Kitabı oku: «Mémoires inédits de Mademoiselle George, publiés d'après le manuscrit original», sayfa 13
APPENDICE
NOTE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE SUR LES ÉTATS DE SERVICE DE MLLE GEORGE
Le 8 frimaire an XI (29 novembre 1802), George Weymer débute à la Comédie-Française par Clytemnestre d'Iphigénie en Aulide; elle joue successivement: le 17 frimaire, Aménaïde (Tancrède); le 25 frimaire, Idamé (Orphelin de la Chine); le 30 frimaire, Émilie (Cinna); le 14 nivôse, Didon; les 3, 4, 25 pluviôse Sémiramis et Phèdre.
Sociétaire à ¼ de part en mars 1804, dans les jeunes princesses, grandes princesses, reines et mères.
Le 11 mai 1808, on devait donner la 5me représentation de l'Artaxercès de Delrieu, dans lequel mademoiselle George jouait le rôle de Mandane. Le matin, à onze heures, le semainier reçut une lettre de mademoiselle George l'informant qu'une affaire de la plus grande importance l'obligeait à quitter Paris pour quelques jours. Le théâtre fit relâche.
Le 13 mai, un arrêté du surintendant des spectacles condamne mademoiselle George à une amende de 3,000 francs, somme à laquelle était estimée la représentation qu'elle avait fait perdre.
Le 30 mai, la portion de part de mademoiselle George est mise provisoirement sous séquestre.
Le 17 juin, en vertu d'un nouvel arrêté, le nom de mademoiselle George est rayé du tableau des sociétaires du Théâtre-Français.
Mademoiselle George, qui était allée à Saint-Pétersbourg, y resta six années, et reparut à la Comédie-Française le 29 septembre 1813, dans son rôle de début, dans Clytemnestre. Elle rentrait à ⅝ de part et promesse de la part entière qu'elle obtint l'année suivante. Un arrêté du 25 octobre 1813 lui attribua en second l'emploi des premiers rôles, tenu en chef par mademoiselle Duchesnois; elle devait doubler immédiatement mademoiselle Raucourt dans les rôles de reine, qui n'avaient pas été joués par mademoiselle Duchesnois, et jouer les autres alternativement avec mademoiselle Duchesnois.
En 1816, mademoiselle George, qui avait, sous prétexte de maladie, prolongé de cinquante jours un congé de deux mois, se vit refuser le partage pour cette période: froissée, elle donna sa démission qui ne fut pas acceptée. En 1817, elle refuse successivement de jouer les rôles qui lui avaient été donnés dans le Germanicus d'A.-V. Arnault, et dans la Mort d'Abel de Legouvé.
Considérant que mademoiselle George Weymer a presque entièrement, et sans excuse valable, quitté le théâtre, abandonné son emploi, refusé d'apprendre et de jouer des rôles nouveaux, le duc de Duras arrête, le 6 mai 1817, qu'«à dater du 8 du présent mois, la demoiselle George Weymer cessera de faire partie de la société du Théâtre-Français».
Le 17 décembre 1853, mademoiselle George reparaît au Théâtre-Français dans une représentation à son bénéfice; elle y joue Cléopâtre, de Rodogune.
Journal des Débats
Du 10 frimaire an 11 (1er décembre 1802)
THÉATRE-FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE
Article de Geoffroy pour le début de Mlle George Weimer, élève de Mlle Raucourt
On n'avait pas pris de mesures assez justes pour contenir la foule extraordinaire que devait attirer un début si fameux: toute la garde était occupée aux bureaux où les billets se distribuent, tandis que la porte d'entrée, presque sans défenseurs, soutenait le plus terrible siège; là se livraient des assauts dont il ne tiendrait qu'à moi de faire une description tragique, car j'étais spectateur, et même acteur très involontaire. Le hasard m'avait jeté dans la mêlée avant que je pusse prévoir le danger.
Quæque ipse miserrima vidi, et quorum pars magna fui, les assaillants étaient animés par le désir de voir une actrice nouvelle, et par l'enthousiasme qu'inspire une beauté célèbre. C'est dans ces occasions que la curiosité n'est plus qu'une passion insensée et brutale; c'est alors que le goût des spectacles et des arts ressemble à la férocité et à la barbarie. Les femmes étouffées poussaient des cris perçants, tandis que les hommes, dans un silence farouche, oubliant la politesse et la galanterie, ne songeaient qu'à s'ouvrir un passage aux dépens de tout ce qui les environnait.
Les conseillers d'État du roi Priam s'écriaient en voyant passer Hélène: «Une si belle princesse mérite bien qu'on se batte pour elle; mais, quelque merveilleuse que soit la beauté, la paix est encore préférable.» Et moi, j'ai dit en voyant Mlle George: «Faut-il être surpris qu'on s'étouffe pour une aussi superbe femme? Mais fût-elle, s'il est possible, plus belle encore, il eût mieux valu ne pas s'étouffer, même pour ses propres intérêts, car les spectateurs sont plus sévères à l'égard d'une débutante, quand sa vue leur coûte si cher.»
Précédée sur la scène d'une réputation extraordinaire de beauté, Mlle George n'a point paru au dessous de sa renommée; sa figure réunit aux grâces françaises la régularité et la noblesse des formes grecques; sa taille est celle de la sœur d'Apollon lorsqu'elle s'avance sur les bords de l'Eurotas, environnée de ses nymphes, et que sa tête s'élève au-dessus d'elles. Toute sa personne est faite pour offrir un modèle au pinceau de Guérin. Lorsqu'elle a fait entendre les premiers vers de son rôle, l'oreille ne lui a pas été aussi favorable que les yeux; le trouble inséparable d'un pareil moment avait altéré son organe naturellement flexible, étendu et sonore; il faut attribuer à la même cause quelques défauts qu'on a pu remarquer dans le jeu et dans la diction, mais qui tous peuvent être aisément corrigés. Une fille de seize ans, qui paraît pour la première fois devant une assemblée si nombreuse et si imposante, ne doit pas avoir le libre usage de ses facultés; il suffit que, dans cette première apparition, elle ait montré les dispositions les plus heureuses et le germe d'une grande actrice. Il faut attendre et ne pas étouffer par une sévérité meurtrière un beau talent prêt à se développer. Ses défauts mêmes ont une noble origine; ils tiennent à une impétuosité et à une ardeur qu'elle ne sait pas encore bien régler et qui précipite son débit et ses mouvements; car, dans ce beau corps, il y a une âme impatiente de s'épancher; ce n'est pas une statue de marbre de Paros; c'est la Galatée de Pygmalion, pleine de chaleur et de vie, et, en quelque sorte, oppressée par la foule des sentiments nouveaux qui s'élèvent dans son sein.
On a reconnu dans l'élève la manière de l'institutrice. Cela ne pouvait être autrement; ce sont même presque toujours les défauts que les disciples imitent, mais, quand ils ont du talent, ils ont bientôt une manière. Quand Mlle George ne serait qu'une fidèle copie de Mlle Raucourt, notre théâtre ne serait pas malheureux, et les spectateurs n'auraient point à se plaindre de revoir Mlle Raucourt à dix-huit ans. La débutante paraît destinée à l'emploi des reines. Son extrême beauté sera peut-être du superflu pour cet emploi, mais sa taille, sa dignité et sa grâce, l'éclat et la fermeté de son organe sont de première nécessité.
Journal des Débats
du 28 janvier 1804 (17 pluviôse an XII)
Feuilleton sur Phèdre où les plus vifs éloges sont prodigués au talent de Mlle George.
Journal des Débats
du 28 mai 1804 (8 prairial an XII)
Feuilleton sur la rentrée de Mlle George dans Didon.
Journal des Débats
du 7 juin 1804 (18 prairial an XII)
Feuilleton sur une récente reprise de Sémiramis de Voltaire. «… Ouvrage usé et rebattu… tragédie du dimanche, pièce du peuple, poème à fracas et à spectacle, qui est comme le précurseur des mélodrames du boulevard…
«C'est Mlle George que l'on vient voir, c'est la belle reine de Babylone qui attire les curieux; elle a été également intéressante, et dans les moments où il faut étaler la fierté et la majesté de la souveraine d'un vaste empire, et dans les scènes pathétiques où il faut exprimer la douleur et le désespoir d'une mère, qui ne retrouve dans son fils qu'un vengeur et un assassin.»
Journal des Débats
du 16 octobre 1804 (24 vendémiaire an XIII)
Paris, 15 octobre.
Feuilleton sur Iphigénie… «Jamais Mlle George n'a aussi bien joué le rôle de Clytemnestre; jamais elle n'a paru plus pathétique, plus vive, plus impétueuse… Mlle Fleur y est toujours justement applaudie dans sa première scène du second acte.
Journal de l'Empire. Journal des Débats
du 18 septembre 1805 (1er jour complémentaire de l'an XIII)
Feuilleton sur un incident survenu à la dernière représentation des Templiers, où Mlle George fit défaut Lettre de la tragédienne s'expliquant sur l'impossibilité où elle avait été de jouer, et qu'elle avait signifiée en temps utile.
Mémoires de Mme de Rémusat
(Calmann-Lévy, éditeur, tome Ier, page 202.)
On sait que M. de Rémusat protégeait Mlle Duschesnois, sans doute en tout bien tout honneur. Mme de Rémusat, dans ses Mémoires, est peu bienveillante pour Mlle George. Il est intéressant de lire les lignes qu'elle lui consacre, et une appréciation de son petit-fils, Paul de Rémusat, qui nous donne l'opinion de toute la famille de Rémusat.
«Deux actrices remarquables (Mlles Duchesnois et George) avaient débuté en même temps à peu près dans la tragédie, l'une fort laide, mais distinguée par un talent qui conquit bien des suffrages; l'autre médiocre, mais d'une extrême beauté42. Le public de Paris s'échauffa pour l'une ou l'autre, mais, en général, le succès du talent l'emporta sur celui de la beauté. Bonaparte au contraire, fut séduit par la dernière, et Mme Bonaparte apprit assez vite par le secret espionnage de ses valets que Mlle George avait été, durant quelques soirées, introduite secrètement dans un petit appartement écarté du château. Cette découverte lui inspira une vive inquiétude; elle m'en fit part avec une émotion extrême, et commença à répandre beaucoup de larmes qui me parurent plus abondantes que cette occasion passagère ne le méritait.
Page 208
Un soir, Mme Bonaparte, plus pressée que de coutume par sa jalouse inquiétude, m'avait gardée près d'elle et m'entretenait vivement de ses chagrins. Il était une heure du matin; nous étions seules dans le salon. Le plus profond silence régnait aux Tuileries. Tout à coup, elle se lève: «Je ne peux plus y tenir, me dit-elle; Mlle George est sûrement là-haut, je veux les surprendre.» Passablement troublée par cette résolution subite, je fis ce que je pus pour l'en détourner, et je ne pus en venir à bout. «Suivez-moi, me dit-elle; nous monterons ensemble. «Alors, je lui représentai qu'un pareil espionnage, étant même sans convenance de sa part, serait intolérable de la mienne, et qu'en cas de la découverte qu'elle prétendait faire, je serais sûrement de trop à la scène qui s'ensuivrait. Elle ne voulut entendre à rien, et me pressa si vivement que, malgré ma répugnance, je cédai à sa volonté, me disant d'ailleurs intérieurement que notre course n'aboutirait à rien, et que, sans doute, leurs précautions étaient prises au premier étage contre toute surprise.
Nous voilà donc marchant silencieusement l'une et l'autre: Mme Bonaparte la première, animée à l'excès; moi derrière, montant lentement un escalier dérobé qui conduisait chez Bonaparte, et très honteuse du rôle qu'on me faisait jouer. Au milieu de notre course, un léger bruit se fit entendre. Mme Bonaparte se retourna: «C'est peut-être, me dit-elle, Rostan, le mameluck de Bonaparte, qui garde la porte. Ce malheureux est capable de nous égorger toutes les deux.» A cette parole, je fus saisie d'un effroi qui, tout ridicule qu'il était sans doute, ne me permit pas d'en entendre davantage; et, sans songer que je laissais Mme Bonaparte dans une cruelle obscurité, je descendis avec la bougie que je tenais à la main, et je revins aussi vite que je pus dans le salon. Elle me suivit peu de minutes après, étonnée de ma fuite subite. Quand elle revit mon visage effaré, elle se mit à rire et moi aussi, et nous renonçâmes à notre entreprise. Je la quittai en lui disant que je croyais que l'étrange peur qu'elle m'avait faite lui avait été utile, et que je me savais bon gré d'y avoir cédé.
STENDHAL (œuvres posthumes)
Napoléon. Paris, éditions de la Revue Blanche, 1898
Page 27
(Napoléon) voulut avoir, et il eut, dit-on, par son valet de chambre Constant, presque toutes les femmes de la cour.
L'une d'elles, nouvellement mariée, le second jour qu'elle parut aux Tuileries, disait à ses voisines:
–Mon Dieu, je ne sais pas ce que l'empereur me veut; j'ai reçu l'invitation de me trouver à huit heures dans les petits appartements!
Le lendemain, les dames lui demandèrent si elle avait vu l'empereur. Elle rougit extrêmement.
L'empereur, assis à une petite table, l'épée au côté, signait les décrets. La dame entrait, il la priait de se mettre au lit, sans se déranger.
Bientôt il la reconduisait lui-même avec un bougeoir, et se remettait à lire ses décrets, à les corriger, à les signer.
L'essentiel de l'entrevue ne durait pas trois minutes. Souvent, son mamelouck se trouvait derrière un paravent.
Il eut seize entrevues de ce genre avec Mlle George, et à l'une d'elles lui donna une poignée de billets de banque. Il s'en trouva quatre-vingt-seize43.
Quelquefois même il priait la dame d'ôter sa chemise, et, sans se déranger, la renvoyait.
Il eût été plus aimable que Louis XIV, s'il eût voulu se donner la moindre apparence d'une maîtresse, et lui jeter deux préfectures, vingt brevets de capitaine et dix places d'auditeur à distribuer. Qu'est-ce que cela lui faisait? Ne savait-il pas que, sur les présentations de ses ministres, il nommait quelquefois les protégés de leurs maîtresses? Un politique devait-il nommer faiblesse ce qui lui eût donné toutes les femmes?
Il n'y aurait pas eu tant de mouchoirs blancs à l'entrée des Bourbons.
Par cette conduite, l'empereur désespéra les femmes de Paris. Les renvoyer au bout de trois minutes pour signer ses décrets, souvent même ne pas quitter son épée, leur parut atroce… C'était leur faire mâcher le mépris.
Mémoires du général-major russe baron de Löwenstern
(1776-1858). Paris, Albert Fontemoing, éditeur, 1903
… La princesse Gallyzin, née Wsevoloschky, était une des femmes que je voyais le plus souvent. J'allais par habitude plus que par goût la voir tous les matins, et souvent, pour ménager ses chevaux, je la ramenais chez elle. C'était une belle femme, très extravagante; un esprit tourné vers une originalité ridicule. Elle avait entièrement secoué le joug de l'opinion. Huit jours après son mariage, elle s'était séparée de son mari, et on prétend, comme fille. Elle n'a jamais eu d'amants et méprisait trop notre sexe pour tolérer que nous lui fussions de quelque chose. Mais, sans s'en apercevoir, elle avait pris la tournure des hommes, leur costume, sans exclure pour cela le jupon. Elle s'engouait pour les femmes, comme nous le faisons, et elle abusait de leur confiance et de leur abandon avec moins de scrupule que nous n'aurions pu le faire.
Mme Ouvaroff.—Sa première passion a été pour Mme Ouvaroff, jeune et belle femme, mais d'une dépravation rare; ce qui a fini par la mettre dans la tombe, à la fleur de l'âge. La princesse Gallyzin la courtisait avec toutes les attentions dont les hommes sont capables. Elle en était amoureuse, éprise. Les attentions, les sacrifices qu'elle lui porta furent délicats et recherchés. La mort lui enleva cette amie, ou, pour mieux dire cette amante. La princesse fut inconsolable.
Mlle George.—Heureusement, la belle Mlle George, la célèbre actrice française, arriva pour la distraire. Elle en devint éperdument amoureuse, la poursuivit, la présenta, la prôna et la protégea.
Le hasard me fit être témoin d'une scène qui me donna la mesure de la violence de la passion de cette femme.
La princesse Metchersky était la sœur de l'élégant et plus tard célèbre Tchernitcheff, qui me présenta à sa sœur et à l'occasion de la fête de son mari qu'on célébra par un bal et un feu d'artifice, à sa campagne de Kamenoï Ostroff.
Mlle George était invitée. La princesse Gallyzin l'avait introduite. La nuit étant très noire et la société s'étant réunie dans les jardins, le feu d'artifice commença. Les moments de grande clarté produite par les fusées ou d'autres artifices me firent apercevoir deux femmes couchées dans un bosquet qui se firent des caresses si tendres que je fus un moment tenté de croire que c'était un couple amoureux. Ma curiosité une fois piquée, je ne quittai plus des yeux ce bosquet et je profitai des moments où un artifice l'éclaira encore et je vis, enfin je vis Mlle George représenter Iphigénie, et la princesse Achille.
Dès ce moment, le secret de la princesse fut dévoilé pour moi et son aversion pour les hommes ne m'étonna plus. Je fus discret, et voilà ce qui me valut son amitié.
Elle donna des fêtes charmantes. Mlle George, Durand, la comtesse Tiesenhausen (depuis Mme Hitroff), le comte Ruschkine jouèrent des comédies françaises et des scènes de Voltaire et de Racine.
Mlle George, sœur cadette de la célèbre actrice, dansa, et sa danse fut accompagnée par une célèbre harpiste, Mme Dumonteil, et par la voix divine de Mme Mainvielle Fodor. Il est impossible d'imaginer quelque chose de mieux arrangé.
(Tome Ier, p. 171 et suiv.)
ALEXANDRE DUMAS
THÉATRE
Christine ou Stockholm. Fontainebleau et Rome. Trilogie dramatique en cinq actes, en vers, représentée à l'Odéon le 30 mars 1830.
(Post-scriptum d'Al. Dumas.)
… Mlle George, si belle dans la tragédie antique, n'avait point encore donné de gage au drame moderne; mais elle avait beaucoup joué Corneille, et, si la certitude de la trouver à la fois tragique et naturelle manquait, du moins l'espérance était là.—Et tout ce que l'on espérait a été réalisé. L'auteur n'a donc qu'un regret, plus encore pour elle que pour lui: c'est que le public n'ait pas eu la patience d'écouter l'épilogue, sans lequel la pièce ne lui paraît pas complète et qui renfermait une scène où Mlle George aurait, il en est sûr, plus que compensé, par l'admirable talent qu'elle y déployait, l'ennui que ce même public semble avoir plutôt craint qu'éprouvé. Aujourd'hui donc, le drame moderne a, dans nos deux premières actrices, George et Mars, deux soutiens qui le feront triompher, et ce qui prouve à la foi leur talent et sa puissance, c'est ce qu'en leur laissant à toutes deux leur type primitif et original, il a rendu Mlle George comédienne, et Mlle Mars tragédienne: chacune d'elles a passé par la route que l'autre avait battue.
Alexandre Dumas, qui avait été l'amant de George, parle souvent d'elle dans ses Mémoires. Elle lui avait narré les événements les plus curieux de sa vie, et, à son tour Dumas les raconte avec cet entrain, cette verve, cette bonne humeur qui n'appartenaient qu'à lui. Nous n'avons pas hésité à faire de larges emprunts aux Mémoires de l'auteur de Monte-Christo. Ces extraits complètent avec esprit les Mémoires de George, et permettent de se faire une idée exacte et complète de sa physionomie.
Il serait à désirer qu'on lût davantage les Mémoires de Dumas, qui s'arrêtent malheureusement trop tôt et qui sont aussi curieux que le plus amusant de ses romans.
(Note de l'éditeur.)
Mes mémoires, Troisième série. 1 vol. in-12. Calmann-Lévy éditeur, 1898-1899
Un mot sur la façon dont Mlle George était entrée au théâtre, et dont elle s'y est maintenue. Aimée de Bonaparte, et restée en faveur près de Napoléon, Mlle George, qui demanda la faveur d'accompagner Napoléon à Sainte-Hélène, est presque un personnage historique.
Vers la fin de 1800 et le commencement de 1801, Mlle Raucourt, qui jouait les premiers rôles de tragédie au Théâtre-Français, Mlle Raucourt donnait des représentations en province. C'était l'époque où le gouvernement, quoiqu'il eût beaucoup à faire, n'avait pas honte de s'occuper d'art, dans ses moments perdus. Mlle Raucourt avait reçu en conséquence, l'ordre du gouvernement, si elle rencontrait dans sa tournée quelque élève qu'elle ne juge point indigne de ses leçons, de la ramener avec elle à Paris. Cette élève serait considérée comme élève du gouvernement, et recevrait douze cents francs de pension.
Mlle Raucourt s'arrêta à Amiens.
Là, elle trouva une belle jeune fille de quinze ans, qui en paraissait dix-huit: on eût dit la Vénus de Milo descendue de sa base.
Mlle Raucourt, presque aussi grecque que la Lesbienne Sapho, aimait fort les statues vivantes. En voyant marcher cette jeune fille, en voyant le pas de la déesse se révéler en elle, comme dit Virgile, l'actrice s'informa et apprit qu'elle s'appelait George Weymer, qu'elle était fille d'un musicien allemand, nommé George Weymer, directeur du théâtre, et de Mlle Verteuil, qui jouait les soubrettes.
La jeune fille était destinée à la tragédie.
Mlle Raucourt la fit jouer, avec elle, Élise dans Didon et Aricie dans Phèdre. L'épreuve réussit, et, le soir même de la représentation de Phèdre, Mlle Raucourt demanda la jeune tragédienne à ses parents.
La perspective d'être élève du gouvernement et surtout élève de Mlle Raucourt, avait, à part quelques petits inconvénients dont, à la rigueur, la jeune fille pouvait se garantir, trop d'attraits aux yeux des parents pour qu'ils refusassent.
La demande fut accordée et Mlle George partit, suivie de sa mère.
Les leçons durèrent dix-huit mois.
Pendant ces dix-huit mois, la jeune élève habita un pauvre hôtel de la rue Croix-des-Petits-Champs que, par antiphrase probablement, on appelait l'hôtel du Pérou.
Quant à Mlle Raucourt, elle habitait, au bout de l'allée des Veuves, une magnifique maison qui avait appartenu à Mme Tallien, et qui, sans doute aussi par antiphrase, s'appelait la Chaumière.
Nous avons dit «une magnifique maison»; nous aurions dû dire «une petite maison», car c'était une véritable petite maison dans le style Louis XV, que cet hôtel de Mlle Raucourt.
Vers la fin du dix-huitième siècle, siècle étrange où l'on appelait tout haut les choses par leur nom, Sapho-Raucourt jouissait d'une réputation, dont elle ne cherchait pas le moins du monde à atténuer l'originalité.
Le sentiment que Mlle Raucourt portait aux hommes était plus que de l'indifférence, c'était de la haine. Celui qui écrit ces lignes a sous les yeux un manifeste signé de l'illustre artiste, qui est un véritable cri de guerre poussé par Mlle Raucourt contre le sexe masculin, et dans lequel, nouvelle reine des Amazones, elle appelle toutes les belles guerrières enrôlées sous ses ordres à une rupture ouverte avec les hommes.
Rien n'est plus curieux pour la forme, et surtout pour le fond, que ce manifeste.44
Et cependant, chose singulière, malgré ce dédain pour nous, Mlle Raucourt, dans toutes les circonstances où le costume de son sexe ne lui était pas indispensable, avait adopté celui du nôtre.
Aussi, bien souvent, le matin, Mlle Raucourt donnait ses leçons à sa belle élève en pantalon à pieds, et avec une robe de chambre, comme eût fait M. Mole ou M. Fleury,—ayant près d'elle une jolie femme qui l'appelait «mon ami», et un charmant enfant qui l'appelait «papa».
Nous n'avons pas connu Mlle Raucourt, morte en 1814, et dont l'enterrement fit un prodigieux scandale; mais nous avons connu la mère, qui est morte en 1832 ou 1833; mais nous connaissons encore l'enfant, qui est aujourd'hui un homme de cinquante-cinq ans.
Nous connaissons un autre artiste dont toute la carrière a été entravée par Mlle Raucourt, à propos d'une jalousie qu'il eut le malheur d'inspirer à la terrible Lesbienne. Mlle Raucourt se présenta au comité du Théâtre-Français, exposa ses droits de possession et d'antériorité sur la personne que voulait lui enlever l'impudent comédien, et, l'antériorité et la possession étant reconnues, l'impudent comédien, qui vit encore et qui est un des plus honnêtes cœurs de la terre, fut chassé du théâtre, les sociétaires craignant que, comme Achille, Mlle Raucourt, à cause de cette nouvelle Briséis, ne se retirât sous sa tente.
Revenons à la jeune fille, que sa mère ne quittait pas d'un seul instant dans les visites qu'elle rendait à son professeur, et qui, trois fois par semaine, faisait, pour prendre ses leçons, cette longue traite de la rue Croix-des-Petits-Champs à l'allée des Veuves.
Les débuts furent fixés à la fin de novembre. Ils devaient avoir lieu dans Clytemnestre, dans Émilie, dans Aménaïde, dans Idamé, dans Didon et dans Sémiramis.
C'était une grande affaire, et pour l'artiste et pour le public, qu'un début au Théâtre-Français, en 1802; c'était une bien grande affaire encore d'être reçu sociétaire, car, si l'on était reçu sociétaire,—homme, on devenait le collègue de Monvel, de Saint-Prix, de Baptiste aîné, de Talma, de Lafont, de Saint-Phal, de Mole, de Fleury, d'Armand, de Michot, de Grandménil, de Dugazon, de Dazincourt, de Baptiste cadet, de La Rochelle;—femme, on devenait la camarade de Mlle Raucourt, de Mlle Contât, de Mlle Devienne, de Mme Talma, de Mlle Fleury, de Mlle Duchesnois, de Mlle Mézeray, de Mlle Mars.
Talma était une des familiers de la petite cour bourgeoise du Premier Consul. Il avait parlé de la débutante, Mlle George; il avait dit sa beauté, les espérances qu'elle donnait. Lucien s'en était monté la tête, et, en véritable saint Jean précurseur, il était arrivé à voir par un trou de serrure quelconque, peut-être même par une porte toute grande ouverte, celle qui faisait l'objet des conversations du moment, et il était venu dire à la Malmaison, avec un enthousiasme un peu suspect, que la débutante était, sous le rapport physique du moins, bien au-dessus des éloges qu'on faisait d'elle.
Le grand jour arriva. C'était le lundi 8 frimaire an XI (29 novembre 1802). On avait fait queue au théâtre de la République depuis onze heures du matin.
Dumas reproduit alors l'article de Geoffroy sur les débuts de Mlle George.
Il cite le fameux vers:
Vous savez, et Calchas mille fois vous l'a dit.
Et il continue ainsi:
Vous savez, et Calchas mille fois vous l'a dit.
Pardon! il faut encore que je m'interrompe, ou plutôt que j'interrompe Geoffroy.
Le lecteur sait que c'était d'habitude à ce vers que l'on attendait les débutantes.
Pourquoi cela? demandera le lecteur.
Ah! c'est vrai, on ne sait ces choses-là que quand on est obligé de les savoir.
Je vais vous le dire.
Parce que ce vers est tout simple et indigne de la tragédie.
Vous ne vous doutiez pas de cela, n'est-ce pas, monsieur, n'est-ce pas, madame, qui me faites l'honneur de causer avec moi? Mais votre serviteur le sait, lui qui est obligé de tout lire, même Geoffroy.
Écoutez bien, car nous ne sommes pas au bout. Ce vers étant, par sa simplicité, indigne de la tragédie, on attendait pour voir comment l'actrice, corrigeant le poète, parviendrait à relever ce vers.
Mlle George ne voulut pas avoir plus de génie que Racine; elle dit simplement, et avec l'intonation la plus naturelle possible, ce vers écrit avec la simplicité de la passion; on murmura. Elle reprit avec le même accent; on murmura encore.
Heureusement Raucourt, malgré une entorse qu'elle s'était donnée, assistait à la représentation; elle s'était fait porter au théâtre, et, d'une des petites loges du manteau d'Arlequin, elle encouragea son élève.
–Ferme, Georgine, s'écria-t-elle, ferme.
Et Georgine,—il vous semble singulier, n'est-ce pas, qu'il y eut un temps où l'on appelait Mlle George Georgine?—et Georgine, avec le même accent simple et naturel, répéta le vers pour la troisième fois.
On applaudit.
A partir de ce moment, le succès fut enlevé, comme on dit en termes de théâtre.
Mlle George joua trois fois de suite le rôle de Clytemnestre. C'était un énorme succès.
Puis elle passa au rôle d'Aménaïde, cette fille atteinte de vapeurs hystériques, comme disait encore Geoffroy, et le succès alla toujours croissant.
Enfin, du rôle d'Aménaïde elle passa au rôle d'Idamé, de l'Orphelin de la Chine.
Si les hommes attendaient les débutantes au rôle de Clytemnestre pour savoir comment elles disaient ce fameux vers, indigne de Racine:
Vous savez, et Calchas mille fois vous l'a dit.
les femmes attendaient avec non moins d'impatience les débutantes au rôle d'Idamé pour savoir comment elles se coifferaient.
Mlle George se coiffa tout simplement à la chinoise, c'est-à-dire en relevant ses cheveux et en les nouant avec un ruban doré.
Elle était admirable ainsi, à ce que m'a dit, non pas Lucien, mais le roi Jérôme, son frère, grand appréciateur de toute beauté, fût-elle coiffée à la chinoise, et qui, comme Raucourt, a conservé l'habitude d'appeler George Georgine.
Mémoires, 4e série, p. 10 et suivantes
Les comédiens français apprirent à Pétersbourg l'entrée de l'empereur à Moscou.
Ils ne pouvaient rester dans une capitale ennemie; ils obtinrent congé et partirent pour Stockholm, où, après un voyage de trois semaines, ils arrivèrent en traîneau.
Là, c'était encore un Français qui régnait ou plutôt qui soutenait la couronne au-dessus de la tête du vieux duc de Sudermanie, lequel faisait son intérim de roi.
Bernadotte reçut les fugitifs comme les eût reçus son compatriote Henri IV.
Une halte dramatique de trois mois eut lieu dans cette Suède, notre ancienne alliée, qui devait, sous un roi français, devenir notre ennemie.
Puis on partit pour Stralsund où l'on demeura quinze jours. La veille du départ, M. de Camps, officier de Bernadotte, vint trouver Mlle George.
Hermione allait être utilisée comme courrier d'ambassade.
M. de Camps apportait une lettre de Bernadotte; elle était adressée à Jérôme-Napoléon, roi de Westphalie.
Cette lettre était de la plus haute importance; on ne savait où la cacher.
Les femmes ne sont jamais embarrassées pour cacher une lettre. Hermione cacha la lettre de Bernadotte dans la gaine de son buse.
La gaine de leur busc, c'est le fourreau de sabre des femmes.
M. de Camps se retira médiocrement rassuré: on tirait si facilement le sabre du fourreau à cette époque-là.
L'ambassadrice partit dans une voiture donnée par le prince royal.
Elle portait sur ses genoux une cassette qui renfermait pour trois cent mille francs de diamants.
On ne secoue pas trois couronnes sans qu'il en tombe quelque chose.
Diamants dans la cassette, lettre dans le buse arrivèrent sans accident jusqu'à deux journées de Cassel, capitale du nouveau royaume de Westphalie.
On voyageait nuit et jour.
La lettre était si pressée, les diamants avaient si grand'peur!
Tout à coup, au milieu de la nuit, on entendit un grand bruit de chevaux, et l'on vit une forêt de lances.
Un gigantesque hourra retentit: on était tombé au milieu d'une nuée de cosaques.