Kitabı oku: «Le Réveil des Dragons », sayfa 5
Kyra gagna encore contre un autre adversaire en lui assenant un coup derrière le genou. Le cor retentit de nouveau et finalement plus personne ne resta pour lui faire face. C’est alors que Maltren s’avança.
“Des ruses d’enfant,” cracha-t-il en marchant vers elle. “Tu peux faire tourner ton bout de bois. Dans un combat cela ne te sera pas d’une grande utilité. Contre une vraie épée ton bâton serait coupé en deux.”
“Vraiment?” demanda-t-elle intrépide et sans peur en sentant le sang de son père couler dans ses veines et sachant qu’elle devait se mesurer à ce tyran en particulier devant tous ces hommes.
“Alors pourquoi ne pas essayer?” insista-t-elle.
Maltren cilla de surprise ne s’attendant pas à cette réponse. Puis il plissa les yeux.
“Pourquoi?” répondit-il. “Pour que tu coures te réfugier auprès de ton père?”
“Je n’ai pas besoin de la protection de mon père ni de personne d’autre,” répliqua-t-elle. “C’est entre toi et moi, quoi qu’il se passe.”
Visiblement mal à l’aise, Maltren regarda Anvin comme s’il venait de tomber dans son propre piège.
Anvin lui rendit son regard, également déstabilisé.
“Ici, nous nous entraînons avec des épées en bois,” rappela-t-il. “Je ne permettrai pas que quelqu’un soit blessé sous ma responsabilité et encore moins la fille de notre commandant.”
Mais Maltren s’assombrit soudainement.
“La fille veut de vraies armes,” dit-il d’une voix ferme, “alors nous devrions lui en donner. Peut-être qu’elle apprendra une bonne leçon sur la vie.”
Sans attendre plus longtemps, Maltren traversa le terrain, dégaina sa vraie épée de son fourreau ce qui fit un bruit qui résonna dans l’air et se précipita vers elle. La tension devint palpable tandis qu’un lourd silence se faisait, personne ne sachant que faire.
Kyra fit face à Maltren et sentit ses paumes devenir moites malgré le froid et les rafales de vent qui faisaient vaciller les torches. Elle sentait la neige se transformer en glace qui commençait à craquer sous ses bottes et elle s’efforça de rester concentrée et ayant conscience que cette situation était assez atypique.
Maltren poussa un cri pour essayer de l’impressionner et il chargea en levant bien haut son épée qui scintilla à la lumière des torches. Elle savait que Maltren était un adversaire différent des précédents, plus imprévisible, moins honorable, un homme qui s’était battu pour survivre plus que pour gagner. Elle fut étonnée de le voir viser droit sur sa poitrine.
Kyra s’écarta de justesse de la trajectoire de la lame.
Outragée, la foule poussa un cri et Anvin, Vidar et Arthfael s’avancèrent.
“Maltren!” hurla Anvin d’une voix furieuse pour les faire stopper.
“Non!” lui hurla Kyra en retour et en se concentrant sur Maltren tout en cherchant à retrouver son souffle tandis qu’il revenait à la charge. “Laisse-nous nous battre!”
Maltren abattit immédiatement son épée, encore et encore. Elle parvenait à esquiver ses coups à chaque fois, soit en se reculant, soit en sautant de côté ou par-dessus ses coups. Il était puissant mais pas aussi rapide qu’elle.
Puis il leva très haut son épée et l’abattit d’un coup cherchant visiblement à l’immobiliser et s’attendant à casser son bâton en deux.
Mais Kyra le vit venir et elle fit un pas de côté et donna un coup latéral sur la lame de l’épée qui dévia de sa trajectoire tout en protégeant son bâton. Du même mouvement, elle utilisa cette opportunité pour faire un saut de côté et lui assener un coup droit dans le plexus solaire.
Il en eut le souffle coupé et mit un genou à terre tandis que le cor sonnait.
Un cri de joie retentit, tous les hommes la regardaient avec fierté tandis qu’elle se tenait victorieuse au-dessus de Maltren.
Fou de rage, Maltren releva les yeux et au lieu d’accepter la défaite comme les autres avant lui, il se jeta soudainement sur elle en levant son épée et en l’abattant de nouveau.
Kyra ne s’attendait pas à cette attaque car elle pensait qu’il accepterait d’avoir perdu avec honneur. Alors qu’il se jetait sur elle, Kyra réalisa qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose ainsi prise au dépourvu. Elle n’avait pas le temps de s’écarter.
Kyra se baissa et roula pour s’écarter de sa trajectoire tout en faisant tourner son bâton et assenant un coup derrière les genoux de Maltren. Ses jambes se dérobèrent sous lui.
Il tomba sur le dos dans la neige, son épée lui échappant des mains et Kyra se remit immédiatement sur ses pieds et s’approcha de lui en pointant le bout de son bâton sur sa gorge et appuya. Au même moment Léo bondit à ses côtés et grogna à quelques centimètres du visage de Maltren, sa salive dégoulinant sur la joue de Maltren, prêt à attaquer.
Maltren releva les yeux, du sang sur les lèvres et comprit enfin qu’il était vaincu.
“Tu déshonores les hommes de mon père,” siffla Kyra encore folle de rage. “Que penses-tu de mon petit bâton maintenant?”
Un lourd silence se fit tandis qu’elle le maintenait ainsi au sol. Une partie d’elle voulait lever le bâton et lui taper dessus et lâcher Léo sur lui. Aucun homme ne s’interposait ni ne venait à l’aide de Maltren.
Réalisant qu’il était seul, Maltren la regarda réellement apeuré.
“KYRA!”
Une voix dure retentit dans le silence.
Toutes les têtes se retournèrent et son père apparut, pénétrant dans le cercle, couvert de ses fourrures et escorté d’une dizaine d’hommes qui lui lançaient un regard désapprobateur.
Il s’arrêta à quelques mètres d’elle et elle se préparait déjà à la morale qu’il allait lui faire. Alors qu’ils se faisaient face, Maltren se releva péniblement et s’écarta vivement. Elle se demanda pourquoi il ne s’en prenait pas à lui plutôt qu’à elle. Cela la révolta. Le père et la fille se firent face dans une atmosphère tendue, étant aussi têtus l’un que l’autre.
Finalement son père lui tourna le dos sans un mot, suivi de ses hommes et s’éloigna vers le fort en sachant qu’elle le suivrait. La tension retomba alors que tous les hommes partaient à sa suite et Kyra se joignit à eux. Ils commencèrent à revenir vers le fort dont les lumières scintillaient au loin. Elle savait qu’elle allait se faire remonter les bretelles mais cela lui était égal.
Qu’il le veuille ou non, elle avait été acceptée par ses hommes et pour elle c’était tout ce qui lui importait. Á partir de ce jour elle savait que tout allait changer.
CHAPITRE SIX
Kyra marchait aux côtés de son père dans les couloirs de pierre du Fort Volis. Un fort de pierre de la taille d’un petit château, avec des murs en pierre lisses, des toits pointus et d’épaisses portes de bois décorées. C’était une ancienne demeure qui servait à la maison des Gardiens des Flammes et protégeait Escalon depuis des siècles. Elle savait que ce fort jouait un rôle crucial pour le Royaume. C’était également sa maison. Son unique maison. Elle s’endormait en écoutant les guerriers mangeant dans les salles, les chiens se grognant dessus pour se partager les restes, le bruit du feu dans les cheminées et le bruit du vent qui se faufilait dans les ouvertures. Avec toutes ces petites choses caractéristiques, elle aimait chacun de ses recoins.
Alors que Kyra avait du mal à garder le rythme, elle se demandait ce qui pouvait perturber son père. Ils marchaient rapidement et en silence. Léo les suivait. Ils étaient en retard pour la fête. Ils parcouraient les couloirs, les soldats et les domestiques se raidissaient sur leur passage. Son père marchait plus rapidement qu’à son habitude et bien qu’ils soient en retard, elle savait que cela ne lui ressemblait pas. D’habitude ils marchaient l’un à côté de l’autre, toujours prêt à sourire derrière sa barbe, il passait un bras autour de son épaule et lui disait parfois des blagues en lui racontant les événements de la journée.
Mais à présent il marchait d’un air sombre à quelques pas devant elle et il semblait avoir un air désapprobateur qu’elle lui avait rarement vu. Il semblait également contrarié et elle supposa que cela était à cause des événements de la journée, de la chasse de ses frères, de l’affront des Hommes du Seigneur et peut-être également à cause d’elle, parce qu’elle avait participé à l’entraînement. Au début elle supposa qu’il était simplement préoccupé par les festivités. C’était généralement une période de soucis pour lui, d’avoir à accueillir autant de guerriers et de visiteurs bien au-delà de minuit, ce qui était une tradition ancienne. Il lui avait confié que cela était bien plus facile pour lui à l’époque où sa mère était encore en vie et qu’elle s’occupait de ces événements. Il n’était pas très social et il avait du mal avec les rapports sociaux.
Mais alors que leur silence se faisait de plus en plus pesant, Kyra commença à se demander s’il n’y avait pas autre chose. Elle se dit que le plus probable était que cela avait un lien avec son entraînement avec ses hommes. Sa relation avec son père qui était auparavant très simple était devenue plus compliquée en grandissant. Il semblait avoir une grande ambivalence en ce qui concernait les actes de sa fille et sur le genre de fille qu’il espérait qu’elle devienne. D’un côté il lui avait souvent parlé des principes des guerriers, sur la façon de penser d’un chevalier, sur sa façon de se comporter. Ils avaient eu des conversations interminables sur la valeur, l’honneur, le courage et souvent il restait éveillé tard le soir pour lui raconter les batailles de leurs ancêtres, des récits qu’elle ne se lassait pas d’écouter.
Mais en même temps, Kyra avait remarqué ces derniers temps que lorsqu’ils discutaient de telles choses, il devenait parfois brusquement silencieux comme s’il réalisait qu’il ne devait pas parler de cela, comme s’il réalisait qu’il venait de lui révéler quelque chose qu’il n’aurait pas dû et qu’il voulait tout effacer. Parler de combats et de valeur était pour lui une seconde nature. Mais Kyra n’était plus une petite fille, elle était en train de devenir une femme et une guerrière dormait en elle. C’était comme si une partie de lui ne s’attendait pas à cela, comme s’il n’était pas prêt à la voir grandir. Il ne semblait pas trop bien savoir comment s’occuper de sa fille qui grandissait, surtout une fille qui n’avait qu’une envie: devenir une guerrière. Comme s’il ne savait pas quel aspect de sa personnalité encourager. Elle réalisa qu’il ne savait pas quoi faire d’elle et qu’une partie de lui n’était plus à l’aise avec elle. Elle sentait qu’il était toutefois fier d’elle. Mais il ne pouvait pas se permettre de le montrer.
Kyra n’en pouvait plus de ce silence, elle devait savoir ce qui n’allait pas.
“Es-tu inquiet pour les festivités?” demanda-t-elle.
“Pourquoi devrais-je m’inquiéter?” répliqua-t-il sans même la regarder, un signe qu’il était vraiment mécontent. “Tout est prêt. En fait, nous sommes en retard. Si je n’avais pas dû me rendre à la Porte du Combattant pour te chercher, je serai à table à présent,” conclut-il sur un ton de reproche.
Elle réalisa que c’était donc cela: l’entraînement. Le fait qu’il soit en colère la mettait elle-même en colère. Après tout, elle avait vaincu tous ses hommes, elle méritait sa reconnaissance. Au lieu de cela, il agissait comme si rien ne s’était passé et même, il désapprouvait.
Elle voulait que les choses soient justes et ennuyée, elle décida de le provoquer.
“Tu ne m’as pas vu battre tes hommes?” dit-elle en voulant qu’il se sente honteux, cherchant la reconnaissance qu’il refusait de lui donner.
Elle le vit devenir rouge, même si cela était subtil mais il ne dit rien tandis qu’ils continuaient de marcher, ce qui ne fit qu’attiser sa colère.
Ils continuèrent d’avancer, passèrent devant la Salle des Héros, devant la Chambre de la Sagesse et étaient sur le point d’arriver devant la Grande Salle. Elle n’en pouvait plus.
“Que se passe-t-il Père?” demanda-t-elle. “Si tu désapprouves ce que je fais, dis-le-moi.”
Il finit par s’arrêter juste devant la grande porte voûtée de la salle des festivités et se retourna pour la regarder avec un visage dur comme la pierre. Il semblait blessé. Son père, la personne qu’elle aimait le plus au monde, qui ne lui avait jamais fait que des sourires, semblait à présent se comporter comme si elle était une étrangère. Elle ne comprenait pas.
“Je ne veux plus jamais te revoir sur ce terrain d’entraînement,” dit-il, d’un ton glacial.
Le ton de sa voix lui fit plus de mal que ses mots et elle se sentit trahie. Venant de n’importe qui d’autre, cela lui aurait été égal, mais venant de lui, cet homme qu’elle aimait et qu’elle admirait tant, qui avait toujours été si bon envers elle, ce ton lui donna froid dans le dos.
Mais Kyra n’était pas du genre à éviter une confrontation, c’était quelque chose qu’elle avait hérité de lui.
“Et pourquoi?” insista-t-elle.
Il s’assombrit.
“Je n’ai pas à te donner de raison,” dit-il. “Je suis ton père. Je suis le commandant de ce fort, de mes hommes. Je ne veux pas que tu t’entraînes avec eux.”
“As-tu peur que je les vainque tous?” demanda Kyra cherchant à le pousser à bout, refusant qu’il mette un terme à jamais à cette discussion.
Il s’empourpra et elle vit que ses mots lui firent du mal à lui aussi.
“L’arrogance est pour les gens du peuple,” la réprimanda-t-elle, “pas pour les guerriers.”
“Mais je ne suis pas une guerrière, n’est-ce pas Père?” le provoqua-t-elle.
Il plissa des yeux, ne sachant que répondre.
“J’ai quinze ans. Veux-tu que je continue à me battre contre des arbres et des herbes toute ma vie?”
“Je n’ai pas du tout envie que tu te battes,” lâcha-t-il. “Tu es une fille, une femme même. Tu devrais faire ce que toutes les femmes font: cuisiner, coudre, tout ce que ta mère t’aurait enseigné si elle était encore en vie.”
Ce fut au tour de Kyra de s’assombrir.
“Je suis désolée de ne pas être la fille dont tu rêvais Père,” répliqua-t-elle. “Je suis désolée de ne pas être comme toutes les autres filles.”
Á présent il semblait peiné.
“Mais je suis la fille de mon père,” continua-t-elle. “Je suis la fille que tu as élevé. Et me désapprouver revient à te désapprouver toi-même.”
Elle resta ainsi, les mains sur les hanches, ses yeux gris clair emplis de la force des guerriers, le fusillant du regard. Il la regarda de ses yeux marron, derrière ses cheveux châtains et il secoua la tête.
“C’est la fête,” dit-il, “une fête aussi bien pour les guerriers, les visiteurs que les dignitaires. Les gens viennent de tout Escalon et de lointaines contrées.” Il la regarda de la tête aux pieds avec un regard désapprobateur. “Tu portes des vêtements de guerriers. Va dans ta chambre et mets des vêtements de femme comme toutes les autres femmes.”
Elle s’empourpra sous l’effet de la colère. Il se pencha vers elle en levant un doigt.
“Et que je ne te surprenne plus jamais sur le terrain avec mes hommes,” siffla-t-il.
Il se retourna brusquement tandis que des domestiques ouvraient les lourdes portes pour lui. Une vague de bruit l’accueillit, accompagné des fumets de viandes rôties, de l’odeur des chiens mal lavés et du feu ronflant dans la cheminée. La musique emplissait l’air et le vacarme à l’intérieur de la salle était abrutissant. Kyra regarda son père entrer suivi de ses domestiques.
Quelques domestiques maintenaient les portes ouvertes en attendant Kyra qui fumait de rage, se demandant que faire. Elle n’avait jamais été autant en colère de toute sa vie.
Finalement elle tourna les talons et partie furieuse, suivie de Léo. Elle voulait s’éloigner de la salle et retrouver sa chambre. Pour la première fois de sa vie elle détestait son père. Elle pensait qu’il était différent, qu’il était au-dessus de tout ça. Elle réalisait à présent qu’il était un homme moins grand qu’elle ne l’avait pensé et cela plus qu’autre chose lui faisait du mal. Il lui enlevait ce qu’elle aimait le plus, le terrain d’entraînement. Cela lui faisait l’effet d’un poignard dans la poitrine. La pensée de passer sa vie engoncée dans des soieries et des robes lui faisait horreur par-dessus tout.
Elle voulait quitter Volis et ne jamais y revenir.
*
Le commandant Duncan était assis à l’extrémité de la table de banquet, dans l’énorme salle des fêtes du fort de Volis. Il regarda sa famille, ses guerriers, ses sujets, ses conseillers et les visiteurs, plus d’une centaine de personnes réparties le long de la table. Mais il avait le cœur gros. De toutes ces personnes devant lui, celle qui occupait le plus ses esprits était celle que par principe il évitait de regarder: sa fille. Kyra. Duncan avait toujours entretenu une relation spéciale avec elle, il s’était toujours senti obligé de jouer à le fois le rôle du père et de la mère afin de palier à l’absence de sa mère. Mais il savait qu’il avait échoué, aussi bien dans son rôle de père que dans son rôle de mère.
Duncan avait toujours fait attention à veiller sur elle, la seule fille dans une famille de garçons et dans un fort rempli de soldats; en particulier parce qu’elle n’était pas comme les autres filles, une fille qui, il devait l’admettre, lui ressemblait de bien des façons. Elle était bien seule dans un monde d’hommes et il avait tout fait pour elle, non seulement par obligation, mais parce qu’il la chérissait plus qu’il ne voulait le reconnaître, peut-être même plus que ses fils (ce qu’il détestait admettre). Parmi tous ses enfants, il devait reconnaître que bizarrement, même si c’était une fille, c’était en elle qu’il se reconnaissait le plus. Sa volonté, sa détermination fière, son esprit de guerrière, son refus de s’avouer vaincue, sa bravoure et sa compassion. Elle prenait toujours la défense des plus faibles, en particulier celle de son frère et défendait toujours les causes justes, à n’importe quel prix.
C’était une des raisons pourquoi leur conversation l’avait tant contrarié et l’avait mis de cette humeur. Il l’avait vue à l’action sur le terrain d’entraînement ce soir, maniant son bâton contre ces hommes remarquables, d’une agilité déconcertante et son cœur s’était empli de fierté et de joie. Il détestait Maltren, une épine dans le pied et il était ravi que sa fille l’ait remis à sa place. Il était encore plus fier d’elle, de sa fille de quinze ans capable de tenir en respect ses hommes et même de les battre. Il voulait tellement la prendre dans ses bras, lui montrer sa reconnaissance devant tous ces gens.
Mais en tant que père il ne pouvait pas se permettre cela. Duncan voulait pour elle le meilleur et au fond de lui il sentait qu’elle était en train de s’engager sur une route dangereuse, une route parsemée de violence dans un monde d’hommes. Elle serait la seule femme dans un domaine rempli d’hommes dangereux avec des désirs bestiaux, des hommes prêts à se battre jusqu’à la mort. Elle n’avait pas conscience de ce en quoi consistait une vraie bataille, de ce qu’était un bain de sang, la douleur, se retrouver face à la mort. Même si cela avait été possible, ce n’était pas la vie qu’il voulait qu’elle ait. Il voulait la savoir en lieu sûr, dans le fort, à vivre une vie familiale dans la paix et le confort. Mais il ne savait pas comment lui donner envie de cela.
Cela le laissait perplexe. En refusant de reconnaître ses exploits, il s’était dit que cela la dissuaderait peut-être. Mais au fond de lui il avait ce pressentiment qu’il n’y arriverait pas et que son refus ne ferait que l’encourager dans cette voie. Il détestait la façon dont il avait dû agir ce soir mais il ne savait pas quoi faire d’autre.
Ce qui le contrariait plus que tout était le souvenir de cette prophétie qui avait était énoncée le jour de sa naissance. Il n’avait jamais pris au sérieux ces mots de sorcière, mais en la regardant aujourd’hui, en étant témoin de ses prouesses, il avait réalisé à quel point elle était spéciale, que cela pouvait être vrai. Et cette pensée le terrifia plus que tout. Son destin approchait à grand pas et il n’avait aucun moyen d’arrêter cela. Combien de temps restait-il avant que tout le monde n’apprenne la vérité à son sujet?
Duncan ferma les yeux et secoua la tête en prenant une grande lampée de son outre de vin et essayant de repousser ces pensées. Après tout, c’était censé être une nuit de festivités. Le solstice d’Hiver était arrivé et lorsqu’il rouvrit les yeux, il vit que la tempête de neige faisait rage dehors, la neige s’accumulait haut sur les pierres, comme en réponse aux festivités. Tandis que le vent hurlait, ils étaient tous en sécurité à l’intérieur du fort, bien au chaud, la nourriture rôtie et le vin devant eux.
Tout autour de lui les gens semblaient heureux, des jongleurs, des bardes et des musiciens faisaient leurs numéros devant les invités qui riaient et se réjouissaient tout en partageant des histoires de bataille. Duncan regarda avec contentement ce que la table du banquet avait à offrir: elle était couverte de victuailles et de mets fins de toutes sortes. La vue des boucliers accrochés le long des murs l’emplit de fierté, tous différents et faits main avec des armoiries représentant les différentes maisons de son peuple, des guerriers s’étant alliés à lui au combat. Il vit tous les trophées de guerres, les souvenirs d’une vie entière à combattre pour Escalon. Il savait qu’il était un homme chanceux.
Et pourtant, bien qu’il préférât le contraire, il était obligé d’accepter que son Royaume était occupé. Le vieux roi, le Roi Tarnis, avait honteusement rendu son peuple, avait déposé les armes sans même se battre, laissant ainsi le champ libre à l’invasion pandésienne. Cela avait permis d’éviter de faire des victimes et d’épargner des villes, mais cela leur avait également ôté leur esprit courageux. Tarnis avait toujours avancé que de toute façon Escalon n’était pas défendable, que même s’ils arrivaient à défendre la Porte du Sud, le Pont des Douleurs, Pandésia pouvait les encercler et attaquer par la mer. Mais tous savaient que ce n’était pas un argument valable. Escalon avait la chance d’être entouré de rivages constitués de falaises de trente mètres de haut sur lesquels des vagues venaient s’écraser en projetant des rochers à leurs pieds. Aucun bateau ne pouvait s’approcher et aucune armée n’arriverait jamais à passer sans subir de lourdes pertes. Pandésia pouvait en effet attaquer par la mer mais cela lui infligerait de trop lourdes pertes, même pour un Empire aussi important. Le passage par les terres était le seul envisageable et il ne pouvait se faire que par le goulet d’étranglement de la Porte du Sud que tout Escalon savait être un endroit défendable. La reddition n’était qu’un signe de pure faiblesse, rien d’autre.
Á présent que lui et tous les autres grands guerriers se retrouvaient sans roi, chacun se retrouvait avec ses propres forces, sa propre province, son propre fort et chacun était forcé de mettre un genou à terre et de jurer allégeance au Seigneur Gouverneur délégué par l’Empire Pandésien. Duncan se souvenait encore du jour où il s’était retrouvé obligé de prêter serment de loyauté, le sentiment qu’il avait éprouvé lorsqu’il s’était trouvé obligé de se courber devant cette force. Cela le rendait malade rien que d’y penser.
Duncan essaya de se rappeler des jours heureux lorsqu’il était stationné à Andros, lorsque tous les chevaliers de toutes les maisons étaient réunis, ralliés à une même cause, au même roi, servant une même capitale, une seule bannière, avec une force dix fois supérieure à l’ensemble des hommes dont il disposait à présent. Maintenant qu’ils se retrouvaient éparpillés sur l’ensemble du Royaume, les hommes ici présents représentaient tout ce qu’il restait de la force unifiée.
Duncan l’avait compris dès le départ mais le Roi Tarnis avait toujours été un roi faible. En tant que commandant en chef, la tâche de le défendre lui était revenue, bien que cela ne soit pas mérité. D’un côté, Duncan n’était pas surpris que le Roi se soit rendu, mais il était surpris de la rapidité à laquelle cela s’était produit. Tous les grands chevaliers s’étaient envolés, chacun retournant chez soi. Il ne restait plus de roi, la totalité du pouvoir avait été cédée à Pandésia. La législation avait été réduite à néant, leur Royaume jadis en paix était devenu un terrain fertile pour le crime et l’insatisfaction. Désormais, il n’était plus possible de voyager en sécurité sur les routes autrefois si sûres.
Les heures passèrent et le repas toucha à sa fin. Les victuailles furent enlevées de la table et de la bière fraîche fut servie. Des plateaux de friandises furent amenés à table en l’honneur de la Lune d’Hiver. Duncan prit quelques chocolats et les savoura. Des tasses de chocolat royal furent servies, couvertes de crème fraîche de chèvre. La tête commençait à lui tourner à cause de la boisson et Duncan ayant besoin de se concentrer en prit une dans ses mains tout en savourant sa chaleur. Il la bue d’un coup en sentant sa chaleur inonder son estomac. La tempête de neige forcissait de minute en minute. Les bouffons faisaient leurs pitreries, les bardes racontaient leurs histoires, les musiciens jouaient des interludes et la nuit avançait sans se soucier de la tempête qui faisait rage dehors. Il était de tradition de faire la fête au-delà de minuit lors de la Lune d’Hiver, afin de souhaiter la bienvenue à l’hiver. D’après la légende, perpétrer les traditions garantissait que l’hiver ne durerait pas longtemps.
Malgré lui Duncan finit par regarder Kyra. Inconsolable, elle était assise le regard dans le vide comme si elle était seule. Á l’inverse de ce qu’il lui avait ordonné, elle portait encore ses habits de guerriers. L’espace d’un instant cela raviva sa colère mais il décida de laisser tomber. Il pouvait voir à quel point elle était triste. Tout comme lui, elle aussi ressentait les choses de façon trop intense.
Duncan décida qu’il était temps de faire la paix, d’essayer au moins de la consoler à défaut d’approuver ses choix et il était sur le point de se lever de sa chaise pour s’approcher d’elle lorsque les grandes portes de la salle de banquet s’ouvrirent brusquement.
Un visiteur s’engouffra dans la salle, un homme de petite taille vêtu de luxueuses fourrures indiquant qu’il venait d’une autre contrée. Ses cheveux et sa cape étaient couverts de neige et des domestiques l’escortaient. Duncan fut surpris de recevoir un visiteur aussi tard dans la nuit, en particulier par une telle tempête. Alors que l’homme enlevait son casque, il remarqua qu’il portait les couleurs violet et jaune caractéristiques d’Andros. Duncan réalisa qu’il venait de la capitale à au moins trois jours de cheval d’ici.
Les visiteurs étaient arrivés tout au long de la soirée mais pas aussi tard et aucun d’entre eux n’était venu d’Andros. En voyant ces couleurs, les souvenirs du vieux roi et de jours meilleurs se rappelèrent à Duncan.
La pièce se fit silencieuse tandis que le visiteur s’arrêtait devant son siège en faisant une révérence à Duncan, dans l’attente que ce dernier l’invite à s’asseoir.
“Pardonnez-moi mon seigneur,” dit-il. “J’espérais arriver plus tôt mais je suis désolé, la neige m’en a empêché. Je ne cherchais aucunement à vous manquer de respect.”
Duncan fit un signe de la tête.
“Je ne suis pas un seigneur,” le corrigea Duncan, “mais un simple commandant. Nous sommes tous égaux ici, de haute ou de basse naissance, hommes et femmes. Tous les visiteurs sont les bienvenus et ce quelle que soit leur heure d’arrivée.”
Le visiteur fit un signe de tête respectueux et était sur le point de prendre place lorsque Duncan leva une main.
“Notre tradition veut que les visiteurs venant de loin puissent s’asseoir à la place d’honneur. Venez vous asseoir à mes côtés.”
Surpris, le visiteur fit un signe de tête gracieux et les domestiques le conduisirent auprès de Duncan. C’était un homme fin, plutôt petit avec des joues et des yeux creux, peut-être dans la quarantaine mais il semblait plus âgé. Duncan le dévisagea et vit de l’anxiété dans son regard. L’homme semblait trop sur ses gardes pour rendre une simple visite en cette période de festivités. Il sentit que quelque chose n’allait pas.
Le visiteur s’assit la tête baissée, en évitant son regard et tandis que le bruit emplissait de nouveau la salle, l’homme avala un bol de soupe et les chocolats que l’on déposa devant lui. Visiblement affamé, il avala le tout avec un gros morceau de pain.
“Dis-moi,” dit Duncan impatient d’en savoir plus dès que l’homme eut finit, “quelles nouvelles de la capitale amènes-tu?”
Le visiteur repoussa lentement son bol et baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de Duncan. La table devint silencieuse à la vue de sa sombre expression. Tous étaient dans l’attente d’une réponse.
Finalement, il se tourna vers Duncan et le regarda en pleurant de ses yeux rougis.
“Aucune nouvelle qu’un homme ait envie d’apporter,” dit-il.
Duncan se raidit.
“Alors dis,” répondit Duncan. “Les mauvaises nouvelles se font qu’empirer avec le temps.”
L’homme baissa les yeux sur la table en frottant nerveusement ses doigts dessus.
“Á partir de cette Lune d’Hiver, une nouvelle loi pandésienne vient d’être approuvée sur nos terres: puellae nuptias.”
Á ces mots, Duncan sentit son sang se figer, la table poussa un cri d’effroi, un outrage qu’il partageait entièrement. Puellae Nuptias. C’était incompréhensible.
“En es-tu sûr?” demanda Duncan.
Le visiteur acquiesça.
“Á partir d’aujourd’hui, la fille célibataire la plus âgée de chaque homme, seigneur et guerrier de notre Royaume ayant atteint ses quinze ans peut être prise pour épouse par le Seigneur Gouverneur local, pour lui-même ou pour la personne de son choix.”
Duncan regarda immédiatement Kyra et vit l’expression de surprise et d’indignation sur son visage. Tous les hommes de la salle et même les guerriers se retournèrent vers Kyra en réalisant la gravité de la situation. Toute autre fille aurait eu une expression de terreur mais il semblait au contraire qu’une expression de vengeance se lisait sur son visage.
“Ils ne la prendront pas!” cria Anvin indigné, sa voix déchirant le silence. “Ils ne prendront aucune de nos filles!”
Arthfael sortit son poignard et le planta dans la table.
“Ils peuvent prendre notre sanglier mais ils devront nous tuer avant de prendre nos filles!”
Les guerriers poussèrent un cri d’approbation, leur colère attisée par la boisson. L’atmosphère de la soirée s’assombrit d’un coup.