Kitabı oku: «Un Trône pour des Sœurs », sayfa 10
C'était probablement ridicule de lui parler sur ce ton mais Sophia avait vu comment cette fille se comportait avec tous ceux qu'elle considérait comme inférieurs. Sophia ne pouvait pas se permettre de se laisser écraser parce qu'elle aurait alors l'air assez faible pour qu'on l'agresse. L'orphelinat lui avait au moins appris ça.
“Vous pensez que nous sommes amies ?” répliqua Angelica.
“Je suis sûre que nous pourrions être de bonnes amies”, répondit Sophia en tendant une main. “Sophia de Meinhalt.”
Angelica ignora la main tendue.
“Une mystérieuse étrangère qui arrive juste à temps pour le grand bal”, dit Angelica, “et qui affirme venir des États Marchands. Vous croyez que je n'aurais pas été au courant si ce genre de personne avait été en ville ? Mon père a des intérêts dans ces États et je n'ai jamais entendu votre nom.”
Sophia se força à sourire. “Peut-être n'avez-vous pas fait attention.”
“Peut-être”, dit Angelica en plissant les yeux. “Mais maintenant, je le ferai. Vous croyez qu'il va me falloir longtemps pour tout savoir sur vous ?”
J'écrirai à … Je ne sais pas à qui j'écrirai mais je trouverai.
Ses pensées avaient l'air moins certaines que ses paroles mais, même ainsi, Sophia se figea en entendant la menace. Elle se força à réfléchir.
“Et quand vous ne trouverez pas les archives d'une ville détruite, vous me dénoncerez ?” demanda-t-elle. “Eh bien, Angelica, si j'avais su que vous seriez si jalouse, je me serais présentée plus tôt.”
“Je ne suis pas jalouse”, répondit sèchement Angelica, alors que Sophia sentait la jalousie s'élever de ses pensées comme de la fumée. “Tout ce que je veux, c'est protéger le Prince Sebastian des opportunistes.”
Il est à moi !
La force de cette pensée fit reculer Sophia. “Eh bien, c'est très gentil de votre part”, dit-elle. “Je le lui dirai sans faute quand il reviendra. Je suis sûre qu'il a besoin qu'on le protège contre le genre de personne qui serait, par exemple, capable d'essayer de l'empoisonner pour l’attirer au lit.”
Angelica rougit à ses paroles et même elle ne put s'en tirer avec élégance.
“Je trouverai qui vous êtes”, promit-elle. “Je vous détruirai. Quand j'en aurai fini avec vous, vous vendrez votre corps à un coin de rue.”
Sophia se força à sortir de la bibliothèque d'un pas raide, même si c'était un endroit où elle avait prévu de passer le reste de la journée.
Elle se retint tout juste de trembler en sortant.
Elle sentait que les ennuis arrivaient et que les murs de ce palais n'étaient plus synonymes de sécurité pour elle.
CHAPITRE SEIZE
Pour autant qu'elle se souvienne, Kate n'avait jamais eu de famille. Non, ce n'était pas vrai : elle avait sa sœur et cette connexion-là était un réconfort intérieur constant. Elle avait aussi de vagues images fugaces de ce qu'elle avait connu avant l'orphelinat. Un visage qui la regardait en souriant. Une pièce où tout avait eu l'air beaucoup plus grand pour une toute petite enfant.
Cependant, elle ne s'était jamais assise autour d'une table avec une famille qui mangeait du ragoût et du pain et elle n'avait jamais eu l'impression d'avoir sa place parmi les autres gens présents. Thomas et Will riaient. Même Winifred avait l'air plus heureuse qu'elle ne l'avait été quand Kate était arrivée, mais c'était prévisible. Elle était venue en voleuse et, quand elle était restée, elle était devenue une personne qui pouvait aider son mari à la forge.
La présence de Will y était probablement pour quelque chose, elle aussi. Elle semblait alléger l'atmosphère, détendre sa mère et rendre son père heureux que leur fils soit en sécurité. Kate aimait tout simplement le regarder et cette idée lui faisait détourner le regard par embarras.
“Vas-tu rester longtemps à la maison ?” demanda sa mère.
Kate vit Will secouer la tête.
“Tu sais que ça ne fonctionne pas comme ça, Mère”, dit-il. “Les compagnies libres ne restent jamais longtemps au même endroit. Les guerres qui se déroulent au-delà du Knife-Water s'aggravent. Les Havvers ont été vaincus les uns après les autres par les Défondateurs et les contingents du Véritable Empire. La compagnie de Lord Marl été payée pour mater une révolte dans la Vallée du Serralt et on a découvert qu'elle avait formé une bande de brigands qui dévalisaient tous ceux qu'ils pouvaient.”
“Ça a l'air dangereux”, dit Winifred, et Kate entendit à sa voix qu'elle s'inquiétait. Kate ne pouvait pas lui en vouloir. Elle voulait protéger son fils.
Kate voulait que Will parle plus de sa vie de soldat et de ce qu'elle avait de fascinant.
“C'est comment, faire partie d'une des compagnies ?” demanda Kate. “Est-ce différent des soldats réguliers ?”
Will haussa les épaules.
“Ce n'est pas si différent que ça. Une armée fonctionne toujours plus ou moins de la même façon”, dit Will. On aurait dit qu'il cherchait à se convaincre lui-même. “De toute façon, l'armée régulière du royaume n'est pas énorme. Elle s'est toujours reposée sur la loyauté des commandants de compagnies et sur la possibilité qu'elle avait d'acheter leurs services.”
Pour Kate, cet arrangement ne semblait pas très bon.
“Que se passe-t-il si quelqu'un offre plus ?” demanda-t-elle.
Thomas répondit : “Alors, une moitié de ton armée change de camp au milieu d'un conflit, mais les ancêtres de la douairière ont toujours réussi à offrir plus que leurs ennemis. On a connu pire pendant les guerres civiles.”
“Avec une grosse armée centrale qui massacrait le peuple”, dit Will. “Je ne crois pas que l'Assemblée des Nobles le permettrait à nouveau, bien que le Prince Rupert ait quelque peu renforcé l'armée.”
Kate vit Winifred secouer la tête.
“Assez parlé de guerres, de violence et de tueries”, dit-elle. “Ça ne me rassure pas de savoir que tu vas bientôt partir retrouver toute cette cruauté, Will.”
“Ce n'est pas si dangereux que ça, Mère”, dit-il en tendant le bras pour lui prendre la main. “La guerre, c'est surtout de l'attente. Les compagnies s'évitent les unes les autres quand elles le peuvent et Lord Cranston fait toujours attention à la façon dont il engage ses hommes.”
Kate n'était pas entièrement satisfaite de ces paroles. “Et moi qui m'attendais à des récits d'aventures !”
“Je ne suis pas sûr d'en avoir beaucoup à raconter”, répondit Will. Apparemment, il vit la déception de Kate sur son visage. “J'en ai quand même quelques-uns. Je te les raconterai quand cela n’inquiétera pas Mère.”
“Je m'inquiète à chaque fois que tu pars au combat”, dit Winifred.
Ils continuèrent à manger. Kate voulait plus que tout trouver une excuse pour demander à Will de lui raconter sa vie. Étrangement, le garçon avait l'air tout aussi intéressé par Kate.
“Alors, ça fait seulement un jour que tu aides mon père à la forge ?” demanda-t-il.
Kate hocha la tête. “Je … je suis arrivée la nuit dernière.”
“C'est une voleuse”, corrigea Winifred. “Elle allait nous voler tout ce qu'on avait.”
Kate resta figée sur sa chaise pendant que l'autre femme disait cela. Elle comprenait que la mère de Will ne lui faisait pas encore entièrement confiance et elle devina que c'était surtout lié à la façon dont elle était arrivée à la forge. Cela dit, elle ne pouvait s'empêcher de penser que c'était aussi lié à autre chose : à son talent et à la marque de contrat synallagmatique qu'elle avait au mollet.
“Pas tout”, dit Thomas, visiblement conscient de l'inconfort de Kate. “Et elle a beaucoup travaillé depuis ce moment-là, Winifred.”
“Oui, j'imagine.”
Kate lisait assez clairement dans les pensées de la femme pour savoir que ce n'était pas de l'aversion mais plutôt du manque de confiance. Elle trouvait Kate imprévisible et le problème était qu'elle n'avait pas autant confiance en les dons de Kate que son mari. Kate se retira des pensées de Winifred car elle ne voulait pas s'immiscer là où on ne la voulait pas.
“Cette histoire a l'air trop intéressante pour qu'on l'ignore”, dit Will. “Kate, il va falloir que tu m'en dises plus. Peut-être … peut-être pourrions nous aller en ville plus tard, tous les deux ?”
Kate n'eut pas besoin d'espionner les pensées de Winifred pour voir qu'elle était choquée.
“Will, je ne crois pas que —”
“Je suis sûr que ce sera bien”, dit Thomas. “Vous devriez sortir ensemble, vous deux.”
A cet instant-là, c'était ce que Kate voulait le plus.
***
Bien sûr, Kate ne put pas tout simplement quitter la forge comme ça. Il fallait encore qu'elle montre à Thomas le travail qu'elle avait effectué sur l'épée. Elle y apporta quelques ajustements quand il suggéra qu'il fallait que la soie soit plus épaisse avec le métal et que le fuselage soit moins carré sur le bord.
Ensuite, il y eut les corvées que Winifred lui trouva soudain à faire, de nettoyer la cour à éplucher les légumes dans la maison. Ce qu'elle essayait de faire semblait évident à Kate : elle essayait de l'occuper suffisamment pour qu'elle n'ait plus le temps d'aller en ville avec son fils.
Kate contourna cet obstacle en s'enfuyant quand Winifred eut le dos tourné. Thomas, lui, était au courant du subterfuge. Il hocha la tête comme pour exprimer sa permission. C'était bien, parce que Kate ne voulait pas prendre le risque de le contrarier.
Will l'attendait dans la cour et Kate vit qu'il était extrêmement excité.
“Es-tu prête à partir ?” demanda-t-il. “Voulais-tu te laver d'abord ou —”
“Pourquoi ?” répliqua Kate. “Je n'ai pas l'air assez belle pour sortir avec toi comme ça ?”
“Tu as l'air superbe”, dit Will, et Kate trouva étrange d'entendre ces mots parce qu'elle n'avait pas l'habitude qu'on lui fasse des compliments. C'était à Sophia que les gens faisaient des compliments, pas à elle.
“Bien”, dit-elle. “De plus, je pense que ta mère va essayer de me garder éternellement ici si on n'y va pas maintenant.”
“Dans ce cas, allons-y”, dit Will en riant et en jetant un coup d’œil à la maison. Il tendit la main vers celle de Kate, qui se surprit elle-même en autorisant le garçon à la prendre.
Ils allèrent vers la ville et Kate comprit que Will connaissait parfaitement le chemin, beaucoup mieux qu'elle. Il ouvrit la marche dans des rues larges et le soleil se mit à briller. Alors qu'ils avançaient, Kate se mit à regarder tous les gens qui remplissaient les rues. La plupart d'entre eux ne faisaient que rentrer chez eux mais il y avait aussi des amuseurs publics : un homme qui marchait sur des échasses plus hautes que Kate, deux lutteurs qui essayaient de se jeter l'un l'autre dans une fosse remplie de sable.
“Où allons-nous ?” demanda Kate.
“Je me suis dit que nous pourrions aller à l'un des théâtres”, dit Will. “Les Acteurs du Vieux Roi interprètent une version du Conte de Cressa.”
Kate ne voulut pas admettre qu'elle n'avait entendu parler ni de la pièce ni de la troupe parce qu'elle supposait que tous ceux qui n'avaient pas été élevés dans la Maison des Oubliés connaissaient forcément ces choses. Elle se contenta de suivre Will, qui la mena à un grand bâtiment rond qui ressemblait à une grange dont le mur extérieur était recouvert de peintures voyantes de scènes de théâtre. Il y avait déjà des gens qui s'y rassemblaient, attendant que les joueurs, qui se tenaient à la porte pour récolter le penny d'entrée, les laissent entrer.
Will paya pour eux deux et Kate se retrouva au milieu d'une foule si dense qu'elle pouvait tout juste respirer.
“Ça va ?” demanda Will.
Kate hocha la tête. “C'est la première fois que je vais au théâtre. C'est vraiment bondé.”
La pièce ne tarda pas à commencer et Kate se laissa emporter par l'histoire d'une fille du bout de la péninsule de Curl qui était forcée de partir à la recherche d'un garçon dont elle avait perdu l'amour. Kate ne pouvait imaginer faire tant de chemin pour un garçon mais le spectacle la faisait rêver. Les Acteurs du Vieux Roi avaient visiblement compris que leur public voulait de l'action et de la musique, des feux d'artifice et des apparitions soudaines. Ils les leur donnèrent, même si, de temps en temps, ils s'interrompaient pour déclamer des discours rimés qui semblaient longs, comme s'ils les avaient ajoutés pour essayer d'allonger la pièce. Kate rit fort à certains moments comiques et assista passionnément aux combats sur scène.
Elle se rendit aussi compte qu'elle avait tenu la main à William pendant toute la représentation, qu'elle ne voulait pas le lâcher ou risquer de perdre ce contact. Elle ne savait pas si elle aurait voyagé tout le long de la péninsule de Curl pour le retrouver mais, si elle le perdait dans un théâtre bondé, elle jouerait certainement des coudes pour aller le rejoindre.
Quand ils se déversèrent dans la rue avec le reste de la foule, Kate avait le souffle coupé par la pièce. Elle se sentait vivante et éveillée.
“Nous devrions probablement rentrer”, dit Will, dont les pensées pensaient le contraire.
Je n'ai pas encore envie de rentrer.
“Dans un moment”, dit Kate en faisant écho à ses pensées. “Pour l'instant … est-ce qu'on peut marcher un peu ?”
Will eut l'air étonné par sa requête, comme s'il s'était attendu à ce qu'elle veuille rentrer aussi vite que possible, mais il hocha la tête avec enthousiasme puis montra le chemin.
“Tout à fait. On peut monter à la rangée des jardins.”
Kate ne savait pas ce que c'était et fut agréablement étonnée quand, au bout de deux ou trois rues, Will l'emmena à une échelle qui menait vers les toits de la ville. L'espace d'un instant, Kate repensa à la cachette qu'elle avait trouvée avec sa sœur dernière les cheminées, où personne ne pouvait les trouver ni leur faire du mal.
“Tu veux monter là-haut ?” demanda Kate.
“Fais-moi confiance”, dit Will.
A sa grande surprise, Kate le fit alors que, normalement, elle n'aurait jamais accordé sa confiance aussi facilement. Elle se mit à grimper et ce ne fut que quand ils atteignirent le sommet qu'elle vit ce qu'il y avait en haut. Étonnamment, une rangée d'arbres se dressait sur les toits, dans un jardin qui semblait s'étendre sur plusieurs maisons différentes.
“C'est beau”, dit Kate. “C'est comme un morceau de campagne au milieu de la ville.”
C'était plus que ça; c'était une chose pleine d'espoir et de défi qui se dressait contre la pression écrasante de la ville en un acte unique de croissance et de verdure.
Will hocha la tête. “On dit qu'un noble a planté ce jardin pour pouvoir y réfléchir mais que, après sa mort, les gens l'ont entretenu.” Ils se mirent à faire le tour des quelques arbres, où des lanternes pendues attiraient les mites lunaires. “Tu n'as probablement pas vu grand chose de la ville, toi qui as grandi dans un orphelinat.”
Kate se figea l'espace d'un instant parce qu'elle savait qu'elle n'avait pas parlé de cela à Will. Peut-être sa mère le lui avait-elle dit en espérant le persuader de ne pas s'intéresser à Kate. Kate savait que Winifred ne la détestait pas vraiment et qu'elle s'inquiétait seulement de l'impact potentiel de la présence de Kate.
“Non. La porte était laissée ouverte mais c'était comme par raillerie. On pouvait partir mais on savait toujours qu'il n'y avait nulle part où aller. Et si tu partais et que tu revenais …”
Kate ne voulait pas penser à certaines des punitions qu'elle avait vu infliger pour cette raison-là. La Maison des Oubliés avait été un endroit violent même dans le meilleur des cas mais ces punitions-là avaient été assez violentes pour que les filles se retrouvent brisées, les yeux dans le vague.
“Ça a l'air horrible”, dit Will. Kate ne voulait pas de sa sympathie parce qu'elle ne voulait pas en avoir besoin. Cela dit, ce n'était pas la même chose si ça venait de Will au lieu de venir de quelqu'un d'autre.
“ Ça l'était”, convint Kate. “Comme les sœurs savaient qu'elles nous vendraient plus tard, elles passaient leur temps à essayer de nous transformer en petites créatures obéissantes dotées de juste assez de compétences pour aller chercher du vin à un noble ou travailler comme apprentie.” Kate s'interrompit et posa une main contre un arbre. “Cela dit, peu importe. Je n'y suis pas maintenant.”
“Tu n'y es pas”, dit Will, “et je suis heureux que tu sois ici.”
Kate sourit à ces paroles. “Et toi ?” demanda-t-elle. “J'imagine que la guerre n'est pas aussi monotone et sûre que tu veux le faire croire à ta mère.”
En fait, elle soupçonnait que c'était tout sauf cela. Elle voulait entendre la vérité, les batailles et affrontements de plus petite échelle, les endroits où Will avait été. Elle voulait entendre tout ce qu'il avait à lui dire.
“Pas vraiment”, dit Will en poussant un soupir. “Lord Cranston fait tout son possible pour nous tenir à l'écart des combats mais, quand il faut se battre, c'est terrifiant. Il n'y a que de la violence partout. Et même quand tu ne te bats pas, il y a la mauvaise nourriture, le risque de tomber malade …”
“A t'entendre, ça a l'air très héroïque !” dit Kate en riant.
Will secoua la tête. “Ça ne l'est pas. Si les guerres débordent par-dessus le Knife-Water et arrivent ici, les gens le constateront.”
Kate espérait que cela n'arriverait pas mais, en même temps, elle en avait en partie envie parce que ce serait une chance de se battre. Alors, elle voulut se battre. Elle se dit qu'elle se battrait contre le monde entier si nécessaire. L'horreur ne comptait pas. Il y aurait aussi de la gloire à gagner.
“La moitié du temps, les batailles ne sont qu'une vengeance pour les autres batailles menées il y a une vie de cela ou il y a encore plus longtemps”, dit Will. “La vengeance, c'est stérile.”
Kate n'en était pas si sûre. “Il y a quelques personnes contre lesquelles j'aimerais me venger.”
“Ça ne fait aucun bien, Kate,”, dit Will. “Tu te venges puis ils veulent se venger jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne.” Il s'interrompit l'espace d'un instant puis rit. “Comment avons-nous fait pour devenir aussi lugubres si vite ? Nous étions censés passer un bon moment.”
Kate tendit la main et lui toucha le bras, rêvant d'avoir le courage d'en faire plus. Elle aimait Will.
“Je passe un bon moment”, dit-elle, “et je pense que tu as l'air très courageux, avec ton régiment. J'aimerais te voir là-bas.”
Will sourit à ces mots. “Je ne crois pas que ce serait aussi fringant que tu l'imagines.”
Kate soupçonna que ce serait tout ce qu'elle espérait et plus encore.
“Je le veux quand même”, dit Kate.
Quand Will hocha la tête, elle fut aussi heureuse que possible. “D'accord”, dit-il, “mais le matin. Les soldats ont l'air plus impressionnants à la lumière du jour.”
Kate était impatiente de voir venir ce jour.
CHAPITRE DIX-SEPT
Sophia errait dans le palais et, ce faisant, n'arrivait pas à ne pas penser à la chance qu'elle avait eue. Elle venait de nulle part et maintenant … maintenant, sa vie semblait en fait sur le point de commencer. Elle avait trouvé l'endroit qu'elle avait cherché et c'était tout ce qu'elle aurait jamais pu espérer. Le palais était splendide.
Sophia voulait pouvoir rester ici. Mieux encore, elle voulait pouvoir rester ici avec Sebastian. Elle se mit à contempler une peinture représentant un noble décédé depuis longtemps tout en se demandant ce qu'elle pourrait faire pour s'assurer que Sebastian ne lui demande pas de partir. Il était évident qu'il l'aimait mais comment Sophia pouvait-elle être sûre que son attachement était sérieux ? Elle était heureuse mais son bonheur lui paraissait aussi fragile qu'une coquille d’œuf. Elle ne voulait pas que quelque chose vienne le briser.
Sophia continua à errer sans savoir précisément où aller. Elle ne voulait pas se contenter de revenir à l'appartement de Sebastian parce que cela donnerait l'impression qu'Angelica et ses amies l'avaient poussée à s'y réfugier ou qu'elle était coincée là et forcée d'attendre que Sebastian la sauve. Elle ne voulait pas revenir à la bibliothèque parce qu'il y avait trop de risques que les filles y soient encore.
Elle monta au hasard vers une galerie où les gens marchaient en regardant les peintures puis elle descendit vers les communs pour comprendre comment le palais était organisé. Elle alla dans un solarium au plafond en verre où des plantes délicates poussaient dans la chaleur et passa quelque temps assise dans un coin où il semblait que personne n'allait passer.
C'est à ce point-là que Sophia se dit qu'elle se comportait de façon stupide. Elle avait au moins une amie au palais, après tout.
Il lui fallut un peu de temps pour trouver Cora. En repartant de la salle de bal, elle arriva à l'espace où la domestique exerçait sa profession avec le maquillage et les parfums.
“Madame”, dit Cora avec un sourire quand Sophia approcha. “Venez vous asseoir. Je vais vous poudrer les joues.”
“Cora, tu n'as pas besoin de t'adresser à moi comme ça”, dit Sophia.
Cora hocha la tête. “Si, et il faut que tu t'y habitues. D'après ce que j'entends dire sur toi et le Prince Sebastian, tu vas rester ici un certain temps. Il ne faut pas que tu oublies qui tu es.”
“Qui je prétends être, tu veux dire ?” dit Sophia. L'identité de Sophia de Meinhalt lui semblait tout autant être un masque que celui qu'elle avait porté au bal.
Cora la poussa dans la chaise. “Tu ne dois jamais dire ça ici. Quelqu'un écoute peut-être sans que tu le saches. Dorénavant, tu es Sophia de Meinhalt.”
Que nous arriverait-il si la douairière découvrait que son fils avait été dupé ? Je ne sais pas.
Sophia capta clairement cette pensée. Elle pensait comprendre l'idée qu'il risquait d'y avoir des espions, ou simplement des domestiques en position d'entendre plus qu'ils ne le devraient. Après tout, Sophia elle-même passait sa vie à surprendre les pensées des gens plus qu'elle ne le devrait. Elle comprenait aussi le danger dont parlait Cora. Personne n'aimait se faire duper et la douairière protégerait son fils, n'est-ce pas ?
“D'accord”, dit Sophia, “mais je peux encore venir te voir, n'est-ce pas ? Même une dame noble a besoin qu'on la maquille.”
“C'est vrai”, convint Cora, qui se mit alors à saupoudrer les traits de Sophia avec une poudre qui transforma son teint naturellement pâle en quelque chose de lumineux et sans imperfection. “Et pendant qu'elle se fait maquiller, elle peut me dire comment les choses se sont passées avec un certain prince.”
“Merveilleusement bien”, dit Sophia, incapable de s'en empêcher. “Il est … parfait, Cora.”
Cora lui brossa les lèvres avec un soupçon de rouge. “Il n'est pas l'homme que j'avais suggéré.”
En était-elle fâchée ? Non, comme le comprit Sophia en jetant un coup d’œil dans les pensées de sa nouvelle amie. Cora s'inquiétait seulement pour toutes les choses qui risquaient d'aller de travers maintenant que Sophia avait choisi un prince au lieu d'un petit noble bien terne.
“Je n'avais pas prévu de le choisir”, dit Sophia. Elle voulait que Cora le comprenne. Elle ne voulait pas qu'elle pense qu'elle avait tout simplement décidé d'ignorer ses conseils.
“C'est juste que … cela rend les choses plus dangereuses si quelque chose va de travers”, dit Cora. “Tu sais qu'il y a des rumeurs qui courent sur toi dans le palais, maintenant ?”
Sophia avait deviné que cela risquait d'arriver en apprenant qu'Angelica avait entendu dire beaucoup de choses sur elle. “Quel genre de rumeurs ?”
“Que tu as réussi à écarter Milady d’Angelica et à conquérir le cœur du prince. Que tu es étonnamment belle et que personne ne sait d'où tu viens. Que tu as fui les guerres qui se déroulent de l'autre côté de l'océan, où tu as de dangereux ennemis. Je te jure que la moitié des domestiques dit tout le temps que tu es belle et que tu danses merveilleusement bien.”
Sophia secoua la tête à cette idée. “J'ai tout juste réussi à danser sans m'emmêler les pieds.”
Cela fit rire la domestique. “Et tu t'imagines que c'est important ? Les gens voient ce qu'ils veulent voir.”
C'était bien sûr la raison principale du succès de Sophia. Si elle avait pu trouver une place à la cour, c'était uniquement parce que les gens voulaient voir la fille mystérieuse qui fuyait un conflit, pas la réalité.
“C'est juste que …” commença Cora. “Fais attention. Il y a déjà des gens qui essaient de trouver exactement qui tu es. J'entends dire que Milady d’Angelica pose des questions et qu'elle n'est pas la seule. Les nobles détestent ne pas être au courant de tout.”
Sophia pouvait le comprendre. “J'essaierai de faire attention.”
Elle partit et se dit qu'elle avait l'air encore plus belle que pour le bal de la veille. Il était difficile de croire qu'elle pouvait se promener dans le palais sans qu'on lui demande qui elle était. Peut-être fut-ce à cause de son étonnement qu'elle ne fit pas aussi attention aux pensées qui l'entouraient qu'elle aurait dû le faire ou peut-être s'était-elle habituée à l'idée que les personnes qu'elle croiserait ne l'embêteraient pas.
D'une façon ou d'une autre, elle tourna à un coin et se figea quand elle se retrouva face à face avec Rupert, héritier du royaume et frère aîné de Sebastian.
Il n'était pas habillé tout à fait aussi élégamment qu'à la soirée mais presque. Il avait beaucoup de brocart en or sur une tenue en velours rouge parsemée d'éclats de soie couleur crème. Comme Sebastian, il était un beau jeune homme mais son attitude comportait une assurance, sinon même une arrogance, qui indiquait que le Prince Rupert était entièrement conscient de sa beauté. Sophia regarda ses yeux l'inspecter avec un mélange de surprise, d'amusement et … d'admiration.
“Votre Altesse”, dit Sophia en faisant une révérence hâtive. Il fallait qu'elle se souvienne de l'étiquette, même si elle savait exactement ce qu'était Rupert.
“Et vous êtes Sophia, n'est-ce pas ?” Il ne se fatigua pas à utiliser le mensonge qu'était son nom de famille. Avec n'importe qui d'autre, Sophia aurait pu prendre cela pour de l'amitié. Avec lui, elle comprenait qu'il ne sentait tout simplement pas le besoin d'accorder ne serait-ce que ce respect à qui que ce soit. Elle n'était qu'une fille de plus parmi tant d'autres, même si elle était avec son frère.
“Oui, Votre Altesse”, dit Sophia. “Sophia de Meinhalt.”
Il lui prit la main et la fit se relever de sa révérence avec toute la grâce que Sophia aurait pu s'attendre à trouver chez un prince héritier. Cependant, il ne lui lâcha pas la main mais la tint d'une façon qui aurait pu paraître courtoise et romantique à tout spectateur mais qui donnait en fait l'impression à Sophia qu'il la tenait en place et la revendiquait tout aussi assurément qu'un homme qui saisissait le bras à un voleur.
“Je vous ai vue au bal hier soir”, dit-il. “Vous avez dansé avec mon frère. Vous auriez dû venir me retrouver. Nous aurions pu danser ensemble.”
Il suffit à Sophia de jeter un seul coup d’œil à ses pensées pour convaincre Sophia qu'il ne pensait pas du tout à danser.
“Vous aviez l'air occupé avec d'autres dames”, dit Sophia avec un rire délicat.
Rupert la regarda droit dans les yeux. “Je ne suis pas occupé maintenant et j'aimerais découvrir exactement ce qui a captivé Sebastian à ce point. Peut-être pourrions-nous aller quelque part.”
Sophia n'eut pas besoin de demander ce qu'il comptait faire quand ils arriveraient à l'endroit en question. Elle le vit dans son esprit avec autant de clarté que si quelqu'un l'y avait peint. Elle se trouva reconnaissante que Cora lui ait appliqué de la poudre sur les traits parce que cette dernière lui permit de dissimuler l'intensité avec laquelle elle rougit.
“Votre Altesse, c'est impossible. Votre frère —”
“N'est pas ici”, signala Rupert.
Elle n'est qu'une putain. Pourquoi fait-elle des problèmes ?
“Votre Altesse”, commença Sophia en essayant de trouver un moyen de se sortir de cette situation sans être obligée de gifler l'héritier du trône. Elle comprit comment le Prince Rupert la voyait : comme une chose qu'il fallait qu'il utilise parce que son frère l'avait fait, comme un butin qu'il revendiquait parce qu'il était l'aîné. Il la trouvait belle mais Sophia était certaine qu'il ne la considérait pas comme une vraie personne.
“Je suis sûr que vous trouvez mon frère doux et gentil”, dit Rupert. Une fois de plus, Sophia capta des images qui lui donnèrent envie de s'en aller. “Et ennuyeux. Je ne pense pas que nous nous ennuierons tous les deux quand nous serons —”
“Sophia ?”
Sophia n'avait jamais été aussi reconnaissante que quand elle entendit le son de la voix de Sebastian à ce moment-là. Elle réussit à se libérer de l'emprise de Rupert quand Sebastian passa le coin et elle se précipita vers lui.
“Sebastian”, dit-elle avec toute la joie qu'elle ressentait à l'idée de ne plus être sous l'emprise de Rupert ajoutée à celle qu'elle ressentait tout à fait normalement en voyant Sebastian. “Tu es revenu ! J'espère que tu as passé une bonne journée !”
“Moi qui connais mon frère”, dit Rupert comme si de rien n'était, “je sais que tout cela l'aura ennuyé autant que possible. Sebastian, Mère veut que nous dînions avec elle dans à peu près une heure. Emmène Sophia. Je suis sûre que Mère l'adorera. Elle a l'air ravissante.”
Sophia perçut brièvement les dernières choses qu'il pensa sur elle avant de partir. Ce fut assez répugnant pour qu'elle s'accroche au bras de Sebastian en souhaitant pouvoir oublier à jamais ce qu'elle venait de voir dans l'esprit de Rupert.
“Je suis heureuse que tu sois ici”, dit Sophia en se penchant contre lui.
“J'espère que Rupert n'a pas été trop insistant”, répondit Sebastian. Sophia entendit son souci. Avant Sophia, il y avait eu des filles que Rupert avait volées à Sebastian quand elles s’étaient rendu compte que c'était Rupert qui voulait être le plus extravagant. Le fait qu'elles ne soient plus au palais maintenant indiquait la rapidité avec laquelle Rupert les avait rejetées.