Kitabı oku: «Un Trône pour des Sœurs », sayfa 11

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“Non, ça va.”

Une partie d'elle même voulait dire à Sebastian ce qui s'était exactement passé mais que pouvait-elle dire ? Qu'elle avait lu dans les pensées de Rupert et qu'elle savait ce qu'il voulait ?

“Nous avons encore du temps avant le dîner”, dit Sebastian. “Aimerais-tu marcher un moment dans le labyrinthe ?”

Sophia hocha la tête. Du moment qu'ils sortaient d'ici et qu'elle était avec Sebastian ... Elle sortit dans les jardins avec lui, où des lampes commençaient à éclairer les fleurs qui s'étaient ouvertes dans l'obscurité, pâles et argentées.

“Ce sont des orchidées de minuit”, dit Sebastian, qui avait visiblement remarqué le regard de Sophia. “Elles s'ouvrent pour attirer les papillons de nuit, qui dorment le jour, pour ne pas avoir à être en concurrence avec les autres fleurs.”

“Elles croient qu'elles ne peuvent pas attirer les papillons ?” demanda Sophia. “Pourtant, elles sont belles.”

Sebastian lui toucha le bras et ce simple contact fit frissonner Sophia. “Parfois, les plus belles choses peuvent arriver quand on ne les attend pas.”

Ils continuèrent d'avancer dans le labyrinthe. Sophia avait l'impression que Sebastian connaissait le chemin parce qu'il prenait les tournants avec assurance alors qu'elle était perdue.

“On dirait qu'il est possible de se perdre longtemps dans cet endroit”, dit Sophia. “Est-ce pourquoi tu aimes venir ici ?”

“En partie”, dit Sebastian, “mais cela signifie aussi que nous pouvons y être tranquilles.”

Sophia décida d'en profiter et se rapprocha de lui pour l'embrasser. Elle avait du mal à croire qu'elle était libre de faire ça, et presque tout ce qu'elle voulait faire d'autre, avec quelqu'un comme Sebastian. Mieux encore, elle avait du mal à croire qu'elle avait trouvé quelqu'un comme lui.

Cela dit, c'était bien réel et Sophia resta proche de lui alors qu'ils continuaient à s’enfoncer dans le labyrinthe.

“Il y a un cadran solaire au centre”, dit Sebastian, “et une pergola avec une chaise à l'intérieur.”

“Intéressant”, dit Sophia avec un sourire. Un endroit où ils pourraient s'asseoir ensemble, ou un endroit où ils pourraient faire plus que simplement s'asseoir. Sophia ne s'était jamais sentie aussi détendue avec qui que ce soit. “Du moment que tu connais le chemin.”

“Je le connais.”

Ils continuèrent à avancer entre les murs rapprochés du labyrinthe formel. Il était réconfortant de savoir que Sebastian connaissait le chemin de la sortie mais, malgré cela, Sophia se retrouva prisonnière de ses souvenirs : elle courait dans des couloirs étroits, courait, se cachait en espérant qu'on ne les trouverait pas. Des flammes léchaient les murs et elle sentait leur chaleur et le goût amer de la fumée. Elle disait à sa sœur de se taire parce que le moindre son pouvait —

“Sophia ?” dit gentiment Sebastian.

Sophia revint au moment présent, regarda Sebastian et le prit dans ses bras. “Désolée. J'étais ailleurs.”

“Tu vas bien ?” demanda Sebastian. “Si tu ne vas pas bien, je peux peut-être persuader ma mère que tu ne pourras pas venir au dîner.”

Sophia comprenait quand même qu'il valait mieux éviter d'en arriver là. Ce que la douairière voulait, elle semblait toujours l'obtenir.

“Non, ça ira”, dit-elle. “Je ne veux pas compliquer les choses avec ta mère.”

Et pourtant, elle avait l'impression décourageante que tout allait devenir vraiment très difficile avec sa mère.

***

Sophia se tenait avec Sebastian devant les portes menant à une petite salle à manger, attendant qu'un domestique les annonce. Elle essayait autant que possible de ne pas avoir l'air nerveuse mais elle avait la main qui tremblait et Sebastian le remarqua.

“Tout ira bien”, dit Sebastian. “Ma mère n'est pas un monstre.”

Il le disait plus facilement qu'elle ne pouvait le croire. La douairière gouvernait seule le royaume depuis la mort de son mari sans se laisser dominer par l'Assemblée des Nobles ou l’Église de l'Ordre de la Déesse Masquée. Elle avait survécu à des complots et à des problèmes économiques, à des guerres de l'autre côté des mers et des menaces de rébellion dans les Colonies Proches. Sophia se sentait certaine que, quand la douairière la verrait, elle repérerait son imposture en un instant.

“Le Prince Sebastian et Sophia de Meinhalt !” annonça un domestique en ouvrant la porte d'une salle à manger qui avait l'air fort petite par rapport aux autres pièces du palais, ce qui signifiait qu'elle était plus petite que ce qui représentait ailleurs un bâtiment entier.

A cet endroit, il y avait une table et peut-être une demi-douzaine d'autres personnes y étaient assises, toutes habillées en tenue de cour raffinée mais quand même de façon un peu moins formelle qu'elles ne l'auraient été à un banquet officiel. Sophia reconnut le Prince Rupert mais aucun des autres convives.

Elle se retrouva rapidement prisonnière d'une effarante série de présentations dont le but était visiblement de la mettre à l'aise mais qui semblaient surtout lui rappeler qu'elle n'était vraiment pas à sa place en ce lieu.

Une femme portant un voile gris clair se présenta comme s'appelant Justina, la Grande Prêtresse de l'Ordre de la Déesse Masquée. Un homme à côtelettes aux cheveux grisonnants s'avéra être un amiral. Les autres étaient un baronnet, un gouverneur de comté et l'épouse du gouverneur. La seule raison pour la présence de ces individus disparates semblait être que la douairière désirait leur présence. Peut-être étaient-ce des amis de sa jeunesse ou des gens qu'elle appréciait et qui lui rendaient visite.

La seule chose qui rendit Sophia plus nerveuse fut le moment où la douairière elle-même entra. La Reine Douairière Mary de la Maison de Flamberg n'était pas grande et l'âge lui avait rendu les cheveux gris et la peau pâle mais sa posture avait la dureté du fer et rien ne semblait pouvoir l'ébranler. Elle portait le deuil, comme elle le faisait toujours depuis la mort de son mari. Elle se plaça à la tête de la table et fit signe aux invités.

“Veuillez vous asseoir”, dit-elle.

Sophia le fit en espérant que la présence des autres lui permettrait de se fondre un peu dans la masse et qu'elle ne serait qu'une invitée parmi tous les autres. Pourtant, quand les domestiques commencèrent à apporter un pigeon et une grouse, Sophia sentit ce regard froid comme l'acier se poser sur elle.

“Sebastian, mon cher, il faut que tu me présentes à ton invitée.”

“Certainement, Mère. Voici Sophia de Meinhalt. Sophia, voici ma mère, Mary de Flamberg.”

“Votre Majesté”, réussit à dire Sophia en baissant la tête aussi bien qu'elle le pouvait.

“Ah, Meinhalt”, dit la Douairière. “Quelle triste histoire. Dites-moi, ma fille, que pensez-vous des guerres qui assaillent le continent ?”

Sophia vit assez de ses pensées pour savoir que c'était une épreuve mais pas assez pour savoir ce qu'il fallait qu'elle réponde. Finalement, elle saisit sa réponse dans les pensées de Sebastian en espérant qu'il connaîtrait assez bien sa mère pour que ce soit un bon choix.

“Ce qui m'inquiète, c'est qu'elles risquent de se propager jusqu'ici”, dit Sophia.

“Je suis sûre que nous partageons tous cette inquiétude”, répondit la douairière. Sophia ne savait pas si elle avait réussi l'épreuve que la femme âgée lui avait imposée. “Cela dit, on dirait que mon fils est heureux que certaines choses aient au moins réussi à traverser le Knife-Water. Vous devriez nous parler de vous-même.”

Sophia fit de son mieux en essayant de faire passer son manque de savoir pour de l'humilité ou de la réticence. “Je suis venue avant la chute de la ville, Votre Majesté. Je pense avoir eu beaucoup de chance.”

“La Déesse est généreuse”, murmura la Grande Prêtresse.

“Effectivement”, dit la douairière. “Cela dit, il me semble me souvenir que tu nous as dit que, parfois, elle nous faisait aussi souffrir, Justina.”

On lui posa d'autres questions. Dans son pays, avait-elle aimé patiner sur la rivière en hiver ? Que pensait-elle des différents camps qui s'affrontaient ? Sophia fit de son mieux mais son talent avait ses limites et elle ne savait pas tant de choses sur Meinhalt. Elle aurait dû passer plus de temps à lire sur ce pays à la bibliothèque. Finalement, elle fit la seule chose qu'elle pouvait et essaya de détourner la conversation.

“Amiral, j'ai toujours voulu savoir comment on pouvait surveiller tous les mouvements d'une armée entière. Comment y arrivez-vous ?”

“Avec des cartes, ma chère”, dit-il. “Essentiellement avec des cartes.”

Il semblait évident qu'il le disait pour plaisanter, donc, Sophia rit avec lui. Il se mit à décrire les diverses méthodes utilisées pour combiner les cartes nautiques. Le Prince Rupert l'interrompit en affirmant que personne ne s'y intéressait et se mit à parler de chasse. Sophia ne s'en sentit pas dérangée car cela permettait de détourner l'attention de sa personne.

Les autres ne la regardaient pas, à quelques exceptions près. De temps à autre, la Grande Prêtresse lui jetait un coup d’œil d'un air étrange et Sophia n'osait pas essayer de lire dans ses pensées pour interpréter son regard. A chaque fois que Sophia regardait Sebastian, il semblait avoir les yeux sur elle avec une expression tendre et aimante, ou pleine d'espoir, ou pour s'assurer qu'elle allait bien. Rupert la regarda plus d'une fois d'un air prédateur qui indiquait qu'il ne contenterait pas en rester là. C'était assez pour donner envie à Sophia de se raccrocher à Sebastian et de ne jamais le laisser partir.

Quant à la douairière, elle la regardait posément, comme si elle essayait de comprendre qui Sophia était ou d'épier ses sentiments. Il y avait quelque chose de constant, certainement d'imperturbable, dans ce regard. Cela inquiétait plus Sophia que tout le reste. Elle se sentait comme un spécimen que l'on gardait sous verre pour l'examiner, incapable de cacher quoi que ce soit. A cet instant-là, elle avait l'impression qu'elle était un imposteur et tout regard, tout mot déplacé ne faisait que renforcer cette impression. Combien de temps allait-elle pouvoir maintenir cette supercherie ?

D'une façon ou d'une autre, elle réussit à survivre au dîner en conversant poliment avec les autres pendant qu'ils mangeaient une quantité de nourriture qui aurait pu servir pour un festin entier. Sophia mangea peu et, quand il fut l'heure, elle fut très heureuse de pouvoir se lever et d'être prête à partir.

Bien sûr, il fallait encore prendre congé et, un par un, Sophia serra la main aux autres invités, murmurant des au-revoir et disant qu'elle avait beaucoup apprécié la soirée. Même quand Rupert la toucha, il ne le fit guère qu'une seconde de plus qu'il n'aurait dû.

La douairière sourit quand Sophia lui fit sa révérence et lui prit la main.

“Il est agréable de voir que mon fils a trouvé une fille aussi aimable et intelligente avec laquelle passer son temps”, dit-elle, et Sophia aurait été apprécié le compliment en toute autre circonstance. Devant la douairière, elle dut se forcer à sourire et à murmurer qu'elle était honorée, gênée par les pensées qu'elle entendait derrière les mots.

Je trouverai qui est cette fille. Mon fils devrait être avec quelqu'un d'acceptable, pas avec une fille qui tombe du ciel.

Sophia dut lutter contre son envie de s'enfuir en courant. Elle fut reconnaissante quand Sebastian lui prit le bras et l'emmena.

“Cela s'est mieux passé que je m'y attendais”, dit Sebastian alors qu'ils partaient. “Je pense que ma mère t'apprécie.”

Sophia lui rendit son sourire. “Je l'espère.”

Elle l'espérait mais n'y croyait pas. Elle sentait que ses plans se décomposaient sous ses pieds, qu'ils se déchiraient sous le poids du soupçon de la douairière. A cet instant-là, une partie de Sophia voulait plus que toute autre chose s'enfuir et ne jamais revenir.

Non. Elle ne pouvait pas quitter tout ça. Pas maintenant, pas après tous ces efforts, après avoir tellement travaillé pour en arriver là, après avoir pris tant de risques.

Et après être tombée amoureuse de Sebastian.

Elle avait beau avoir terriblement envie de s'enfuir, elle ne le pouvait pas.

Alors, elle se rendit soudainement compte de ce qu'il fallait qu'elle fasse : il fallait qu'elle parle à sa sœur. Kate était pragmatique. Kate aurait un plan et saurait probablement lui indiquer comment se sortir de ce pétrin.

Elle allait partir en ville et faire tout son possible pour la retrouver.

Kate, dit-elle par télépathie. J'arrive.

CHAPITRE DIX-HUIT

Kate sentait l'excitation monter en elle alors qu'elle marchait avec Will vers la périphérie d'Ashton. Là-bas, les maisons donnaient sur des espaces plus ouverts et Kate vit la verdure des Ridings au-delà, plate, ouverte et libre.

Un jour, elle irait dans cet espace ouvert, mais pas ce matin. Ce matin, Kate était plus intéressée par le bord de la ville, où flottaient les drapeaux gris et bleus du régiment de Will.

“Es-tu sûre que tu veux aller voir ma compagnie ?” demanda Will. Il avait l'air étonné par l'idée que Kate puisse trouver de l'intérêt à cela. “Il y a cent autres choses que nous pourrions faire, aujourd'hui.”

Kate capta quelques aperçus de ces choses dans ses pensées. Ils pourraient aller au théâtre ou se promener dans un des espaces verts situés près de la ville. Ils pourraient aller manger ensemble dans une des tavernes ou aller à l'endroit où Will savait qu'un violoniste allait jouer pour faire danser les gens. Tout cela était intéressant mais ce n'était pas ce que Kate voulait.

“Je veux voir à quoi ça ressemble”, dit Kate. “Comment puis-je fabriquer les meilleures armes si je ne sais rien sur le genre de personne qui va s'en servir ?”

C'était un bon argument mais ce n'était pas toute la vérité. La vérité, c'était que, depuis que Kate savait qu'une des compagnies libres était là, elle était pleine de curiosité. Ces hommes parcouraient le monde, combattaient des ennemis et visitaient des endroits exotiques. Elle voulait tout savoir sur la question. Elle voulait voir ça de ses propres yeux.

Malgré cela, Will avait l'air un peu nerveux alors qu'ils approchaient et Kate vit qu'il s'inquiétait de ce qui risquait de se produire quand il arriverait là-bas et de la façon dont les autres membres de son régiment allaient réagir à la présence de Kate. Kate était résolue à ne pas se laisser impressionner. Elle voulait rencontrer ces gens.

Ils atteignirent finalement l'espace où le régiment campait. Il y avait des tentes disposées en un carré bien délimité pour ceux qui n'avaient pas de famille en ville pour les héberger ou qui risquaient de ne pas revenir s'ils partaient. Kate devina que c'était aussi en partie pour que les soldats restent au bord de la ville, où ils ne pouvaient pas faire grand mal.

Il y avait des hommes qui s'entraînaient et d'autres qui travaillaient ou qui restaient assis dans la chaleur ambiante ou qui jouaient de l'argent entre eux. Kate vit de nouvelles recrues qui n'avaient même pas d'uniforme et qui travaillaient à rester en formation pendant qu'un sergent leur hurlait des ordres. Il y avait des hommes plus expérimentés qui s'entraînaient au combat à l'épée et au tir à l'arc, faisaient des exercices au mousquet et luttaient ensemble.

Il y avait aussi une certaine inquiétude. Kate entendit des soldats s'inquiéter de la possibilité d'une guerre, vit des hommes s'entraîner plus fort parce qu'ils voulaient être prêts en cas d'assaut. Deux hommes qui s'entraînaient avec des épées émoussées semblaient s'infliger des bleus l'un à l'autre par la violence de leurs efforts.

“Je sais que ce n'est pas grand chose”, dit Will, “et que tout cela est un peu rude ces temps-ci mais —”

“C'est parfait”, dit Kate.

Elle se mit à parcourir le camp et à se rapprocher de la tente de ravitaillement où épées et piques, arbalètes et tromblons étaient soigneusement empilés. Il y avait des moules à munitions à côté de pierres à aiguiser pour les couteaux et les hallebardes. Un timonier à la tête rasée la regarda d'un air soupçonneux puis, quand il vit que Will était avec elle, il la laissa évoluer parmi les armes et admirer le travail.

“Tu cherches un défaut dans les lames ?” demanda-t-il, alors qu'il était évident qu'il ne pensait pas que Kate saurait les voir s'il y en avait.

“Eh bien, ces couteaux auraient besoin qu'on les aiguise un peu”, dit Kate, “et je pense que cette hache a un peu été déformée sur les bords pendant qu'elle durcissait.”

Alors, le timonier la regarda avec une surprise telle que Kate le trouva un peu insultant.

“Kate a été formée par mon père pendant que j'étais parti”, dit Will.

“Pourquoi est-ce étonnant que je m'y connaisse en épées ?” demanda Kate.

Elle continua de se promener dans le camp, observant tout ce qui s'y passait, de l'impatience des recrues qui s'efforçaient d'apprendre comment être un soldat aux mouvements prudents et raisonnés des vétérans.

A ce moment, Kate comprit qu'elle désirait cette vie-là encore plus que la vie à la forge. A la forge, elle apprenait à fabriquer des armes mais ces hommes pouvaient s'en servir. Au cours de leur vie, ils voyageaient et combattaient, travaillaient ensemble et échappaient à la vie ordinaire de la ville.

Mieux encore, s'il existait une voie qui pouvait permettre à Kate de se rapprocher de sa vengeance, c'était celle-là.

“Ça te dirait de t'entraîner ?” demanda Kate à Will en prenant deux lames d'entraînement en bois. Elles étaient plus lourdes que celle qu'elle avait conçue et les poignées en chêne lui paraissaient rudes au toucher.

“Tu es sûre ?” demanda Will.

En guise de réponse, Kate lui jeta une des épées. Will l'attrapa et la souleva, en position de garde. Kate l'imita. Il frappa lentement et elle détourna le coup et répliqua. Ils avancèrent et reculèrent et Kate eut l'impression qu'elle captait le rythme du combat, détournait les coups qui s'approchaient trop près d'elle tout en envoyant les siens, que Will parait. Les épées étaient lourdes mais Kate réussissait à bloquer les attaques avec la sienne.

“Tu essaies de la préparer à rejoindre la compagnie, Will ?” cria un vieil homme. “Ou tu essaies seulement de l'impressionner ?”

Kate recula en se demandant comment ça serait de rejoindre cette compagnie. Elle pourrait voyager avec Will, combattre à ses côtés, découvrir des lieux dont Kate avait tout juste entendu parler.

“Je m'enrôlerai peut-être”, dit Kate en mettant les poings sur les hanches.

Le vétéran rit comme si c'était la meilleure blague qu'il ait jamais entendue.

“Tu veux t'enrôler ? Oh, c'en est une bien bonne. Tu aurais dû l'emmener plus tôt, Will. On a toujours besoin de rire un bon coup.”

Kate sentit sa main se crisper autour du pommeau de son épée en bois.

“Je parle sérieusement”, dit-elle sèchement.

“Vous entendez ça, les gars ?” cria le vétéran et, une fois de plus, on aurait cru qu'il répétait une bonne blague qu'il avait entendue. “Elle parle sérieusement. Elle veut se joindre aux hommes de Lord Cranston !”

D'autres hommes du camp se mirent à rire et une sorte de cercle commença à se former autour de Kate et de Will. Visiblement, ces hommes avaient décidé qu'il y avait de quoi s'amuser dans le coin.

Kate sentait que Will s’inquiétait de tout ça. Il voulait partir. Il voulait ramener Kate à la forge avant qu'il puisse arriver autre chose. Au lieu de partir, Kate resta où elle était et fit face aux hommes.

“Et pourquoi ne devrais-je pas vous rejoindre ?” demanda Kate. “Si vous craignez tous que la guerre arrive, vous allez avoir besoin de toutes les bonnes volontés, pas vrai ?”

“De tous les hommes”, dit le vétéran. “Les régiments ne sont pas un endroit pour les filles, surtout pour celles qui ont à peine l'âge de quitter leur mère.”

Kate sentit durcir son expression et monter sa colère. “Tais-toi. Tu ne sais rien sur ma mère.”

Elle vit le vétéran hausser les épaules. “Oh, tu vas me faire taire en bondissant avec ton épée en bois comme si tu savais t'en servir ? Will a été trop gentil avec toi, ma fille. Tu veux savoir à quoi ressemble un vrai combat ?”

A présent, Kate sentait qu'elle était en colère. “Je sais à quoi ressemble un combat.”

Cela fit encore rire les hommes rassemblés et il y avait un genre de cruauté derrière ce rire. Kate intercepta des souvenirs de bataille, des moments où leurs ennemis les avaient attaqués à l'épée. Ils ne la prenaient pas au sérieux. Même Will avait plus l'air de vouloir emmener Kate loin d'ici que de la soutenir.

“Je ne crois pas que tu le saches”, dit le vétéran. Il fit signe à une des plus jeunes recrues, un garçon qui avait plus de graisse que de muscle mais qui, malgré cela, était plus grand que Kate. “Toi, viens ici avec une épée d'entraînement. Montrons à cette petite fille pourquoi elle n'est pas faite pour la guerre.”

Le garçon avança d'un air nerveux et prit une épée en bois. Malgré son inquiétude, il se tint droit devant Kate et ajusta sa prise en levant son arme, comme s'il essayait de se souvenir de ce qu'il faisait.

“Ce n'est pas une bonne idée”, dit Will. “Pourquoi ne pas —”

“Tu l'as emmenée ici”, dit sèchement le vétéran. “Maintenant, souviens-toi de qui tu es dans cette compagnie et sors-toi. Si la fille veut se battre, elle peut se battre.”

Kate tendit la main et la posa sur l'épaule de Will. “Ça ira, Will.”

Elle avança pour faire face à son adversaire, levant son arme comme elle l'avait fait en s'entraînant avec Will. Les hommes qui se tenaient autour d'elle riaient ou plaisantaient les uns avec les autres ou faisaient des paris sur le temps exact qu'elle tiendrait.

“Le combat se poursuivra jusqu'à ce que l'un de vous abandonne”, dit le vétéran. “Tu veux être une de nôtres, ma fille ? Tu vas devoir nous montrer que tu n'es pas faible. Commencez !”

Les pouvoirs de Kate lui fournirent des quantités d'avertissements sur les deux premières attaques et lui permirent de se tenir hors de portée des coups, qui ne firent que fendre l'air. Cela dit, ses pouvoirs n'étaient pas parfaits et elle dut quand même se fier à ses réflexes et ses réactions, parer instinctivement en essayant de se servir de son épée comme défense.

Quand elle le fit, l'impact se propagea violemment dans son bras. La recrue qu'elle affrontait avait peut-être du poids à perdre mais frappait quand même avec tout le pouvoir que lui donnait sa taille. L'épée de Kate tremblait à chaque coup et elle comprit alors que ce garçon voulait lui faire mal. Il voulait prouver aux hommes présents qu'il était l'un d'eux, qu'il avait la même dureté, la même cruauté. Kate cédait devant ses attaques.

Alors, Kate vit à quel point Will s'était retenu quand il s'était battu avec elle. Il n'y avait eu ni cet impact continuel ni ce niveau d’agressivité derrière les coups. Malgré cela, Kate serra les dents et essaya de répliquer. Elle devina qu'elle bénéficiait au moins de plus d'agilité que le garçon mais, à cause du poids de l'épée d'entraînement, elle trouvait difficile de profiter même de cet avantage.

Kate tailla et frappa mais se rendit compte que le garçon bloquait ses coups avec autant de violence que dans ses attaques d'avant. Kate recula en essayant de réfléchir, de trouver si elle pouvait peut-être se débrouiller à feinter pour éviter les parades du garçon ou alors le contourner avec sa taille plus petite et son agilité.

“Bouge !” hurla le vétéran. “Attaque-la ! Écrase-la !”

Kate voulut se plaindre du fait que le garçon avait droit à des conseils extérieurs mais elle n'en eut pas le temps. Le garçon la chargea, fonça sur elle, força sa lame contre la sienne en se rapprochant. Dans ce contexte-là, Kate n'avait pas la place d'utiliser sa vitesse alors que le garçon pouvait mettre en action toute sa taille et sa force.

Il frappa avec le pommeau de son épée d'entraînement en bois et son panier arrondi heurta Kate à la mâchoire. Elle entendit le bruit mat du bois qui frappait l'os en un coup sourd qui l'ébranla et, l'espace d'un instant, le monde sembla tourner autour d'elle. Le garçon la frappa une fois de plus et elle mit un genou à terre.

“Ne t'arrête pas”, cria le vétéran. “Si un ennemi est à terre, tu l'achèves !”

Kate essaya de lever son épée pour bloquer le coup suivant mais, cette fois-ci, l'impact du coup suffit à lui faire tomber l'arme de la main et à l'envoyer virevolter dans l'herbe boueuse. Le garçon la frappa une fois, puis une autre fois, avec l'épée en bois. Il ne se retint pas, comme s'il craignait de faire preuve de faiblesse devant les autres. Au lieu de cela, il rougit sous l'effort comme si le fait que Kate soit immobile ne faisait que le mettre encore plus en colère.

Kate avait déjà été battue. Elle savait absorber les coups, ne jamais montrer sa douleur, se contenter d'accepter ce que l'on ne pouvait pas changer. Toutefois, aujourd'hui, elle s'y refusait. Donc, elle préféra se jeter en avant en essayant de tacler le garçon et de faire en sorte de poursuivre le combat.

Le pommeau de l'épée en bois la frappa une fois de plus à la mâchoire et elle tomba sur l'herbe de tout son long. Le garçon la frappa aux épaules, puis au dos, visiblement résolu à ne pas s'arrêter avant qu'on le lui dise.

Alors, Will arriva et lui arracha facilement l'épée des mains. Kate devina qu'elle aurait dû lui être reconnaissante de son intervention mais, à ce moment-là, cela ne semblait que démontrer l'incompétence de l'adversaire qui venait de la vaincre. Will alla l'aider à se relever et Kate repoussa son aide, se forçant à se relever seule.

“Je peux le faire”, dit-elle.

“C'est à peu près tout ce que tu peux faire”, dit sèchement le vétéran depuis la touche. “Will, sors cette fille de notre camp. Je ne veux plus la revoir. Dans une armée, la seule place des femmes, c'est comme épouse ou comme putain.”

Kate voulait lui cracher au visage mais elle soupçonnait que cela ne lui rapporterait qu'une autre raclée et, à ce moment-là, elle tenait tout juste debout après celle qu'elle venait de recevoir. Cette fois-ci, quand Will lui prit le bras, elle le laissa faire.

“Viens”, dit Will, “il faut qu'on s'en aille avant qu'ils ne décident de faire encore pire.”

Kate hocha la tête et lui permit de l'aider à quitter le terrain d'entraînement. Elle n'avait jamais été aussi humiliée de sa vie. Elle avait cru qu'elle pouvait se battre mais un garçon plus grand qu'elle avait suffi à la vaincre. Elle aurait volontiers ajouté son nom à la liste de ceux contre lesquels elle voulait se venger mais c'était un problème en soi.

Comment pourrait-elle jamais espérer se venger si elle ne pouvait même pas gagner un combat sur un terrain d'entraînement ? Comment pourrait-elle le faire alors qu'elle était aussi faible, aussi impuissante ?