Kitabı oku: «Le Réveil des Dragons », sayfa 11
CHAPITRE SEIZE
Kyra se trouvait seule dans un champ, par un chaud temps estival, émerveillée par le monde qui l’entourait. Tout était fleuri, des couleurs éclatantes, les collines tellement verdoyantes, pleines de vie, parsemées de fleurs brillantes rouges et jaunes. Partout les arbres étaient en fleur, leur épais feuillage se balançait au gré du vent, leurs branches étaient chargées de fruits. Les vignobles recouvraient les collines. Ils étaient mûrs et leur odeur de fleurs et de raisin emplissait l’air de cette journée d’été. Kyra se demanda où elle se trouvait, où était passé son peuple et ce qu’il était advenu de l’hiver.
Elle entendit un cri perçant haut dans le ciel et elle releva les yeux pour découvrir Théos décrivant de grands cercles au-dessus d’elle. Il plongea et atterrit dans l’herbe à quelques mètres d’elle, la fixant de son regard intense. Sans aucun mot, il y eut un échange entre eux. Leur connexion était tellement intense qu’elle n’avait pas besoin de parler.
Théos releva soudain la tête, cria et lui souffla du feu dessus.
Sans pouvoir l’expliquer, Kyra n’avait pas peur. Elle resta immobile tandis que les flammes lui arrivaient dessus en sachant que d’une certaine façon il ne lui ferait jamais de mal. Le feu se sépara et les flammes tombèrent tout autour de lui, mettant le feu tout autour d’elle, la laissant saine et sauve.
Kyra se retourna et découvrit avec horreur que les flammes avaient embrasé la campagne: la verdure de cette nature généreuse était à présent carbonisée. Le paysage changeait sous ses yeux, les arbres se desséchèrent, l’herbe laissa place à de la terre nue.
Les flammes s’élevèrent de plus en plus haut, se répandirent de plus en plus loin et elle vit avec horreur que Volis se consumait au loin. Il ne resta bientôt plus que des cendres.
Théos finit par s’arrêter et Kyra le regarda. Debout dans l’ombre du dragon, impressionnée par sa taille gigantesque, elle ne savait pas à quoi s’attendre. Il voulait quelque chose d’elle mais elle ne savait pas quoi.
Kyra toucha une de ses écailles et il leva soudain une griffe, poussa un ci perçant et lui lacéra la joue.
Kyra s’assit dans son lit en criant. Elle porta la main à sa joue, une douleur cuisante irradiant tout son corps. Elle essaya de s’écarter du dragon et fut surprise de découvrir que des mains humaines étaient posées sur elle pour essayer de la calmer et de l’immobiliser.
Kyra cligna des yeux et reconnut le visage rassurant penché sur elle et qui maintenait une compresse sur sa joue.
“Chut,” dit Lyra pour l’apaiser.
Désorientée, Kyra regarda autour d’elle et finit pas réaliser que tout cela n’était qu’un rêve. Elle était chez elle, dans le fort de son père, dans sa chambre.
“C’est seulement un cauchemar,” dit Lyra.
Kyra réalisa qu’elle s’était rendormie sans savoir depuis combien de temps. Elle regarda par la fenêtre et vit que la lumière du jour avait fait place à la nuit. Elle se raidit, alarmée.
“Quelle heure est-il?” demanda-t-elle.
“Tard dans la nuit ma dame,” répondit Lyra. “La lune a déjà parcouru son chemin dans le ciel.”
“Et quelles nouvelles au sujet de l’armée en approche?” demanda-t-elle le cœur battant.
“Aucune armée n’est en route ma dame,” répondit-elle. “La neige est encore haute et il faisait presque nuit lorsque vous vous êtes réveillée. Aucune armée ne peut se déplacer par pareil temps. Ne vous inquiétez pas, vous ne vous êtes assoupie que quelques heures. Reposez-vous.”
Kyra s’allongea en soupirant. Elle sentit une truffe humide dans le creux de sa main et vit Léo qui la léchait.
“Il n’a pas quitté votre chevet ma dame,” dit Lyra en souriant. “Et lui non plus.”
Elle fit un signe et Kyra vit Aidan profondément endormi allongé sur un tas de fourrures près du feu, tenant un livre en cuir à la main.
“Il vous a fait la lecture pendant votre sommeil,” ajouta-t-elle.
Kyra fut submergée par un élan d’amour pour son jeune frère. Cela l’inquiéta encore plus à l’idée des ennuis à venir.
“Je ressens votre tension,” ajouta Lyra en appuyant une compresse sur sa joue. “Vos rêves sont perturbés. C’est la marque du dragon.”
Kyra vit son regard admiratif et réfléchit.
“Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive,” dit Kyra. “Je n’ai jamais rêvé auparavant. Pas de cette façon. Ce sont plus que des rêves, c’est comme si j’y étais en vrai. Je perçois le monde au travers du regard du dragon.”
La guérisseuse la regarda avec un regard compréhensif et posa une main sur sa cuisse.
“C’est une chose effrayante que d’être marquée par un animal,” dit Lyra. “Et il ne s’agit pas d’un animal ordinaire. Si une créature vous marque, vous partagez une synergie pour la vie entière. Vous pouvez alors voir avec ses yeux, ressentir ce qu’elle ressent ou entendre ce qu’elle entend. Cela peut se produire ce soir ou l’année prochaine. Mais cela se produira un jour ou l’autre.”
Lyra la regarda, incrédule.
“Comprends-tu Kyra? Tu n’es plus la même fille que tu étais hier en partant. Ce n’est pas une simple marque sur ta joue. C’est un signe. Tu portes désormais la marque d’un dragon.”
Kyra fronça les sourcils en essayant de comprendre.
“Mais qu’est-ce que cela signifie?” demanda Kyra en essayant de donner un sens à tout cela.
Lyra poussa un long soupir.
“Le temps le dira.”
Kyra repensa aux Hommes du Seigneur, à la guerre qui approchait et elle ressentit soudain un sentiment d’urgence. Elle repoussa ses couvertures et se mit debout. Se faisant elle sentit sa tête tourner. Lyra se précipita et la prit par les épaules pour l’aider à retrouver son équilibre.
“Vous devez vous allonger,” la pressa Lyra. “Votre fièvre n’est pas encore tombée.”
Mais Kyra était mue par un sentiment d’urgence et elle ne pouvait rester plus longtemps alitée.
“Ҫa va aller,” répondit-elle en s’emparant de sa cape et la jetant sur ses épaules. Alors qu’elle s’apprêtait à s’éloigner, elle sentit une main sur son épaule.
“Bois cela au moins,” insista Lyra en lui tendant une tasse.
Kyra baissa les yeux sur le liquide rouge.
“Qu’est-ce que c’est?”
“Ma concoction personnelle,” répondit-elle avec un sourire. “Cela fera tomber la fièvre et calmera les douleurs.”
Kyra prit une longue gorgée en tenant la tasse à deux mains et sentit l’épais liquide difficile à avaler descendre dans son tube digestif. Elle fit la grimace, ce qui fit sourire Lyra.
“Ҫa a un goût de terre,” fit remarquer Kyra.
Le sourire de Lyra s’agrandit. “L’intérêt n’est pas son goût.”
Mais Kyra se sentait déjà mieux. Son corps entier fut réchauffé.
“Merci,” dit-elle. Elle se pencha sur Aidan et lui déposa un baiser sur le front en prenant garde de ne pas le réveiller. Puis elle sortit de la chambre, suivie de Léo.
Kyra parcourut les innombrables et sombres couloirs de Volis éclairés par des torches vacillantes suspendues aux murs. Seuls quelques gardes veillaient à cette heure avancée, le reste du fort était calme, profondément endormi. Kyra gravit le long de l’escalier en pierre en colimaçon jusqu’à se retrouver devant la porte de la chambre de son père devant laquelle un garde était posté. Il la regarda avec un certain respect et elle se demanda combien de personnes étaient déjà au courant de cette histoire. Il lui fit un signe.
“Ma dame,” dit-il.
Elle lui rendit son signe de tête.
“Mon père est-il dans sa chambre?”
“Il n’arrivait pas à dormir. La dernière fois que je l’ai vu il se rendait à son bureau.”
Kyra s’engouffra dans les couloirs et se baissa en passant sous une petite arche, descendit un escalier et se dirigea à l’autre bout du fort. Le couloir se terminait par une épaisse porte en bois arrondie qui menait à la bibliothèque. La porte était entrouverte. Elle s’arrêta en entendant des éclats de voix provenant de l’intérieur.
“Je te dis que ce n’est pas ce qu’elle a vu,” dit la voix pleine de colère de son père.
Il était furieux et elle se retint d’entrer en se disant qu’il valait mieux attendre un peu. Elle resta là, attendant que les voix s’arrêtent, curieuse de savoir avec qui il parlait et de quel sujet. Parlaient-ils d’elle? Se demanda-t-elle.
“Si elle a vu un dragon en effet,” dit une voix éraillée que Kyra identifia immédiatement comme celle de Thonos, le plus vieux conseiller de son père, “alors il reste peu d’espoir pour Volis.”
Son père marmonna quelque chose qu’elle ne comprit pas et un long silence au cours duquel Thonos soupira suivit.
“Les anciens parchemins,” reprit Thonos d’une voix fatiguée, “parlent du réveil des dragons. Une période où nous serons écrasés par leurs flammes. Aucun mur ne peut nous protéger d’eux. Nous n’avons que des collines et le ciel. Et s’ils viennent ici, c’est qu’ils ont un but.”
“Mais quel but?” demanda son père. “Qu’est-ce qui pourrait pousser un dragon à traverser le monde?”
“Commandant, peut-être que la bonne question est,” répondit Thonos, “qu’est-ce qui l’a blessé?”
Un long silence ponctué des craquements du feu suivit, jusqu’à ce que Thonos reprenne finalement la parole.
“Je suppose que ce n’est pas le dragon qui vous perturbe le plus, n’est-ce pas?” demanda Thonos.
De nouveau, il y eut un long silence et Kyra pensa qu’elle ne devrait pas continuer d’espionner mais c’était plus fort qu’elle et elle se pencha pour regarder au travers de la fente. Son cœur s’alourdit à la vue de son père, assis la tête entre les mains, ruminant ses idées noires.
“Non,” dit-il d’une voix exténuée. “C’est vrai,” reconnut-il.
Kyra se demanda de quoi ils parlaient.
“Tu penses à la prophétie, n’est-ce pas?” demanda-t-il. “Du moment de sa naissance?”
Le cœur battant, Kyra se pencha en comprenant qu’ils parlaient d’elle, mais sans comprendre le sens de leurs propos.
Il ne répondit pas.
“J’étais présent, Commandant,” finit par dire Thonos. “Tout comme vous.”
Son père soupira mais ne releva pas la tête.
“Elle est votre fille. Ne serait-il donc pas juste de lui dire? Au sujet de sa naissance? De sa mère? N’a-t-elle pas le droit de savoir qui elle est?”
Le cœur de Kyra s’accéléra, elle détestait les secrets surtout à son sujet. Elle mourait d’envie de savoir ce dont ils parlaient.
“Ce n’est pas le bon moment,” finit par dire son père.
“Mais ce n’est jamais le bon moment, n’est-ce pas?” répondit le vieil homme.
Interloquée, Kyra prit une profonde respiration.
Elle fit soudain demi-tour et s’enfuit, le poids des mots de son père lui écrasant la poitrine. Cela lui faisait encore plus mal qu’un million de coups de couteau, plus que tout ce que les Hommes du Seigneur pourraient lui faire. Elle se sentait trahie. Il lui cachait un secret, un secret qu’il lui avait caché tout au long de sa vie. Il lui avait menti.
N’a-t-elle pas le droit de savoir qui elle est?
Sa vie entière Kyra avait toujours senti que les gens la regardaient d’une façon différente, comme s’ils savaient quelque chose à son sujet qu’elle-même ignorait, comme si elle était une étrangère mais elle n’avait jamais compris pourquoi. Á présent elle comprenait. Elle ne se sentait pas simplement différente des autres, elle était différente. Mais de quelle façon?
Qui était-elle?
CHAPITRE DIX-SEPT
Vésuvius avançait au travers de Grand Bois suivi des centaines de trolls. Ils montaient la pente trop raide pour que les chevaux y accèdent. Il marchait déterminé et pour la première fois, il se sentait optimiste. Il découpa un buisson épais à l’aide de sa lame sachant qu’il aurait très bien pu passer au travers, mais il aimait tuer les choses vivantes.
Á chaque pas Vésuvius entendait les grognements du géant qui avait été capturé devenir de plus en plus puissants, allant même jusqu’à faire trembler le sol sous ses pieds. Il remarqua le regard de terreur dans les yeux de ses trolls et cela le fit sourire. C’était cette même peur qu’il espérait voir depuis des années. Enfin, après toutes les rumeurs, le géant avait été localisé.
Il détruisit le dernier buisson et atteignit le sommet. Devant lui la forêt s’ouvrait sur une vaste clairière. Vésuvius s’arrêta net, surpris de voir ce qui l’attendait. De l’autre côté de la clairière se trouvait une grande grotte d’environ trente mètres de haut. Les pieds et mains attachés au rocher par des chaînes de quinze mètres de long et d’un mètre d’épaisseur, la créature la plus hideuse et la plus impressionnante qu’il ait jamais vue était immobilisée. C’était un vrai géant, une grossièreté de la création. Il faisait bien trente mètres de haut et dix mètres de large. Son corps ressemblait à celui d’un homme mais il avait quatre yeux, pas de nez et sa bouche n’était que mâchoires et dents. Un grondement sortit de sa bouche, un cri puissant et même Vésuvius qui n’avait peur de rien, qui avait déjà fait face aux créatures les plus abominables sur terre, dut reconnaître que même lui était effrayé. Sa bouche s’ouvrit de plus en plus grand en découvrant des dents acérées de deux mètres de long. Il semblait prêt à dévorer le monde.
La créature semblait enragée. Elle rugissait encore et encore, tapait du pied, se battait contre les chaînes qui la retenait. Le sol, la grotte et même la montagne entière tremblaient. C’était comme si la bête était capable de déplacer la montagne entière, comme s’il était tellement puissant qu’il ne pouvait être entravé. Vésuvius sourit, c’était exactement ce dont il avait besoin. Une créature comme celle-ci allait creuser son tunnel et réaliser ce que son armée de trolls était incapable de faire.
Vésuvius s’avança dans la clairière et remarqua des dizaines de soldats morts, leurs corps recouvrant le sol. Des centaines d’autres soldats se mirent en rangs. La terreur se lisait sur leurs visages comme s’ils n’avaient aucune idée de ce qu’ils devaient faire du géant qu’ils avaient capturé.
Vésuvius s’arrêta au bord de la clairière, hors de portée des chaînes du géant, ne souhaitant pas finir comme les corps autour de lui. Le géant se tourna et le chargea, agitant vers lui ses longues griffes, le ratant de peu.
Vésuvius resta là à le regarder tandis que son commandant le rejoignait en prenant garde de rester à bonne distance du géant.
“Mon Seigneur et Roi,” dit le commandant en se courbant avec déférence. “Nous avons capturé le géant. Dites-nous comment le ramener. Nous ne pouvons pas l’entraver. Nous avons perdu de nombreux soldats en essayant de le déplacer. Nous ne savons plus que faire.”
Vésuvius resta les mains sur les hanches en sentant le regard du géant s’arrêter sur lui. C’était un spécimen de la création assez remarquable. Alors qu’il le toisait et se mettait à grogner vers lui n’ayant qu’une idée en tête, le découper en morceaux, Vésuvius comprit quel était le problème. Mais en même temps, il réalisa comment résoudre la question.
Vésuvius posa une main sur l’épaule de son commandant et se pencha.
“Vous essayez de l’approcher,” dit-il doucement. “Mais vous devez le laisser venir à vous. Vous devez le prendre par surprise et à ce moment-là vous pourrez l’aveugler. Vous devez lui donner ce qu’il veut.”
Confus, son commandant approuva.
“Et que veut-il mon Seigneur et Roi?”
Vésuvius s’avança en amenant le commandant plus avant dans la clairière et vers le géant.
“Toi,” répondit finalement Vésuvius comme si cela était la chose la plus évidente au monde. Puis il poussa son commandant de toutes ses forces, envoyant le soldat surpris plus avant dans la clairière.
Vésuvius recula pour retrouver le périmètre de sécurité et regarda le géant pris de surprise. Le soldat se remit debout et essaya de s’enfuir mais la réaction du géant fut immédiate et il abattit ses griffes, se saisit du troll et serra sa main autour de la taille du troll. Il l’amena à hauteur des yeux, l’approcha tout près de son visage et mordit la tête du troll qu’il avala, étouffant les cris du soldat.
Vésuvius sourit, satisfait d’être débarrassé d’un soldat inefficace et inutile.
“Si je dois vous dire quoi faire,” dit-il au corps de son ancien commandant, “alors pourquoi m’embêter avec un commandant?”
Vésuvius se retourna vers le reste de ses soldats qui étaient pétrifiés et le regardaient en état de choc. Il désigna un soldat près de lui.
“Toi,” dit-il.
Le troll le regarda nerveusement.
“Oui mon Seigneur et Roi?”
“Tu es le prochain.”
Le troll écarquilla les yeux et il tomba à genoux les mains jointes devant lui.
“Je ne peux pas mon Seigneur et Roi!” dit-il en pleurant. “Je vous en prie! Pas moi! Choisissez quelqu’un d’autre!”
Vésuvius fit un pas de plus et lui fit un signe de tête amical.
“D’accord, ”répondit-il en coupant la gorge du troll avec son poignard. Le troll tomba mort à ses pieds, face au sol. “Je ne te choisirai pas.”
Vésuvius se tourna vers les soldats restants.
“Ramassez-le,” ordonna-t-il, “et donnez-le au géant. Dès qu’il approchera, soyez prêts à utiliser vos cordes. Vous lui cacherez les yeux lorsqu’il se saisira de l’appât.”
Une petite dizaine de soldat s’emparèrent du corps et s’avancèrent dans la clairière. Les autres soldats exécutèrent les ordres de Vésuvius en encerclant le géant, prêts à utiliser les cordes.
Perplexe, le géant étudia le corps frais à ses pieds. Mais finalement, comme Vésuvius l’avait envisagé, son intelligence limitée l’incita à s’approcher du corps.
“MAINTENANT!” hurla-t-il.
Les soldats jetèrent les cordes: par-dessus son dos, sur les côtés, et le mirent à terre. Des dizaines d’autres soldats se précipitèrent avec des cordes supplémentaires et lui attachèrent les jambes et les bras. Ils tirèrent de toutes leurs forces, la bête enragée se défendant comme elle le pouvait mais elle ne pouvait pas faire grand-chose. Attachée avec des dizaines de cordes, immobilisée par des centaines de trolls, la bête capitula et laissa tomber sa tête dans la saleté.
Vésuvius s’approcha et regarda le géant, satisfait de sa conquête qui semblait impossible l’instant d’avant.
Finalement, après toutes ces années, il pouvait enfin sourire librement.
“Á présent,” dit-il lentement en savourant chaque mot, “Escalon m’appartient.”
CHAPITRE DIX-HUIT
Debout devant la fenêtre de sa chambre, Kyra regardait l’aube se lever sur la campagne avec une certaine appréhension. Cela avait été une longue nuit de cauchemars et de réflexion sur la conversation qu’elle avait surprise. Elle entendait encore leurs voix résonner dans sa tête.
N’a-t-elle pas le droit de savoir qui elle est?
Toute la nuit elle avait rêvé d’une femme dont elle n’avait pas pu voir le visage protégé par un voile, une femme qu’elle était certaine d’être sa mère. Elle essayait de l’atteindre pour finalement se réveiller en sueur dans son lit.
Kyra ne savait plus faire la différence entre le rêve et la réalité, entre ce qui était vrai et le mensonge. Combien de secrets lui avaient-ils cachés? Pourquoi ne pouvaient-ils rien lui dire?
Kyra avait fini par se réveiller à l’aube, sa joue la lançant encore terriblement, en se posant de nombreuses questions au sujet de sa mère. Toute sa vie on lui avait dit que sa mère était morte à sa naissance et elle n’avait jamais eu de raison de ne pas y croire. Kyra sentait bien qu’elle ne ressemblait pas au reste de la famille ni à personne d’autre dans ce fort et plus elle y pensait, plus elle se rendait compte que les gens l’avaient toujours regardée comme si elle était différente, comme si elle n’était pas d’ici. Mais elle n’avait jamais imaginé que cela puisse être vrai, que son père eusse pu lui mentir, lui cacher des choses. Sa mère était-elle encore en vie? Pourquoi ne lui disait-on pas la vérité?
Tremblante, Kyra était abasourdie de voir à quel point sa vie avait radicalement changée au cours de la dernière journée. Elle sentait un feu nouveau brûler dans ses veines, partant de sa joue et irradiant son épaule jusqu’au poignet. Elle savait qu’elle n’était plus la même personne. Elle sentait la chaleur du dragon en elle, elle ressentait son pouls. Elle se demandait ce que cela pouvait signifier. Serait-elle a jamais différente?
Kyra regarda le peuple en contrebas, des centaines de personnes se hâtaient et l’activité la surprit. Tout était généralement calme à cette heure. Mais pas aujourd’hui. Les Hommes du Seigneur arrivaient comme une tempête et son peuple savait qu’ils venaient prélever leur prix. L’atmosphère était également différente. Son peuple s’était toujours facilement soumis mais pas cette fois, ils semblaient plus forts et elle fut fière de les voir se préparer au combat. Les troupes de son père vérifiaient les fortifications, doublaient le nombre de gardes aux portes, abaissaient la herse, prenaient position sur les remparts, barricadaient les fenêtres et creusaient des fossés. Les hommes étaient sélectionnés, les armes affûtées, les carquois étaient remplis de flèches, les chevaux étaient préparés et rassemblés dans la grande cour. Tous se préparaient.
Kyra avait du mal à réaliser qu’elle était à l’origine de tout ceci. Elle se sentait à la fois coupable et fière. Mais elle avait de l’appréhension. Elle savait que son peuple ne survivrait pas à une attaque directe des Hommes du Seigneur qui étaient soutenus par l’Empire Pandésien. Ils pouvaient tenir le coup sur une bataille mais lorsque Pandésia arriverait avec toute sa puissance, ils mourraient tous ici.
“Je suis content de voir que tu es debout,” dit une voix amicale.
Surpris, Kyra et Léo se retournèrent. Elle ne pensait pas que d’autres personnes du fort étaient réveillées en cette heure matinale et elle fut soulagée de voir Anvin passer le seuil de la porte en souriant, accompagné de Vidar, Arthfael et d’autres hommes de son père. Alors que le groupe la regardait, elle se rendit compte qu’ils la regardaient différemment cette fois. Il y avait quelque chose de différent dans leur regard: du respect. Ils ne la considéraient plus comme une petite fille, une observatrice, mais plutôt comme si elle était l’une des leurs. Sur le même pied d’égalité qu’eux.
Ce regard lui fit plaisir et cela lui donna l’impression qu’au final cette situation en valait la peine. Elle n’avait jamais rien voulu d’autre que de gagner le respect de ces hommes.
“Tu te sens mieux?” demanda Vidar.
Kyra se posa la question. En ouvrant et en fermant ses poignets ainsi qu’en étirant ses bras, elle réalisa qu’en effet elle se sentait mieux, voir même plus forte qu’auparavant. Elle fit signe que oui et remarqua autre chose dans leurs regards: une certaine peur. Comme si elle avait une sorte de pouvoir qu’ils redoutaient.
“Je me sens ressuscitée,” répondit-elle.
Le sourire d’Anvin s’agrandit.
“Bien,” dit-il. “Tu vas en avoir besoin. Nous avons besoin de toutes les forces disponibles.”
Elle le regarda, surprise et ravie.
“Me donnes-tu une chance de me battre avec vous?” demanda-t-elle le cœur battant. Rien ne pouvait la rendre plus heureuse.
Arthfael sourit et fit un pas en avant en lui posant une main sur l’épaule.
“Mais n’en parle pas à ton père,” dit-il.
Léo s’approcha et lécha la main de ces hommes qui lui caressèrent tous la tête en retour.
“Nous avons un petit cadeau pour toi,” dit Vidar.
Kyra fut surprise.
“Un cadeau?” demanda-t-elle.
“Considère cela comme un cadeau de bienvenue,” dit Arthfael, “une petite chose pour t’aider à oublier cette cicatrice sur ta joue.”
Il s’écarta de même que les autres et Kyra réalisa que c’était une invitation à les suivre. Elle n’aurait rien voulu d’autre au monde. Elle leur sourit en retour, réellement heureuse pour la première fois depuis bien longtemps.
“C’est cela qu’il faut faire pour rejoindre vos troupes?” demanda-t-elle en souriant. “Tuer cinq Hommes du Seigneur?”
“Trois,” la corrigea Arthfael. “Si j’ai bien compris Léo en a tué deux pour toi.”
“Oui,” dit Anvin. “Et survivre à une rencontre avec un dragon a également beaucoup d’importance.”
*
Kyra traversait le fort avec les hommes et Léo. Leurs bottes faisaient craquer la neige sous leurs pas. Elle se sentait énergisée par l’agitation qui régnait autour d’eux. Le fort fourmillait d’activité, un sens du devoir flottait dans les airs malgré l’heure matinale. Ils passèrent devant des charpentiers, des cordonniers, des maîtres selliers, des maçons tous fort occupés tandis qu’un nombre innombrable d’hommes affûtaient des épées et d’autres lames sur des pierres. Kyra sentait que les gens s’arrêtaient sur leur passage et se retournaient pour la dévisager. Elle en rougissait jusqu’aux oreilles. Elle était gênée et avait peur que son peuple ne la déteste.
Elle fut surprise de découvrir qu’ils la regardaient en fait avec admiration et parfois même peut-être un peu de peur. Ils avaient dû apprendre qu’elle avait survécu à sa rencontre avec le dragon et ne savaient par conséquent que penser d’elle.
Kyra releva les yeux vers le ciel en espérant, sans trop y croire, qu’elle y verrait Théos, guérit, en train de décrire des cercles haut dans le ciel. Mais elle eut beau scruter le ciel, elle ne vit aucun trace de lui. Où se trouvait-il? Se demanda-t-elle. Avait-il survécu? Revolerait-il de nouveau? Était-il déjà retourné de l’autre côté du monde?
Tout en traversant le fort, Kyra en vint à se demander où ils l’emmenaient et quel pouvait bien être ce cadeau dont ils lui avaient parlé.
“Où allons-nous?” demanda-t-elle à Anvin alors qu’ils s’engageaient dans une étroite rue pavée. Ils passèrent devant des villageois qui déneigeaient tandis que de grosses plaques de glace et de neige tombaient des toits en terre cuite. Partout dans le village de la fumée s’élevait des cheminées et son odeur flottait dans l’air frais du matin.
Ils tournèrent dans une nouvelle rue et Kyra découvrit une habitation basse en pierre couverte de neige avec une porte en chêne rouge qui se trouvait à l’écart des autres et qu’elle reconnut immédiatement.
“N’est-ce pas la forge du forgeron?” demanda-t-elle.
“Exactement,” répondit Anvin en continuant d’avancer.
“Mais pourquoi m’emmenez-vous là-bas?” demanda-t-elle.
Ils atteignirent la porte que Vidar ouvrit en souriant.
“Tu vas voir.”
Kyra entra par la porte basse et se retrouva à l’intérieur de la forge, Léo à sa suite et le reste des hommes derrière elle. Dès son entrée elle fut frappée par la chaleur, le feu de la forge réchauffant l’atmosphère. Elle remarqua tout de suite les armes posées sur les différentes enclumes du forgeron et les regarda avec admiration: épées et haches en cours de création, encore rougies par la chaleur et attendant de prendre leur forme finale.
Le forgeron se trouvait en compagnie de ses trois apprentis dont les visages étaient couverts de suie. Il releva les yeux. Il n’avait aucune expression particulière et portait une épaisse barbe noire. Cet endroit regorgeait d’armes qui recouvraient la moindre surface, le sol et qui pendaient à des crochets. Il semblait qu’ils travaillaient sur des dizaines d’armes à la fois. Kyra connaissait Brot, le forgeron, un homme trapu de petite taille avec un front tombant qui exprimait la concentration en permanence. C’était un homme sérieux qui parlait peu et qui ne vivait que pour ses armes. Il avait la réputation d’être bourru et d’accorder peu d’importance aux hommes. Pour lui seules les armes étaient importantes.
Kyra lui avait toutefois déjà parlé à quelques reprises et elle s’était rendue compte qu’en dépit de son apparence externe bourrue, c’était un homme bon et passionnée par l’armurerie. Il avait dû percevoir la bonne nature de Kyra. Ils partageaient tous deux un amour pour l’armurerie.
“Kyra,” dit-il en semblant heureux de la voir. “Assis-toi.”
Elle s’assit en face de lui sur un banc vide, tournant le dos à la forge qui continuait de chauffer. Anvin et les autres s’attroupèrent autour d’eux et observèrent Brot bricoler quelques-unes de ses armes: une lance, une faucille, une masse en cours de réalisation dont la chaîne n’avait pas encore été frappée. Kyra remarqua une épée dont la lame non aiguisée attendait d’être affûtée. Derrière lui ses apprentis poursuivaient leur travail et le bruit de leurs outils emplissait l’air. L’un martelait une hache ce qui créait plein d’étincelles tandis qu’un autre maniait de longues pinces pour enlever une bande d’acier blanc de chaleur et la déposait sur l’enclume prêt à la travailler. Le troisième apprenti utilisait également des pinces pour retirer une hallebarde de son enclume et la déposer dans le grand bassin en fer, l’eau se mettant à frémir lorsqu’il immergea l’arme dedans en formant un nuage de vapeur.
Pour Kyra cet endroit avait toujours été l’endroit le plus excitant de Volis.
Son cœur se mit à battre plus fort tandis qu’elle l’observait en se demandant quel était le cadeau dont on lui avait parlé.
“J’ai entendu parler de tes exploits,” dit Brot sans la regarder, concentré sur la longue épée qu’il examinait en la soupesant. C’était l’épée la plus longue qu’elle ait jamais vue et il fronça les sourcils et plissa les yeux en prenant un air insatisfait.
Elle savait qu’il valait mieux ne pas l’interrompre et elle attendit patiemment en silence.
“C’est bien dommage,” finit-il par dire.
Surprise, Kyra le regarda.
“Quoi?” dit-elle.
“Que tu n’aies pas tué ce garçon,” dit-il. “Nous ne serions pas dans un tel pétrin si tu l’avais fait, n’est-ce pas?”
Concentré sur l’épée, il ne la regardait toujours pas. Elle rougit car elle savait qu’il avait raison mais elle ne regrettait toutefois pas son acte.
“Une bonne leçon pour toi,” ajouta-t-il. “Tue-les tous, toujours. Tu me comprends bien?” demanda-t-il sur un ton dur en la regardant droit dans les yeux avec un air très sérieux. “Tue-les tous.”
Malgré son ton dur et brusque, Kyra admirait Brot car il disait toujours ce qu’il pensait et n’hésitait pas à dire haut et fort ce que les autres n’osaient pas dire. Elle l’admirait également pour sa bravoure: posséder des armes en acier avait été interdit par Pandésia, ce qui était devenu passible de la peine de mort. Les armes des hommes de son père n’étaient autorisées que parce qu’ils devaient garder Les Flammes mais malgré cela Brot continuait de forger illégalement des dizaines d’armes pour d’autres hommes, approvisionnant ainsi une armée secrète. Il pouvait se faire prendre et être tué à n’importe quel moment et pourtant il n’avait jamais abandonné son activité.
“Est-ce pour cela que tu m’as convoquée?” demanda-t-elle incrédule. “Pour me donner des conseils sur comment tuer des hommes?”
Il abattit un marteau sur l’épée devant lui et continua de travailler quelques instants en l’ignorant totalement jusqu’à ce qu’il soit prêt. Tout en gardant les yeux baissés, il finit par dire: