Kitabı oku: «Un Trône pour des Sœurs », sayfa 8

Yazı tipi:

“Puis-je ?” demanda Sebastian en tendant la main vers le masque de Sophia. “Cela porte malheur de garder son masque après la fin d'un bal, et les gens penseront que vous ne connaissez pas nos coutumes si vous le portez encore en allant retrouver votre carrosse.”

Alors, Sophia eut peur un instant. Derrière son masque, elle était Sophia de Meinhalt, une étrangère impossible à identifier. Sans cette protection … serait-elle assez convaincante ?

Elle sentit les doigts de Sebastian lui retirer délicatement le demi-masque derrière lequel elle se cachait. Alors, il la regarda et Sophia entendit ses pensées aussi clairement que s'il les avait criées.

Déesse, elle est encore plus parfaite que j'aurais pu le croire ! Est-ce … est-ce donc cela l'amour ?

Sophia se posait la même question et cela créa un nouveau problème qu'elle essaya de mettre à l'écart pendant que Sebastian la ramenait vers le devant du palais, traversant élégamment la foule des gens en sa compagnie.

Sophia vit certaines des filles la regarder avec une hostilité à peine déguisée.

Qui est-elle ? Que fait-elle ici ?

Sophia sentait qu'elles étaient en colère de ne pas être au bras du prince mais, à ce moment-là, elle voulait se concentrer sur Sebastian.

“Quand vous reverrai-je ?” demanda Sebastian.

Sophia ne savait pas quoi lui répondre. Comment l'aurait-elle pu alors que seul un mensonge lui avait permis d'entrer ici ? Alors, le grand défaut de son plan lui apparut en grand : il lui permettait d'entrer au palais une fois mais ne lui donnait rien au-delà. Il lui révélait ce monde puis l'en excluait.

Sebastian leva la main pour lui toucher le visage.

“Qu'est-ce qu'il y a ?”

Sophia n'avait pas pensé que son inquiétude serait aussi visible. Elle réfléchit aussi rapidement qu'elle le put.

“Le carrosse qui m'attend …”, commença-t-elle, essayant très fort de ne pas mentir mais sachant qu'elle n'avait pas le choix, “… il va me ramener à …”

“Au navire ?” proposa-t-il d'un air préoccupé. “Chez vous, de l'autre côté de la mer ?”

Elle hocha la tête, soulagée que ce soit lui qui le dise et qu'elle n'ait pas à mentir elle-même.

“Évidemment”, dit-elle, “et pourtant … je n'ai plus de maison, pas vraiment”, dit-elle. “Ma maison n'est plus ce qu'elle était. Elle est en ruine.” Au moins, cette chose-là était facile à prétendre car elle n'était pas dénuée de vérité. “J'ai traversé la mer pour m'échapper. Je n'ai pas envie de repartir, surtout si vite après vous avoir rencontré.”

Elle vit la confusion traverser le visage de Sebastian puis céder la place à la détermination.

“Alors, restez ici”, dit Sebastian. “C'est un palais qui contient plus de chambres d'invités que ne pourrais en compter.”

Sophia ne répondit pas. Elle se rendit compte qu'elle ne voulait pas lui mentir plus qu'il ne le fallait. Après avoir passé la soirée à mentir, c'était ridicule mais Sophia ne voulait quand même pas dire les mots.

“Vous me proposez de rester ?” dit-elle. “Juste comme ça ?”

Sophia avait peine à y croire. Sebastian parla à sa place et il lui suffit de deux mots pour cela pendant qu'il lui tendait une main et que le dernier des autres danseurs quittait la salle.

“Vous restez ?” demanda-t-il encore.

Sophia tendit la main, prit la sienne qui attendait puis, lentement, elle sourit.

“Il n'y a rien que je désire plus”, dit-elle.

CHAPITRE DOUZE

Kate grimaça quand le forgeron lui fixa une chaîne au poignet d'un coup de marteau, l'attachant ainsi à la clôture en fer forgé. Kate essaya de se dégager la main mais le métal ne céda pas d'un millimètre.

L'homme qui l'avait forgé n'avait pas non plus l'air du style à céder. Il semblait être aussi solide que le fer avec lequel il travaillait, le torse puissant, musclé. Son épouse avait les traits étroits et l'air inquiet.

“C'est tout, Thomas ? Tu vas juste la laisser là ? Elle va s'échapper !”

“Du calme, Winifred”, dit le forgeron. “Cette fille ne va pas s'échapper. Je connais mon travail.”

Son épouse n'avait quand même pas l'air convaincue. Elle aurait dû se mettre à la place de Kate. A cet instant-là, elle avait l'impression qu'on lui avait mis le poignet dans un étau. Elle voulait frapper, se battre, mais les armes qu'elle avait volées avaient disparu et elle ne pouvait même pas se libérer.

“Elle ne vaut guère mieux qu'un animal”, dit la femme. “Nous devrions la livrer à un magistrat, Thomas, avant qu'elle ne nous assassine tous.”

“Elle ne va pas nous assassiner”, dit le forgeron en secouant la tête, consterné par l'esprit mélodramatique de sa femme. “Et si nous la livrons à un magistrat, elle sera pendue. Ce n'est qu'une jeune fille. Veux-tu être responsable de sa mort ?”

Quand Kate pensa à la potence, elle sentit la peur s'insinuer en elle. En volant les armes, elle avait été consciente des risques qu'elle courait mais il y avait une différence entre la simple connaissance de ces risques et la peur que sa mort devienne une chose réelle. Elle faisait de son mieux pour avoir l'air aussi innocente et inoffensive que possible mais Kate n'était pas sûre de bien savoir le faire. C'était le genre de chose que Sophia avait toujours mieux su faire qu'elle. Parfois, à l'orphelinat, elle avait réussi à éviter de se faire battre juste parce que les sœurs masquées qui la gardaient l'aimaient bien.

Cela dit, ces cas avaient été exceptionnels. La Maison des Oubliés avait été un endroit violent, après tout.

“Je suis désolée”, dit Kate.

“C'est incroyable”, dit sèchement l'épouse du forgeron. “Voici un cheval qu'elle a probablement dérobé et elle était en train de voler des armes. Pourquoi une fille comme celle-là a-t-elle besoin d'armes ? Que prévoyait-elle de faire ? Devenir un bandit ?”

Et s'ils voient le cheval ? Et s'ils pensent que nous dissimulons une voleuse ?

Kate vit que la femme craignait ce qui risquait de leur arriver s'ils ne livraient pas Kate aux autorités mais ne ressentait pas de véritable haine pour elle.

“Je ne voulais pas être un bandit”, dit Kate. “Je voulais vivre libre et me nourrir de ma chasse.”

“Braconnière, ça serait mieux ?” demanda Winifred. “C'est absurde. Fais ce que tu veux, Thomas, mais je repars dans la maison.”

Conformément à sa déclaration, elle repartit vers le bâtiment principal d'un pas raide. Le forgeron la regarda partir et Kate saisit l'occasion pour essayer à nouveau de s'échapper. Elle réussit aussi peu que la dernière fois.

“Inutile d'essayer”, dit le forgeron. “Je le forge bien, mon métal.”

“Je pourrais appeler à l'aide”, dit Kate. “Je pourrais dire aux gens que vous m'avez kidnappé et que vous me détenez contre ma volonté.”

Elle vit le grand homme écarter les mains. “Je leur montrerais la vitre cassée et les choses que tu as essayé de voler. Alors, tu te retrouverais effectivement devant le magistrat.”

Kate devina que c'était vrai. Le forgeron était probablement au cœur de la communauté de cette petite partie de la ville alors que Kate était une fille des rues. De plus, il y avait le cheval et les gens qui sauraient où elle l'avait volé.

“C'est mieux”, dit Thomas. “Peut-être pouvons nous parler, maintenant. Qui es-tu ? As-tu un nom ?”

“Kate”, dit-elle, se rendant compte qu'elle avait du mal à le regarder droit dans les yeux. En fait, elle avait honte de tout ça et la honte était une chose que Kate n'avait pas pensé qu'elle ressentirait un jour.

“Eh bien, Kate, je m'appelle Thomas.” Il avait une voix plus douce que Kate ne l'aurait cru. “Maintenant, d'où viens-tu ?”

Kate haussa les épaules. “Est-ce important ?”

“C'est important si tu as une famille qui te cherche. Des parents.”

Kate poussa un grognement à cette idée. Ses parents avaient disparu depuis longtemps, perdus dans une nuit qui … elle secoua la tête. Même maintenant, le rêve refusait de venir à elle. Sophia savait peut-être mais Sophia n'était pas là.

“Cela laisse plusieurs possibilités”, dit Thomas. Il prit une jambe de son pantalon volé, la souleva et vit le tatouage qui prouvait qu'elle était une des Oubliées. Kate se tortilla pour échapper à son emprise mais il était déjà trop tard.

“Est-ce que tu fuis pour échapper à ton contrat synallagmatique ?” demanda Thomas. Il secoua la tête. “Non, tu es trop jeune. D'un des orphelinats, dans ce cas ? Tu as des chasseurs à tes trousses ?”

“Elles ont envoyé quelques garçons de l'orphelinat”, admit Kate.

Alors, elle essaya de lire dans les pensées du forgeron et d'en déduire ce qu'il allait faire ensuite. S'il la livrait aux autorités, elle était sûre qu'il aurait droit à une sorte de récompense et, selon son expérience personnelle, les gens faisaient ce qui était dans leur propre intérêt. Elle essaya de scruter son esprit et elle vit qu'il la regardait fixement.

“Tu en es une, n'est-ce pas ?” dit Thomas.

“Que voulez-vous dire ?” répliqua Kate. Grâce à l'expérience douloureuse qu'elle avait acquise, elle savait que tous ceux qui découvraient ce qu'elle était réagissaient mal. Les matelots de la barge ne l'avaient-ils pas jetée à l'eau pour cette raison ?

Elle vit Thomas secouer la tête. “Inutile d'essayer de le cacher. Un des fils de notre voisin était comme toi. Il avait toujours l'air de savoir ce que nous pensions, même quand nous ne le disions pas. J'ai appris à comprendre quand il m'épiait. Nous n'avons su ce que c'était que le jour où nous avons entendu quelques prêtres masqués déclamer leurs sermons.”

“Je ne sais pas … Je ne sais pas de quoi vous parlez”, dit Kate.

Thomas tendit la main et lui détacha le poignet.

“Tu peux t'enfuir si tu le veux”, dit-il. “Je ne te ferai aucun mal.”

Kate ne s'enfuit pas. Elle sentait que le forgeron voulait en dire plus.

Il le fit. “Peu m'importe ce que tu peux faire avec ton talent. De mon point de vue, tu n'es ni maudite ni maléfique ni tout le reste de ce qu'ils disent. Écoute … mon fils Will a rejoint une des compagnies. Il veut être un grand soldat. Or, j'ai besoin d'aide à la forge depuis son départ.”

Kate fronça les sourcils en essayant de comprendre ce que disait le forgeron.

“Vous m'offrez un travail ?”

Ce n'était pas pour ça qu'elle s'était échappée de la Maison des Oubliés. Ce n'était pas non plus ce qu'elle avait voulu quand elle avait essayé de quitter la ville. Pourtant, malgré elle, elle trouvait que cette perspective avait un côté séduisant.

“Tu es en cavale”, dit Thomas, “mais, à mon avis, tu n'as pas vraiment de plan. Les chasseurs poursuivent les orphelins liés par contrat synallagmatique qui s'enfuient. S'ils te reprennent, ils te feront du mal puis ils te revendront. Si tu acceptes ma proposition, tu pourras faire un travail que tu aimeras, à mon avis. Tu pourras être en sécurité et j'obtiendrai l'aide qu'il me faut. Tu peux avoir à manger et un abri, apprendre mon métier.” Il regarda Kate en attendant sa réponse. “Quelle est ta réponse ?”

Quand il avait attrapé Kate, cette dernière ne s'était pas attendue à ce que les choses se passent comme ça. Elle ne s'était attendue qu'à de la violence et probablement à la corde du bourreau. Elle avait l'impression que tout se passait beaucoup trop vite et avait une sensation d'étourdissement.

Cela dit, il avait raison. Comme ça, elle serait en sécurité et elle apprendrait une chose qu'elle voulait savoir faire. Elle n'habiterait pas à la campagne mais elle pourrait peut-être le faire dans l'avenir.

“On commence par quoi ?” demanda-t-elle.

***

La forge était sombre quand ils y entrèrent et Kate se sentit un peu soucieuse en sentant la main de Thomas qui, posée sur son épaule, la guidait vers l'intérieur. Et si ce n'était qu'une sorte de ruse ? Mais dans quel but ? Kate ne pouvait imaginer ce qu'il pouvait bien vouloir.

Il voudrait quelque chose. Tout le monde voulait quelque chose.

Elle attendit. Le forgeron alluma une lampe puis avança jusqu'à la forge et y déposa du charbon de bois avec beaucoup plus de soin que s'il s'était agi d'une mixture aléatoire.

“Regarde-bien”, dit-il. “Une de tes taches sera d'aider à allumer la forge le matin et il faut apprendre à bien le faire.”

Kate regarda les motifs que dessinait le charbon de bois en essayant de comprendre.

“Pourquoi le faire comme ça ?” demanda-t-elle. “Pourquoi ne pas simplement y jeter le charbon de bois ?”

Elle vit Thomas hausser les épaules. “La chaleur est le plus grand outil du forgeron. Il faut en prendre soin. Si on met trop de combustible ou pas assez, s'il y a trop d'air ou trop peu, cela peut gâcher le fer.”

Kate fut étonnée quand il lui tendit un morceau de silex et de l'acier et lui désigna un endroit où il avait disposé du petit bois.

“On commence avec du bois puis on augmente la chaleur.”

Kate se mit à travailler avec le morceau de silex et l'acier, produisant des étincelles jusqu'à ce que les flammes se mettent à trembler dans le petit bois.

“Pourquoi t'es-tu enfuie ?” demanda Thomas.

“Savez-vous ce que c'est de vivre à l'orphelinat ?” répliqua Kate. Quand elle y pensait, elle avait du mal à ne pas parler avec agressivité.

“Comme je n'y ai pas vécu, je ne sais pas”, dit le forgeron. “J'ai entendu des rumeurs.”

Des rumeurs. Ce n'était pas la réalité. Ça n'avait même rien à voir. Une rumeur, c'était quelques mots vite oubliés. La réalité avait été faite de douleur, de violence et de peur. A cet endroit, on lui avait dit tous les jours qu'elle valait moins que tous les autres et qu'elle devrait être reconnaissante qu'on lui donne la chance de le savoir.

“C'était si mauvais que ça, alors ?” demanda Thomas, et ce ne fut que quand il le dit que Kate devina que sa haine de ce lieu avait dû être visible sur son visage.

“Ça l'était”, convint Kate.

“En effet, il y a des endroits de ce monde où le mal règne en maître”, dit Thomas, “et ils sont souvent ailleurs que là où les prêtres nous disent qu'ils sont.” Il hocha la tête vers des grands soufflets. “Tu sais, je te ferai travailler dur si tu veux rester. Voyons si tu peux mettre un peu d'air dans le feu pour qu'il soit assez chaud.”

Kate alla aux soufflets, s'attendant à ce qu'ils bougent facilement. En fait, elle les trouva aussi durs qu'une des manivelles des meules de l'orphelinat. La différence fut que, quand elle s'efforça de faire fonctionner les soufflets, elle vit que cela produisait un effet. Le feu de la forge grandit, changea de couleur à mesure qu'elle l'alimentait avec de l'air et du charbon de bois. Elle regarda les flammes passer du jaune à l'orange puis à une chaleur blanche qui permettait de travailler l'acier.

Thomas prit un morceau de fer et le plaça à l'intérieur de la forge. “Continue, Kate. Le fer ne change que lentement. Il y a des choses qu'on ne peut pas précipiter.”

Il le dit avec la patience d'un homme qui avait beaucoup travaillé le métal. Kate continua à travailler sans tenir compte de la sueur qui lui coulait sur la peau. Elle se rendit compte qu'elle voulait impressionner le forgeron, qu'elle voulait lui montrer qu'elle était digne de ce qu'il lui avait offert. C'était un sentiment étrange; à l'orphelinat, elle ne l'avait jamais ressenti. Peut-être était-ce seulement parce que les bonnes sœurs ne s'étaient pas intéressées à elle, qu'elle n'avait été qu'une marchandise pour elles.

“Tu vois la couleur qu'a prise le fer ?” demanda Thomas. “Quand nous sortirons le métal de la forge, il faudra que nous le travaillions rapidement. Quand cette couleur se mettra à disparaître, il faudra remettre le fer dans la forge.”

Kate comprit. Elle se hâta de saisir des pinces, les tendit vers le métal et le sortit rapidement de la forge. Elle ne voulait pas perdre un seul instant pour le forger. Cependant, son mouvement fut trop rapide et Kate sentit le moment où le métal glissa, échappa à son étreinte et tomba sur le sol en pierre de la forge.

En tombant, le fer effleura la jambe à Kate, qui cria. Une chaleur blanche la traversa et ce frôlement minime lui fit souffrir une pure agonie. Thomas intervint tout de suite en renversant un grand récipient plein d'eau sur Kate et sur le métal. Kate entendit le métal craquer mais, à ce moment-là, elle n'avait pas le temps de s'y intéresser. Elle avait tout simplement trop mal.

“Ne bouge pas”, dit Thomas en prenant un pot de pommade odorante. La pommade s'avéra être douce et rafraîchissante. Elle engourdit la jambe de Kate et en fit reculer l'agonie. De là où elle était allongée, Kate vit les fentes dans la billette de fer qu'elle avait saisie trop vite.

“Je suis désolée”, dit-elle. Elle attendit que Thomas la frappe pour sa maladresse, comme les bonnes sœurs l'auraient fait. Au lieu de la battre, il tendit une main et la releva.

“Le principal, c'est que tu ne te soies pas fait encore plus mal”, dit-il. “C'est une mauvaise brûlure mais elle guérira.”

“Mais le fer …” commença à dire Kate.

Thomas écarta ce souci d'un revers de la main. “Le fer, ça se fend. L'important, c'est que tu apprennes à être patiente. On ne peut pas devenir maître forgeron en un jour, ni même en cent jours. Dans une forge, on ne peut pas se presser. C'est un endroit de patience et de calme parce que, si on n'est ni patient ni calme, on se brûle et on brise du métal.”

“Je progresserai”, insista Kate.

Il hocha la tête. “Je le sais”, dit-il.

CHAPITRE TREIZE

Sophia marchait à côté de Sebastian, s'enfonçant dans le palais avec lui. Alors qu'ils avançaient, elle se surprit à unir sa main à la sienne, à croiser ses doigts délicats avec ceux de Sebastian, qui étaient plus forts. Elle n'aurait jamais imaginé qu'un moment de contact humain aussi ordinaire puisse lui paraître aussi important un jour.

“Pourquoi avez-vous accepté de danser avec moi ?” demanda Sophia.

Sebastian la regarda comme s'il ne comprenait pas. “On dirait que ça vous étonne.”

“C'est normal, non ?” dit-elle en penchant la tête. “Je veux dire, je ne suis personne, pas vraiment. Et vous êtes … eh bien, vous êtes vous.”

C'était probablement trop proche de la réalité de sa situation pour que Sophia le dise comme ça mais, à ce moment-là, elle avait du mal à se retenir d'en dire plus qu'elle ne comptait le faire. Même si elle était allée au bal avec l'intention de faire ce genre de chose, l'idée de réussir à le faire avec un homme aussi gentil, bon et beau que Sebastian était plus ce que qu'elle aurait pu espérer.

Elle est plus étonnante que tous les gens que j'ai jamais rencontrés et elle se demande pourquoi j'ai voulu danser avec elle ?

Sophia sourit en entendant cette pensée mais n'en dit rien. Elle pensait que, si elle disait à Sebastian qui elle était vraiment, elle gâcherait cette ambiance à une vitesse record.

“Je suis bien assez heureux que vous ayez accepté de danser avec moi”, dit Sebastian, comme s'il n'était ni prince ni beau ni tout ce que Sophia imaginait que tout le monde pouvait désirer. Ne le savait-il donc pas ? Non, Sophia vit qu'il ne le savait pas et, d'une certaine façon, cela le rendait encore plus désirable.

Sophia était allée au bal avec l'intention de séduire quelqu'un mais, maintenant, elle commençait à penser qu'elle avait elle-même été séduite.

Cette pensée rendit Sophia nerveuse à un point auquel elle ne s'était pas attendue, alors même qu'elle regardait Sebastian en imaginant le mouvement de ses muscles sous ses vêtements. Elle se sentait aussi un peu coupable parce que, à ce moment-là, elle ne faisait que mentir en cachant tout ce qu'elle était venue faire ici.

A présent, ces manœuvres lui paraissaient bien cyniques. Aller à la cour pour y séduire un homme riche ou pour s'insinuer dans les bonnes grâces d'un ami noble. Par rapport à ce qu'elle ressentait maintenant, tout cela lui semblait pitoyable et sordide.

“A quoi pensez-vous ?” demanda Sebastian en levant la main pour lui toucher le visage. Sophia se dit brièvement que ce devait être étrange de passer sa vie à poser cette question. Cependant, elle pensa surtout à la douceur de sa peau contre la sienne.

“Juste que je n'arrive pas à croire à ce qui m'arrive” dit Sophia. “Je veux dire … Je n'ai rien. Je ne suis rien.”

Elle vit Sebastian secouer la tête. “Ne dites jamais ça. Même si la guerre vous a pris votre maison, vous êtes encore … vous êtes étonnante, Sophia. Quand je vous ai vue à la soirée, c'était comme si vous étiez le soleil qui brillait au milieu des pâles étoiles.”

“N'était-ce pas votre frère qui était censé être le soleil ?” demanda Sophia d'un ton badin mais, alors, elle posa une main sur le bras de Sebastian pour l'empêcher de répondre. C'était en partie parce qu'elle ne voulait pas aborder ce sujet et en partie parce qu'elle sentait que Sebastian ne le désirait pas plus qu'elle. “Non, ne dites rien. Je ne veux plus parler du Prince Rupert. Je préférerais que vous me parliez de vous.”

Alors, Sebastian rit vraiment. “Normalement, c'est dans l'autre sens que ça fonctionne. J'ai vu tellement de femmes venir me voir juste parce qu'elles voulaient se rapprocher de mon frère qu'on pourrait penser que j'étais son proxénète ou son souteneur.”

Sophia sentit la pointe d'amertume qui sous-tendait ces paroles. Elle devina que c'était difficile d'être le frère auquel personne ne prêtait attention. Ils continuèrent de marcher dans des couloirs décorés de panneaux en bois et de trophées de chasse. Chaque niche contenait des tapisseries et les peintures donnaient envie à Sophia de s'arrêter pour contempler la qualité énorme du travail qui avait été nécessaire à leur création.

“J'ai du mal à croire que les femmes vous ignorent”, dit Sophia. “Sont-elles aveugles ?”

Elle allait trop loin mais, à ce moment-là, elle ne pouvait pas s'en empêcher.

“Il y en a qui viennent me trouver”, admit Sebastian. “Parfois, elles m'assaillent et je vois qu'elles anticipent qui va faire la prochaine tentative.”

“Milady d’Angelica ?” demanda Sophia.

Cela le fit sourire. “Entre autres.”

Alors, Sophia ne put pas s'empêcher de le dire. “Elle est vraiment très belle et on m'a dit qu'elle avait des goûts raffinés en matière de robes.”

Sebastian eut l'air un peu interloqué par cette déclaration mais cela ne dura qu'un instant.

“J'imagine que je cherche autre chose”, dit Sebastian. “Et … bon, j'ai l'impression qu'elles veulent me pousser à les épouser. Pour une femme, je veux être autre chose qu'un simple objet dans un jeu.”

Alors, la culpabilité d'avant s'imposa de nouveau à Sophia parce que, à sa façon, elle était aussi mauvaise que les autres. Quoique … peut-être moins qu'une fille qui prévoyait de droguer Sebastian et d'abuser de lui, mais elle était quand même fort peu honnête avec lui.

“J'aimerais pouvoir dire que mes intentions étaient entièrement pures”, dit Sophia. Elle n'aurait pas dû avertir le prince mais, à ce moment-là, elle avait l'impression qu'elle lui devait un peu de franchise. Elle voyait quel genre d'homme il était. Comme il avait exactement le genre d'honnêteté et de gentillesse qui le rendait tellement séduisant à ses yeux, Sophia avait l'impression qu'elle ne devrait vraiment pas l'induire en erreur. “J'aimerais pouvoir dire que je ne l'ai fait que parce que vous me plaisiez.”

“Mais je vous plais vraiment ?” dit Sebastian.

A ce moment-là, il n'y avait personne d'autre aux environs et Sophia se permit de faire ce qu'elle avait voulu faire depuis qu'ils avaient quitté la salle de bal. Elle l'embrassa.

C'était une expérience étrange. La seule fois où ça lui était arrivé à l'orphelinat, un garçon plus âgé avait poussé Sophia contre un mur et avait plaqué sa bouche contre la sienne jusqu'à ce qu'une des bonnes sœurs les interrompe. A cause de ça, Sophia avait été battue, comme si elle avait choisi que ça arrive. L'expérience avait été rude, brève et dégoûtante.

Le baiser présent ne fut rien de tout cela. Il s'avéra que Sebastian embrassait doucement. Sa bouche rencontra celle de Sophia dans ce qui sembla être la réunion parfaite de deux moitiés en une seule entité. Sophia sentit qu'il voulait l'embrasser plus fort mais ne voulait pas l'effrayer et que cela le préoccupait. Elle l'entoura de ses bras pour l'encourager et, l'espace d'un instant ou deux, Sophia se laissa emporter par son émotion.

“J'espère que cela répond à votre question”, dit Sophia. “C'est juste que —”

“Que vous n'avez plus nulle part où aller et que vous êtes obligée de faire ce qu'une fille noble doit faire pour survivre ?” suggéra Sebastian. “Je comprends, Sophia. Soyons francs : ici, la majorité des filles auraient été loin d'avoir votre honnêteté.”

Sophia se dit que c'était probablement vrai mais, à ce moment-là, elle ne voulait pas que Sebastian se mette à penser aux autres filles qui avaient été dans la salle de bal.

“Pas de problème ?” demanda-t-elle. Elle n'avait pas pensé ce serait aussi difficile de séduire quelqu'un. Peut-être aurait-elle dû partir avec quelqu'un d'autre, quelqu'un à qui elle aurait pu le faire sans se sentir coupable.

Cependant, Sophia ne voulait personne d'autre.

“Je pense que tout va merveilleusement bien”, dit Sebastian en lui proposant son bras.

Sophia le prit, très heureuse d'être proche de lui. Rien que sa présence en ce lieu faisait battre son cœur un peu plus vite et elle se rendit compte qu'elle ratait la moitié des belles choses du palais devant lesquelles ils passaient tout simplement parce qu'elle passait son temps à regarder Sebastian au lieu de s'intéresser à elles.

Le palais était vraiment impressionnant. Il semblait ne pas avoir de fin. Ses grandes étendues de marbre et d'or avaient dû coûter une fortune à construire.

“Cela a dû être incroyable de grandir dans un endroit comme celui-là”, dit Sophia en se rendant compte qu'il était à des années-lumières de l'orphelinat. En ce lieu, il y avait la plus précieuse de toutes les choses : l'espace. De l'espace sans des gens qui crient ou donnent des ordres. De l'espace sans les cent autres filles qui étaient toutes forcées de se haïr les unes les autres parce qu'elles devaient se battre pour obtenir un minimum de gentillesse et de nourriture.

“C'est un bâtiment impressionnant”, dit Sebastian, “mais, honnêtement, ce n'est pas ici que j'ai passé le plus de temps quand j'étais enfant. Ma mère m'a fait élever dans une des propriétés plus petites que nous avons à la campagne parce qu'il y avait des moments où la ville avait l'air trop dangereuse.”

Sophia n'y avait pas pensé. Bien sûr, la douairière avait forcément une dizaine de châteaux et de demeures partout dans le royaume.

“Vous y viviez seul ?” demanda Sophia. “Vous n'étiez pas avec votre frère ou avec votre mère ?” Alors, elle sentit un soupçon de tristesse dans les pensées de Sebastian et leva la main pour lui effleurer la mâchoire des doigts. “Je suis désolée, je ne voulais pas gâcher l'ambiance.”

“Non, ça va”, répondit Sebastian. “En fait, ça fait du bien que quelqu'un s'y intéresse vraiment. Mais non, la plupart du temps, on m'a tenu à l'écart de Rupert et de Mère. L'idée était de se trouver à des endroits différents si quelque chose … arrivait.”

En d'autres mots, pour que l'un d'eux survive s'il y avait une attaque ou un feu, une peste ou une autre catastrophe. D'une certaine façon, Sophia le comprenait mais, même ainsi, cela semblait être une façon plutôt austère de vivre. Seule Kate avait donné à Sophia la force de tenir bon quand elles avaient été plus jeunes.

“Eh bien, je suis heureux que vous soyez ici, maintenant”, dit Sophia.

“Moi aussi”, lui assura Sebastian.

Ils montèrent dans une suite de chambres qui étaient séparées du reste du palais par une porte en chêne massif. Derrière la porte, Sophia s'était attendue à trouver une chambre mais, en fait, c'était comme si on avait fait rentrer une maison entière dans cet espace. Il y avait une salle de réception meublée avec des divans et des tapis plus anciens mais confortables et il y avait des portes qui menaient vers un espace qui, devina Sophia, menait lui-même aux chambres ou aux boudoirs.

Sebastian la tint à bout de bras. “Sophia, il y a une deuxième chambre ici si vous voulez. Je … je ne veux pas que vous ayez l'impression de devoir faire quoi que ce soit pour que je vous aide.”

C'était une des plus belles marques de gentillesse que l'on ait jamais adressées à Sophia. Elle avait supposé que tout le monde voulait quelque chose. Elle avait supposé que, même chez les nobles, la sécurité était un genre de transaction. Pourtant, le prince était bien en train de lui offrir une chance d'obtenir tout ce qu'elle voulait sans jamais devoir ne serait-ce qu'approcher de son lit.

“Vous êtes un homme bon, Sebastian”, dit-elle en lui prenant les mains. “Un homme gentil.”

Elle lui embrassa les mains puis le rapprocha d'elle.

“Et c'est pour cette raison que je ne veux pas dormir dans la pièce d'à côté.”

Alors, ils s'embrassèrent à nouveau et il y eut beaucoup plus de passion cette fois-ci que la fois précédente. Peut-être était-ce en partie parce que Sophia était maintenant beaucoup plus sûre de savoir ce qu'elle faisait. Peut-être était-ce en partie parce que Sebastian n'avait pas l'impression de devoir se retenir.

Ils continuèrent à s'embrasser accrochés l'un à l'autre et leurs mains se mirent à explorer le corps de l'autre. Sophia se sentit alors un peu nerveuse. Sebastian la regarda.

“Vous allez bien ?” demanda-t-il.

Elle hocha la tête. “C'est juste que … je n'ai pas —”

“Je comprends”, dit Sebastian, “mais vous n'avez pas besoin d'avoir peur de moi.”

Sophia l'embrassa une fois de plus. “Je n'ai pas peur.”

D'une façon ou d'une autre, ils traversèrent à deux le plancher de la salle de réception sans jamais se lâcher l'un l'autre. Sophia mania maladroitement les baleines de sa robe puis eut le souffle coupé quand Sebastian se mit à les défaire pour elle.