Kitabı oku: «Absolution Providentielle», sayfa 5
Chapitre 10
Taino, St Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Ava et moi marchions silencieusement sur le trottoir, comme un vieux couple marié plutôt que comme deux femmes qui s’étaient rencontrées quinze heures auparavant. Je marchais toujours devant elle, mais plus lentement. Physiquement, cependant, pas mentalement.
Lorsque nous arrivâmes à la voiture, Ava posa ses paumes à plat sur le toit.
- Dis-moi que tu as faim et que tu es prête pour un cocktail. Elle leva son avant-bras devant son visage comme pour consulter une montre imaginaire.
- Ouaip, c’est vraiment l’heure de l’appel de l’estomac.
- Je dois voir Baptiste’s Bluff, lui dis-je. J’ai juste besoin de voir l’endroit. Je ne pense pas que je puisse laisser ça à Walker et continuer à vivre sans me rendre compte par moi-même.
Ava pris une pose dramatique, les bras en l’air, les doigts pointant vers le ciel, et roula les épaules avec une emphase dramatique.
- Bien sûr, tu dois te rendre compte. Elle abandonna sa pose théâtrale et se pencha vers moi.
- Et je vais t’y conduire, mais tu auras un sandwich au poisson volant dans une main et une bière dans l’autre quand on y arrivera. Elle pointa vers une rue sur notre gauche.
- Tu conduis, et c’est par là.
Après avoir remonté dans la Malibu brûlante, nous quittâmes la ville par la route scénique, vers la côte nord sinueuse, bleu à droite, vert à gauche. Fenêtres baissées, nous laissâmes le vent emmêler nos cheveux. J’avais besoin d’un ouragan force quatre pour purger mon système de ces contrariétés, mais une forte brise côtière ferait l’affaire pour le moment. Nous passâmes devant une marina. L’odeur du diesel et des charognes de poissons envahit l’habitacle pendant un moment, et j’expirais par le nez. Je repoussais une mèche de cheveux que le vent poussait devant mes lèvres et je pris une gorgée de la bouteille d’eau du bureau de Walker. Cette bouteille que j’avais frottée avec une lingette désinfectante trouvée dans le fond de mon sac à main après être montée dans la voiture.
Après dix minutes de route, Ava désigna une cabane sur la plage.
- Gare-toi là, ordonna-t-elle.
La cabane était en fait un petit restaurant de plats à emporter, avec un bar et quelques tabourets de plage. Elle ne portait pas de nom que je puisse voir. Ava enleva ses/mes chaussures et sortit de la voiture, et je fis de même. Nous marchâmes dans le sable jusqu’à la cabane sans nom où un couple de chiens nous accueillit.
- Des ramasseurs de noix de coco, expliqua Ava. Elle leur donna l’ordre de rentrer d’une voix plus grave que celle que je lui connaissais, et les chiens obéirent en remuant la queue.
Ava héla le propriétaire comme s’il était un vieil ami et lui a passa notre commande. Il tendit la main vers moi et j’y déposais un billet de 20. Il cligna des yeux et tendit son autre paume. Je sortis un deuxième billet de 20. Il hocha la tête, et je plaçais l’autre billet dans sa main. Il jeta l’argent sous le comptoir dans un panier et se retourna vers ses friteuses, rentrant ses joues dans l’espace creux où auraient dû se trouver ses molaires. Pas de monnaie. Le paradis n’était pas bon marché.
Ava grimpa sur l’un des tabourets du bar et a fit face à la mer. Je l’imitais. Quel décor pour un déjeuner. Je pourrais m’y habituer. Je posai mes pieds sur la barre du tabouret et mes coudes sur mes genoux, le visage dans mes paumes.
- Le déjeuner est toujours aussi cher sur cette île ? Demandais-je.
- Ben ouais. Si tu n’es pas d’ici.
J’étais indignée.
- Donc il t’aurait fait payer moins que ce qu’il m’a fait payer ?
Elle renifla.
- Lui ? Non, c’est un voleur. Mais en général, il y a une remise locale.
Oh d’accord. Je n’étais pas surprise. Je fis rouler ma tête, appréciant quelques craquements de cou. L’océan m’appelait.
- Ça te dérange si je me trempe les orteils pendant qu’on attend ? Demandais-je à Ava.
- Non, vas-y. Je reste ici et je t’appelle quand la bouffe est prête.
Le sable était chaud, presque brûlant. Mes pieds s’enfonçaient le talon en premier, ralentissant ma marche. Plus je me rapprochais de l’eau plus le sable devenait ferme et froid. Je n’hésitais pas. J’entrai dans l’eau, d’abord jusqu’aux chevilles, puis jusqu’aux genoux. Je remontai ma robe blanche de quelques centimètres. L’eau affluait contre mes genoux, puis la vague monta jusqu’à mes cuisses. Quand elle reflua devant mes jambes, je sentis la douce brise commencer à sécher ma peau. Je pouvais voir mes orteils sur le sable blanc à travers l’eau claire, et je les remuai. Une autre vague arriva, me soulevant presque. Un banc de petits poissons argentés tournait autour de moi, à quelques centimètres seulement de la surface.
- Katie, appela Ava. C’est prêt !
J’aurais pu rester là pendant des heures. Mais je revins vers la plage, m’éclaboussant à chaque foulée. J’imaginais ma mère, je me demandai si elle avait fait la même chose, si elle l’avait fait ici, sur cette plage. Si le vieil homme qui m’observait depuis la hutte l’avait vue, il devait penser que je lui étais familière. Depuis mon adolescence, les gens disaient qu’on pouvait passer pour des jumelles. Maman roulait les yeux et répondait : « De 100 mètres pour un septuagénaire myope. » Elle avait tort, cependant. Elle était morte bien trop jeune.
Je rejoignis Ava et nous embarquâmes nos sandwichs et nos accras au poisson emballés dans du papier gras dans la voiture. L’accras est un genre de pain frit, l’équivalent caribéen des beignets ou des sopapillas pour les Mexicains. Juste ce dont ma cellulite avait besoin. Sauf qu’en réalité, c’était à cause du manque d’exercice au cours des cinq dernières années, après avoir arrêté le karaté, et bien trop de calories. Ava tenait aussi les goulots de deux bouteilles de Red Stripes glacées entre ses doigts.
- C’est encore loin ? Demandais-je.
- Dix minutes, répondit-elle.
Après avoir conduit un autre kilomètre le long de la côte, nous tournâmes tout droit vers l’intérieur des terres en remontant. Je détestais quitter la sérénité du rivage. Les huit dernières minutes de notre trajet se déroulèrent sur des chemins de terre parsemés d’ornières qui disparaissaient dans des buissons denses à chaque virage.
- Ce n’est pas un endroit à explorer tout seul, dit Ava en désignant l’une des routes secondaires. Trop isolé.
- C’est magnifique ici, pourtant, rétorquais-je.
En fait, j’étais choquée de voir à quel point l’endroit était grandiose. Différent du rivage, évidemment, mais différent dans le bon sens, un sens qui était parfait. Les arbres étaient plus grands et se rencontraient au-dessus de la route, créant une arche au-dessus de nous et atténuant le bruit du ressac contre le sable et les rochers à seulement un kilomètre de là. Je vis un éclat de plumes dans un des arbres.
- C’est un ara ?
- Ben ouais. Ils vivent ici.
Je ne savais pas si je pourrais un jour être aussi blasée qu’Ava de cette flore et de cette faune. Je m’imprégnais de la scène : des orchidées plus belles que des fleurs de serre, des lianes flamboyantes fuchsia, rose et orange se dressant fièrement, me rappelant les mimosas de chez moi.
- Tourne ici, dit Ava, et je virais à droite, dans la direction générale de l’eau, mais à des centaines de mètres au-dessus.
Nous roulâmes trois cents mètres de plus, puis nous sortîmes des arbres. Le changement de notre environnement fut soudain, nous arrachant à la tranquillité de la forêt. Mon humeur se dégrada de même. De qui je me moquais ? Mes émotions étaient à vif, et mon humeur montait et descendait les octaves plus vite que Sarah Brightman dans le Fantôme de l’Opéra.
- Tu peux te garer où tu veux, indiqua-t-elle.
J’arrêtai la voiture pour me garer, puis coupai le moteur et retint ma respiration.
Me trouver à l’endroit où mes parents étaient décédés, c’était comme entrer dans les églises ornées de la Vallée de la Nativité au Texas. Nous y étions allés en famille lors d’un court voyage en voiture à La Grange quand j’étais au collège. Dans ces vieilles églises en bois, je savais que j’étais en présence de quelque chose de saint et de puissant, et que sous leurs toits, les problèmes de la vie et les bénédictions étaient liés, tout comme ici, là où la forêt tropicale se mêlait aux falaises. Où la vie rencontrait la mort.
Ava avait sauté de la voiture, à nouveau pieds nus et se dirigeait vers un chemin escarpé. Je trainai derrière elle. Je voulais tout absorber. Je voulais sentir mes parents à nouveau, et je voulais qu’ils sachent que j’étais venue sur ces lieux, qu’ils avaient compté pour moi. Que si je n’accomplissais rien d’autre au cours de ce voyage, je pourrai au moins leur dire au revoir.
- Je vous aime, maman et papa, chuchotais-je.
Ava avait franchi la colline et en trois pas, elle disparut. J’accélérais le pas. Je haletais en arrivant sur la crête et je dû faire un pas en arrière à cause d’un vertige. Le sol descendait sur trente mètres, puis disparaissait tout simplement. Au-delà, il n’y avait que le ciel, qui se confondait avec la mer des Caraïbes à l’horizon.
- Ils n’ont pas été les premiers à tomber de cette falaise, dit Ava sur un ton solennel.
- Oh mon Dieu, dis-je, sans pouvoir trouver d’autres mots. Je m’affalai dans l’herbe. Assise sur un monticule et tentais de rassembler mes pensées. Pourquoi ? Pourquoi étaient-ils venus à cet endroit précis ?
- C’est en quelque sorte notre coin des amoureux, dans un sens rude et inaccessible. Beaucoup de filles que je connais ont perdu leur virginité ici. Il a également été le site de quelques suicides d’amoureux. Il a toujours eu cette atmosphère romantique à laquelle les gens ne peuvent pas résister.
Je réfléchissais à ses mots. Est-il possible que mes parents aient recherché cet endroit ? Un dernier frisson pour leur anniversaire de mariage ? Je les imaginai tous les deux, main dans la main, yeux dans les yeux. Je l’espérais. Quelque chose en moi ne le croyait pas, mais Dieu, je l’espérais.
- Au-revoir, maman et papa, murmurais-je. Je fermais à nouveau les yeux, comptais à rebours à partir de cent en essayant de ne penser à rien et j’ouvris mon cœur au ciel.
Chapitre 11
Baptiste’s Bluff, St. Marcos, USVI
Le 18 mars 2012
Nous nous éloignâmes de Baptiste’s Bluff pour retraverser la forêt tropicale une demi-heure plus tard. J’avais retrouvé une partie de mon équilibre mental, suffisamment pour que la beauté des fleurs m’emporte à nouveau. Elles semblaient maintenant rendre hommage à mes parents. Compositions florales funéraires. La forêt tropicale n’était pas uniquement un plaisir pour les yeux, elle me faisait me sentir plus proche de maman et papa. Je détestais devoir m’éloigner.
- Tu sais, j’ai un ami qui organise des visites guidées de la forêt tropicale. Il a fait la navette avec son groupe depuis la Fleur de Paon. Tu devrais aller avec eux demain. Je vais l’appeler et le prévenir.
- Une randonnée ? Je ne suis pas une randonneuse. Mais je suis une excellente conductrice. Est-ce qu’il fait aussi des visites guidées en voiture ?
- Non. Il est botaniste. Arrête d’argumenter et suis-le. Ça va changer ta vie.
La totalité de ce séjour avait déjà l’air de changer ma vie, et je n’avais été sur place que depuis 24 heures.
Je succombai à une bouffée d’honnêteté.
- C’est pourquoi je suis ici, tu sais. Pour changer ma vie. Ou je suis censée le faire, en tout cas, autant que je peux en une semaine. Mon frère a vraiment insisté. Il pense que je bois trop. J’essaie de passer au-delà des symptômes et de remonter à la source. Ce n’est pas l’alcool. C’est mes parents. Mes mauvaises décisions. Courir après le mauvais gars. Tout ça et plus encore. Mes mots se trainaient, gênée de ne pas pouvoir les réexpédier à l’endroit d’où ils étaient sortis.
Ma confession n’impressionna pas Ava.
- La plupart des gens fuient quelque chose quand ils viennent ici. La plupart du temps, ils doivent comprendre s’ils fuient la bonne chose, ou si c’est la mauvaise chose qui les poursuit.
Sa déclaration était profonde. J’en avais fini avec la philosophie pour la journée, alors je gardai le silence.
Ava continua.
- Tu as dit que ton père était alcoolique ? Je crois avoir lu que c’est génétique, déclara-elle.
- Ouais.
Peut-être. Sauf que je n’étais pas Amy Winehouse.
- Beaucoup de gens qui s’installent ici deviennent alcooliques, dit-elle. C’est un environnement difficile pour arrêter de boire.
- J’avais un peu remarqué ça.
Au moins, elle ne s’était pas arrêtée sur le fait que je courais après le mauvais gars, mais j’étais prête à en finir avec le sujet des problèmes de Katie. Nous étions presque de retour en ville.
- Où est-ce que je te dépose ? Demandais-je.
- Emmène-moi chez moi pour que je puisse me changer. J’ai un rendez-vous plus tard, mais tu peux rester avec moi jusque-là.
- Tu ne chantes pas ce soir ? Demandais-je.
- Pas officiellement.
Quoi que ça veuille dire.
On s’arrêta devant la maison d’Ava et elle me fit signe d’entrer. C’était petit, mais propre. Mignon, avec des meubles en osier et des coussins blancs moelleux. Je regardai ses photos jusqu’à ce qu’elle sorte de sa chambre habillée d’une courte robe turquoise scintillante avec un décolleté en trou de serrure. Elle portait des sandales blanches à talons hauts qui reprenaient le design du décolleté de la robe dans le travail du cuir.
- Est-ce que c’est celui auquel je pense ? Demandais-je, en montrant une photo d’une Ava plus jeune avec un acteur magnifique et reconnaissable.
- Ouais, j’étais à l’école avec lui à NYU. Ne le dis à personne, mais il est gay. Tous ceux qui sont vraiment beaux sont gays. Elle fourra un tube de brillant à lèvres dans son sac à main blanc.
- Prête ?
- Ça dépend de ce pour quoi je dois être prête, mais, en général, je suis prête à partir.
- Tu parles comme une avocate.
- En fait, je suis une avocate.
- Oh, ça explique beaucoup de choses, dit-elle sur un ton qui laissait entendre que j’avais beaucoup de choses à expliquer.
- Ouais, ouais, ouais. Mais à quoi suis-je censé être prête ?
- À chanter.
J’éclatai de rire.
- Tu m’as surprise. Et non, je ne suis pas prête à ça.
- Très bien. Alors allons au casino. Ils ont un buffet et des boissons gratuites.
Il n’y avait rien à redire, alors j’acquiesçais.
Après un arrêt à mon hôtel qui dura plus longtemps que prévu pour pouvoir répondre à des courriels de travail, nous arrivâmes au casino Porcus Marinus. Le casino se trouvait sur la rive sud, à côté d’une station touristique du même nom et faisant face à une plage de sable blanc. La pleine lune se reflétait sur la surface de l’eau plissée par les vagues. De notre côté de la route se trouvait un énorme bâtiment ressemblant à un bunker avec son parking attenant, le plus large de l’île. Nous montâmes les marches du bunker et passèrent sous une énorme banderole au-dessus de la porte qui annonçait : « Soirée karaoké ».
- Soirée karaoké ? Demandais-je à Ava en plissant les yeux.
- C’est le destin, rétorqua-t-elle.
Après quelques pas à l’intérieur, je me mis immédiatement à tousser. La fumée de cigarettes s’accumulait vers les plafonds hauts du casino. Pour la première fois depuis mon arrivée à St Marcos, J’avais l’impression d’un minuit éternel. Pas de fenêtres. Beaucoup de bruit, cependant, au-dessus du bruit de fond des tintements des machines à sous éclataient les rugissements à intervalles réguliers des jeux de tables.
Et un autre bruit. En arrière-plan, j’entendais la voix d’un DJ qui faisait la promotion du karaoké auprès de la foule environnante.
- Qui sera le prochain ? Est-ce que c’est vous, ma belle ? Ou vous, monsieur, là-bas dans la chemise que vous avez empruntée à Jimmy Buffett ?
Ava me donna une petite poussée entre les omoplates en direction de la scène. L’endroit était bondé, et il n’était même pas encore neuf heures. Nous nous faufilâmes entre des Antillais moroses et quelques touristes titubants. La plupart d’entre eux auraient mieux fait de dépenser leur argent pour un repas décent ou des vêtements frais.
Une observation étrange et malvenue me frappa. Le Porcus Marinus n’était pas différent du bref aperçu que j’avais eu de l’intérieur du casino Eldorado à Shreveport. Je balayai cette idée de ma tête. C’était différent. Un monde à part, différent. Il n’y a pas de quoi avoir honte, différent. Je levais le menton un peu plus haut.
Lorsque nous arrivâmes à la scène, Ava ne s’arrêta pas. Elle passa devant moi pour rejoindre le DJ.
- Mlle Ava, annonça-t-il dans son micro. Quelques personnes dans la foule applaudirent et sifflèrent.
- Ce sera quoi ce soir, ma belle ?
- Commence avec No Doubt, des Fugees, et... Elle se tourna vers moi. Quoi d’autre ?
- Je suis du Texas. Trouve moi du Dixie Chicks et du Miranda Lambert.
Le DJ répondit :
- Miranda quoi ?
- Oublie ça. Dixie Chicks.
- C’est les trois gonzesses blondes ? demanda-t-il.
J’étais sûre qu’elles adoreraient cette description, mais elles s’en sortaient mieux que Miranda, de toute façon.
- Oui.
- Ouais, je les ai.
Ava jeta son sac à main dans la cabine du DJ comme un frisbee. Je m’approchais et je posais le mien sur son comptoir.
- Est-ce que je peux ? Lui demandais-je.
Il avait déjà chargé le morceau « Underneath It All » de No Doubt et balançait la tête en rythme avec la musique qui sortait des enceintes et du casque qu’il portait. Il ne regardait pas dans ma direction. Ses yeux étaient rivés sur Ava.
- Et puis merde, marmonnais-je en me dirigeant vers une table devant la scène pour la regarder.
- Huh uh, dit-elle dans le microphone.
- Amène tes fesses sur la scène, ma fille. Son accent s’était épaissi.
La petite foule applaudissait maintenant plus fort.
Super, me dis-je. Je suis l’imbécile continentale. Le touriste bouffon.
- Je ne vais pas vieillir ici. Continua Ava, une main sur sa hanche. Oh ouais.
Je déambulai en soupirant jusqu’à la scène dans la robe blanche que je portais depuis le matin, montais les trois marches du destin et me posai à ses côtés, devant la toile de fond noire. Mon profil angulaire contrastait à côté de ses courbes et son allure provocante. Si tu dois faire ça, fais-le en style, pensais-je en redressant le menton.
La foule s’était jointe à Ava pour applaudir et m’encourager. Elle me tendit le micro et pointa vers l’écran du moniteur.
- Chante, ordonna-t-elle.
Alors je me mis à chanter. Puis ce fut son tour, puis ensemble, et c’était époustouflant. Ma voix nasillarde, capable d’atteindre les notes les plus aiguës mais pas assez forte, était entremêlée et renforcée par sa voix plus profonde, plus jazz. J’harmonisai avec elle dans les refrains, je l’accompagnai dans les couplets, puis elle me rendait la pareille. J’étais détendue et j’imaginais que mon attitude guindée s’était assouplie, du moins un peu. Je m’amusais.
Nous quittâmes la scène vingt minutes plus tard sous les ovations, même si elle ne se composait que de dix soulards et d’une petite dame aux cheveux bleus qui s’était perdue en revenant des toilettes.
- Maintenant, qui est assez courageux pour prendre la relève ? demanda le DJ. La foule lui répondit bruyamment.
- Pas moi, pas question, non monsieur.
Il posa un disque sur la platine, nous fit un signe de la main et partit en pause.
Je m’effondrai sur ma chaise.
- Champagne, dis-je en me tournant vers la serveuse qui nous avait suivis jusqu’à notre table.
- La même chose, dit Ava.
Elle griffonna notre commande et s’éloigna, me donnant la meilleure démonstration que j’ai vue jusqu’à présent de vie au ralenti.
- On déchire, Katie Connell, s’exclama Ava. Et bon sang, tu es encore plus grande sur scène.
Je n’avais pas chanté depuis des années, sauf dans la voiture et sous la douche. Je me sentais soudainement électrifiée. Vivante, d’une manière que je n’avais jamais ressentie dans la pratique du droit, ça c’est sûr.
- On arrache, dis-je en gloussant.
On arrache. Comme si c’était une expression que j’utilisais souvent.
- Ouais ma sœur, dit Ava.
Notre serveuse revenait vers nous avec deux boissons sur un plateau. Alors qu’elle passait devant une petite table ronde de l’autre côté de la zone de karaoké, une femme tendit la main et l’attrapa par le bras. Sa voix trancha à travers le bruit de la foule.
- Où est ma boisson ? Je l’ai commandée il y a cinq minutes.
- Je l’apporte sous peu, dit la serveuse en se dégageant de l’emprise de la femme.
- Je veux mon verre immédiatement. C’est ridicule. Où est votre patron ? demanda la femme, dont l’accent indiquait qu’elle venait probablement de New-York ou des environs.
La serveuse hocha la tête, sourit et répondit :
- Oh, oui, madame, je vous l’apporte tout de suite.
Elle continua vers nous, encore plus lentement cette fois. Une fois à notre table, Ava lui dit :
- Ouah, elle pense qu’elle est spéciale.
- Pour de vrai, convint la serveuse. Elle n’est pas près d’être servie.
Elle posa nos boissons sur la table et s’en alla.
- Qu’est-ce que je disais ? Me dit Ava.
- Je ralentis, je ralentis... dis-je.
Nous bûmes notre champagne servit dans des gobelets en plastique ornés de dauphins bleus. Je pris une gorgée et les bulles me chatouillèrent le nez. Je gloussais à nouveau. Je ne buvais jamais ce truc. Je ne gloussais jamais.
- Santé, dis-je en levant mon verre. Ava et moi trinquâmes nos gobelets l’un contre l’autre, éclaboussant nos bras de champagne. Un peu plus de gloussements.
- Est-ce que cette chaise est occupée ? demanda une voix grave. Un de nos fans, peut-être ? Ses larges épaules bloquaient le soleil, wahou. Sauf qu’il n’y avait pas de soleil dans le casino. Il bloquait la lumière des luminaires de pacotille. Le halo de lumière autour de la tête à qui appartenait la voix occultait son visage.
Ava reconnut la voix, cependant.
- Jacoby, assieds-toi, mon ami. Elle tapota le siège rembourré en simili-cuir à côté d’elle. Petite île.
Darren Jacoby, toujours dans son uniforme de policier, s’assit face à Ava, et les deux autochtones s’échangèrent la bise sur la joue. Il avait eu l’air plutôt bien pendant un moment, dans le noir.
- Bonjour, Mlle Connell, dit-il par-dessus son épaule.
Il n’avait vraiment pas l’air de vouloir m’appeler Katie. Bon, enfin.
- Bonjour, officier Jacoby.
- Je ne peux pas rester longtemps, dit-il à Ava. Je suis en service. Mon quart se termine à dix heures. Je faisais juste une ronde quand je t’ai vue. Qu’est-ce que tu fais ?
- Nous sommes allées voir le détective privé que vous avez recommandé, dis-je, m’adressant à son profil.
Il se retourna, sans expression.
- Eh bien, j’espère que ça se passera bien pour vous. Quand retournez-vous aux États-Unis ?
La subtilité n’était pas son fort.
- Dans cinq jours, répondis-je.
- Soyez prudente, alors. Il reporta toute son attention sur Ava.
- Tu veux qu’on se voie plus tard ? J’ai Love and Basketball en DVD.
Oh, bon sang, encore moins subtile. Il aurait pu aussi bien se placarder sur un panneau d’affichage.
- Oh, Jacoby, je ne peux pas. J’ai un rendez-vous.
Sa mâchoire se contracta et la colère traversa ses yeux si vite que je faillis ne pas l’apercevoir.
- Il y a toujours quelqu’un, n’est-ce pas, Ava ? Sa mâchoire se détendit. Ses larges épaules s’affaissèrent.
- Eh bien, une autre fois.
- Bien sûr, dit-elle.
- Je vais y aller, alors.
Ava et lui se firent à nouveau la bise, il se retourna, me salua de la tête, et s’éloigna avec la démarche d’un grizzly. Il ne m’aimait pas beaucoup, mais j’avais quand même de la peine pour lui.
Ava avait l’air triste.
- Il a toujours été comme ça. Il n’abandonne pas facilement. Elle sortit son téléphone et dit : Je ferais mieux de vérifier mon rendez-vous. Quelques clics plus tard, elle continua.
- Guy a réservé une chambre ici, sur la colline. Une suite. Ooo là là.
- Est-ce que tu vas me le présenter ? Demandais-je.
- Non. Il est très discret à notre sujet.
Elle pointa le quatrième doigt de sa main gauche et chuchota le mot « marié ».
- Il ne me contacte même pas lui-même. C’est comme si j’avais une affaire avec son assistant, Eduardo.
- Je suis désolée, dis-je, parce que je ne savais pas quoi dire d’autre. Ça me semblait assez arrogant et grossier.
- Oh, ce n’est pas un problème, dit Ava en chassant le problème imaginaire de la main.
- C’est un sénateur. Les gens le connaissent. C’est une petite île.
J’avais cru remarquer.
Je pensais à ce que je ressentais quand Nick m’ignorait en public. Et je n’avais même pas « une affaire » avec lui. Jacoby n’était pas non plus avec Ava, mais cela ne semblait pas l’empêcher d’éprouver une certaine aigreur à propos de son rendez-vous.
- Mais ça ne te dérange pas ?
Ava pinça les lèvres.
- Je ne suis pas amoureuse de lui, Katie. Il est sympa et il essaye de m’obtenir un rôle dans une émission pilote de télévision qui se passera ici. Nous satisfaisons nos intérêts mutuels. Je préfère les riches aux puissants, de toute façon, et il n’est pas riche. Elle prit une autre gorgée de champagne.
Je coinçai une mèche de cheveux derrière mon oreille. Un pilote pour une émission de télé ? Son gars sénateur avait dû être mon compagnon de beuverie pendant mon vol. Je décidai de ne pas en parler, puisqu’il m’avait dragué sans relâche. Hé puis, si leur arrangement ne dérangeait pas Ava, je n’allais pas m’en faire. Je serais peut-être plus heureuse si j’étais aussi détachée qu’elle. Peut-être. Mais probablement pas.
- Alors, qui est le mauvais gars, de toute façon ? demanda-t-elle.
- Quoi ? J’étais embrouillée, pensant pendant un moment que nous parlions encore de son type.
- Celui pour lequel tu n’es pas censée mourir d’amour.
Ah, lui. Je fis signe à la serveuse d’apporter plus de champagne. Puis, prudemment, je me frayai un chemin dans l’histoire, en essayant de ne pas buter sur des mines qui feraient exploser ma fragile trêve sentimentale.
- Tu es mieux sans lui. Déclara Ava. Je vais m’occuper de toi et te trouver un homme pour t’occuper l’esprit cette semaine.
- Pas d’hommes, Ava.
- Oh Alors t’es pincée ? On dirait que tu ne fais pas trop d’efforts pour le fuir.
- Je ne suis pas pincée. Je l’évite. Vraiment.
Ava n’avait pas l’air trop convaincue.
- Si tu le dis, Katie. Si tu le dis.
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