Kitabı oku: «Un Trône pour des Sœurs », sayfa 7

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CHAPITRE DIX

Kate se sentait en pire état qu'avant d'être montée sur le bateau. Elle traversait la ville en frissonnant. La lumière déclinante était loin d'être assez forte pour sécher les vêtements trempés qu'elle portait.

En plus, elle avait faim, tellement faim qu'elle pensait déjà à voler pour remplir son estomac qui gargouillait. Kate se mit à regarder toutes les boutiques et tous les étals de nourriture, cherchant une opportunité, mais il n'y en avait aucune à ce moment, malgré son talent qui lui permettait de déterminer quand la voie était libre.

Elle se surprit presque à souhaiter revenir à l'orphelinat mais c'était un désir stupide. Même avant sa fuite, l'orphelinat avait été un endroit pire que celui-ci. Au moins, dans les rues, il n'y avait pas de bonnes sœurs pour la battre quand elle faisait des erreurs, pas d'heures interminables de travail absurde pour éviter le péché de paresse.

Cela dit, la situation n'était pas bonne et Kate espérait que sa sœur s'en tirait mieux qu'elle, mais elle n'arrivait pas à entrer en connexion avec Sophia, ou alors cette dernière avait l'attention prise par quelque chose et ne pouvait donc pas répondre. Elle ré-essaya aussi de se connecter à Émeline. Une fois de plus, elle n'obtint aucune réponse.

Kate continua de marcher.

Maintenant, elle n'était pas sûre de l'endroit de la ville où elle se trouvait mais, à vue d’œil, elle n'était pas arrivée dans un quartier noble. Elle imaginait que, dans un tel quartier, les pavés seraient en marbre blanc resplendissant plutôt qu'en brique et en granite fendus recouverts d'une couche de crottin de cheval. Les maisons qui l'entouraient avaient l'air encore moins luxueuses que celles qui se trouvaient autour de la Maison des Oubliés et, venant de l'intérieur d'elles, Kate entendait de temps en temps des cris et des hurlements, des disputes et des rires.

Elle passa devant une auberge. La lumière des bougies allumées à l'intérieur éclairait des matelots de barge et des ouvriers qui faisaient la fête. Les paroles d'une chanson paillarde parvinrent jusqu'à la rue et, malgré elle-même, Kate se mit à rougir. Un des hommes lui fit signe et elle s'empressa de poursuivre sa route.

En journée, Ashton avait été un endroit affairé et plutôt rude. Avec l’obscurité qui arrivait, le coin où Kate était arrivée avait l'air beaucoup moins accueillant. Dans une ruelle avoisinante, Kate fut sûre d'entendre des sons de violence. Quand elle passa devant une autre, elle aperçut un homme et une femme pressés ensemble contre un mur et elle détourna le regard.

Kate savait qu'il fallait qu'elle se réchauffe. Pendant la journée, elle aurait pu trouver assez de chaleur pour sécher rien qu'en marchant mais, la nuit, avec le clair de lune qui l'illuminait dans une brume argentée et le vent qui la mordait dès qu'elle ne restait pas assez près d'un des murs, qu'allait-elle devenir ?

Elle allait mourir de froid si elle ne trouvait pas de feu.

Il y avait des feux partout en ville, dans les cheminées et les foyers. Autour d'elle, les cheminées des maisons crachaient de la fumée dans le ciel nocturne pendant que leurs habitants cuisinaient et se tenaient au chaud. Cela dit, elle ne pouvait pas simplement entrer dans une de leurs maisons.

Elle pouvait essayer d'aller dans une auberge mais il fallait de l'argent pour cela et, si elle s'attardait autour d'une d'elles, Kate savait sans aucun doute que quelqu'un voudrait savoir ce qu'elle faisait là. Donc, elle continua de marcher, regardant les auberges avoisinantes avec envie en essayant d'ignorer les sons que produisaient les habitants les plus dangereux de la ville alors qu'ils s'occupaient de leurs affaires nocturnes.

Finalement, Kate comprit qu'elle ne pouvait plus continuer. A l'auberge suivante qu'elle trouva, elle se glissa dans la cour intérieure. Même si elle ne pouvait pas payer une chambre, l'endroit avait une écurie et elle pourrait au moins se réchauffer là, parmi les chevaux, si elle faisait attention. Il y aurait des valets d'écurie quelque part et les propriétaires des chevaux abrités à l'intérieur viendraient les récupérer au matin mais, pour l'instant, les pensées que Kate parvenait à capter n'appartenaient à personne de proche.

Il y avait actuellement trois chevaux dans l'écurie. L'un d'eux était un étalon foncé, grand et d'apparence agressive. Un autre était un poney blanc docile qui avait l'air d'être beaucoup trop maigre et de manquer de soins. Le troisième était une jument châtain qui hennit quand Kate se rapprocha puis se glissa dans son box pour se blottir dans la paille. Elle prit la couverture qui était sur le dos de la jument et s'y enroula sans que la jument ait l'air de s'en préoccuper.

Ce n'était pas grand chose mais c'était beaucoup mieux que marcher dans la rue en essayant de sécher. Elle n'essaya pas de dormir parce qu'elle ne voulait pas prendre le risque que quelqu'un la surprenne pendant qu'elle le faisait. Elle resta juste assise là et, lentement, progressivement, elle se mit à se réchauffer un peu.

Elle se mit aussi à réfléchir. Quand les garçons l'avaient trouvée et qu'elle avait été obligée de s'enfuir, elle avait prévu de quitter la ville. Son plan avait été de voler tout ce dont elle avait besoin, de la nourriture aux armes, des vêtements à … eh bien, à un cheval. Pour quelle raison n'aurait-elle plus pu le faire maintenant ?

Kate se dirigea furtivement vers le devant du box et regarda tout en utilisant ses autres sens. Elle n'avait aucune illusion sur ce qui lui arriverait si on la surprenait à voler une chose aussi onéreuse qu'un cheval. Elle serait au minimum marquée au fer rouge mais il y aurait encore plus de chances pour qu'on la pende.

Toutefois, à ce moment-là, quand l'alternative était une mort lente dans la ville, le risque lui semblait vraiment en valoir la peine.

Le plus dur, c'était de passer à l'action. Kate vit une partie de la sellerie pendue au mur et la jument châtain resta tranquille quand Kate lui remit sa couverture en place et y ajouta une selle. Elle était visiblement habituée à ce que des étrangers la sellent pour son propriétaire. Kate trouva d'autres articles de sellerie et, quand elle se souvint vaguement des cours où, à l'orphelinat, on lui avait appris à être une bonne domestique, cela lui indiqua quelque peu où il fallait placer les divers éléments. Kate devina le reste et, comme le cheval ne résista pas à ses efforts, elle soupçonna qu'elle avait fait ce qu'il fallait.

Elle ouvrit la porte de l'écurie aussi discrètement que possible. Chaque craquement du bois ou couinement des gonds lui sembla incroyablement fort dans le silence de la nuit. Elle n'osait pas monter le cheval dès l'écurie et préféra donc le mener tranquillement, pas à pas, jusqu'à la porte qui menait à la rue.

“Hé, toi ! Tu fais quoi, au juste ?”

Kate n'hésita pas. Quand elle monta en selle, ce fut sans grâce mais avec beaucoup de rapidité. Elle éperonna les flancs du cheval et hurla le plus fort possible. En même temps, elle envoya au cheval un message mental aussi fort que possible qui lui ordonnait de courir.

Kate ne sut pas si ce fut son message télépathique ou son coup d'éperons qui poussa le cheval à partir au galop mais, à ce moment-là, la distinction comptait peu. La seule chose qui comptait vraiment, c'était qu'elle s'accrocha au cheval pendant que ce dernier filait dans les rues assombries par la nuit. Elle entendit des cris derrière elle mais ils disparurent rapidement à mesure qu'elle avançait.

La vraie difficulté, c'était de ne pas tomber du cheval. Kate n'avait jamais fait d'équitation. L'orphelinat pensait que seuls ceux qui l'embaucheraient auraient besoin de montures, certainement pas elle et certainement pas une monture aussi rapide.

Par conséquent, elle se raccrocha au cou du cheval par réflexe de survie et n'essaya même pas de lui faire prendre une direction quelconque. Le cheval choisit sa propre route et passa devant des charrettes et les rares piétons qui étaient encore dehors. Elle se raccrocha au cou du cheval jusqu'à ce que ce dernier commence à faiblir puis elle tira sur les reins en essayant de l'arrêter.

Elle réussit à le ralentir jusqu'à ce qu'il ne fasse plus que marcher et tenta au moins de s'orienter. Elle ne savait pas exactement dans quelle partie de la ville elle était mais elle pensait savoir de quel côté se trouvait la rivière parce qu'elle s'en était extraite peu de temps auparavant. Si elle continuait à se diriger dans la direction opposée, elle finirait par sortir de la ville.

Kate dirigea le cheval dans ce qu'elle espéra être la bonne direction et poursuivit sa route. Même si elle n'avait jamais fait d'équitation, elle en saisit rapidement le rythme et continua à avancer les jambes serrées pendant que sa nouvelle monture la faisait passer devant des boutiques et des auberges, des bordels et des salles de jeu.

Elle passa par un des trous des vieilles murailles. Il fut un temps, elle aurait été obligée de passer par une porte fermée, devant des gardes qui auraient voulu savoir où elle avait trouvé ce cheval. Cela dit, ces jours appartenaient maintenant à un lointain passé. Les portes avaient été détruites par des boulets de canon pendant une des guerres civiles. Maintenant, Kate pouvait traverser les murailles sans difficulté et passer dans la ville extérieure, qui était plus calme.

Il y avait encore des cris quelque part derrière elle mais Kate pensait que, à présent, plus personne ne pourrait la rattraper. Par précaution, elle évita les routes principales pour que ses poursuivants ne l'y retrouvent pas. Là où elle était, elle passait devant des rangées de bâtiments en bois, la plupart avec leur petit jardin, où le propriétaire essayait de faire pousser un peu plus de nourriture.

Pour la première fois dans sa vie, Kate se sentit véritablement libre. Elle pouvait simplement avancer, partir dans les champs ouverts et les petits villages des Ridings, et personne ne l'arrêterait. Là-bas, elle pourrait trouver ce dont elle aurait besoin, que ce soit de la nourriture, des armes ou juste la liberté de vivre de ce que lui offrirait la nature.

Elle inspira profondément, résistant à sa forte envie de faire repartir le cheval au galop. Il avait couru assez vite pour une nuit. Pour l'instant, elle voulait continuer au rythme que la jument châtain pourrait conserver jusqu'au matin. Donc, elle la laissa continuer à traverser prestement les confins de la mégapole.

Ce ne fut que quand elle vit une forge que Kate arrêta sa monture. C'était le seul groupe de bâtiments en pierre dans une mer de construction en bois et en briques d'argile. Il avait l'air si solide qu'on aurait cru qu'il avait toujours été là. Il y avait des exemples du travail du propriétaire dans l'espace qui l'entourait, des portes en fer forgé, des faux qui attendaient qu'on les aiguise, des barils, des manches de flèche en attente des pointes de flèche adéquates.

Ces derniers articles attirèrent l'attention de Kate. S'il y avait des pointes de flèche, il y aurait peut-être d'autres accessoires appropriés à l'intérieur. Il y aurait peut-être de petits arcs de chasse en attente du genre d'accessoires raffinés en métal que certaines personnes aimaient énormément. Il y aurait peut-être des couteaux. Il y aurait peut-être même des épées.

Kate savait qu'elle devrait poursuivre sa route. Il serait plus sûr de ne pas risquer de voler autre chose avant d'avoir quitté la ville. Même le cheval avait représenté un grand risque. Pourtant, ce risque-là lui avait permis de s'enfuir, n'est-ce pas ?

Et peut-être était-ce mieux de le faire maintenant, dans la foulée. Comme des gens la pourchassaient déjà, il valait peut-être mieux prendre tous les risques cette nuit au lieu de risquer de tout gâcher une fois qu'elle serait en pleine nature. D'une façon ou d'une autre, Kate avait l'impression qu'il valait mieux qu'elle laisse tous ses petits crimes derrière elle, en ville, une fois qu'elle quitterait Ashton. Ils faisaient encore partie de la vie qu'elle essayait d'abandonner; elle ne voulait pas gâcher sa nouvelle vie en se faisant des ennemis dans les villages des Ridings ou dans les Comtés plus lointains.

Ayant pris sa décision, Kate attacha son cheval à la clôture qui entourait la boutique du forgeron. Elle bondit par-dessus la clôture et, dès le moment où elle le fit, elle eut l'impression d'avoir fait quelque chose d’irrévocable. Elle se dirigea furtivement vers la boutique du forgeron, la tête baissée.

Il y avait trois bâtiments. L'un d'eux était visiblement la boutique principale, un autre avait l'air d'être la demeure du forgeron alors que la troisième était probablement un genre de zone de stockage et d'atelier. Ce fut vers ce bâtiment-là que Kate s'avança discrètement dans l'obscurité, supposant que c'était l'endroit le moins susceptible d'être fermé à clef et le plus susceptible de contenir des armes terminées.

En effet, quand Kate regarda par une des minuscules fenêtres, elle vit des barils pleins de pommeaux d'épée et d'arcs ainsi que des ouvrages de ferronnerie et des clous longs conçus pour la construction des bateaux.

Maintenant, il suffisait qu'elle trouve un moyen d'entrer. Kate se dirigea vers la porte mais elle était fermée par une grande serrure en fer forgé et, quand elle essaya la poignée, elle ne bougea pas. Elle repartit à la fenêtre et en observa le verre plombé. Pourrait-elle passer au travers ? Ce serait étroit mais Kate se dit qu'elle pourrait y arriver.

Il faudrait qu'elle brise la vitre mais il y avait tant d'objets éparpillés dans la cour que ce serait facile. Elle ramassa une pointe de balustrade en fer et frappa la vitre avec.

Quand le verre se brisa, le son lui sembla beaucoup trop fort par rapport au silence environnant et elle se tint immobile en écoutant si quelqu'un bougeait. Quand elle constata qu'il n'y avait personne, elle sortit le reste du verre et se hissa par la fenêtre.

Kate inspecta les barils. Elle ne s'y connaissait pas autant en armes qu'elle l'aurait voulu mais elle vit que certaines des créations du forgeron étaient meilleures que d'autres. Il y avait des épées qui avaient l'air légères et souples pendant que d'autres semblaient n'en être que de pâles copies. Même certaines des épées qui avaient un pommeau plus raffiné avaient une lame sans souplesse aucune et la lame ne renvoyait qu'un éclat terne contrairement au métal à motif ondulant des meilleures.

C'était pareil pour les arcs. Certains étaient seulement en if et en frêne tandis que d'autres semblaient comporter de nombreuses couches de bois et de corne liées avec du métal. Kate prit ce qu'elle put trouver de mieux. Tant qu'à prendre tous ces risques, autant le faire pour quelque chose. Comme elle ne pouvait plus passer par la fenêtre en portant toutes ces armes, elle les jeta par la fenêtre puis ressortit par ce même chemin, tombant par terre dans l'obscurité et s'accroupissant pour se relever.

Une main se referma sur son épaule, assez grande et forte pour que Kate n'ait aucune chance de lui échapper. Elle virevolta en essayant de se dégager et des bras forts l'immobilisèrent.

Kate déglutit. Elle savait qu'elle était perdue.

CHAPITRE ONZE

Sophia se força à rester calme et à regarder le bal quand les gens commencèrent à danser et que des groupes effectuèrent des danses formelles de cour dont elle ne connaissait tout simplement pas les pas. Elle voulait se ruer vers le Prince Sebastian mais, à ce moment-là, elle avait de la peine à se décider à aller dans la bonne direction.

Dans ce cas, pourquoi es-tu venue ici ? se demanda Sophia à elle-même.

C'était la question. Elle ne pouvait pas se permettre d'hésiter. Si elle ne trouvait même pas le courage de parler au prince, alors, il faudrait qu'elle se dirige vers un des autres hommes présents dans la pièce. Si elle ne pouvait pas le faire, alors, il faudrait qu'elle s'en aille, qu'elle vende ce qu'elle avait et qu'elle espère que ça lui rapporterait assez pour ne pas avoir à dormir dans les rues pendant une nuit ou deux.

Ne valait-il pas mieux aller voir le prince que faire une de ces choses ? Ne valait-il pas mieux qu'elle aille tout simplement parler à un jeune homme qu'elle appréciait ? Grâce à cette idée, Sophia constata qu'elle arrivait à nouveau à marcher et se mit à se frayer un chemin au travers de la foule.

Même maintenant, tout le monde ne dansait pas. Les nobles les plus âgés se contentaient pour la plupart de regarder depuis le bord de la salle, commentant ensemble l'élégance chorégraphique d'un fils, d'une fille ou d'une nièce, parlant des guerres qui se déroulaient de l'autre côté du Knife-Water, des derniers artistes subventionnés par la douairière ou du fait que la fille de Lord Horrige avait décidé de devenir bonne sœur dans l'Ordre de la Déesse Masquée. Il suffit à Sophia d'entendre évoquer ce sujet pour cesser d'épier cette conversation.

Elle continua d'avancer vers le prince. Il ne dansait pas encore, à la différence de son frère, qui changeait de partenaire avec l'exubérance riante d'un homme qui savait qu'il pouvait choisir les femmes qu'il voulait. Sophia fit le nécessaire pour l'éviter. Elle n'avait aucun intérêt à se faire entraîner dans le tourbillon de son amusement.

Quand elle avança vers le Prince Sebastian, elle fut quasiment sûre qu'il l'avait regardée. Elle avait de la peine à en être certaine à cause du masque qui obscurcissait son expression mais son talent avait semblé repérer la surprise du jeune homme.

Elle vient me trouver ? Je croyais qu'une fille aussi jolie aurait son carnet de bal déjà plein.

“Votre Altesse”, dit Sophia quand elle l'atteignit. Elle lui fit une révérence car, à la Maison des Oubliés, on apprenait quand même aux filles à le faire. “J'espère que cela ne vous dérange pas que je vienne vous retrouver sans avoir été présentée.”

Dérange ? Seulement si elle compte me dire à quel point le bal est parfait. Je déteste ce genre d’afféteries.

“Non, aucun problème”, dit-il. “Je suis désolé mais je ne vous reconnais pas sous ce masque.”

“Je m'appelle Sophia de Meinhalt”, dit-elle en se souvenant de son identité d'emprunt. “Je suis désolée, je ne m'y connais pas beaucoup en soirées. Je ne suis pas sûre de ce que je devrais faire.”

“Je ne m'y connais pas beaucoup, moi non plus”, admit Sebastian.

Ce sont des foires aux bestiaux.

“Ne vous embêtez pas à me cacher ce que vous pensez”, dit Sophia. “Je vois bien que vous ne les aimez guère. Est-ce parce qu'il y a trop de gens qui cherchent à se procurer des avantages au même endroit ?” Elle s'interrompit. “Je suis désolée, j'ai été trop franche. Si vous voulez que je parte —”

Sebastian lui prit le bras. “Non, je vous en prie. C'est un grand changement de rencontrer enfin une personne qui accepte d'être honnête sur ce qui se passe ici.”

Sophia se sentit en fait un peu coupable, elle qui était profondément consciente d'être venue à ce bal pour des raisons fort différentes. En même temps, elle se sentit plus proche de Sebastian, qui se tenait à côté d'elle, que de tous les autres invités. Sebastian lui semblait réel alors que tant d'autres avaient l'air de n'être que de simples façades.

En vérité, elle l'appréciait et on aurait dit que c'était réciproque. Sophia voyait ses pensées avec autant de clarté que des poissons au fond d'une rivière. C'étaient des choses brillantes dépourvues du soupçon de cruauté que comportaient celles de son frère. Mieux encore, elle voyait comment il se sentait et ce qu'il pensait quand il la regardait.

“Pourquoi êtes-vous venu au bal si vous détestez tant ces gens ?” demanda Sophia. “J'aurais cru qu'un prince pourrait se permettre de ne pas venir.”

Sebastian secoua la tête. “Cela fonctionne peut-être comme ça à Meinhalt mais, ici, le devoir passe avant toute chose. Ma mère veut que je vienne, donc, je viens.”

“Elle espère probablement que vous y rencontrerez une fille gentille”, dit Sophia. Elle regarda ostensiblement autour d'elle. “Je suis sûre qu'il doit y en avoir une quelque part.”

Avec ces mots, elle réussit à le faire rire.

“Je croyais l'avoir juste rencontrée”, répliqua Sebastian. Il sembla soudain se rendre compte de ce qu'il venait de dire. “Et vous, Sophia ? Pourquoi êtes-vous à ce bal ?”

Sophia se rendit compte qu'elle ne voulait pas lui mentir sur ce point, ou du moins, pas plus que nécessaire.

“Je n'avais nulle part ailleurs où aller”, dit-elle et Sebastian sembla entendre la tristesse qui sous-tendaient ces paroles. Il ne pouvait évidemment pas en connaître la raison mais, même s'il pensait que c'était l'histoire d'une noble étrangère qui avait dû fuir les guerres, la sympathie qu'elle entendit dans ce qu'il dit ensuite la toucha.

“Je suis désolé. Je ne voulais pas évoquer de sujets douloureux”, dit Sebastian. Il lui offrit sa main. “Aimeriez-vous danser ?”

Sophia prit sa main, étonnée de se rendre compte que c'était ce qu'elle voulait le plus à ce moment-là. “Volontiers.”

Ils allèrent ensemble vers la piste de danse. Alors, Sophia se rendit compte que cela posait un problème évident.

“Je devrais probablement vous avertir que je ne suis pas la meilleure des danseuses. Je ne connais même pas les pas de toutes les danses locales.”

Elle vit Sebastian sourire. “Au moins, vous avez l'excuse de venir de Meinhalt, où les danses de cour sont complètement différentes d'ici. Moi, je ne suis que pas très bon et, comme des tuteurs me l'ont dit, cela doit être vrai.”

Sophia mit une main sur son bras. Elle savait personnellement ce que c'était que d'avoir des professeurs cruels. Elle ne pensait pas que ceux du prince l'avaient battu mais il était possible d'être cruel avec quelqu'un sans jamais le toucher.

“C'est terrible de dire ça à quelqu'un”, dit-elle. “Je suis sûre que vous dansez mieux que vous ne le pensez.”

“Au moins, nous pourrons apprendre ensemble”, dit Sebastian.

Pendant les deux premiers pas de la nouvelle danse, Sophia hésita car elle ne savait pas quoi faire. Alors, elle se rendit compte d'une chose évidente : il y avait autour d'elle une salle entière de gens qui connaissaient les pas de la danse et qui allaient devoir y penser pour pouvoir les exécuter.

Elle les écouta avec son pouvoir en espérant que ce dernier lui permettrait de récolter toutes les informations dont elle aurait besoin et se servit de ses yeux pour comprendre le reste en regardant les rythmes des autres danseurs. Un peu plus loin, une fille semblait exécuter les pas en y réfléchissant avec la concentration d'une personne qui les avait étudiés auprès d'un tuteur en danse peu de temps auparavant.

“Vous apprenez vite”, dit Sebastian quand Sophia se mit à bouger.

“Vous vous débrouillez bien vous même”, lui assura-t-elle.

Effectivement, même s'il avait dit qu'il ne savait pas bien danser, le seul problème que Sophia voyait chez lui était une genre de raideur gênée qui semblait disparaître puis ré-apparaître quand il se souvenait que les gens le regardaient. Sophia décida donc de le distraire.

“Parlez-moi de vous-même”, dit-elle alors qu'ils tourbillonnaient au milieu des autres couples.

“Qu'il y a-t-il à dire ?” répondit Sebastian. “Je suis le fils cadet de la douairière, en théorie seigneur d'un petit duché dans l'ouest et je compte pour très peu dans la succession. Je fais ce que le devoir m'impose, ce qui inclut participer aux bals.”

Sophia lui effleura l'épaule de la main. “Je suis contente que vous soyez venu. Cela dit, je ne suis pas intéressée par tout cela. C'est de vous que je suis curieuse. Qu'est-ce qui vous fait sourire ? Qu'aimez-vous le plus au monde ? Quand vous êtes avec des amis, vous traitent-ils quand même comme un prince ou juste comme Sebastian ?”

Sebastian se tut si longtemps que Sophia soupçonna qu'elle avait commis une bévue malgré les avantages que lui conféraient ses pouvoirs.

“Je ne sais pas”, dit-il finalement. “Je ne suis pas vraiment sûr d'avoir des amis. Au mieux, j'ai toujours été en marge du groupe de fréquentations de mon frère. Vu la plupart de ses amis, ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée. Dans tous les cas, ma tâche en tant que prince cadet est de ne pas causer d'embarras. C'est plus facile si j'évite le genre d'imbroglio que génère Rupert et, pour être honnête, je préfère la lecture à la plupart de ses compagnons.”

Sophia le rapprocha un peu d'elle. “Voilà une vie qui a l'air solitaire. J'espère au moins être plus intéressante qu'un livre.”

“Beaucoup plus intéressante”, dit Sebastian, qui sembla alors se rendre compte de ce qu'il avait dit. “Je suis désolé, je ne devrais pas …”

Même si c'est vrai.

“Aucun problème”, dit Sophia. Elle vit qu'il était embarrassé d'en avoir trop dit mais son talent lui montra qu'il était vraiment content qu'elle ne soit pas vexée et lui révéla ce à quoi il se mettait à penser à chaque fois qu'il la regardait. C'était étrange que la pièce lui semble s'illuminer juste parce que Sophia était là.

Sebastian parut être sur le point de dire quelque chose d'autre mais une autre fille choisit ce moment pour avancer vers eux et tendre le bras comme pour l'inviter à danser. Sophia vit comment les choses allaient se passer : le prince allait passer d'une jolie fille à une autre et l'oublier complètement, elle.

A sa grande surprise, Sebastian recula d'un pas devant la fille.

“Peut-être plus tard”, dit-il sans brusquerie. “Comme vous le voyez, j'ai une partenaire pour cette danse.”

“J'ai mon carnet de bal —” commença la fille, mais Sophia dansait déjà avec Sebastian dans la direction opposée.

Elle n'aurait pas dû s'inquiéter. Sebastian ne la quitta pas des yeux alors qu'ils dansaient. Sophia aimait l'entendre parler des choses qui le passionnaient, pas des guerres pitoyables qui auraient pu intéresser la plupart des nobles mais l'art et le monde, les gens de la ville et les choses qu'il pouvait faire en tant que prince pour améliorer la situation.

“Bien sûr”, dit-il, “ce n'est plus comme avant les guerres civiles, quand les rois et les reines pouvaient faire tout ce qu'ils voulaient. Maintenant, tout passe par l'Assemblée des Nobles.”

“Et cela vous donne l'impression que vous ne pouvez plus rien faire de bien ?” devina Sophia.

Sebastian hocha la tête.

“Ashton est une ville cruelle”, dit-il, “et le reste du pays ne vaut guère mieux. C'est même pire dans certaines des régions les plus anarchiques. Ce serait bon de pouvoir aider à faire avancer les choses.”

Sophia avait toujours supposé que les nobles ne faisaient que cracher sur ceux qui se situaient en dessous d'eux, sans se demander si le peuple vivait décemment. Au moins, elle constatait que Sebastian n'était pas ce type d'individu.

Même ainsi, elle ne voulait quand même pas lui révéler sa véritable identité. Le moment qu'elle vivait lui semblait trop précieux pour qu'elle le mette en danger. Il avait l'air tissé aussi fin et aussi fragile qu'une toile d'araignée. Une seule erreur et tout pourrait s'effondrer.

Sophia ne voulait pas que tout s'effondre. Elle aimait Sebastian et il lui suffit de jeter un regard à ses pensées pour voir qu'il l'aimait encore plus. A cet instant-là, elle avait l'impression qu'elle pourrait rester danser avec lui et parler avec lui toute la nuit.

Donc, elle le fit.

Elle virevolta dans les bras de Sebastian alors que l'orchestre jouait une autre chanson. Elle parla avec lui de la vie au palais, des endroits qu'il avait vus et des gens auxquels il avait parlé. Elle réussit à extraire les parties de ses pensées qui brillaient comme des diamants et lui fit oublier les jours ordinaires et les pressions de la vie à la cour.

Quand ils en vinrent à parler de la vie personnelle de Sophia, elle resta aussi vague que possible. Elle admit sans problème qu'elle avait une sœur mais ne put lui raconter leur vie que dans les grandes lignes parce qu'être plus précise l'aurait obligée à parler de l'orphelinat. Elle n'arrivait à se tenir au courant des dernières nouvelles que parce qu'elle pouvait les apprendre en lisant dans les pensées du prince. Le mieux qu'elle puisse faire était de ramener la conversation à Sebastian ou parler de choses qui ne révéleraient ni d'où elle venait ni ce qu'elle avait fait pour arriver ici.

A un moment de leur conversation, il lui sembla tout naturel de l'embrasser. Sophia recula l'espace d'un instant puis se rapprocha délibérément de lui sans tenir compte des regards que leur adressaient certaines des jeunes femmes nobles qui se tenaient sur les côtés de la salle. Sophia ne se souciait nullement d'elles. Elle se souciait d'elle-même, de Sebastian et —

Quand les pendules sonnèrent, la clameur de leurs cloches interrompit la musique et ce qui avait lié Sophia à Sebastian pendant toute la soirée. Le choc ainsi produit leur fit détourner le regard à tous les deux et, à ce moment-là, ce qui avait été sur le point de les faire s'embrasser se brisa.

Sophia leva les yeux et vit certaines des personnes qui se tenaient autour de la piste de danse les regarder tous les deux et parler à voix basse. Les jeunes femmes, qui n'avaient vraiment pas l'air heureuses, se mirent à partir en retirant leur masque.

“La soirée est-elle terminée ?” demanda Sophia. “Je … je croyais que ça faisait moins d'une heure qu'elle avait commencé.”

“Trois”, dit Sebastian, mais seulement après avoir jeté un coup d’œil au reflet d'une pendule pour le confirmer. Sophia vit que le temps avait passé très vite pour lui aussi. “C'est un sentiment étrange. Normalement, ces événements semblent durer une éternité.”

“C'était sûrement la compagnie”, dit Sophia avec un sourire.

“Oui, probablement”, dit Sebastian. Alors, il retira son masque et, si le cœur de Sophia n'avait pas déjà battu la chamade pour Sebastian, il l'aurait fait à ce moment-là. Sebastian était encore plus beau qu'elle l'avait imaginé, pas ordinaire et oubliable par rapport à son frère comme tant d'autres personnes semblaient l'avoir pensé.