le cadre de l’Association Mélanges Caraïbes (AMC). Je leur témoigne ici toute ma gratitude. Cette reconnaissance va également au College of Teacher Education et à l’Institut d’Etudes Africaines (IAS) de l’Université Normale du Zhejiang (ZJNU) en Chine, en particulier aux Professeurs J. Yujiao de regretté mémoire, W. Xiulan et L. Hongwu.
Je suis redevable au Professeur Idrissou Alioum, Recteur de l’Université de Maroua, au Professeur C. Dili Palaï, Directeur de l’Ecole Normale Supérieure de Maroua et au Professeur Saibou Issa, Doyen de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Maroua, pour leurs encouragements et leurs appuis multiformes.
Enfin, pour leur soutien constant, je remercie mon adorable épouse, Marie Michelle, et mes enfants : Ménélik, Marie-Osiris et Isis-Anaïs. Ils trouveront dans cet essai l’expression de mon amour et mon dévouement.
TABLE DE MATIÈRES
Introduction
Enjeu de culture
Question de methode
Dé-fondations conceptuelles
Vers un monde rééquilibré
1 Mutations esthétiques et culturelles
I. Modernité esthétique et civilisation des mœurs
1. Le rationalisme esthétique classique et l’esprit aristocratique européen
2. L’empirisme esthétique des Lumières et la montée de la bourgeoisie commerçante
3. L’esthétique systématique et l’hégémonie de la bourgeoisie industrielle
II. Le chaos culturel postmoderne
1. La condition postmoderne : saturation culturelle et narrativisation du monde
2. Nihilisme philosophique et crise de la modernité culturelle
3. Primitivisme, néo-traditionalisme et exaltation techno-magique
4. Plateaux postmodernes
5. La logique culturelle du capitalisme tardif
III. Le palimpseste culturel postcolonial
1. Le régime de l’impudeur
2. Nouvelle liberté ?
3. Ni Dieu ni maître
4. Le fumier du diable et le nouvel âge de fer africain
IV. Nouvelles images du monde
1. Passerelles entre l’art et la vie
2. La vie humaine libre et totale
3. La vie belle
V. Faire peau neuve
1. Extirper la pourriture
2. Changer de bord
2 Discours, récit et vérité
I. Délégitimation des sciences humaines et narrativisation du monde
1. L’analytique de la finitude
2. L’impensé de la norme, de la règle et du système
3. Discontinuités historiques et discursives
4. L’insurrection des savoirs assujettis
II. Esthétisation du savoir et mythisation de la pensée dans l’Afrique postcoloniale
1. Le sentir ou le devenir humain de la raison
2. L’enjeu esthétique de l’historicité propre des sociétés africaines
3. Le roman historique entre fiction et souci de la littérature
4. Le savant et le sorcier
5. Puissance du merveilleux et savoir oraculaire
III. L’esthétisation du savoir en contexte postcolonial : une impasse philosophique et culturelle
1. Le ghetto mythologique
2. Vision romantique du savoir et conception aristocratique de la société
3. Légitimation de l’inégalité sociale et moralisation l’exclusion économique
3 Le florilège de l’obscénité
I. Littérature de l’horreur et esthétique du désenchantement
1. Le devoir de violence : historicité tragique et esthétique du désastre
2. Le faux soleil des indépendances africaines
II. Esthétique de la subalternité et créativité de l’abus
1. Art de la traversée et esthétique des marges
2. Imagination politique de l’obscène et esthétique de l’entrelacement
3. Contamination culturelle et marchandisation de l’art africain
III. Révolution et création : postcolonialisme ou néocolonialisme ?
1. Décolonisation révolutionnaire et restructuration culturelle
2. Remettre les choses à leur place
3. Indépendance nationale et dynamisme culturel
4. Sortir de la clandestinité
4 Culture et Libération
I. Création, synthèse culturelle et émancipation chez Césaire
1. Le système colonial et la mise à mort de la culture indigène
2. La thèse du métissage culturel ou la barbarie par l’anarchie culturelle
3. La reprise de l’initiative historique
II. Le discours de l’hybridité dans la pensée postcoloniale africaine : culture afro-monde, indéterminisme historique et identités fractales
1. Itinéraires et trajectoires
2. Culture des marges, créativité de l’interstice et identités traversières
3. Afropolitanisme et concaténation des mondes
4. Conversations cosmopolites
III. Le postcolonialisme : hybritude ou servitude ?
1. Le biologisme culturel postcolonial ou le fatalisme de la servitude du nègre
2. En finir avec l’Apartheid global : l’idée d’une Afrique comme puissance auto-centrée
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
Introduction
Le XXe siècle écoulé a été le théatre de transformations vertigineuses dans les domaines de l’art et de la culture. Deux facteurs principaux sont au fondement de ces bouleversements historiques. D’abord, la révolution informatique, informationnelle et communicationnelle du capitalisme dans la deuxième moitié du siècle a ébranlé les bases de la culture au profit d’une civilisation mondiale des images et du spectacle (Debord, 1967). Ensuite, l’hégémonie du marché dans l’univers des transactions humaines a produit un dispositif de civilisation inédit dans lequel des sphères naguère soustraites à l’échange marchand se sont retrouvées littéralement avalées par le marché. Beauté, savoir, moralité, droit, désir, amour, politique et religion ont subi la loi de la valeur d’échange. Une nouvelle séquence historico-culturelle s’est inaugurée avec pour nom la « postmodernité ».
Ce concept fait référence à l’hostilité de la nouvelle économie numérique et son idéologie managériale à toute institution autre que le marché (Lyotard, 1979). Fort d’un niveau sans précédent atteint dans l’accumulation mondiale du capital (Amin, 1970), le système de production capitaliste a provoqué la fluidification généralisée des référents culturels. Ce qui signifie, en clair, leur conversion en valeur d’échange et en monnaie. De ce processus a découlé un phénomène de liquéfaction extrême des structures affectives, symboliques et imaginatives de l’homme. Ce système de la « modernité liquide » (Bauman, 2006), ou de la « postmodernité » a fortement ébranlé le régime des arts et de la culture de l’Afrique contemporaine. La théorie « postcoloniale » est née du surgissement dans la cartographie cognitive récente du continent de ce que l’on nommerait l’Afrique liquide1.
Enjeu de culture
Durant la décennie 1970-1980, l’art africain réalise son tournant « postcolonialiste2 ». Dans les domaines de la littérature, de la sculpture, de la peinture, du dessin, de la musique, de la danse ou de la cinématographie, la créativité africaine s’illustre par une quête permanente des motifs dégradés, vulgaires et obscènes. L’artiste contemporain africain se signale par sa dénonciation des formes d’expressions culturelles traditionnelles. Décrites par E. Mveng dans son étude sur les masques bamoun et bamiléké de l’Ouest-Cameroun, ces formes culturelles traditionnelles obéissaient au jeu harmonieux du signe, de la ligne et de la signification ; à travers ce jeu étaient traités les thèmes de la vie, de l’amour, de la justice, de la sagesse, de la force, de la richesse, du pouvoir (Mveng 1963 : 35-51). Or, mû par une certaine perversité, l’artiste postcolonial africain leur préfère un bric-à-brac de déchets industriels et de matériaux recyclés : roues de bicyclettes déformées, moteurs de véhicules défectueux, vieilles carrosseries, tuyaux de construction usagés, fers à béton rongés par la rouille, tôles usées et perforées, vêtements sales tombés en lambeaux, etc. L’artiste postcolonial africain privilégie ainsi la laideur et l’indécence, signature du sculpteur contemporain camerounais J.-F. Sumegne (La Nouvelle Liberté).
L’attrait de l’art postcolonial africain pour les montages anarchiques et le bricolage apparaît surtout comme le rejet des grands principes modernistes de l’art européen de l’époque de Diderot, Kant, Schiller, Hegel ou même Baudelaire, d’une part, et de l’art africain de la période des luttes révolutionnaires des années 1950-1960, d’autre part. Qu’il soit européen ou africain, le modernisme se définit avant tout par l’idéologie du progrès, qui signa la vocation universaliste et émancipatrice de l’art, y compris dans les formes supérieures du romantisme de Madame de Staël (1968). En comparaison, le roman pessimiste, grotesque, sale et hédoniste des auteurs postcoloniaux, se démarque du modernisme puissant, de l’optimisme historique et de l’esthétisme profonds des personnages et thèmes d’auteurs africains classiques, à l’instar de Sembene Ousmane, Mongo Beti, G. Oyono Mbia, F. Oyono (Moore, 1963 : 221-233)3. Cette rupture peut s’étendre à d’autres noms de l’écriture noire moderne, ou des écrits modernes sur les Noirs : E. Olaudah, J. E. Capitein, F. Douglass, E. W. Blyden, W.E.B. Du Bois, A. Firmin, R. Wright, A. Césaire, A. Behn ou V. Schœlcher.
Un autre témoignage de ce basculement de l’art contemporain africain dans ce qui est tenu pour son moment « postmoderne » est fourni par l’interventionnisme massif du marché, avec ses industries culturelles, ses lois de la commercialisation, de la consommation et du profit, dans la production artistique (Bidima, 1997 ; Appiah, 2008). En transformant l’objet d’art africain en pure marchandise, et en répondant positivement au projet postmoderniste de l’esthétisation généralisée du réel (Lipovetsky, 1987 ; Lipovetsky et Serroy, 2013), l’artiste contemporain africain opère désormais au sein des réseaux globaux de la finance et de l’échange, dont il devient le héraut. De quelle manière la puissance d’hybridation du « capitalisme postmoderne » (Vakaloulis, 2011) se saisit-elle de l’objet d’art africain en lui imprimant la marque de l’indéterminisme, du non-sens, du bizarre et du nomadisme ? A quel point cette intrusion du marché légitime-t-elle la transformation liquide des imaginaires culturels dans l’Afrique noire contemporaine ? Il s’agit là de questions essentielles.
En Afrique, dans l’espace francophone en particulier, la littérature, l’anthropologie, la science politique, l’esthétique et la philosophie ont densément exploré cette question de l’imagination culturelle en relation avec le « nouvel esprit du capitalisme » (Boltansky et Chiappelo, 1999 ; Nkolo Foé, 2008). Il n’est qu’à citer, pour s’en convaincre, les travaux de J.-F. Bayart, J.-G. Bidima et A. Mbembe. Faisant suite aux œuvres de fiction des romanciers tels que Y. Ouologuem, A. Kourouma ou S. Labou Tansi, cette imposante théorisation s’est illustrée par la production d’un ensemble de concepts-clés : « culture par le bas », « esthétique des marges », « esthétique de la vulgarité », « Afropolitanisme », « contamination culturelle ». Figures tant de la pensée abstraite que de la création, ils ont théorisé le flottement du monde dont les processus disjonctifs d’assemblages et de réassemblages culturels impriment un nouvel imaginaire africain insolite, superficiel, subalterne, mais non moins connecté au monde globalisé – un imaginaire de la circulation des mondes, de l’Afrique-monde, diront A. Mbembe, F. Sarr et bien d’autres. Au cœur de la condition postcoloniale africaine se trouve donc la problématique des formes, des niveaux d’autonomie individuelle et collective autorisées par cet imaginaire décalé et brinquebalant qui travaille par enroulement sur soi, enchevêtrement des signes et des figures, concaténation des univers et des territoires, empilement et superposition des identités itinérantes, car foncièrement inachevées – des identités en devenir.
Au demeurant, si la liberté doit être posée comme l’option fondamentale pour le monde noir4, quelles figures et quelles modalités déterminées de la conscience africaine surgissent-elles de ce moment chaotique de l’art régi par l’immonde, le déchet, le marginal, l’instable ? Quels types d’institutions sociales, de structures morales et idéologiques se reflètent dans cette créativité débridée, scatologique et animée par l’instinct de fuite ? En d’autres termes, l’internationalisme culturel promu par la globalisation marchande ne signe-t-il pas la défaite des peuples et la soumission des nations – ceux du Tiers-monde en particulier ? En fin de compte, nous nous préoccupons du pouvoir de l’art africain contemporain à produire un imaginaire africain de l’être à soi et pour soi libre, déterminé et puissant.
L’intention est donc de suivre les contours culturels de ce monde-africain-à-venir décentré et en pointillés. La prétention est de débusquer le sens philosophique de l’Afrique liquide et d’examiner la pertinence de son utopie culturelle structurante – le voyage, le passage, la traversée, l’itinérance. Cette démarche se justifie au regard de l’existence d’autres imaginations africaines de soi portées en revanche par des politiques culturelles de l’enracinement, de l’auto-centrement et de la conscience de soi, politiques culturelles non exclusives de l’Autre et pleinement engagées dans le procès de production de l’Universel. Le terme de ce procès dialectique est une synthèse spécifique. A. Césaire, reprenant le mot de Hegel, la nommait le Singulier. La présente contribution se veut une pensée critique sur la manière dont l’Afrique-qui-vient élabore une sensibilité d’elle-même suspendue à des symboles, des effigies, des figures, des images, des sons, des émotions. Ces signes lui parlent de soi ; ils lui parlent éventuellement du monde. Cette sensibilité propre à « l’Afrique-monde » marronne nécessairement au-delà de l’art pour embrasser l’espace entier de l’invention culturelle : société, histoire, politique, économie, idéologie, science, etc. L’Afrique culturelle prise dans sa globalité est l’objet du propos.
Question de methode
Deux approches guident notre pensée de l’Afrique culturelle postcoloniale : une approche empirique et une approche théorique.
L’approche empirique permet de présenter et décrire quelques œuvres représentatives de l’art postcolonial africain. Elle explore ses techniques (le bricolage), ses matériaux (le brut), ses thèmes (le grotesque), ses catégories créatives (le laid, le bizarre), ses figures (les personnages obscènes et les objets honnis), sa symbolique (le désastre), son utopie (le mercantilisme). D’une certaine manière, les musiques et les danses urbaines africaines attestent de ce « trouble » (Butler, 2005) dans l’art contemporain africain, qui tient les expressions culturelles à distance de tout idéalisme et de toute construction rationnelle. C’est le cas dans la musique avec le Ndombolo en RDC, ou de l’Azonto au Ghana. La même césure apparaît dans certaines formes de l’Afro-zik au Nigéria, dans certaines dérivations du Coupé décalé en Afrique de l’Ouest en général, dans les récentes impulsions données au hip-hop camerounais par de jeunes nihilistes à la misogynie affichée (Francko, Maahlox) ; la chanson populaire avec l’artiste Petit Pays par exemple n’échappe pas à cette reconfiguration du domaine de la création en faveur des motifs dérisoires (Mono Ndjana, 1999)5. Cette créativité musicale, pour l’essentiel sans profondeur thématique ou esthétique, réclame le déchainement des instincts sauvages et des pulsions primitives. Elle tourne le dos aux grandes compositions, à l’instar de la Rumba avec ses multiples influences afro-cubaines et ses relents subversifs. Elle rame à contre-courant de la Soul Makossa de Manu Dibango, de l’Afro bit politiquement engagé de Fela Kuti, du chant de résistance de Myriam Makeba, du reggae de Jimmy Cliff, Tiken Jah Fa Koly, ou même du nouvel afro jazz d’un Richard Bona. De même, elle joue à rebours des chants populaires de libération entonnés par les paysans dans les maquis du Sud-Cameroun.
Des productions de la sculpture comme Afrique qui est-tu ?, Le cousin du Sultan, La beauté sans âge, La barbe pharaonique, Pharaon, Mon Champion, La danseuse de bikutsi (J.-F. Sumegne), sont d’un intérêt certain ; leur éclectisme sans lien organique les distinguent du modernisme triomphant du monument de La Renaissance qui surplombe Dakar, ou des colosses sortis des mains du sénégalais Ousmane Sow. Dominantes parmi les jeunes urbains africains, les nouvelles modes vestimentaires requièrent une observation minutieuse dans leur traitement léger du tissu et leur art du collage, du déchiré, du délavé (la mode destroy), loin de l’extrême raffinement teinté d’utopisme des « Sapeurs » congolais des années 1970-19806. D’autres domaines de la création africaine contemporaine comme la littérature, la caricature, l’humour, l’architecture urbaine, le cinéma, la photographie, et même l’artisanat (Guèye, 2011 : 23-43), méritent une attention appropriée. Les comparer soit à des formes culturelles plus classiques de l’Afrique moderne, soit à des expressions stylistiques de l’Afrique traditionnelle peut s’avérer d’un apport précieux pour le traitement de la question de la créativité dans l’Afrique liquide. Il s’agit des contes, mythes, fables, cosmogonies, jeux d’initiation de l’Afrique ancienne (Philombe, 1994)7.
L’approche théorique mobilise un ensemble de courants, de doctrines, de méthodologies et de concepts forgés dans les champs de la philosophie, des sciences humaines et sociales, et des sciences esthétiques. Ce matériau abstrait et spéculatif autorise une pensée de l’objet d’art africain dans sa relation complexe et dialectique avec le phénomène historique que constitue l’étape actuelle de concentration flexible du capital au sein du marché mondial (Reich, 1993). En plus d’être une force matérielle, la globalisation est un Zeitgeist (esprit du temps). L’embrasser dans la complexité de son expérience devient indispensable si l’on veut comprendre adéquatement l’imagination culturelle et esthétique exprimée par les arts et les institutions sociales de l’Afrique noire contemporaine.
En définitive, notre méthode est génétique. Elle fait dialectiquement jouer l’intérieur et l’extérieur : l’intériorité de l’art et de l’imagination en Afrique, d’une part ; l’extériorité de l’infrastructure historique et matérielle qui (sup)porte cette créativité foisonnante, d’autre part. Défendue par L. Goldmann (1962) et complétée par la critique de H. Lefebvre (1975), la méthode du structuralisme génétique met l’accent sur la nature globale des phénomènes, qu’ils soient naturels ou culturels ; elle reconnaît leurs régularités internes, les interrelations et interactions qui unissent les parties entre elles, mais également les parties avec le tout. En revanche, à l’inverse du structuralisme statique de Cl. Lévi-Strauss, ou de M. Foucault, le structuralisme génétique n’admet pas les systèmes clos, une telle hypothèse ramenant très souvent les processus évolutifs qualitatifs à des opérations de la pure structure, ou de la pure conscience, appréhendées sous l’angle réductionniste de l’histoire des mentalités (Foucault, 1966).
Le génétisme réintroduit le mouvement historique réel à l’intérieur des structures. Ce qui permet de suivre la dynamique globale qui les anime et guide leurs transformations depuis leur genèse. La structure formée par l’objet d’art de l’Afrique contemporaine obéit certes aux lois pures de l’esthétique ; mais elle répond plus fondamentalement aux puissantes forces à l’œuvre dans l’histoire mondiale – les forces du capital en l’occurrence. L’œuvre d’art africain agit parfois comme une ratification des nouvelles conditions sociales et économiques posées à l’intégration de l’Afrique dans l’économie mondialisée. La signification de l’imagination culturelle dans l’Afrique postcoloniale se dégage de cette articulation de l’intérieur et de l’extérieur, de l’esthétique et de l’historique, du beau et de la vie.