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Kitabı oku: «Les français au pôle Nord», sayfa 13

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II

L'équipage français furieux de tirer les marrons du feu. – Sans-gêne allemand. – Ruse de guerre. – Pris au piège. – Abaissement de la température. – Pronostics fâcheux d'un hiver précoce. – Engelures. – Remède primitif et infaillible. – Expédition de chasse. – Meute sauvage. – Massacre. – Les bœufs musqués. – Moutons géants. – La curée chaude. – Abondance de vivres frais. – Heureux retour.

Le capitaine de la Gallia et son état-major admirent l'équipage dont la constance est magnifique. En vain chaque heure, chaque jour, chaque semaine – car le temps fuit avec rapidité – amènent leur contingent de fatigues; en vain les difficultés croissent à chaque instant, pour amener un résultat plus que médiocre; jamais une plainte, jamais un mot de découragement, jamais un geste de lassitude. Chacun paie de sa personne suivant son tempérament et son caractère, mais avec une égale vaillance. Les uns avec une gaieté communicative dont la source est intarissable, les autres avec une sorte d'élan rageur ou avec une ténacité froide, acharnée.

Le quart fini, lorsque les matelots de la bordée montante viennent remplacer ceux pour qui a sonné l'heure du repos, ces braves gens quittent à regret le chantier en criant: «Déjà!..»

Et pourtant, jamais labeur ne fut plus inusité pour des matelots, et en même temps plus ingrat ni plus excessif. Lutte sans merci contre les fragments rigides, contact incessant avec cette glace maudite en quelque sorte devenue un élément nouveau, barbotage dans la neige à demi fondue, chutes continuelles sur les surfaces glissantes, halage de blocs énormes à travers les sinuosités du chenal, rien ne manque à la série qui, pour être complète, exigerait une interminable description.

Tout cela pour une idée peu ou pas comprise; pour arriver à s'élever de quelques centaines de mètres vers le Nord, pour se rapprocher de ce point géographique perdu sur une mer gelée!

Mais, voilà! on s'est librement engagé à suivre le capitaine en quelque lieu qu'il lui plaira d'aller, et on le suit de confiance, par sympathie pour lui, par respect pour la promesse jurée, par amour pour ce pavillon qui ne descend jamais de la corne.

Car, on l'aime vraiment ce superbe officier, qui, tout gentilhomme qu'il est, ne craint pas, à l'occasion, de haler sur l'haussière, de raidir les jambes et de courber l'épaule quand la glace résiste. Et ce bon docteur, et ce brave second, et ce gentil garçon de lieutenant! Tous vont de l'avant et bûchent comme de simples matelots!

Mais, quel puissant encouragement, quand on voit l'état-major ainsi prêcher par l'exemple!

Et puis, il y a là les «Prussiens» qui poursuivent le même but.

Non seulement des étrangers, mais des «Prussiens». Vous comprenez!..

En conséquence, que ce soit pour aller au pôle ou au diable, ils n'arriveront pas les premiers!

Quant à cela, jamais! Cette rivalité avec l'ennemi séculaire met doublement en jeu l'honneur national.

Aussi, quelle explosion de colère, quand on les vit, avec leur habituel sans-gêne, venir un beau matin embouquer le canal pratiqué au prix de pareils efforts!

N'eût été le proverbial respect des matelots pour la discipline, cette audacieuse prise de possession amenait un conflit.

«Tonnerre! jure Plume-au-Vent exaspéré, on appelle ça tirer les marrons du feu!..

«Dans l'espèce, les marrons sont des glaçons, mais pétard de Brest! ça n'en est pas moins rasant.

– Pécaïré! rugit Dumas, que le capitaine dise un mot, et je les échenille à coups de carabine!..

– Caraï! grondent les Basques, à l'abordage!..

– L'abordage!.. eh ben! j'en sis, mè, opinent les Normands.

– Malard'oué!.. sabordons le cachalot, vocifèrent les Bretons.

– Allons, tais ton bec, les hommes, dit froidement Guénic.

«Fusillez rien!.. abordez rien!.. t'entends!..

– Voyons, maître, c'est-y pas bisquant, de voir des choses pareilles…

– Même à travers des lunettes vertes!

– Tais ton bec encore une fois, car je veux que ce bout de bitord me serve de cravate, si le capitaine n'a pas son idée.

– Ah! dame!.. si le capitaine a son idée, c'est autre chose.»

Cette affirmation, d'une autorité aussi compétente que celle du digne Breton, calma, comme par enchantement, les susceptibilités de l'équipage.

On était alors au 12 août, et le chenal, après des alternatives de réussite et d'insuccès, atteignait environ seize cents mètres. A mesure que le soleil s'abaissait à l'horizon, le froid avait bien un peu repris, mais pas de façon à encombrer cette voie si intrépidement ouverte.

En conséquence, la Germania quitta son ancrage et put, en moins de deux jours, s'approcher jusqu'à cinq cent cinquante mètres à peine de sa rivale.

Certes, si le procédé n'est pas rigoureusement d'accord avec les convenances, il est singulièrement expéditif et avantageux.

D'autant plus que la nuit suivante, une brise assez forte ayant soufflé du Sud-Ouest, la partie méridionale du pack se resserra au point de combler entièrement le chenal!

Vingt-quatre heures plus tard, l'accès en était fermé à la Germania sans doute pour tout l'hiver!

Comme herr capitaine Walther dut bénir son étoile, et se moquer intérieurement du Français qui usait ainsi son charbon et courbaturait ses hommes pour lui ouvrir un passage!

Car le chenal fermé à sa partie méridionale, par la pression latérale des glaces, n'en restait pas moins libre au milieu, et herr capitaine Walther, bénissant de plus en plus son étoile, se promettait bien de suivre pas à pas le Français, au fur et à mesure que celui-ci continuerait sa tâche.

Mais, ce jour-là, c'est-à-dire quand la marche en arrière fut absolument interdite à la Germania, le capitaine d'Ambrieux, travaillé sans doute par son idée, modifia tout à coup sa façon de procéder.

Soit qu'il craignît d'épuiser sa provision de dynamite, soit pour tout autre motif entrevu par Guénic, il défendit de broyer avec la mine les bancs découpés à la scie.

Puis, il fit pratiquer, dans la rive droite du canal, un dock provisoire, dans lequel se rangea la Gallia, pour laisser passer le premier bloc, halé comme les autres par une partie des hommes.

Ce bloc, taillé un peu plus large que les précédents, et en forme de coin, vint boucher hermétiquement le canal, en raison de son évidement en biseau, de façon à interrompre toute communication.

Retenus par un reste de pudeur et bien loin de soupçonner cette manœuvre originale, les Allemands n'osèrent, ou ne voulurent pas aller jusqu'au chantier français s'enquérir pourquoi on avait renoncé à la mine.

Ils attendirent douze heures.

Pendant ce temps, le capitaine d'Ambrieux et ses hommes firent tant et si bien, que huit blocs entiers, mesurant chacun environ quinze mètres, vinrent se buter au «bouchon».

Près de cent trente mètres de glace, épaisse de douze à quinze pieds, surajoutés un à un au premier, puis soudés pendant la nuit par la gelée, interceptèrent dorénavant la route entre les deux navires, à tel point que si herr capitaine Walther n'est pas muni d'engins aussi puissants que ceux de son rival, il est bel et bien prisonnier dans la banquise!

Pour être un bon tour, c'est un bon tour; et le plus subtil casuiste n'y pourrait, en aucune façon, trouver à redire, car, enfin, chacun est libre de travailler comme bon lui semble, et tant pis pour les intrus qui se trouvent pris au piège dressé par leur sans-gêne.

Aussi, quels lazzis, sur la Gallia, pendant que là-bas, sur la Germania, on épuise l'opulente série des jurons d'outre-Rhin!

«Pincées! mon vieux Fritz, pincées, les têtes carrées! hurle Plume-au-Vent qui exécute un cavalier seul épique.

– Oh! les coquins, gronde l'Alsacien, qu'ils y restent donc jusqu'au jugement dernier!

– Pour une fois, Parisien, interrompt Nick, c'est là une pièce bien mise, sais-tu?

– Diable et ta pièce! Plus de six mille mètres cubes de glace!

– M'a Doué!.. dit en riant Le Guern, y z'en ont pour jusqu'à la fin de l'hiver, ou je ne m'y connais plus.

– Morale de l'histoire: fallait pas qu'y y'aillent.

– Au moins, à présent, on va pouvoir turbiner à son aise, en bons Français, et non pas pour le roi de Prusse.

– D'autant plus que les jours raccourcissent et que le temps passe.

– J'te crois!

«Le nommé soleil n'est plus si flambard… le v'là rose pâle comme une guigne pas mûre.

– Et y s'couche, comme pour nous jouer pièce!

– Et puis les nuits allongent… y gèle!..

– Sûr qu'à présent l'air est fraîche!..

– Si on n'allait pas avoir le temps de finir le canal!

– Faudra voir.

– Bah! Fini ou pas, les autres sont toujours pincés.»

Depuis près d'un mois que cet ingrat travail de percement est commencé, les conditions climatériques se sont modifiées avec une rapidité pour ainsi dire foudroyante.

Les nuits, qui d'abord n'étaient qu'un simple crépuscule, s'allongent et l'orbite du soleil s'abaisse visiblement chaque jour sur l'horizon.

Ce n'est déjà plus qu'un astre rougeâtre, clignotant, au disque prodigieusement élargi, qui semble s'élever à regret sur les terres de désolation.

Dans un mois, il n'y aura plus que douze heures de jour, y compris les crépuscules fort longs du matin et du soir, et quand, au 23 septembre, c'est-à-dire dans cinq semaines, le soleil aura dépassé l'équinoxe d'automne, le terrible hiver fera sentir ses douloureuses morsures.

Car, il n'y a pas, là-bas, ces transitions automnales si douces, sous notre zone tempérée.

Le passage du jour sans fin à l'interminable nuit est brutal, violent, sinistre.

La terre, à peine échauffée, se refroidit si vite, que d'épais brouillards flottent lourdement sur la banquise, tant que le soleil n'est pas monté à une certaine hauteur. Parfois il neige, et il gèle chaque nuit.

Tout cela depuis une dizaine de jours seulement, alors que la période de beau temps devrait durer près de trois semaines.

Bref, tout annonce un hiver précoce!

Une semaine se passe encore, et il devient impossible aux hommes de la Gallia de fournir une égale somme de travail.

Le capitaine, voulant lutter quand même contre les éléments, contre la malchance, contre l'impossible, a fait monter deux lames de scie. Elles fonctionnent d'une façon à peu près satisfaisante, même pendant la nuit, grâce au fanal électrique remplaçant le soleil.

Mais les matelots, en dépit de leur indomptable énergie, commencent à être épuisés. Leurs mains et leurs pieds sont criblés d'engelures. Le docteur craint de les voir s'envenimer. Il a dû ordonner pour quelques-uns le repos absolu.

C'est que si le petit œdème phlegmoneux, connu sous le nom d'engelure, est ici un simple bobo, il n'en est pas de même là-bas, où il atteint des proportions énormes, et produit d'horribles plaies demeurant longtemps incurables.

Cinq hommes sont déjà réduits à l'inaction.

Le pauvre Constant Guignard, qui semble collectionner les avaries, est le plus maltraité de tous.

Un de ses pieds, devenu comme celui d'un éléphantiasique, n'a plus aucune forme. C'est une masse de chair tuméfiée, violette, couverte de nodosités et d'ampoules d'où suinte une sérosité jaunâtre.

Le docteur possède heureusement une panacée souveraine dont la matière première n'est pas près de faire défaut. C'est la glace pilée, appliquée en compresses loco dolenti, et sans cesse renouvelée jusqu'à résolution de l'œdème.

Remède simple, peu coûteux, d'emploi facile, et dont la préparation n'exige pas des connaissances pharmaceutiques très étendues.

Dans huit jours, les éclopés seront guéris.

Huit jours, soit! C'est court pour des malades, et bien long pour des gens pressés.

Mais il n'y a pas à s'insurger contre une formelle nécessité. Le capitaine le comprend tout le premier. Sous peine de compromettre gravement, à l'entrée de l'hiver, la santé de son équipage, il sent qu'il faut enrayer.

Et pourtant, il n'y a plus guère qu'un kilomètre de banquise à couper, pour que la Gallia flotte sur les eaux libres!

D'Ambrieux n'a plus qu'un espoir. C'est qu'il se produira dans l'état de l'atmosphère une de ces détentes assez fréquentes à la fin de l'été. Peut-être alors pourra-t-on recommencer la section des glaces.

Peut-être! Sinon la Gallia restera, elle aussi, prisonnière jusqu'à la débâcle.

Ayant pris bravement son parti de ce contretemps, le capitaine pensa qu'il serait utile de distraire les hommes valides par un service modéré. Depuis longtemps les chiens sont inactifs, et les vivres frais font défaut. Si l'on faisait une petite excursion en traîneau? Une excursion dont la chasse pourrait être le prétexte.

Le docteur trouve excellente l'idée qui sera profitable aux gens, aux bêtes, au garde-manger.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Pour la seconde fois, les traîneaux sont approvisionnés et attelés. Le docteur, le lieutenant, Dumas, le Parisien, les deux Basques, l'armurier, le deuxième mécanicien et le Groenlandais sont de l'expédition. Le capitaine, le second, le maître d'équipage, le maître mécanicien restent avec les éclopés.

Le temps, bien que brumeux, n'est pas défavorable.

Surtout pas d'imprudence! Une dernière poignée de main, et bonne chance!

On part, on est parti!

La petite troupe se dirige, par le plus court, vers la partie méridionale des terres entrevues par Lockwood. Il suffit d'une journée pour les atteindre, si toutefois le traînage n'est pas trop difficile.

Allons, tout va bien! Les chiens ont du salpêtre dans les veines. Ils galopent comme des fous, et font voler les traîneaux sur lesquels, pour cette fois, les hommes se sont installés, car on emporte seulement des vivres pour quatre jours.

Grâce à cette vitesse désordonnée, on fut en vue des côtes bien avant le coucher du soleil, de façon à choisir sans peine, au milieu des roches, une cavité bien abritée pour passer la nuit.

Le lendemain, dès l'aube, les traîneaux escaladèrent, non sans difficultés, des pentes assez abruptes, mais heureusement recouvertes d'une couche de neige nouvelle suffisamment épaisse.

On atteignit de la sorte un vaste plateau élevé de cent vingt à cent trente mètres, garanti des vents du Nord par une série de montagnes qui se dressent à perte de vue dans le lointain.

Cette disposition permet à quelques représentants du règne végétal de croître, par quel prodige! au milieu d'anfractuosités, où la terre se compose de poussières à peine agglomérées. Non seulement des mousses, des lichens, noirs et jaunes, tapissent les roches du côté du Midi, mais encore on voit surgir des pavots, des saxifrages, des renoncules, qui jettent çà et là quelques points d'or et de pourpre sur la blancheur immaculée de l'interminable tapis.

Bien plus, des forêts véritables de bouleaux nains, au tronc gros comme une allumette mélangés d'airelles, et de saules à peine aussi élevés que des tuyaux de pipes, s'étalent en épaisses futaies jusqu'aux montagnes.

Pendant que le docteur, charmé de la trouvaille, examine avec la jubilation d'un savant féru de botanique le parterre boréal, le guide esquimau se met prosaïquement à quatre pattes, écarte la neige avec ses mains, colle son nez sur le sol, et fait entendre ces brusques aspirations familières aux limiers.

Très curieux de sa nature, Plume-au-Vent s'approche, regarde, fait un geste comique de dégoût, et s'écrie:

«En v'là une drôle d'idée, par exemple.

– Quoi donque? interroge Dumas qui regarde à son tour.

«Oh! le sale!..

«Tien!.. mais… ça empoisonne le musc, continue le Provençal qui, en sa qualité de cuisinier, abhorre la parfumerie.

– Le musc! interrompt le docteur en s'arrachant à la contemplation de la flore arctique.

«Alors, le gibier n'est pas loin!

– Té vé!.. monsieur le dôtur, lequel s'il vous plaît, de gibier?

– Mais, celui dont les laissées, comme on dit en vénerie, exhalent cette odeur.

«Un gibier de taille et de choix, mon camarade!

– Aussi, voyez avec quelle jubilation maître Oûgiouk se pourlèche les babines et se frotte la panse.»

Les chiens, qui ont également perçu les émanations, dressent la tête, pointent les oreilles et font entendre un brusque aboi, auquel répond un hurlement lointain.

«Eh! pécaïré!.. on çasse aussi, là-bas… on dirait les cris d'une meute!»

Les hurlements, couverts parfois de mugissements étouffés, se rapprochent. Puis, on perçoit une sorte de roulement qui rappelle celui d'un peloton de cavalerie.

«Attention! commande le docteur en armant sa carabine.

«Lieutenant, ouvrez l'œil… Dumas, mon garçon, il vous faut faire coup double.

«Visez au défaut de l'épaule.»

D'abord très excités, les chiens, soudain pris de peur, baissent la queue, serrent les oreilles, se collent les uns contre les autres, se font petits et tremblent de tous leurs membres.

Soudain, on voit accourir du fond du plateau un groupe compact d'animaux de nuance bise, et galopant avec une vélocité prodigieuse.

Derrière, un autre groupe de quadrupèdes beaucoup plus petits, mais infiniment plus nombreux, de couleur gris clair, et bondissant comme des lévriers, en hurlant à pleine gorge.

La première troupe passe à peine à vingt mètres des chasseurs accroupis, le genou en terre, l'arme à l'épaule.

«Feu!» commande le docteur.

Une dizaine de détonations éclatent, puis une seconde salve qui jette un désordre inouï au milieu du peloton.

«Bravo! s'écrie le lieutenant qui voit à travers la fumée une demi-douzaine au moins des animaux culbuter sur la neige.

– Mais, il y a des blessés! crie une voix.

«Deux!.. trois… quatre…»

Un moment interdits par cette pétarade, les bêtes de meute regardent les hommes et leurs chiens, puis s'élancent vers les blessés qu'elles dévorent tout vifs, avec une incroyable furie d'affamés.

«Eh! pardieu! continue le lieutenant, ce sont des loups!

«Des loups chassant à courre… des…

– Des bœufs musqués, mon cher! interrompt le docteur.

– Des bœufs musqués! mais ils sont énormes.

«Ma parole, ils atteignent les dimensions d'une vache d'Europe.»

Les chasseurs s'approchent de leurs victimes et demeurent stupéfaits. Trompés plusieurs fois par le phénomène de réfraction qui leur faisait voir les objets beaucoup plus grands que leur taille naturelle, ils s'étaient crus le jouet d'une illusion analogue, au moment où ils déchargeaient leurs armes.

Mais la réalité ne leur laisse aucun doute sur l'opulence de leur capture, véritable trésor pour des gens depuis si longtemps condamnés à l'usage exclusif des conserves ou des salaisons.

Chaque sujet pèse approximativement cinq cents kilogrammes, et il y en a sept qui se tordent en proie aux dernières convulsions, sur la neige rougie de leur sang!

«Et c'est là, monsieur le dôtur, ce qu'on appelle bœufs musqués, sans doute pour la chose de l'ôdeur qu'il parfumait les substances que le guide il mettait son nez dessus.

– Parfaitement vrai, mon brave!

– Eh! tron de l'air, qu'est-ce qu'il fait là, lui, ce cannibale d'Esquimau?

Pendant que les chasseurs admirent et conversent, Oûgiouk s'est avancé vers un bœuf, lui a enfoncé son couteau dans le cou, puis a collé à la plaie ses lèvres qui aspirent, avec une sensualité gloutonne, le sang tout chaud de l'animal.

«Fichue cuisine! murmure le lieutenant.

– Bah! conclut le docteur, affaire de climat et d'habitude.

– Mais, dites donc, docteur, voyez comme ces coquins de loups qui nous ont rabattu ce beau gibier sont audacieux!

«Ils dévorent nos blessés à cent et deux cents mètres à peine.

«Si nous leur donnions la chasse!

– A quoi bon! Ne faut-il pas que tout le monde vive!

– Mais nos chiens!

– Nos chiens auront de quoi faire ici, avec les entrailles et les bas morceaux, une curée qui les rassasiera pour trois jours.

«Puisque, d'autre part, la chance, nous a si bien favorisés, il est, je crois, utile de travailler ce tas de viande et le mettre en état d'être transporté au navire.

– Vous avez pleinement raison, docteur.

«Sacrebleu! quelle aubaine! et quel régal monstre pour nos amis, là-bas!

– Sans compter le rôti que va nous accommoder, séance tenante, maître Dumas.

– Si vous voulez, monsieur le dôtur, je pourrai préparer un zoli plat de foie sauté pour tout le monde.

«Le foie, sauté, à défaut d'huile, dans cette belle graisse blance, il sera divin!

– Comme vous voudrez, mon brave.

«Je connais et j'apprécie vos mérites, suivez votre inspiration.»

De tous côtés, les matelots, devenus bouchers, travaillent la viande, selon l'expression du docteur.

Les bœufs sont ouverts, puis vidés, à la grande joie des chiens qui font ripaille, et du Groenlandais qui s'empiffre, à éclater, de viscères tout chauds.

Pendant ce temps, le docteur et le lieutenant causent à bâtons rompus, et naturellement les bœufs musqués font les frais de l'entretien.

«Je n'aurais jamais cru que des animaux de telle taille pussent vivre sous un pareil climat, où l'existence paraît, de prime abord, impossible.

– Vous oubliez, mon ami, qu'il y a ici des végétaux en quantité.

«Ils sont microscopiques, j'en conviens, mais ils surabondent.

«Aussi, un bœuf n'est-il pas embarrassé pour déjeuner d'une futaie, et souper d'un taillis.

– Et pendant l'hiver?

– Ils écartent la neige avec leurs pieds et broutent les mousses et les lichens.

– Ils peuvent supporter les terribles froids polaires?

– Comme les ours, les lièvres, les renards et les loups.

«Voyez cette fourrure plus épaisse, plus longue et plus fine encore que celle des bisons d'Amérique.

«Un pareil vêtement n'est-il pas capable de les défendre contre un froid de −40 degrés?

– C'est possible et cela doit être, puisqu'on en trouve jusqu'ici.

– Et même plus loin vers le pôle.

«Bien plus: les grands froids arctiques semblent à ce point favorables à leur reproduction, qu'ils se multiplient avec plus d'abondance au delà du soixante-dix-huitième degré!

– Ils doivent avoir pourtant des ennemis.

– A part les hommes, je ne vois guère que les loups.

– Les hommes! il y en a qui vivent dans cette région?

– Quelques nomades… au moins pendant l'été.

– Quant aux loups, je m'étonne qu'ils osent poursuivre et sans doute forcer des animaux aussi agiles, aussi vigoureux qui, s'ils voulaient bien, écraseraient comme des mouches ces pirates hyperboréens.

– C'est que le bœuf musqué, malgré son aspect rébarbatif et sa figure farouche, est le plus inoffensif des quadrupèdes.

«Du reste, son nom scientifique, admirablement trouvé, le dépeint on ne peut mieux: ovibos moschatus.

«Ovibos: un mouton-bœuf!

– C'est juste; quoique l'épithète de moschatus, musqué, me semble un peu exagérée.

– Vous vous apercevrez du contraire en le mangeant.

«Le guide esquimau ne s'y est pas trompé, lui.

– L'odeur, en tout cas, ne me paraît pas, à beaucoup près, aussi prononcée que chez certains crocodiles.

– Mais elle n'en est pas moins fort sensible et parfois très désagréable, au printemps surtout, et chez les vieux mâles.

«J'en reviens à la structure un peu paradoxale.

«Doit-on le comprendre dans cette espèce de moutons à longs poils, à queue très courte, et de la grosseur d'un cheval, que l'on rencontre au Nord du Mexique, sur les confins de l'Etat d'Arizona?

«Je le croirais volontiers, car, malgré sa grosseur, il est plutôt mouton que bœuf.

«Voyez, il n'a point, à proprement parler, de mufle, ou museau nu, puisque ses naseaux sont couverts de poils jaunâtres, ainsi que les lèvres et le menton. Il n'a pas de fanon sous la gorge, il n'a que deux mamelles, sa queue est imperceptible et ses pieds sont asymétriques, puisque ceux de devant sont arrondis et ceux de derrière pointus.

«Donc, il n'a aucun des caractères essentiels des bovidés; car son squelette lui-même diffère essentiellement de celui du bœuf.»

… Les bouchers amateurs avaient lestement accompli leur tâche pendant cette digression zoologique.

Les ovibos, décapités, puis vidés, étaient arrivés déjà sur les traîneaux, en prévision du départ qui devait s'effectuer le lendemain matin.

Les chiens repus, gonflés comme des outres, digéraient, allongés au milieu d'une épaisse litière de saules nains, en compagnie d'Oûgiouk, gavé à ne plus pouvoir respirer.

Le foie, accommodé par maître Dumas, fut déclaré succulent, malgré son odeur assez accentuée de musc, imparfaitement dissimulée par celle de l'ail libéralement prodigué.

Mais des voyageurs polaires réduits à la portion congrue de salaisons n'ont pas le droit de se montrer difficiles.

Et l'on fêta comme il convient la bonne aubaine en attendant le retour qui s'opéra sans incident.

Yaş sınırı:
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Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
Hacim:
490 s. 1 illüstrasyon
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