Kitabı oku: «Un Trône pour des Sœurs », sayfa 12
CHAPITRE DIX-NEUF
Quand Sophia se glissa hors du château et repartit en ville, elle eut une sensation d'étrangeté. Un des gardes présents aux portes se mit à la suivre et elle se retourna et le fixa du regard sans savoir ce qu'il voulait.
Le prince nous fera renvoyer s'il lui arrive quelque chose.
“Tu me suis parce que tu penses que c'est ce que le Prince Sebastian veut ?” demanda Sophia.
“Oui, madame”, dit le garde.
Une partie d'elle-même voulait lui dire que ce n'était pas ce qu'elle voulait parce que certains des endroits où il fallait qu'elle aille aujourd'hui étaient plus faciles à fréquenter en toute discrétion. Cependant, elle n'en dit rien et pas seulement parce qu'il aurait été suspect qu'une noble refuse ce genre de protection.
En vérité, Ashton était vraiment une ville dangereuse. Rien que l'idée de devoir s'y rendre faisait craindre à Sophia toutes les choses qui risquaient de s'y produire. Elle avait vu le côté sombre de la ville pendant le peu de temps qu'elle avait passé dans les rues et, pire encore, elle savait qu'il y avait peut-être encore des chasseurs à sa poursuite.
“Très bien”, dit Sophia en essayant de penser à la façon dont une noble exprimerait la chose, “mais c'est un peu … délicat. Puis-je me fier à votre discrétion ?”
“Absolument, madame. Aimeriez-vous que je porte votre sac ?”
Sophia serra contre elle le sac de cuir qu'elle avait fait apporter par un domestique. Le contenu de ce sac risquait de lui donner beaucoup trop d'ennuis.
“Inutile”, dit-elle. “Il faut que je trouve un cadeau pour Sebastian.” Le mensonge lui vint bien assez facilement. C'était la seule excuse qu'elle avait pu trouver pour s'assurer que le prince n'apprenne pas tout en détail.
“Je ne lui dirai rien”, promit le garde.
Cela dit, elle avait d'abord un message à envoyer.
Kate ? Tu m'entends ?
Elle ne reçut aucune réponse, bien sûr. Que leur pouvoir fonctionne aussi nettement dans une ville que dans une pièce, c'était trop demander. Malgré cela, Sophia invoqua une image d'une des places situées en dessous du palais en espérant que sa sœur la recevrait et pourrait venir.
Comme il était impossible de savoir si Kate avait reçu le message, Sophia s'occupa des autres choses qu'elle avait à faire en ville. Partout sur la place, elle lut discrètement dans les pensées des gens où il le fallait jusqu'à ce qu'elle trouve ce qu'elle cherchait. C'était dur à faire avec le garde quelques pas derrière elle mais il eut le mérite de ne pas commenter ni d'essayer de la dissuader. Elle vit pourquoi dans ses pensées.
Les nobles font des choses étranges. Ce n'est pas ma place.
Quand elle atteignit la boutique du prêteur sur gages, Sophia fit de son mieux pour ressembler à une jeune femme noble nerveuse. Elle n'eut pas besoin de se forcer beaucoup : il lui suffit d'imaginer ce qui arriverait peut-être si les mauvaises personnes la voyaient ici. C'était déjà assez difficile de supporter que le garde soit près d'elle et regarde tout ce qu'elle faisait.
“Attendez-moi ici”, ordonna Sophia avant d'entrer brusquement dans la boutique.
A l'intérieur, un homme qui portait un costume chic visiblement rapiécé de nombreuses fois la regarda avec méfiance.
“Que puis-je faire pour vous … madame ?”
“C'est délicat”, dit Sophia.
“Je suis la discrétion même.”
“A la suite du dernier bal, je me retrouve à court de fonds et comme, bien sûr, je ne peux pas porter cette robe une seconde fois … seriez-vous intéressé par ce genre de chose ?”
Il s'avéra que oui, bien qu'il n'ait nullement l'intention de la payer au prix qu'elle valait vraiment. Malgré cela, la petite pile de Royaux et de shillings qu'il tendit à Sophia lui sembla être une fortune. Pour la première fois, son vol de vêtements lui sembla vraiment être ce que c'était parce que, maintenant, Sophia voyait exactement combien elle avait pris à Angelica et aux autres.
Cependant, elle allait avoir besoin de cet argent pour jouer le rôle de la noble Sophia de Meinhalt et elle ne pouvait pas se permettre de garder cette robe alors qu'elle risquait d'être reconnue un jour. Il valait mieux être prudent et s'en débarrasser.
Alors qu'elle venait de conclure la transaction, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre de la boutique et vit une personne qu'elle connaissait au bord de la foule. Sophia vit sa sœur regarder autour d'elle comme si elle était prête à s'enfuir au moindre problème.
Si elle emmenait un garde avec elle pour aller voir Kate, ce ne serait probablement pas une bonne idée.
“Y a-t-il un autre moyen de sortir d'ici ?” demanda Sophia.
“Madame fait très attention à ne pas être vue”, dit le prêteur sur gages. “N'ayez pas peur. Si je suis si proche du quartier des nobles, ce n'est pas pour rien.”
Il la fit quand même sortir par une porte de derrière et Sophia passa discrètement près de l'endroit où le garde se tenait. Elle acheta deux tartes aux anguilles et de la bière en allant retrouver sa sœur sur la place. Elle se mit à se demander comment les choses s'étaient déroulées pour Kate au cours des quelques derniers jours et à espérer que tout s'était bien passé. Elle espérait certainement que les choses étaient moins compliquées pour sa sœur qu'elles ne l'étaient pour elle.
Dès le moment où Sophia vit sa sœur avancer vers elle sur la place, dès qu'elle vit le visage de Kate, elle comprit que rien n'avait été simple pour elle.
Elle avait des contusions et aussi, semblait-il, une lèvre fendue qui commençait juste à cicatriser. Elle avait un bandage à une de ses mains, comme si elle s'était brûlée, et elle se déplaçait sans son énergie et sa force coutumières. Sophia courut vers elle et la prit dans ses bras.
“Qu'est-ce qui t'est arrivé ?” demanda Sophia. “Tu vas bien ?”
“Ce n'est rien”, dit Kate, et Sophia vit son air résolu et comprit que cela signifiait que Kate essayait d'être courageuse.
Tu ne peux rien me cacher, dit Sophia par télépathie et, d'aussi près, ce n'était plus comme si elle essayait de communiquer à l'aveuglette dans une ville d'inconnus. Que s'est-il passé ?
“Toutes sortes de choses”, dit Kate. Elle prit une des tartes aux anguilles quand Sophia la lui offrit. “C'est en partie pour cela que j'ai pu venir. Thomas m'a laissée quitter la forge après tout.”
“C'est lui qui t'a fait ça ?” demanda Sophia. Elle ne savait pas ce qu'elle pourrait bien faire à celui qui avait frappé sa sœur aussi violemment mais elle trouverait quelque chose.
“Quoi ?” demanda Kate. “Non ! C'est … c'est embarrassant. J'ai essayé de rejoindre une des compagnies libres.”
“Tu as essayé de rejoindre un régiment ?” dit Sophia. “Et ils t'ont battue pour ça ? C'est de là que viennent toutes ces blessures ?”
“Pas toutes”, admit Kate. “Je me suis brûlée quand j'ai été maladroite à la forge. Oh, et quelques matelots de barge m'ont jetée à l'eau quand j'ai essayé de quitter la ville.”
C'était la dernière chose que Sophia voulait entendre. Elle voulait que sa sœur soit heureuse.
“Oh, Kate, pourquoi as-tu cherché les ennuis ? Pourquoi n'es-tu pas le genre de fille qui aime s'asseoir dans une bibliothèque et lire ?”
“Je le suis, tu te souviens ?” répliqua Kate. “C'est moi qui t'y ai emmenée.”
Sophia avait oublié que la bibliothèque était le premier endroit où elles étaient allées chercher un abri. Cela lui semblait dater d'une vie alors que ça ne remontait qu'à quelques jours.
“Tu adorerais la bibliothèque du palais”, dit Sophia. “Ils ont plus de livres qu'on ne pourrait espérer en lire.”
“Dans ce cas, l'endroit doit te plaire”, dit Kate. “J'ai de la peine à croire que tu aies réussi à entrer au palais.”
“Cela n'a pas été facile”, lui assura Sophia. “J'ai dû m'y introduire en plein bal.”
Sophia se mit à lui raconter son histoire en regardant sa sœur écarquiller les yeux par étonnement.
“Tu as séduit un prince ?” dit Kate, visiblement incrédule.
“Je crois que … nous nous sommes en quelque sorte séduits l'un l'autre”, dit Sophia. Elle ne voulait pas envisager sa relation avec Sebastian comme le genre de simple manipulation que certains nobles exerçaient sur ceux qui avaient plus d'argent qu'eux. “Il est merveilleux, Kate.”
“Et, visiblement, tu te débrouilles bien”, dit Kate, désignant d'un geste les vêtements luxueux que portait Sophia.
“Oui, je …” Sophia hésita puis secoua la tête. “Au palais aussi, il y a des dangers. Il y a déjà des gens qui posent des questions, qui se demandent qui je suis. Même si personne ne me bat, il y a des filles qui … je les ai vexées quand Sebastian m'a choisie. Elles n'oublieront pas.”
Kate tendit la main et la posa sur le bras de sa sœur. “On dirait qu'on devrait faire attention toutes les deux. Es-tu sûre que tu fais ce qu'il faut ?”
“Et toi ?” répliqua Sophia. Elle ne voulait pas que Kate se rende compte qu'elle n'était pas sûre, qu'il y avait une partie d'elle-même qui voulait fuir cette situation avant qu'elle ne dérape trop. Elle avait de l'argent. Elle et Kate pourraient prendre un bateau sur la rivière et quitter la ville. Seulement … elle n'était pas sûre de pouvoir quitter Sebastian aussi facilement que cela.
“Il faut que je le fasse”, dit Kate. “Ces bleus, ce n'est rien. Je vais apprendre à me battre. J'irai là où je ne serai obligée de me fier à personne.”
Sophia trouvait que Kate avait l'air d'essayer de se convaincre elle-même mais elle n'en dit rien. Elle savait ce que c'était de vouloir croire que les choses se dérouleraient bien, alors qu'il y avait tant de choses qui pouvaient aller mal.
“Et puis”, dit Kate, “il y a un garçon. Il s'appelle Will.”
Maintenant, sa sœur semblait avoir de l'espoir. Sophia connaissait ce ton parce qu'elle l'entendait dans sa propre voix quand elle parlait de Sebastian.
“Parle-moi de Will”, dit Sophia avec un sourire.
“Il est merveilleux”, dit Kate. “C'est son régiment où je suis allée et —”
“Et tu as essayé de l'impressionner ?” demanda Sophia.
Kate eut l'air légèrement gênée. “Un peu.”
Sophia passa un bras autour de sa sœur. “Kate, tu ne devrais pas faire de choses qui risquent de te faire mal.”
“Toi non plus”, répliqua Kate. “L'ambiance a vraiment l'air dangereuse, au palais.” Elle s'interrompit l'espace d'un instant. “Nous pourrions encore nous enfuir. Viens avec moi maintenant. Nous pourrions juste partir, quitter la ville et trouver un autre endroit.”
Sophia aurait voulu pouvoir le faire. Elle voulait plus que tout s'occuper de sa sœur et s'assurer qu'elle ne souffre plus jamais.
“Je ne peux pas”, dit-elle au lieu d'accepter, malgré ce que cela lui coûta. “Il faut que je continue. Il faut que je reparte au palais.”
Kate la serra dans ses bras. “Tu en es sûre ?”
Sophia n'en était pas sûre mais elle ne voulait pas que sa sœur le sache.
“Tu peux me faire confiance”, préféra-t-elle répondre. “Si je t'entends appeler, je viendrai.”
“Moi aussi”, promit Kate. “Où que tu sois, où que tu ailles, je viendrai si tu as besoin de moi. J'attaquerai le palais si nécessaire.”
Elle en était capable et rien que l'idée fit sourire Sophia.
“Entre temps, prends ça”, dit Sophia en plaçant la plus grande partie des pièces qu'elle avait obtenues pour la robe dans la main de sa sœur. “Et puis, essaie peut-être de passer plus de temps dans les bibliothèques qu'à te faire taper dessus.”
Elle vit sa sœur hocher la tête.
“Je le ferai peut-être”, dit Kate. “Je le ferai peut-être.”
***
Kate repartit dans la ville en faisant attention à tous ceux qui auraient pu vouloir lui faire du mal. Le combat au terrain d'entraînement lui avait appris qu'il pouvait toujours y avoir quelqu'un pour essayer de lui faire du mal. Où qu'elle aille, quelqu'un voudrait prouver qu'il était plus fort ou qu'elle ne valait rien.
Elle avait presque demandé à Sophia de l'aider à se tirer de tous les problèmes dans lesquels elle s'était emmêlée, presque demandé à sa grande sœur de la tirer du danger comme une enfant sans défense. Si elle n'avait pas vu que les choses étaient aussi précaires pour Sophia que pour elle, Kate aurait même pu le faire.
Ou peut-être pas, pas avant qu'elle ait appris à se battre, pas avant de s'être vengée. Sa sœur aurait quand même pu lui indiquer comment s'y prendre.
Elle n'avait pas été à la bibliothèque de livres d'occasion depuis le jour où elle et Sophia s'étaient enfuies de la Maison des Oubliés. Même maintenant, il lui semblait stupide de s'approcher du vieux bâtiment : et si quelqu'un surveillait l'endroit, attendait qu'elle y revienne ? Kate ne pouvait que supposer que même les bonnes sœurs masquées ne seraient pas aussi vindicatives. Après tout, elles avaient d'autres filles à tourmenter.
Elle se glissa à l'intérieur et, bien sûr, Geoffrey était présent au guichet extérieur, jetant sur ceux qui essayaient d'entrer un regard qu'il croyait probablement être sévère. Quand Kate approcha, elle vit sa surprise.
“Kate ! Elles ne t'ont pas attrapée. Je … je suis content. Et je suis désolé de ne pas avoir osé vous cacher.”
Kate ne lui dit pas qu'elle le pardonnait. Elle n'avait pas l'habitude de pardonner. Malgré cela, elle écarta le problème d'un geste et prit un penny dans l'argent que Sophia venait de lui donner.
“Je veux entrer dans la bibliothèque. Vas-tu appeler les gardes pendant que je le fais ?”
“Non, bien sûr que non. Et tu n'as pas besoin de payer. Je te dois bien ça.”
Il lui devait plus que ça mais, pour l'instant, Kate était prête à ne pas en tenir compte. Il y avait des choses qu'elle avait besoin de savoir et Geoffrey savait toujours où trouver les choses dans l'organisation chaotique de la bibliothèque de livres d'occasion.
“Où puis-je trouver des livres sur le combat, Geoffrey ?” demanda Kate. “Est-ce qu'il existe des livres sur ce sujet ?”
Geoffrey écarta les mains. “Il y en a. Nous avons des contes sur certains des grands guerriers du passé et des manuels sur la guerre moderne avec piques et mousquets. Il y a même deux ou trois livres écrits par les maîtres de l'épée du continent.”
Kate commença par ceux-là parce qu'ils avaient l'air d'être les plus intéressants mais, de certaines façons, ce furent les livres les plus décevants qu'elle ait jamais lus. L'un d'eux contenait des quantités d'illustrations successives mais elles n'étaient accompagnées d'aucun mot et semblaient être ordonnées de façon entièrement aléatoire. Un autre des livres était écrit dans une des langues que l'on parlait de l'autre côté du Knife-Water et, même sans savoir déchiffrer les mots, Kate vit que l'auteur préférait montrer combien de choses il savait que les enseigner. Son livre était un moyen d'afficher ses compétences ou peut-être d'obtenir un poste de maître d'armes, pas un livre destiné à enseigner quelque chose.
Elle se mit plutôt à lire les livres qui narraient surtout les contes sur les grands guerriers du passé : Renaud de Bevan, l'insulaire McIlty. Kate vit dès le début que ce n'étaient que des compilations de contes populaires et que même les passages qui expliquaient comment les héros avaient obtenu leur grande force décrivaient des choses que Kate ne pourrait jamais espérer faire. Porter un veau sur les épaules tous les jours jusqu'à ce qu'il soit de taille adulte ? Lutter contre tous les hommes qu'elle rencontrait jusqu'à ce qu'ils l'évitent tous ? Cela semblait impossible.
Le livre suivant n'avait pas l'air beaucoup plus utile. C'était un tome étrange et mince qui semblait être à la fois un manuel d'escrime et un compte-rendu fantastique sur la vie d'un maître de l'épée du nom d'Argent. Au premier abord, ce livre avait eu l'air prometteur parce que l'auteur affirmait venir d'Ashton mais il y avait des passages qui avaient l'air d'être de la pure fiction. Il y avait même une section où l'auteur affirmait avoir commencé sa vie comme bretteur, compétent mais faible, puis qu'il avait gagné de la force en se rendant dans une clairière de forêt située au sud de la ville et en dupant les esprits qu'il y avait rencontrés à une fontaine. Le livre comportait une carte qui affirmait montrer l'endroit où il était allé et montrer les signes qui y menaient : un panneau de signalisation, un escalier en pierre et d'autres choses. Kate soupira et reposa le livre plus bruyamment qu'elle ne l'aurait probablement dû.
“Fais attention, Kate”, l'avertit Geoffrey. “Tu sais qu'il ne faut pas endommager les livres que d'autres voudront peut-être lire.”
“Je ne vois pas pourquoi qui que ce soit voudrait lire ça”, répliqua Kate. “Des bretteurs qui tirent leur force de fontaines magiques ? Des maîtres boiteux et imbattables qui sortent de nulle part ? C'est n'importe quoi.”
Elle vit Geoffrey jeter un coup d’œil au livre. “C'est l'histoire d'Argent, n'est-ce pas ? Oui … oui, tu as raison … tu devrais passer à autre chose.”
Je ne veux pas qu'elle finisse comme lui. Il vaut mieux qu'elle s'imagine que c'est une fable.
“Geoffrey”, dit Kate, “me caches-tu quelque chose ? Cet Argent a réellement existé.”
“Non, je viens de te dire …”
Non seulement il a existé mais il était dangereux.
“Geoffrey”, dit Kate d'un ton menaçant. “Quand je t'ai demandé de l'aide, tu ne m'en as pas donné. Tu me dois quelque chose. Dis-moi la vérité.”
Geoffrey sembla se recroqueviller. Il baissa les yeux.
“Argent était bretteur quand j'étais jeune”, dit-il. “Il n'était pas très bon. Alors, il a quitté la ville. Pas longtemps. Certainement pas assez longtemps pour être aussi bon qu'il l'était quand il est revenu. Il a vaincu d’Aquisto et Newman l'un après l'autre pendant des séances d'entraînement ! Quand les gens lui ont demandé comment il avait fait, il a parlé d'une fontaine située au sud de la ville et n'a jamais rien dit d'autre sur la question.”
“Tu dis que c'est réel ?” demanda Kate. “Tu dis que je pourrais —”
“Non, Kate”, insista le bibliothécaire. “Tu ne pourrais pas. Sais-tu ce qui est arrivé à Argent ? Il a disparu alors qu'il était au sommet de ses talents. Il a combattu tous ceux qu'il y avait à combattre, il a écrit son livre puis il a disparu. Certains disent que les prêtres de l'Ordre de la Déesse Masquée l'ont capturé mais d'autres … d'autres disent que c'était quelqu'un, quelque chose, d'autre qui l'a emporté.”
Kate sentait la peur qui émanait de Geoffrey. Il parlait sérieusement mais Kate ne partageait pas sa peur pour autant. Au contraire, elle l'excitait parce qu'elle signifiait que cette histoire était réelle. Cette fontaine existait peut-être.
“Promets-moi, Kate”, dit-il. “ Promets-moi que tu n'iras pas à sa recherche. C'est dangereux.”
“Je le promets”, dit Kate en levant la main comme pour prêter serment. En même temps, elle se mit à réfléchir à la carte qu'elle avait vue dans le livre et à essayer de se souvenir des informations notées dessus.
Geoffrey eut l'air convaincu. Kate l'entendit pousser un soupir de soulagement et le vit retourner à ses livres pendant que Kate réfléchissait à ce qu'elle allait faire.
A ce moment-là, il était probablement tout aussi bien que ce soit Kate qui puisse lire dans les pensées du bibliothécaire et pas l'inverse. Cela signifiait que l'homme ne pouvait pas voir ce que Kate avait vraiment l’intention de faire.
Cela signifiait qu'il ne savait pas qu'elle avait menti.
CHAPITRE VINGT
Sophia retourna au palais et s'y glissa aussi discrètement que possible mais sans pouvoir éviter tous les regards des gens présents. Elle vit des domestiques partir précipitamment en la voyant et se demanda à qui ils allaient se dépêcher d'annoncer son arrivée. Elle vit Angelica la regarder furieusement depuis un balcon.
Il se passait quelque chose et les gens bougeaient trop vite pour que Sophia puisse en arrêter un et trouver de quoi il s'agissait. Elle avait de vagues impressions de violence et de tension, comme si les hommes se préparaient à un conflit, mais pourquoi cela contrariait-il Angelica ? C'était absurde.
L'espace d'un instant, l'incertitude de toute cette situation suffit presque à convaincre Sophia de faire demi-tour et de repartir en ville. Quelque chose allait forcément mal et, à ce moment-là, la seule hypothèse qu'envisageait Sophia était qu'on avait découvert son identité secrète. Si tel était le cas, il fallait qu'elle s'enfuie sans plus attendre.
Cela dit, si c'était bien cela qui se passait, Angelica n'aurait-elle pas l'air triomphante ? Pourquoi ne serait-elle pas ici pour se réjouir de voir Sophia humiliée ? Cette pensée fut assez convaincante pour que Sophia continue à avancer dans le palais afin d'aller y chercher des réponses, d'aller y chercher Sebastian.
Elle n'eut pas besoin de chercher loin pour le trouver. Il l'attendait à l'entrée de son appartement, l'air étonnamment militaire dans un pardessus bleu royal, un sabre pendu au flanc. Il tendit une main gantée vers Sophia et elle la prit.
“Sebastian ? Y a-t-il quelque chose ?”
Sebastian hocha la tête. “Des tas de choses. Déjà, j'ai une journée de réservée pour nous.”
Il sourit en le disant mais sans apporter de précisions. Dans ses pensées, Sophia aperçut un chaos d'images. Il y avait … un bateau ?
Il y avait bien un bateau. En compagnie de Sophia, Sebastian descendit vers un petit affluent de la rivière qui traversait la ville. Autour d'eux s'étendaient les terrains du palais avec des martin-pêcheurs qui s'abattaient sur un des plans d'eau d'Ashton. Il y avait un petit bateau orné de sculptures de dragons et de dorures étincelantes, avec quatre hommes en livrée bleue assis aux rames et un sofa sur un petit pont au-dessus d'eux.
Sebastian aida Sophia à monter sur le bateau et ce dernier quitta calmement son mouillage poussé par de subtils coups de rames. Sur l'herbe de la rive, un coup de faisans dorés se pavanait et Sophia pensa apercevoir des cerfs au loin.
“C'est beau, ici”, dit Sophia. “Plus beau que le reste de la rivière.”
“Nous sommes assez loin vers l'amont”, dit Sebastian, “avant que la ville n'ait pu trop la changer.”
Sophia devina que Ashton pouvait prendre toutes les belles choses et les enlaidir. Elle le faisait certainement assez souvent avec les gens, les endurcissait pour qu'ils puissent tout supporter de la part d'autrui. Cela dit, d'une façon ou d'une autre, dans ce décor, Sebastian n'était pas le même. Il était gentil, généreux et parfait.
Ils traversèrent la ville et arrivèrent dans un autre espace vert où des saules se penchaient par-dessus l'eau et où une petite jetée menait à un jardin plein de fleurs colorées qui attiraient des abeilles bourdonnantes et des papillons aux couleurs éclatantes. Il y avait aussi une couverture d'étalée avec un pique-nique dessus.
“Tu as prévu tout ça pour moi ?” demanda Sophia.
“Entre autres”, lui assura Sebastian. Il désigna un endroit où l'on avait installé un chevalet juste au-delà de la couverture de pique-nique et où une femme en blouse d'artiste était assise et travaillait déjà sur l'arrière plan de la scène de jardin.
“Qui est-ce ?” demanda Sophia.
“C'est Laurette van Klet”, dit Sebastian. “Elle deviendra une artiste de renom, encore plus que Hollenbroek, quand les nobles des environs découvriront son œuvre. Je n'ai pu trouver personne de mieux pour te peindre.”
“Pour me peindre ?” dit Sophia. L'idée même la prit un peu par surprise. L'idée que quelqu'un puisse désirer la peindre lui paraissait comme irréelle, impossible. Les peintures qu'elle avait vues au palais avaient représenté des princes et des rois, des reines et des femmes nobles. Il y avait aussi eu des figures allégoriques, des scènes mythologiques et des femmes de grande beauté. Sophia n'avait pas vu d'orphelines.
“Ne vous laissez pas influencer par ma présence”, dit la femme. “Je ne m'intéresse pas à la formalité guindée des portraits que font les autres. Soyez naturels.”
C'était une sensation étrange qu'on vous ordonne de vous amuser comme un général aurait pu ordonner à des troupes d'aller combattre. Malgré cela, Sophia essaya, s'allongea sur la couverture de pique-nique pendant que Sebastian se mettait à côté d'elle et lui offrait un œuf de caille.
C'était si beau d'être allongé là au soleil, de grignoter des friandises et des pâtisseries, d'embrasser Sebastian, de jouir tout simplement de cet espace fermé que le reste du monde semblait ne pas pouvoir toucher. Sophia restait près de Sebastian et n'avait aucun mal à s'oublier dans sa présence. Si ce n'avait été pour l'artiste qui se trouvait un peu plus loin et les rameurs qui les avaient emmenés en ce lieu, elle aurait eu l'impression qu'ils étaient seuls au monde.
Alors, les rameurs sortirent des instruments du bateau et se mirent à jouer. Il y avait une flûte, une harpe et une flûte basse, un tambour et un luth. L'incongruité de la scène fit rire Sophia.
“Là !” cria Laurette. “Je veux capturer votre visage comme ça.”
A la grande surprise de Sophia, elle ne demanda pourtant pas à Sophia de tenir la posture. Elle se toucha seulement les tempes du bout des doigts comme pour essayer de graver ce moment dans sa mémoire.
“C'est son talent”, dit Sebastian. “Elle peut mémoriser un moment et le peindre à la perfection.”
“Pourquoi le peindre autrement ?” demanda l'artiste, que l'idée même semblait étonner.
Sophia vit qu'elle la scrutait comme elle était, allongée sur le flanc avec la robe lui remontait juste un peu le long des mollets. Selon les normes des portraits guindés qu'elle avait vus au palais, cette toile serait probablement considérée comme révolutionnaire, ou du moins choquante.
Sophia ne bougeait pas et, à présent, elle trouvait étrange cette sensation de savoir que quelqu'un regardait le moindre de ses mouvements. Qu'est-ce que la mère de Sebastian penserait du portrait ? Est-ce que cela pousserait la douairière à penser qu'elle méritait encore moins son fils que lors du dîner de l'autre soir ?
“Que de choses !” dit Sophia. “Il me semble que tu cherches beaucoup à m'impressionner, Sebastian.”
“Et pourquoi pas ?” répliqua-t-il. “Je te donnerais le monde si tu me le permettais.”
C'était une de ces choses qui avaient l'air beaucoup trop romantiques pour être vraies mais Sophia vit que Sebastian parlait sérieusement, pensait exactement ce qu'il disait. Il voulait vraiment tout lui donner.
Il semblait avoir commencé par les mets les plus raffinés que les cuisines du palais puissent produire. Il y avait des tranches de gibier rôti sur du pain noir, des tartes sucrées aux baies des jardins du palais saupoudrées de safran qui avait dû être emmené de l'étranger par la mer. Il y avait même une tarte qui contenait un mélange d'oie, de canard et de caille.
“Que de choses !” Sophia secoua la tête. “Cela me suffit que tu soies ici avec moi.” Elle fut encore plus étonnée quand elle constata qu'elle parlait sérieusement elle aussi. Elle était venue au palais avec l'intention de se trouver une meilleure vie mais, à ce moment-là, cela ne l'aurait pas gênée de se retrouver dans une cabane du moment que Sebastian y était avec elle. “Tu n'es pas obligé de faire tous ces efforts.”
“Tu es adorable de dire ça”, dit Sebastian, “mais je veux que tout soit parfait pour toi.”
Tout était parfait. Depuis qu'elle était arrivée au palais, elle avait eu l'impression d'évoluer dans un rêve, pas un des rêves qui la hantaient la nuit avec ces images dont elle se souvenait à moitié, une maison en flammes, elle qui courait dans des couloirs avec sa sœur. Au lieu de cela, elle avait rêvé une scène qui avait eu l'air impossible à cause de sa beauté et lui avait offert des choses qui, avait-elle supposé, disparaîtraient avec le lever du jour.
Pourtant, elle était bien ici avec un prince royal et elle mangeait la nourriture la plus raffinée qui soit pendant que des musiciens doués lui faisaient la sérénade et qu'une artiste peignait son portrait. Si, ne serait-ce que quelques semaines auparavant, quelqu'un lui avait dit que cela lui arriverait, Sophia aurait supposé que c'était une blague cruelle. Elle aurait supposé que c'était juste un moyen de rendre son contrat synallagmatique encore pire en lui promettant que ce rêve ne se concrétiserait jamais.
“Y a-t-il un problème ?” dit Sebastian en tendant le bras vers elle.
Sophia prit ses mains dans les siennes et les embrassa toutes les deux. “Juste des souvenirs du passé.”
“Je veux que rien n'aille mal aujourd'hui. Je veux au moins une journée parfaite avant que …”
Sophia pencha la tête d'un côté. “Avant que quoi, Sebastian ?”
Elle entendit la réponse à sa question avant qu'il ne la dise et les mots qu'elle entendit dans son esprit la firent pâlir avant qu'il ne les prononce.
“Tu as entendu dire que les guerres vont de pire en pire ?” dit Sebastian. Il secoua la tête. “Qu'est-ce que je dis ? Tu as vu par toi-même comment évoluaient les choses, avec tous les camps qui s'opposent, les petites guerres.”
“Mais elles ne sont pas ici”, signala Sophia. Elle aurait voulu pouvoir faire plus que ça. Elle aurait voulu pouvoir faire disparaître toutes les guerres, les menaces et les soucis pour Sebastian.
“Pas encore”, dit Sebastian, “mais les guerres sont comme de petits ruisseaux qui se jettent dans une rivière et cette rivière s'écoule vers nous. Quand il y avait une dizaine de camps qui se battaient les uns contre les autres, c'était facile à ignorer et vivre sur une île nous a aidés pour un temps mais, maintenant, avec tout ce qui se passe ici … il y a des gens qui pensent que nous sommes faibles.”
“Et vous allez donc leur montrer que c'est faux”, dit Sophia, “en espérant qu'ils ne riposteront pas.”
Elle le dit avec plus d'amertume qu'elle ne l'avait voulu. Elle avait vu de ses propres yeux ce que pouvait la violence, même si elle n'avait pas connu la guerre. Pire encore, elle se mit à s'inquiéter pour Sebastian. Elle ne voulait pas qu'il coure de risque.