Kitabı oku: «Le Réveil des Dragons », sayfa 6

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Duncan se releva lentement et le silence se fit progressivement. En signe de respect, tous les guerriers se levèrent.

“La fête est terminée,” annonça-t-il d’une voix sérieuse. En prononçant ces mots, il remarqua qu’il n’était même pas minuit passé – un terrible présage en cette nuit de la Lune d’Hiver.

Duncan marcha vers Kyra au milieu d’un lourd silence et passa devant les soldats et les dignitaires. Il s’arrêta devant son siège et la regarda droit dans les yeux. La force du défi se lisait dans les yeux de sa fille et cela l’emplit de fierté. Léo assis à ses côtés releva également la tête.

“Viens ma fille,” dit-il. “Il faut que nous parlions.”

CHAPITRE SEPT

Kyra était assise dans la chambre de son père, une petite salle en pierre au plus haut étage de leur fort avec un haut plafond concave et une chemise en marbre imposante noircie par des années d’utilisation. Dans un silence sinistre, ils étaient chacun assis sur une pile de fourrures de part et d’autre du feu, regardant les morceaux de bois craquer et siffler.

L’esprit de Kyra bouillonnait à l’annonce de cette nouvelle. Tout en caressant la fourrure de Léo couché à ses pieds, elle avait du mal à croire que cela était vrai. Les changements étaient finalement arrivés jusqu’à Escalon et cela lui donnait l’impression que le dernier jour de sa vie était arrivé. Elle regardait les flammes en se demandant quel intérêt y aurait-il à vivre si Pandésia l’arrachait à sa famille, son fort et de tout ce qui lui était familier et qu’elle aimait, tout cela pour la marier à un quelconque Seigneur Gouverneur grotesque. Elle préférait encore mourir.

Se trouver dans cette pièce réconfortait généralement Kyra. Elle y avait passé de longues heures à lire, à se perdre dans des récits de courage et parfois des légendes, des histoires qu’elle n’aurait su dire vraies ou imaginaires. Aux premières heures du jour, son père aimait prendre ses vieux livres et les lire à voix haute. Des chroniques d’un autre temps, d’autres endroits. Kyra aimait par-dessus tout les histoires de guerriers et de grandes batailles. Léo se couchait toujours à ses pieds et souvent Aidan les rejoignait. Plus d’une fois Kyra était retournée dans sa chambre les yeux bouffis et la tête emplie de ces histoires. Elle aimait encore plus la lecture que les armes. En regardant tous les livres qui recouvraient les murs de la chambre de son père remplis de vieux parchemins reliés par des couvertures en cuir qui avaient été transmis de génération en génération, elle souhaita soudain s’y immerger.

Mais lorsque son regard tomba sur le visage sombre de son père, la terrible réalité lui revint en plein visage. Ce n’était pas une nuit de lecture. Elle n’avait jamais vu son père aussi perturbé et tendu, comme si pour la première fois il ne savait pas quoi faire. Elle savait que son père était un homme fier, tous ses hommes étaient des hommes fiers et, aux jours ou Escalon avait encore un roi, une capitale, une cour à laquelle se rallier, tous auraient donné leur vie pour leur liberté. Son père n’était pas du genre à se rendre ni à négocier. Mais le vieux Roi les avaient vendus, les avaient rendus en leur nom et les avaient mis dans cette terrible situation. Maintenant que l’armée était dispersée aux quatre coins du royaume, ils n’étaient plus en mesure de combattre l’ennemi qui se trouvait déjà parmi eux.

“Il aurait mieux valu perdre au combat,” dit son père d’une voix grave, “d’avoir confronté Pandésia de façon noble et d’avoir perdu. De toute façon, la reddition du vieux Roi est également une défaite, une longue, lente et cruelle défaite. Jour après jour, année après année, toutes nos libertés nous sont enlevées, faisant de nous des êtres inférieurs à la race humaine.”

Kyra savait qu’il avait raison et pourtant, d’une certaine façon elle comprenait la décision du vieux Roi Tarnis: Pandésia contrôlait la moitié du monde. Fort d’une très grande armée d’esclaves, Pandési a aurait pu répandre le chaos sur Escalon jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Ils n’auraient jamais abandonné, quelles que soient les pertes humaines. Au moins Escalon était intacte et son peuple était en vie – si l’on pouvait considérer cela comme vivre.

“Pour eux la question n’est pas de prendre nos filles,” continua son père accompagné des bruits du feu. “C’est une question de pouvoir. De soumission. D’écraser ce qu’il reste de nos âmes.”

Son père regarda les flammes et elle devina qu’il était à la fois perdu dans le passé et le futur. Kyra pria pour qu’il se tourne vers elle et lui dise que le temps de combattre était arrivé, de se rebeller pour défendre ce en quoi tous croyaient, pour marquer l’histoire. Qu’il ne les laisserait jamais la prendre.

Au lieu de cela, à sa grande déception et colère, il resta assis en silence le regard perdu, à ruminer sombrement sans chercher à la rassurer. Elle n’avait aucune idée de ce à quoi il pensait, en particulier depuis leur dispute.

“Je me souviens de l’époque où je servais le Roi, dit-il lentement de sa voix puissante qui comme d’habitude la mit à l’aise, “et que les terres étaient unies et Escalon invincible. Nous n’avions qu’à nous préoccuper des Flammes pour contenir les trolls et de la Porte du Sud pour Pandésia. Nous étions un peuple libre depuis des siècles et les choses n’auraient jamais dû changer.”

Il retomba dans un long silence. Le feu continuait de craquer et Kyra attendit avec impatience la suite et caressant la tête de Léo.

“Si Tarnis nous avait ordonné de défendre la porte,” poursuivit-il, “nous l’aurions défendue jusqu’au dernier homme. Nous serions tous morts fièrement en défendant notre liberté. Mais au lieu de cela, nous nous sommes réveillés pour découvrir que nos terres avaient été envahies par ces hommes,” dit-il ses yeux s’agrandissant sous la douleur comme s’il revivait la scène.

“Je sais tout cela,” lui rappela Kyra avec impatience, fatiguée de toujours entendre la même histoire.

Il se tourna vers elle avec un air abattu.

“Alors que notre propre roi a renoncé,” demanda-t-il, “alors que l’ennemi est déjà parmi nous, que nous reste-t-il à défendre?”

Kyra s’énerva.

“Peut-être que les rois ne méritent pas toujours leur titre,” dit-elle en perdant patience. “Après tout, les rois sont des hommes comme les autres et les hommes font des erreurs. Parfois, peut-être que la voie la plus honorable est de défier ton propre roi.”

Son père soupira tout en regardant les flammes comme s’il ne l’entendait pas.

“Ici à Volis, nous nous en sommes plutôt bien sortis comparé au reste d’Escalon. Ils nous ont autorisés à conserver des armes, de vraies armes, alors que tous les autres se sont vus interdire la possession d’armes sous peine de mort. Ils nous laissent nous entraîner, ils nous donnent l’illusion d’être libres, juste ce qu’il faut pour que nous restions soumis. Sais-tu pourquoi?” lui demanda-t-il en se tournant vers elle.

“Parce que tu étais le plus grand chevalier du Roi,” répondit-elle. “Parce qu’ils veulent t’accorder les honneurs correspondant à ton rang.”

Il secoua la tête.

“Non,” répondit-il. “C’est simplement parce qu’ils ont besoin de nous. Ils ont besoin de Volis pour entretenir Les Flammes. Nous sommes tout ce qu’il reste entre eux et Marda. Pandésia craint Marda plus que nous ne le craignons. C’est tout simplement parce que nous sommes les Gardiens. Ils patrouillent Les Flammes avec leurs propres hommes, leurs propres recrues mais ils ne sont pas aussi vigilants que nous.”

Kyra médita ces paroles.

“J’ai toujours pensé que nous étions au-dessus de tout ceci, au-delà de la portée de Pandésia. Mais ce soir,” dit-il gravement en la regardant, “J’ai réalisé que ce n’était pas vrai. Cette nouvelle… Je m’attendais à quelque chose de ce genre depuis des années. Je ne me souviens même plus depuis quand. Et malgré ces années de préparation, à présent que cela est arrivé… il n’y a rien que je puisse faire.”

Il pencha la tête et elle le regarda effarée et indignée.

“Es-tu en train de dire que tu vas les laisser m’emmener?” demanda-t-elle. “Es-tu en train de me dire que tu ne te battras pas pour moi?”

Son expression se durcit.

“Tu es jeune,” dit-il en colère, “naïve. Tu ne comprends pas comment les choses se passent. Tu ne vois que cette bataille, tu ne vois pas ce que cela impliquerait pour le reste du royaume. Si je me bats pour toi, si mes hommes combattent pour toi, nous gagnerons peut-être une bataille. Mais ils reviendront et pas avec une petite centaine d’hommes, ni même un millier ou une dizaine de milliers, mais avec une mer d’hommes. Si je me bats pour toi, j’entraîne tout mon peuple vers une mort certaine.”

Ces mots la déchirèrent de l’intérieur. Pas seulement ces mots mais tout le désespoir qu’ils véhiculaient. Malade, une partie d’elle voulut s’enfuir en courant, tellement déçue par cet homme qu’elle idolâtrait autrefois. Une telle trahison lui donnait l’impression d’hurler de l’intérieur.

Elle lui jeta un regard noir en tremblant.

Toi,” siffla-t-elle, “toi, le plus grand guerrier de ces terres—effrayé de défendre l’honneur de ta propre fille?”

Elle le regarda rougir d’humiliation.

“Fais attention,” la mit-il en garde sombrement.

Mais Kyra ne pouvait plus faire marche arrière.

“Je te déteste!” hurla-t-elle.

Il se releva.

“Veux-tu que notre peuple se fasse décimer?” lui hurla-t-il en retour. “Tout cela en ton honneur?”

Kyra ne se contrôlait plus. Pour la première fois depuis très longtemps, elle éclata en sanglots, profondément blessée par les propos de son père.

Il s’avança pour la consoler mais elle se détourna en baissant la tête et en pleurant. Elle se ressaisit et essuya vivement ses larmes en regardant le feu de ses yeux larmoyants.

“Kyra,” dit-il doucement.

Elle le regarda et vit que lui aussi avait les yeux humides.

“Bien sûr que je me battrai pour toi,” dit-il. “Je serai prêt à me battre pour toi jusqu’à ce que mon cœur s’arrête. Moi et tous mes hommes sommes prêts à mourir pour toi. Mais tu mourrais également dans la guerre qui s’ensuivrait. Est-ce que tu souhaites?”

“Et me donner en tant qu’esclave?” lui répondit-elle. “Est-ce ce que tu souhaites?”

Kyra savait qu’elle se comportait comme un égoïste mais il s’agissait de sa vie, ce n’était habituellement pas dans ses manières. Bien sûr qu’elle ne souhaitait pas voir son peuple mourir pour sa seule personne. Mais elle voulait entendre son père lui dire: Je suis prêt à me battre pour toi. Quelles qu’en soient les conséquences. Tu es ma priorité. Tu es ce que j’ai de plus cher.

Mais il garda le silence et ce silence lui fit plus de mal que toute autre chose.

Je me battrai pour toi!” dit une voix.

Kyra se retourna de surprise et vit Aidan entrer dans la chambre armé d’une petite lance en prenant son air le plus courageux.

“Que fais-tu ici?” dit sèchement son père. “Je suis en train de parler avec ta sœur.”

“Et j’ai tout entendu!” dit Aidan en s’avançant. Léo courut à sa rencontrer et le lécha.

Kyra ne put s’empêcher de sourire. Aidan partageait la même attitude de défi qu’elle, bien qu’il soit encore trop jeune et trop petit pour démontrer sa bravoure.

“Je me battrai pour ma sœur!” ajouta-t-il. “Et même contre tous les trolls de Marda!”

Elle se pencha vers lui pour le prendre dans ses bras et lui déposa un baiser sur le front.

Elle essuya ses larmes et se tourna vers leur père avec un regard dur. Elle avait besoin d’une réponse, elle avait besoin d’entendre ces mots de sa bouche.

“Ne suis-je donc pas plus importante à tes yeux que tes hommes?” lui demanda-t-elle.

Il la regarda avec un regard empli de tristesse.

“Tu es ce que j’ai de plus important au monde,” dit-il. “Mais je ne suis pas seulement un père—Je suis Commandant. Mes hommes sont également ma responsabilité. Peux-tu réussir à le comprendre?”

Elle fronça les sourcils.

“Et où se situe la limite Père? Dans quelle situation ta propre famille est-elle plus importante que ton peuple? Si l’enlèvement de ton unique fille n’en fait pas partie, alors qu’est-ce qui peut l’être? Je suis sûre que s’ils prenaient l’un de tes fils, tu partirais en guerre.”

Il la fusilla du regard

“Ce n’est pas de cela dont il est question,” la coupa-t-il sèchement.

“Alors de quoi?” répliqua-t-elle déterminée. “Pourquoi la vie d’un garçon est-elle plus importante que celle d’une fille?”

Son père était en colère, il avait du mal à respirer et il défit sa veste, perturbé comme elle ne l’avait jamais vu.

“Il y a une autre alternative,” finit-il par dire.

Elle le regarda, interloquée.

“Demain,” dit-il lentement d’un ton autoritaire comme s’il s’adressait à ses conseillers, “tu choisiras un garçon. Celui que tu veux parmi le peuple. Vous devrez vous marier avant le coucher du soleil. Lorsque les Hommes du Seigneur se présenteront, tu seras déjà mariée. Intouchable. Tu resteras en sécurité auprès de nous.”

Stupéfaite, Kyra le regarda.

“Crois-tu vraiment que je vais me marier avec un inconnu?” demanda-t-elle. “Que je vais choisir quelqu’un comme ça? Une personne dont je ne suis pas amoureuse?”

“Tu le feras!” tonna son père en devenant rouge de colère. “Si ta mère était encore en vie, elle se serait occupée de cela. Elle s’en serait occupée depuis fort longtemps avant que l’on en arrive là. Mais elle n’est plus parmi nous. Tu n’es pas un guerrier, tu es une fille. Et les filles se marient. Fin de la conversation. Si tu n’as pas choisi de mari avant la fin du jour, j’en choisirai un pour toi et je n’ai rien d’autre à ajouter!”

Folle de colère, Kyra le regarda d’un air interloqué. Mais elle était avant tout déçue.

“Est-ce ainsi que le grand Commandant Duncan remporte ses batailles?” demanda-t-elle en cherchant à le blesser. “En cherchant des failles dans la loi pour se cacher de ses occupants?”

Kyra n’attendit pas la réponse, elle se retourna et sortit en trombe de la chambre, Léo sur ses talons. Elle claqua la lourde porte de chêne derrière elle.

“KYRA!” entendit-elle son père crier—mais le claquement étouffa le bruit de sa voix.

Kyra marcha le long du couloir en sentant son monde s’effondrer autour d’elle, comme si elle perdait pieds. Tout en avançant, elle réalisa qu’elle ne pouvait plus rester ici. Sa présence les mettait tous en danger. Et c’était quelque chose qu’elle ne pouvait laisser faire.

Kyra n’en revenait pas des mots de son père. Elle n’épouserait jamais une personne qu’elle n’aimait pas. Elle ne se contenterait jamais de vivre une vie domestique comme toutes les autres femmes. Elle préférait encore mourir. Ne l’avait-il pas encore compris? Ne connaissait-il donc pas sa propre fille?

Kyra alla dans sa chambre, enfila ses bottes d’hiver, revêtit ses plus chaudes fourrures et attrapa son arc et son bâton avant de sortir.

“KYRA!” tonnait encore la voix colérique de son père à l’autre bout du couloir.

Elle ne lui donnerait pas une chance de la rattraper. Elle continua d’avancer, traversa quelques couloirs, déterminée à ne plus jamais revenir à Volis de toute sa vie. Quoi qui l’attende dehors, dans le monde réel, elle ferait face aux événements. Elle savait qu’elle risquait de mourir, mais au moins ce serait son choix. Elle ne vivrait pas selon les projets d’une autre personne.

Accompagnée de Léo, Kyra atteignit les portes principales du fort. Les domestiques qui se tenaient près des torches mourantes la regardèrent stupéfaits.

“Ma dame,” dit l’un d’entre eux. “Il est tard et la tempête fait rage.”

Mais Kyra était déterminée et elle ne bougea pas d’un pouce. Ils finirent par réaliser qu’elle ne changerait pas d’avis et échangèrent un regard indécis. Puis finalement ils ouvrirent la lourde porte.

Au même moment une bourrasque de vent glacial s’engouffra en hurlant et lui fouetta le visage avec les flocons de neige. Elle referma bien ses fourrures et baissa les yeux sur ses pieds pour découvrir que la neige lui arrivait à mi-mollet.

Kyra était prête à s’avancer dans la neige en sachant qu’il n’était pas prudent de sortir ainsi la nuit car les bois étaient peuplés de créatures, de criminels et parfois même de trolls. Et cela était plus particulièrement vrai en cette nuit, la nuit de la Lune d’Hiver, la seule nuit de l’année où tout le monde était censé rester à l’intérieur, se barricader, la nuit où les morts pouvaient changer de monde et où tout pouvait arriver. Kyra releva les yeux et découvrit comme pour lui faire peur, une énorme lune rouge sur l’horizon.

Kyra prit une profonde inspiration et fit le premier pas sans même se retourner. Elle était prête à affronter ce que la nuit lui réservait.

CHAPITRE HUIT

Alec était assis dans la forge de son père devant la grande enclume abîmée par des années d’expérience. Il leva son marteau et l’abattit sur l’acier rougit d’une épée qu’il venait tout juste de retirer des flammes. Frustré, il transpirait et cherchait à évacuer sa colère. Il venait d’atteindre ses seize ans. Il était plus petit que la plupart des garçons de son âge et pourtant il était plus fort qu’eux et possédait de plus larges épaules qui laissaient déjà deviner une puissante musculature. Ses épais cheveux bruns lui arrivaient au niveau des yeux. Alec n’abandonnait pas facilement. Sa vie n’avait pas été facile, elle s’était forgée comme cette épée, par la force de coups durs. En s’asseyant à côté des flammes en repoussant en permanence ses cheveux du dos de la main, il ruminait ses pensées noires au sujet de la nouvelle qu’il venait d’apprendre. Il n’avait jamais ressenti un tel sentiment de désespoir. Il frappa son marteau, encore et encore et tandis que la sueur lui dégoulinait du front et tombait sur l’épée avec un bruit de sifflement, il souhaitât que ce marteau puisse éloigner de lui tous ses problèmes.

Sa vie entière Alec avait réussi à contrôler les choses, à travailler aussi dur que possible pour s’en sortir. Mais à présent, pour la première fois de sa vie, il ne pouvait faire rien d’autre qu’être le témoin de l’injustice qui venait de frapper sa propre famille.

Alex frappa, encore et encore, le bruit métallique résonnant dans ses oreilles, la sueur lui piquant les yeux, mais il n’y accordait aucune importance. Il voulait frapper jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de son marteau, il n’était pas concentré sur l’épée mais sur Pandésia. Il les aurait tous tués s’il avait pu, ces envahisseurs qui s’apprêtaient à lui enlever son frère. Alec frappa l’épée en imaginant qu’il s’agissait à la place de leurs têtes, souhaitant qu’il puisse se saisir du destin et le façonner de ses propres mains, souhaitant être suffisamment fort pour affronter Pandésia en personne.

Aujourd’hui, le jour de la Lune d’Hiver, était le jour qu’il détestait le plus, le jour où Pandésia venait ratisser tous les villages d’Escalon et réunir tous les garçons éligibles ayant atteints dix-huit ans pour les envoyer au service des Flammes. De deux ans plus jeune, Alec était encore en sécurité. Mais son frère Ashton qui venait d’avoir dix-huit à la saison précédente ne l’était plus. Pourquoi Ashton parmi tous ces gens? Il se posa la question. Ashton était son héro. Bien qu’il soit né avec un pied bot, Ashton avait toujours le sourire aux lèvres et était toujours de bonne humeur, bien plus jovial qu’Alec et il prenait toujours la vie du bon côté. C’était l’opposé d’Alec qui ressentait les choses en profondeur, qui était toujours aux prises de fortes émotions. Même s’il essayait très fort d’être heureux comme son frère, Alec n’arrivait pas à contrôler ses passions et se retrouvait souvent à ruminer ses pensées. On lui avait déjà fait la remarque qu’il prenait la vie trop au sérieux, qu’il devait se détendre mais il ne savait pas comment faire car pour lui la vie était une chose sérieuse et difficile.

D’un autre côté, Ashton était calme, posé et heureux malgré son handicap. Tout comme leur père il était également un très bon forgeron et arrivait à subvenir aux besoins de la famille, en particulier depuis que leur père était tombé malade. Si Ashton devait partir, leur famille sombrerait dans la pauvreté. Et pire que tout, pour avoir entendu de terribles histoires, Alec savait qu’être sélectionné comme recrue signifiait une mort certaine pour son frère. Il était injuste que Pandésia prenne son frère qui avait un pied bot. Mais Pandésia n’était pas particulièrement réputé pour sa compassion et Alec eut le terrible pressentiment qu’aujourd’hui était peut-être la dernière journée que son frère passait à la maison.

Leur famille tout comme leur village n’était pas très riche. Leur maison était simple, une petite maison à un étage près de laquelle se trouvait la forge, à proximité de Solis, à un jour de chevauchée au nord de la capitale et à un jour de chevauchée au sud de Whitewood. C’était un village paisible situé loin de la mer, au milieu d’une campagne vallonnée, éloigné de tout. Un endroit auquel la plupart des gens en route pour Andros ne faisaient même pas attention. Leur famille avait tout juste de quoi manger tous les jours. Ils utilisaient leur savoir-faire pour revendre les objets en fer qu’ils façonnaient et cela leur fournissait tout juste de quoi survivre.

Alec n’attendait rien de la vie mais il voulait la justice. Il frissonna à l’idée que son frère puisse leur être arraché pour servir Pandésia. Il avait entendu trop d’histoires sur le sort des recrues, les tours de garde aux Flammes brûlant nuit et jour, devenir un Gardien. Alec avait entendu que les esclaves pandésiens qui s’occupaient des Flammes étaient des hommes durs, des esclaves venant du monde entier, des recrues, des criminels et la pire espèce des soldats pandésiens. La plupart d’entre eux n’étaient pas de nobles guerriers d’Escalon, de nobles Gardiens de Volis. Alec savait que les trolls ne représentaient pas le plus grand danger aux Flammes, mais plutôt les gens qui s’y trouvaient. Il savait qu’Ashton serait incapable de se défendre: il était un forgeron de qualité, pas un combattant.

“ALEC!”

Le cri de sa mère fendit les airs supplantant le bruit du marteau.

Alec reposa son outil en respirant bruyamment ne réalisant pas à quel point il était exténué. Il s’essuya le front du dos de la main et regarda sa mère qui lui jetait un regard désapprobateur depuis la porte de la maison.

“Cela fait dix minutes que je t’appelle!” dit-elle rudement. “Il est plus que l’heure de manger! Nous n’avons pas beaucoup de temps avant qu’ils n’arrivent. Nous t’attendons tous. Rejoins-nous maintenant!”

Alec s’arracha de sa rêverie, déposa son marteau, se releva à contrecœur et se fraya un chemin dans l’atelier exigu. Il ne pouvait pas repousser l’inévitable plus longtemps.

Il s’avança vers la porte ouverte du cabanon, passa devant sa mère et s’arrêta pour regarder la table du dîner qui avait été dressée de la plus belle façon possible pour l’occasion avec le peu qu’ils avaient. Il s’agissait d’un simple bloc de bois et de quatre chaises. Un gobelet en argent avait été placé au centre, la seule belle chose que la famille possédât.

Assis autour de la table, son frère et son père relevèrent les yeux, leurs bols de soupe posés devant eux.

Ashton était grand et fin tandis que son père était un homme deux fois plus large que lui, avec un ventre rebondi, un front bas, des sourcils épais et les mains calleuses d’un forgeron. Ashton ressemblait à son père. Avec ses cheveux bouclés et ses yeux vert vifs, Alec ressemblait plutôt à sa mère.

Ashton les regarda et remarqua immédiatement l’expression de peur sur le visage de son frère, l’anxiété sur celui de son père. Tous deux semblaient à l’article de la mort. En entrant dans la pièce, son estomac se noua. Alec s’assit en face de son père et sa mère déposa un bol de bouillon devant lui avant d’en servir un pour elle-même.

Bien qu’il soit tard après l’heure du dîner et qu’habituellement à cette heure Alec était mort de faim, il n’avait aujourd’hui que peu d’appétit et son estomac était remué.

“Je n’ai pas faim,” murmura-t-il en brisant le silence.

Sa mère le regarda fixement.

“Je m’en fiche,” lâcha-t-elle. “Tu finiras ton assiette. C’est très probablement notre dernier repas ensemble, ne manque pas de respect à ton frère.”

Alec se tourna vers sa mère, une femme dans la cinquantaine. Son visage était marqué par une dure vie de labeur et il vit que ses yeux vifs lui lançaient un regard déterminé, le même regard que le sien.

“Ne pouvons-nous donc pas faire comme si de rien n’était?” demanda-t-il.

“C’est notre fils aussi tu sais,” le coupa-t-elle. “Tu n’es pas le seul ici.”

Alec se tourna vers son père, désespéré.

“Vas-tu les laisser faire Père?” demanda-t-il.

Son père fronça les sourcils et garda le silence.

“Tu es en train de gâcher un bon repas,” lui dit sa mère.

Son père leva une main et elle se tut. Il se tourna vers Alec et le regarda droit dans les yeux.

“Que veux-tu que je fasse?” demanda-t-il d’un ton sérieux.

“Nous avons des armes!” insista Alec qui s’attendait justement à ce genre de question. “Nous avons de l’acier! Nous faisons partie des rares personnes qui en ont! Nous sommes capables de tuer n’importe quel soldat qui s’approcherait de lui! Ils ne s’y attendront pas du tout!”

Son père secoua la tête de désapprobation.

“Ce sont les rêves d’un jeune homme,” dit-il. “Toi qui n’as jamais tué un homme de toute ta vie. Prétendons que tu tues le soldat et que tu récupères Ashton, que feras des deux cent suivants?”

“Alors laisse-nous cacher Ashton!” insista-t-il.

Son père secoua la tête.

“Ils ont une liste de noms de tous les garçons de ce village. Ils savent qu’il est ici. Si nous ne le leur donnons pas maintenant, ils nous tueront tous jusqu’au dernier.” Soupira-t-il peiné. “Ne crois-tu pas que j’ai envisagé cela mon garçon? Crois-tu être le seul à te soucier de son bien? Crois-tu que j’ai envie qu’ils me prennent mon seul fils?”

Stupéfait, Alec marqua une pause en entendant ces mots.

“Que veux-tu dire par mon seul fils?” demanda-t-il.

Son père rougit.

“Je n’ai pas dit mon seul—J’ai dit l’aîné

“Non, tu as dit seul,” insista Alec perplexe.

Son père s’empourpra et haussa le ton.

“Arrête de discuter!” tonna-t-il. “Pas à un moment pareil. J’ai dit l’aîné et c’est ce que je voulais dire, un point c’est tout! Je ne veux pas qu’ils emmènent mon fils, tout autant que toi tu ne veux pas qu’ils emmènent ton frère!”

“Calme-toi Alec,” dit une voix sur le ton de la compassion, la seule voix calme dans cette pièce.

Alec releva les yeux et vit qu’Ashton lui souriait, calme et  posé comme à son habitude.

“Ҫa va aller mon frère,” dit Ashton. “Je ferai mon service et je reviendrai.”

“Revenir?” répéta Alec. “Ils prennent les Gardiens pour sept ans.”

Ashton sourit.

“Et bien je te reverrai dans sept ans,” répondit-il avec un grand sourire. “Je m’attends à ce que tu sois plus grand que moi alors.”

C’était typique d’Ashton, il essayait toujours de mettre Alec à l’aise, il pensait toujours aux autres même en des moments pareils.

Alec sentit son cœur se briser.

“Ashton, tu ne peux pas partir,” insista-t-il. “Tu ne survivras pas aux Flammes.”

“Je—” commença Ashton.

Mais ses paroles furent interrompues par une grande agitation au dehors. Ils entendirent le bruit de chevaux chargeant dans le village, accompagné de cris d’hommes. Toute la famille se regarda, angoissée. Ils restèrent assis, figés tandis que des gens commencèrent à faire des allées et venues sous leurs fenêtres. Alec pouvait voir que les familles et leurs garçons s’alignaient à l’extérieur.

“Aucun intérêt de prolonger cela,” dit son père en se relevant et en mettant ses mains sur la table. “Ne subissons pas l’humiliation qu’ils pénètrent dans notre maison pour le traîner dehors. Nous devons nous aligner dehors comme les autres et rester fiers, en espérant que lorsqu’ils verront le pied d’Ashton ils se comporteront humainement et le laisseront tranquille.”

Tout comme les autres, Alec se releva à contrecœur et ils sortirent de la maison.

En sortant dans la nuit froide, Alec fut frappé par la vue qui s’offrait à eux: son village n’avait jamais connu pareille agitation. Les rues étaient illuminées par des torches et tous les garçons de plus de dix-huit ans étaient alignés, sous les regards nerveux de leurs familles. Un nuage de poussière avait emplit les rues au passage du convoi de pandésiens, des dizaines de soldats parés de leur armure écarlate conduisaient des chariots tirés par de puissants étalons, ces chariots étant faits de barres de fer qui s’entrechoquaient bruyamment sur la route cabossée.

Alec examina les chariots et vit qu’ils étaient remplis de garçons venant de tout le pays qui les regardaient avec des visages apeurés et endurcis. Il déglutit à cette vue, n’osant imaginer ce qui attendait son frère.

Le convoi s’arrêta dans le village et un silence pesant se fit tandis que tout le monde retenait son souffle.

Le commandant des soldats pandésiens sauta d’un chariot. Il était grand et aucune gentillesse n’émanait de ses yeux noirs. Une grande cicatrice lui barrait l’un des sourcils. Il s’avança lentement en observant les garçons alignés. La ville était si calme que tout le monde pouvait entendre le bruit de ses éperons à chaque pas.

Le soldat examina chaque garçon, leur relevant le menton et les regarda droit dans les yeux, leur donnant un coup à l’épaule pour tester leur équilibre. Il faisait un petit signe de tête signifiant à ses hommes qu’ils pouvaient s’emparer du garçon qu’il venait d’examiner et le traîner sans ménagement jusqu’au chariot. Certains garçons suivaient en silence, d’autres protestaient mais ces derniers étaient rapidement réduits au silence sous les coups de bâtons et jetés comme les autres dans les différents chariots. Á plusieurs reprises des mères fondirent en larmes et des pères se mirent à crier mais rien n’aurait pu arrêter les pandésiens.

Le commandant poursuivit son inspection, dépouillant le village de ses meilleurs atouts jusqu’à ce qu’il s’arrête finalement devant Ashton tout au bout de la ligne.

“Mon fils est boiteux,” dit rapidement leur mère d’un ton implorant et désespéré. “Il ne vous sera d’aucune utilité.”

Le soldat dévisagea Ashton de haut en bas et son regard s’arrêta sur son pied.

“Remonte ton pantalon,” dit-il, “et enlève tes bottes.”

Ashton s’exécuta en prenant appui sur Alec pour ne pas perdre l’équilibre. Connaissant suffisamment bien son frère, Alec sut qu’il se sentait particulièrement humilié. Son pied lui avait toujours fait honte. Il était plus petit que l’autre et était tordu d’une telle façon qu’il ne pouvait marcher sans boiter.

Yaş sınırı:
16+
Litres'teki yayın tarihi:
10 eylül 2019
Hacim:
302 s. 4 illüstrasyon
ISBN:
9781632912251
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