Kitabı oku: «Le Réveil des Dragons », sayfa 10
CHAPITRE QUATORZE
Alec tenait sa tête entre ses mains pour essayer d’arrêter son mal de tête. Durant toute la nuit, le chariot rempli de garçon avait rebondi sur la route cahoteuse de campagne. Les bosses et les creux ne leur laissaient aucun répit et ce chariot primitif en bois avec ses barres de fer et ses roues en bois semblait avoir été construit dans le but d’être le plus inconfortable possible. Á chaque nouvelle bosse, la tête d’Alec cognait contre le panneau de bois derrière lui. Dès la première bosse, il avait pensé que cela n’allait pas durer, que la route finirait par s’améliorer.
Mais les heures avaient passé et il semblait au contraire que l’état de la route se soit dégradé. Il était resté éveillé toute la nuit car il était impossible de trouver le sommeil dans ces conditions: les bosses et la puanteur des autres garçons ainsi que les coups que tout le monde se donnait. Toute la nuit le chariot s’était arrêté dans des villages, ramassant de plus en plus de garçons, les entassant les uns sur les autres dans l’obscurité. Alec sentait leurs regards sur lui, qu’ils le jaugeaient, une mer de visages détestables qui le regardaient avec un regard mauvais. Ils étaient plus âgés, misérables et avaient besoin de trouver un bouc émissaire.
Au début Alec avait supposé qu’étant donné qu’ils étaient tous ensemble dans cette galère, tous recrutés contre leur gré pour servir Les Flammes, une certaine forme de solidarité se serait mise en place. Mais il avait rapidement réalisé que ce ne serait pas le cas. Chaque garçon était replié sur lui-même et toute forme de communication se résumait à une hostilité pure. Leurs visages étaient durs, mal rasés, portaient des cicatrices, leurs nez montraient qu’ils avaient participé à de nombreuses bagarres et Alec se rendit compte que certains garçons avaient bien plus de dix-huit ans, qu’ils avaient une plus grande expérience de la vie. Certains ressemblaient à des criminels, des voleurs, des violeurs, des meurtriers qui avaient été jetés parmi eux pour être envoyés pour servir Les Flammes.
Assis sur une planche de bois dur, Alec rebondit en ayant le sentiment d’être en route pour l’enfer et eut le sentiment que les choses ne pouvaient pas empirer. Mais le convoi continuait de s’arrêter régulièrement et à sa grande surprise ils continuaient à entasser de nouveaux garçons. Lorsqu’il avait été lui-même jeté dans le chariot, il lui avait semblé que l’espace était un peu restreint pour une douzaine de garçons étant donné qu’ils avaient à peine la place pour bouger. Mais à présent qu’ils étaient une douzaine de plus et que les soldats continuaient d’en entasser de nouveau, Alec avait tout juste assez d’espace pour respirer. Les garçons qui furent entassés après lui furent obligés de rester debout et essayèrent de s’accrocher au plafond mais la plupart glissaient et tombaient les uns sur les autres à chaque soubresaut. Plus d’un garçon mécontent les repoussa brutalement et des échauffourées éclatèrent tout au long de la nuit, les garçons se donnant des coups de coude et se brutalisant les uns les autres. Incrédule, Alec vit un garçon mordre l’oreille d’un autre. Heureusement qu’ils n’avaient pas d’espace pour bouger et prendre de l’élan pour donner des coups sinon les bagarres auraient rapidement dégénéré, mais ils juraient de se venger plus tard.
Alec entendit les oiseaux se mettre à chanter et ses yeux lourds de fatigue aperçurent les premières lueurs de l’aube au travers des barres de fer. Il fut surpris de voir le jour naître, surpris d’avoir survécu à cela, la plus longue nuit de toute sa vie.
Alors que le soleil éclairait le convoi, Alec put mieux observer les nouveaux garçons. Il était de loin le plus jeune et semblait également être le moins dangereux. Il se trouvait parmi un groupe de garçons sauvages, irascibles, parfois tatoués et faits de muscles qui portaient tous de nombreuses cicatrices comme s’ils étaient tous des garçons laissés pour compte de la société. Ils étaient à bout à cause de cette longue nuit et Alec eut l’impression que le chariot était prêt à exploser.
“Tu sembles bien jeune pour être ici,” dit une voix grave.
Alec releva les yeux et découvrit un garçon de deux ou trois ans son aîné assis à côté de lui, épaule contre épaule. Alec réalisa que c’était la présence qui l’avait écrasé toute la nuit, un garçon aux larges épaules et à la musculature développée, qui avait le visage innocent d’un simple fermier. Son visage était différent de celui des autres, plus ouvert et amical, voir même un peu naïf et Alec reconnu en lui une bonne personne.
“J’ai pris la place de mon frère,” répondit platement Alec en se demandant à quel point il était sage de se confier à lui.
“Avait-il peur?” demanda le garçon incrédule.
Alec secoua la tête.
“Handicapé,” corrigea Alec.
Le garçon fit un signe de tête comme s’il comprenait la situation et regarda Alec avait respect.
Le silence se fit et Alec regarda le garçon.
“Et toi?” demanda Alec. “Tu ne sembles pas non plus avoir dix-huit ans.”
“Dix-sept,” dit le garçon.
Alec réfléchit.
“Alors que fais-tu ici?” demanda-t-il.
“Je suis volontaire.”
Alec n’en revenait pas.
“Volontaire? Mais pourquoi?”
Le garçon regarda le sol et haussa les épaules.
“Je voulais prendre mes distances.”
“Prendre tes distance avec quoi?” répéta Alec abasourdi.
Le garçon resta silencieux et Alec vit une ombre passer sur son visage. Il ne pensait pas qu’il répondrait mais finalement le garçon murmura: “De la maison.”
Alec lut la tristesse sur son visage et compris. Á l’évidence quelque chose de terrible s’était produit dans le foyer de ce garçon et d’après les bleus sur les bras de ce dernier et l’expression de tristesse mélangée à de la colère, Alec ne put que faire des suppositions.
“Je suis désolé,” répondit Alec.
Le garçon le regarda avec une expression de surprise comme s’il ne s’attendait pas à la moindre compassion dans ce chariot. Puis il lui tendit la main.
“Marco,” dit-il.
“Alec.”
Il échangea une poignée de main avec ce garçon deux fois plus costaud que lui qui lui écrasa la main. Alec eut l’impression qu’il venait de se faire un ami ce qui fut un soulagement compte tenu des horribles visages qui les entouraient.
“Je suppose que tu es le seul ici à t’être porté volontaire,” dit Alec.
Marco regarda autour d’eux et haussa les épaules.
“Je suppose que tu as raison. La plupart d’entre eux ont été recrutés ou emprisonnés.”
“Emprisonnés?” répéta Alec surpris.
Marco approuva.
“Les Gardiens ne sont pas tous des recrues, nombre d’entre eux sont des criminels.”
“Qui traites-tu de criminel garçon?” dit une voix sauvage.
Ils se retournèrent et découvrirent un homme d’une vingtaine d’années mais qui en paraissait quarante, que la vie avait marqué prématurément et qui arborait de grosses cernes et des yeux enfoncés. Il plia les genoux et se mit à la hauteur de Marco.
“Je ne m’adressais pas à toi,” répliqua Marco avec un air de défi.
“Et bien c’est le cas maintenant,” siffla le garçon en cherchant visiblement la bagarre. “Répète un peu pour voir. As-tu le courage de me dire en face que je suis un criminel?”
Marco s’empourpra et serra les dents, sentant la colère monter en lui.
“Un chat est un chat,” dit Marco.
L’autre garçon devint rouge de colère et Alec admira le courage de Marco. Le garçon plongea sur Marco et lui passa le bras autour du cou en serrant de toutes ses forces.
Tout se passa très vite et Marco fut visiblement pris de court. Dans cet espace restreint il avait peu de place pour manœuvrer. Ses yeux sortirent de leurs orbites pendant qu’il étouffait et essayait désespérément de se dégager de l’étreinte de son assaillant. Marco était plus costaud mais le garçon avait des mains puissantes et calleuses qui avaient sûrement commis de nombreux meurtres auparavant. Marco ne réussit pas à se dégager.
“BATS-TOI! BATS-TOI!” scandèrent les autres garçons.
Certains garçons se désintéressèrent du combat, un de plus parmi la dizaine de bagarres qui avaient éclaté au cours de la nuit.
Luttant comme il le pouvait, Marco se pencha rapidement en avant et décocha un coup de tête au garçon en plein dans le nez. Un craquement se fit entendre et du sang jaillit du nez du garçon.
Marco essaya de se lever pour avoir plus de force mais le pied qu’un autre garçon lui appuyait sur l’épaule le maintenant assis. Au même moment l’assaillant au nez plein de sang prit quelque chose de brillant dans sa veste. Choqué, Alec réalisa qu’il s’agissait d’un poignard lorsque ce dernier brilla dans la lumière du soir. Tout se passa très vite et Marco n’eut pas le temps de réagir.
Le garçon se jeta sur lui et visa la gorge de Marco.
Alec réagit. Il se jeta en avant et attrapa le poignet du garçon à deux mains et détourna la trajectoire vers le sol en épargnant à Marco un coup fatal au moment même où la lame allait s’enfoncer dans sa poitrine. La lame égratigna la joue de Marco et lui déchira la chemise mais sans toutefois lui entailler la peau du torse.
Alec et le garçon tombèrent au sol en se battant pour la lame tandis que Marco réussissait à tordre la cheville de son assaillant jusqu’à ce qu’un craquement se fasse entendre.
Alec sentit des mains poisseuses sur son visage et sentit les ongles du garçon le griffer à la recherche de ses yeux. Alec sut qu’il devait réagir rapidement. Il lâcha la main qui tenait le poignard, se retourna et lui décocha un coup de coude. Il entendit un craquement satisfaisant lorsque son coude enfonça la mâchoire du garçon.
Le garçon le libéra et tomba face au sol.
Reprenant son souffle et le visage brûlant des griffures, Alec reprit son souffle et réussit à se remettre debout. Marco se tenait à ses côtés entouré des autres garçons. Côte à côte, ils regardèrent leur assaillant qui gisait immobile au sol. Le cœur d’Alec battait à tout rompre dans sa poitrine et décida qu’il n’avait plus envie d’être assis car il se sentait trop vulnérable à une attaque venant du dessus. Il préférait encore rester debout jusqu’à la fin du trajet, quel que soit le temps que cela prendrait.
Alec regarda autour de lui les garçons qui le regardaient d’un air hostile mais cette fois-ci, au lieu de détourner le regard, il soutint leurs regards en réalisant qu’il devait montrer qu’il était sûr de lui s’il voulait survive à ce voyage. Finalement, ils semblèrent le regarder avec un certain respect et tous finirent par détourner les yeux.
Marco baissa les yeux et examina la déchirure que la lame avait faite à sa chemise au moment où elle allait lui transpercer le cœur. Il regarda Alec avec gratitude.
“Tu viens de te faire un ami pour la vie,” dit Marco avec sincérité.
Il tendit la main vers Alec et lui serra le bras. Cela lui fit du bien. Un ami: c’était tout-à-fait ce dont il avait besoin.
CHAPITRE QUINZE
Kyra ouvrit lentement les yeux, désorientée, en se demandant où elle se trouvait. Elle vit un plafond de pierre très haut et la lueur de flammes qui dansait sur les murs. Elle sentit qu’elle était allongée sur un lit de fourrures luxueuses. Elle n’y comprenait rien. La dernière chose dont elle se souvenait était qu’elle s’était écroulée dans la neige en étant sûre qu’elle allait mourir.
Kyra releva la tête et regarda autour d’elle en s’attendant à découvrir la forêt enneigée autour d’elle. Mais au lieu de cela elle vit de nombreux visages qui lui étaient familiers: son père, ses frères Brandon, Braxton et Aidan, Anvin, Arthfael, Vidar et une dizaine des meilleurs guerriers de son père. Elle était de retour au fort, dans sa chambre, dans son lit et tous la regardaient d’un air inquiet. Kyra sentit une pression sur son bras et en tournant la tête elle vit Lyra, la guérisseuse de la cour aux grands yeux noisette et aux longs cheveux argentés qui lui prenait le pouls.
Kyra ouvrit en grand les yeux en réalisant qu’elle ne se trouvait plus dans les bois. Elle avait réussi à rentrer. Elle entendit un gémissement à ses côtés et sentit la truffe de Léo dans sa main et réalisa qu’il avait dû les mener jusqu’à elle.
“Que s’est-il passé?” demanda-t-elle les idées embrouillées en essayant de reconstituer le cours des événements.
L’assemblée sembla soulagée de la voir se réveiller et parler. Son père s’approcha, le remords et le soulagement se lisant sur son visage. Il lui prit fermement la main. Aidan se précipita vers elle et lui prit l’autre main. Elle leur sourit.
“Kyra,” dit son père la voix pleine de compassion. “Tu es à la maison à présent. En sécurité.”
Kyra vit à quel point il se sentait coupable et tout lui revint: leur dispute de la nuit précédente. Elle réalisa qu’il avait dû se sentir responsable. Après tout, c’était à cause de ses paroles qu’elle avait pris la fuite.
Kyra sentit un picotement et poussa un cri de douleur. Lyra venait de lui déposer un chiffon froid recouvert d’un onguent sur la joue et cela raviva la douleur de sa blessure avant de l’apaiser.
“L’eau du nénuphar,” explique doucement Lyra. “J’ai dû tester six onguents pour trouver ce qui soignerait cette blessure. Tu as de la chance que nous puissions nous en occuper car l’infection est déjà avancée.”
Son père regarda sa joue avec un regard inquiet.
“Dis-nous ce qui t’es arrivé,” dit-il. “Qui t’a fait ça?”
Kyra se redressa sur un coude et ce faisant sa tête se mit à tourner. Elle sentait que tout le monde la regardait en silence. Elle essaya de se rappeler les événements.
“Je me souviens…” commença-t-elle d’une voix rouillée. “La tempête….Les Flammes…le Bois des Épines.”
Son père fronça les sourcils d’inquiétude.
“Pourquoi es-tu allée là-bas?” demanda-t-il. “Pourquoi t’être aventurée aussi loin une nuit pareille?”
Elle essaya de se souvenir.
“Je voulais voir Les Flammes de mes propres yeux,” dit-elle. “Puis… J’ai dû chercher un abri. Je me souviens… du Lac des Rêves… et aussi… d’une femme.”
“Une femme?” demanda-t-il, “dans le Bois des Épines?”
“Elle était… vieille… la neige ne se déposait pas sur elle.”
“Une sorcière,” murmura Vidar.
“Ce genre de chose peut arriver le soir de la Lune d’Hiver,” ajouta Arthfael.
“Et que t’a-t-elle dit?” lui demanda son père inquiet.
Kyra pouvait voir la confusion et l’inquiétude sur leurs visages et elle décida de ne pas leur parler de la prophétie ni de son futur. Elle essayait elle-même de comprendre tout ceci et elle eut peur qu’ils ne la prennent pour une folle si elle leur révélait tout cela.
“Je…. Je ne me souviens pas,” dit-elle.
“T’a-t-elle fait cela?” lui demanda son père en montrant sa joue.
Kyra secoua la tête et la gorge sèche, avala sa salive. Lyra s’empressa de lui donner de l’eau avec une outre. En buvant, elle se rendit compte à quel point elle était déshydratée.
“Il y a eu un cri perçant,” continua Kyra. “Comme je n’en avais jamais entendu.”
Se sentant plus lucide, elle s’assit et les événements lui revinrent petit à petit. Elle regarda son père droit dans les yeux en se demandant comment il allait réagir.
“Le cri d’un dragon,” lâcha-t-elle en se raidissant prête à entendre leurs réactions et se demandant s’ils la croiraient.
Un murmure sceptique emplit la salle. Un silence lourd s’installa, tous semblaient incrédules.
Personne ne prit la parole pendant ce qui lui sembla une éternité.
Puis finalement son père secoua la tête.
“Les dragons n’ont pas visité Escalon depuis des milliers d’années,” dit-il. “Tu as dû entendre autre chose. Tes oreilles t’on peut-être joué un tour.”
Thonos, l’historien et philosophe du précédent roi et résidant désormais à Volis s’avança. Il avait une longue barbe et s’appuyait sur son bâton. Il parlait rarement mais lorsqu’il prenait la parole, il inspirait toujours beaucoup de respect. C’était un être de grande sagesse et possédant un grand savoir sur des choses oubliées.
“Le soir de la Lune d’Hiver,” dit-il d’une voix éraillée, “de telles chose sont possibles.”
“Je l’ai vu,” insista Kyra. “Je l’ai sauvé.”
“Sauvé?” demanda son père en la regardant comme si elle était folle. “Toi, tu as sauvé un dragon?”
Tous les hommes se regardèrent comme si elle avait perdu la tête.
“C’est la blessure,” dit Vidar. “Elle n’a plus les idées très claires.”
Kyra rougit, désespérée qu’ils la croient.
“J’ai les idées très claires,” insista-t-elle. “Je ne suis pas une menteuse!”
Elle les regarda d’un air désespéré.
“Vous ai-je déjà menti?” leur demanda-t-elle.
Ils la regardèrent, incertains.
“Laissez-lui une chance,” dit Vidar. “Laissons-la parler.”
Son père lui fit signe.
“Vas-y,” l’encouragea-t-il.
Kyra se passa la langue sur les lèvres et s’assit bien droite.
“Le dragon était blessé,” se rappela-t-elle. “Les Hommes du Seigneur l’avaient pris au piège. Ils allaient le tuer. Je ne pouvais pas le laisser mourir, pas de cette façon.”
“Qu’as-tu fait?” demanda Anvin semblant moins sceptique que les autres.
“Je les a tués,” dit-elle en revoyant la scène, sa voix soudain lourde, réalisant à quel point son histoire avait l’air incongru. Elle avait elle-même du mal à y croire. “Je les ai tous tués.”
Un silence encore plus long que le premier s’installa.
“Je sais que vous ne me croyez pas,” ajouta-t-elle finalement.
Son père s’éclaircit la gorge et lui serra la main.
“Kyra,” dit-il d’un air sombre. “Nous avons trouvé cinq hommes morts à proximité de toi, des Hommes du Seigneur. Si ce que tu dis est vrai, réalises-tu à quel point cela est grave? As-tu conscience de ce que tu as fait?”
“Je n’avais pas le choix Père,” dit-elle. “Le serment de notre maison est de ne pas laisser mourir un animal blessé.”
“Un dragon n’est pas un animal!” répondit-il en colère. “Un dragon est un….”
Mais sa voix se brisa, incapable de lui donner une réponse satisfaisante.
“Si les Hommes du Seigneur sont tous morts,” glissa Arthfael en brisant le silence et en tirant sur sa barbe, “qu’est-ce que cela peut bien faire? Qui peut bien savoir qu’une fille les as tués? Comment pourront-ils remonter jusqu’à nous?”
Kyra sentit son estomac se nouer mais elle savait qu’elle devait leur dire toute la vérité.
“Il y en avait un de plus,” ajouta-t-elle à contrecœur. “Un écuyer. Un garçon. Il a tout vu. Il s’est échappé à dos de cheval.”
Ils la regardèrent le visage grave.
Maltren s’avança d’un air mauvais.
“Et pourquoi as-tu épargné celui-là?” demanda-t-il.
“C’était juste un garçon,” dit-elle. “Sans arme. Il s’est éloigné à cheval, il me tournait le dos. Aurais-je dû lui tirer dessus?”
“Je doute fortement que tu aies pu tuer ne serait-ce qu’un d’entre eux,” cracha Maltren. “Mais si cela est le cas, vaut-il mieux épargner un garçon et nous envoyer vers une mort certaine?”
“Personne ne nous a envoyé vers une mort certaine,” le réprimanda son père en prenant sa défense.
“N’est-ce donc pas le cas?” demanda-t-il. “Si elle ne ment pas, les Hommes du Seigneur sont morts et c’est la faute de Volis. Ils ont un témoin, nous sommes perdus.”
Son père se tourna vers elle. Elle ne l’avait jamais vu avec un air aussi grave.
“Ce sont des nouvelles graves en effet,” dit-il en donnant l’impression d’être vieux de millions d’années.
“Je suis désolée Père,” dit-elle. “Je ne voulais pas t’attirer des ennuis.”
“Ne voulais pas?” répéta Maltren. “Non, tu as accidentellement tué cinq Hommes du Seigneur? Et tout cela pour quoi?”
“Je te l’ai dit,” riposta-t-elle. “Pour sauver le dragon.”
“Pour sauver ton dragon imaginaire,” ricana Maltren. “Cela en vaut vraiment la peine. S’il avait existé, il t’aurait découpée en morceaux.”
“Il ne m’a pas découpée en morceaux,” riposta-t-elle.
“Cela suffit avec ces histoires insensées de dragons,” les coupa son père en haussant la voix. “Dis-nous la vérité. Nous sommes des hommes. Quoi qu’il se soit passé. Nous ne te jugerons pas.”
Elle se décomposa.
“Je vous l’ai déjà dit,” dit-elle.
“Je la crois,” dit Aidan en se tenant à ses côtés. Elle lui fut grandement reconnaissante pour ses paroles.
Mais en regardant les autres visages de l’assemblée, elle se rendit à l’évidence que personne d’autre ne la croyait. La salle fut plongée dans un long silence.
“Ce n’est pas possible, Kyra,” finit par dire doucement son père.
“Cela l’est,” dit soudain une voix sombre.
Toute l’assemblée se retourna tandis que la porte de la chambre s’ouvrait en grand et laissait place à plusieurs hommes de son père qui s’avançaient en faisant tomber la neige de leurs cheveux et de leurs fourrures. L’homme qui venait de parler avait encore le visage rougi de froid et regardait Kyra avec fascination.
“Nous avons trouvé des empreintes,” dit-il. “Près de la rivière. Près des corps. Des empreintes bien trop grandes pour n’importe quel autre animal terrestre. Des empreintes de dragon.”
Tous les hommes se retournèrent vers Kyra, complètement déboussolés.
“Et où se trouve ce dragon alors?” dit Maltren.
“Les empreintes nous ont mené à la rivière,” rapporta l’homme.
“Il n’arrivait plus à voler,” dit Kyra. “Comme je l’ai dit, il était blessé. Il est tombé dans les rapides et je l’ai perdu de vue.”
La chambre redevint silencieuse et il était clair que tous la croyait désormais. Ils la regardaient avec admiration.
“Tu dis que tu as vu le dragon?” lui demanda son père.
Elle fit un signe de tête affirmatif.
“Je me suis approchée de lui aussi près que nous le sommes en ce moment,” répondit-elle.
“Et comment as-tu survécu?” demanda-t-il.
Dans le doute, elle déglutit.
“C’est ainsi que j’ai reçu cette blessure,” dit-elle en portant la main à sa joue.
Ils regardèrent sa blessure avec des yeux nouveaux, tous étonnés.
Tandis que Kyra faisait courir ses doigts dessus, elle sentit la cicatrice qui changerait à jamais son visage. Mais d’une certaine façon, cela lui était égal.
“Je ne pense pas qu’il voulait me faire de mal,” ajouta-t-elle.
Ils la regardèrent comme si elle était folle. Elle voulait leur expliquer la connexion qu’elle avait ressentie avec la créature mais elle se doutait qu’ils ne comprendraient pas.
Ils continuèrent de la dévisager, ébahis et son père finit par demander:
“Pourquoi risquer ta vie pour sauver ce dragon? Pourquoi nous mettre tous en danger?”
C’était une bonne question à laquelle Kyra ne savait pas comment répondre. Elle aurait aimé avoir une réponse. Mais elle ne pouvait pas trouver de mots pour décrire ses sentiments, ses émotions, la sensation qu’elle avait marché vers son destin en s’approchant de la bête. Elle ne pensait pas que ces hommes auraient pu comprendre. Elle savait toutefois qu’elle les avait tous mis en danger et elle se sentait terriblement coupable.
Tout ce qu’elle put faire, fut de baisser la tête en disant: “Pardonne-moi Père.”
“Ce n’est pas possible,” dit Maltren agité. “Ce n’est pas possible de survivre à une rencontre avec un dragon.”
“Sauf,” dit Anvin en regardant Kyra d’une étrange façon et en se tournant vers son père. “Sauf si votre fille est la—”
Son père l’interrompit brutalement d’un simple regard.
Le regard de Kyra passa de l’un à l’autre, étonnée, en se demandant ce qu’Anvin avait voulu dire.
“Sauf si je suis quoi?” demanda Kyra.
Mais Anvin détourna le regard et se tut. La pièce entière garda le silence et en scrutant leurs visages, elle réalisa que tous les hommes détournaient à présent le regard comme s’ils connaissaient tous un secret à son sujet.
Son père se releva brusquement et lui lâcha la main. Il se tenait droit, indiquant ainsi que la réunion était terminée.
“Tu dois te reposer,” dit-il. Puis il se tourna vers ses hommes. “Une armée est en route,” dit-il gravement d’une voix autoritaire. “Nous devons nous préparer.”