Kitabı oku: «Un diplomate luxembourgeois hors pair», sayfa 5

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Les deux rejetons de familles bourgeoises voire aristocratiques étaient liés non seulement par tous les talents de la jeunesse alliée à l’ambition, mais encore et surtout par le fait qu’ils voulaient échapper à des situations familiales compliquées, notamment en raison du remariage de leurs pères respectifs. L’entente avec les belles-mères de l’un et de l’autre n’était guère optimale et ni Luxembourg ni Venise ne retenaient suffisamment les deux audacieux qui, sans trop hésiter, ont pris le grand large. Hugues connaissait le grand monde et le grand jeu de la vie, et Pisana allait combler son indicible enthousiasme pour les contrées exotiques et son ambition de poursuivre une carrière somme toute prometteuse. Pisana est décrite par d’aucuns comme très gentille mais ne sachant pas faire le ménage.

Et les voilà partis pour le Japon. Pour les déplacements des jeunes Le Gallais, l’avion, cette fabuleuse conquête de l’air par l’homme, ne semble pas avoir été à portée de mains. Pisana n’a d’ailleurs utilisé ce moyen de déplacement qu’une seule fois de sa vie pour se rendre à Cuba, Hugues peut-être aussi pour se rendre au Mexique, mais pas si souvent que cela leur aurait été possible avec une aviation qui n’en était plus à ses débuts mais toujours considérée comme dangereuse. L’automobile était inexistante et impossible à utiliser à Venise, de sorte que la quasi-exclusivité de leurs déplacements ont été entrepris en train et en bateau. En tout cas, au seuil de leur vie nouvelle, une page aventureuse allait s’ouvrir pour Pisana et Hugues. Le couple allait mener une vie de rêve en faisant habilement fructifier son talent, que ce soit à Tokyo, à Luxembourg, plus tard à Washington ou finalement à Venise.

53 Comme le couple est resté sans enfants, la maison est revenue aux héritiers de Hugues et de Pisana.

54 Par la suite, et pendant presque vingt ans, le rez-de-chaussée du palais a accueilli jusqu’en 2017 la participation luxembourgeoise aux Biennales de Venise.

55 Télégramme de condoléances au colonel ou encore Lt. Gianni Velluti, demi-frère de Pisana, du 22 mars 1957 de Doody.

56 Mersch, Jules : Biographie Nationale du Pays de Luxembourg depuis ses origines jusqu’à nos jours. Luxembourg 1972, fasc. 19, p. 68 ; Mémorial n°51 du 19 juillet 1920, p. 764.

57 Victor Bodson (1902-1984), ministre de la Justice de 1940 à 1947.

58 Heisbourg, Georges : Le gouvernement luxembourgeois en exil. 1942-43, p. 22.

59 Documents du Département de la Guerre (War Department) de février 1944 et mars 1946 mis à disposition par la famille de M. Brasseur (Tom Elvinger).

60 Robert Flesch (1882-1940), ingénieur, chef des laminoirs de l’usine de Dudelange.

61 Élie Decazes, 5e duc Decazes (1914-2011).

62 Peggy Guggenheim (1898-1979), collectionneuse et mécène.

ACTIVITÉS PROFESSIONNELLES AVANT LA GUERRE ET POSTE DIPLOMATIQUE À WASHINGTON

La famille d’Hugues avait été à l’origine de l’Arbed dont le siège social a été le symbole de l’économie luxembourgeoise florissante. Le bâtiment reflète l’histoire glorieuse d’une époque de la sidérurgie dominante. L’édifice a marqué et continue de constituer l’emblème de l’avenue de la Liberté. L’architecture et l’urbanisme de la capitale restent imprimés par ce fleuron du patrimoine architectural et industriel du pays.

D’après un membre de la famille, Hugues, après la Première Guerre mondiale, n’avait en fait pas de vraie position. Peu enclin à se montrer expansif, en public du moins, il n’avait pas non plus l’âme sœur qui allait vraiment lui permettre de jouer son rôle avec davantage d’ardeur et de fougue. Au bout de ses études, il était heureux de pouvoir représenter Columeta où quelqu’un a dû placer un mot en sa faveur et le recommander. Il n’était apparemment pas connu pour être trop assidu au travail de bureau, certains disant à l’époque que le numéro deux faisait une partie non négligeable du boulot. C’est aussi ce qui résulte d’une lettre d’Andrée Mayrisch à sa mère du 19 novembre 1921 alors qu’elle et Hugues étaient à Londres tous les deux : « Hugues devient de plus en plus comique en spats63 et gibus.64 Il prononce tellement de paroles mémorables qu’on ne les retient pas. Voici quelques-unes des meilleures : “Je trouve que c’est amoral pour quelqu’un d’aussi riche que Gaston65 de travailler”, “Je suis beau, je suis intelligent, j’ai des idées larges”. À propos des affaires, et de l’argent qu’il gagnera plus tard : “Quand je voudrais, je réussirai(s) toujours, dans n’importe quoi.” En plus de ses autres défauts, il est devenu snob et rempli de préjugés mondains – mais c’est un cher garçon tout de même, quoique Poussy66 et moi le croyions capables [sic] des pires canailleries, innocemment d’ailleurs. »67 Pas trop porté sur le travail donc, mais néanmoins intéressé à jouer dans la cour des grands, Hugues avait des idées et ne chancelait pas, conformément à la devise de sa famille, pour les voir se matérialiser un jour. Quelques années plus tard, peut-être par nécessité, il a prouvé qu’il savait travailler et gagner sa vie, que ce soit dans le domaine commercial ou diplomatique.

Successivement, Hugues Le Gallais a été attaché au Comptoir Métallique luxembourgeois (Columeta), le comptoir de vente créé en 1919/1920 par l’Arbed dans le but de diffuser à travers le monde les produits fabriqués au sein du groupe métallurgique. Le marché allemand s’étant effondré après la Première Guerre mondiale, l’industrie sidérurgique luxembourgeoise devait donc chercher de nouveaux créneaux. La cartellisation ou entente de sidérurgies allemande, française, belge, luxembourgeoise et sarroise a connu son apogée durant l’entre-deux-guerres. Deux cartels ont été domiciliés à Luxembourg et ont été présidés successivement par Emile Mayrisch, son principal promoteur, et ensuite par Aloyse Meyer.68

Enchaînant les postes, il fut d’abord envoyé à Paris de 1919 à 1920. Au bout de la Conférence de paix de Paris, le 28 juin 1919, le Traité de Versailles, venant de rejeter les visions annexionnistes de la Belgique, a consacré des articles répondant aux questions relatives au statut du Luxembourg, ce que Le Gallais devait avoir observé avec intérêt. Ensuite, il a été mandaté à Londres de 1921 à 1922, où deux conférences internationales ont été organisées pour rechercher des solutions aux difficultés de mise en application des traités de paix. Par la suite, il est parti direction Sarrebruck pour les Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange en 1923. À l’époque, la Sarre était placée sous administration internationale de la Société des Nations sous contrôle français. Hugues Le Gallais a été à Tokyo en 1924, à Luxembourg en 1925, à Bombay en 1926, en tant que directeur à Tokyo de 1927 à 1936 et de nouveau à Luxembourg de 1937 à 1939 en tant que « Chief of the Rail Export Division ». Le réseau de Columeta était basé sur des représentants souvent issus de familles liées à l’Arbed. Il correspondait en quelque sorte à un réseau diplomatique avant la lettre. Le Grand-Duché ne disposait que de quelques rares diplomates, la plupart itinérants, qui étaient suppléés dans leur travail par des consuls honoraires.

63 Le terme « spats » peut être traduit par guêtres : un raccourcissement des éclaboussures ou protège-éclaboussures, un type d’accessoire de chaussure classique pour les vêtements de plein air, couvrant le pied et la cheville

64 Haut-de-forme qui s’aplatit et se relève à l’aide de ressorts.

65 Très probablement Gaston Barbanson.

66 Renée, dite Poussy Muller, fille des époux René Muller et Jeanne Laval, épouse de Jacques Neef de Sainval (beau-frère de Gaston Barbanson) qui est allé travailler à Dublin lorsque Hugues Le Gallais est allé à Tokyo en 1927 ; amie d’enfance d’Andrée Mayrisch.

67 Correspondance Aline Mayrisch ; CNL.

68 En 1976, Columeta fut renommé en Trade Arbed.

AU SERVICE DE COLUMETA À BOMBAY (1926)

Nous avons vu que l’oncle du côté paternel d’Hugues, le Lieutenant-Colonel Walter Le Gallais, avait servi en Inde de 1891 à 1895 en tant qu’aide de camp du commandant en chef de Bombay. Hugues en avait entendu parler et avait été d’autant plus curieux de revenir sur les traces de ce parent décédé depuis plus d’un quart de siècle et duquel subsistaient des photos et sans aucun doute des anecdotes sur ses aventures et sa bravoure. Au cours des années 1920, Bombay était la capitale économique de l’Inde et le premier marché cotonnier du monde. La deuxième ville du pays après Calcutta comptait un million d’habitants administrés par les Britanniques. C’était aussi l’un des grands centres du mouvement nationaliste indien et, au cours de ces années, Gandhi et Nehru, les leaders du parti du Congrès, ont réclamé à la métropole des réformes démocratiques, puis l’autonomie. Ces revendications ont été accompagnées d’actions non violentes, avec un boycottage des produits britanniques et un refus d’obéir. Delhi a été la capitale de plusieurs empires indiens, mais l’administration de l’Empire britannique des Indes se faisait à partir de Calcutta. Ce ne fut qu’en 1911 que le roi George V avait annoncé le transfert de la capitale de l’Empire de cette ville jugée trop excentrée vers Delhi, dont la position plus centrale allait rendre l’administration de l’empire plus aisée.

En octobre 1927, Columeta a opéré un changement majeur dans plusieurs des villes où ont été affectés les représentants suivants : Hugues Le Gallais fut déplacé à Tokyo d’où son prédécesseur Guy Noesen fut muté au Brésil, alors que Victor Buffin, jusqu’à ce stade à Milan, fut envoyé à New York et que, finalement, le représentant au Brésil, Jacques Neef, allait représenter désormais Columeta à Dublin. Tous ces changements font l’objet d’une publication au Luxemburger Wort, le 15 octobre 1927.

En mai 1929, Le Gallais ayant quitté l’Inde depuis deux ans, le gouvernement luxembourgeois a demandé que Alphonse Als, directeur de la Corporation de l’Industrie manufacturière belge, soit reconnu comme vice-consul honoraire à Bombay. Ce frère de Robert Als, le futur ministre et diplomate, allait devenir à Londres le chef de cabinet du ministre Bech à la fin de la guerre.

AU JAPON (1927-1936)

Columeta Tokyo, fondée en 1925 afin de conquérir de nouveaux marchés, offre un aperçu de la mécanique culturelle d’une entreprise européenne au Japon pendant l’entre-deux-guerres. Alors que les affaires s’étaient bien déroulées au cours des années 1920, la situation est devenue plus difficile au cours des années 30, en raison de la crise économique mondiale, de l’essor de la production sidérurgique japonaise et de politiques économiques protectionnistes de plus en plus nombreuses. Au pays du Soleil levant, Hirohito, petit-fils de l’empereur Meiji, était monté sur le trône le 25 décembre 1926 sous le nom de règne Shôwa (« Paix brillante »). Il avait déjà assuré la régence durant les années précédentes du fait de la maladie de son père et allait survivre malgré tout à la Seconde Guerre mondiale, au terme de laquelle le ministre plénipotentiaire Hugues Le Gallais allait être l’un des signataires du traité de paix à San Francisco en 1951.

Bien que la population japonaise ait presque doublé depuis 1868, de 34 millions d’habitants à près de 60, le Japon des années 1930 où Le Gallais était de passage, d’abord seul, puis avec son épouse et son fils, a, d’un côté, été marqué par une économie dynamisée et une industrie puissante et compétitive à l’échelle mondiale. D’un autre côté, les mentalités urbaines se sont rapprochées du monde occidental et des quartiers modernes se développaient dans les grandes villes comme Tokyo et Yokohama. La majorité du pays restait toutefois agricole et artisanale, l’occidentalisation y étant perçue comme une remise en cause des idéaux traditionnels japonais avec à la clé une opposition conservatrice, réactionnaire même, favorisant un pouvoir militaire fort à tendance ultranationaliste. Le suffrage universel, instauré en 1925, y a constitué un faux-semblant de démocratie libérale, et en 1931 les militaires ont mis l’empereur et le gouvernement devant le fait accompli en envahissant la Mandchourie avant que l’assassinat du Premier ministre Inukaï en 1932 et la tentative de coup d’Etat du 26 février 1936 ne conduisent l’empereur et le gouvernement à confier le pouvoir à l’Etat-major pour échapper aux plus extrémistes de ces officiers. Le régime mis en place par les militaires prit vite la forme d’un totalitarisme japonais.


Des premières années de la vie de Le Gallais au Japon il ne subsiste guère de traces sur sa vie privée, hormis celles laissées par Aline Mayrisch-de Saint-Hubert qui lui a rendu visite en 1930. Sur la maison de Le Gallais à Tokyo, elle a écrit, le 7 décembre 1930, de Nara à Schlumberger: « C’est d’un des plus beaux et des plus vieux endroits que je continue. J’espère rester huit jours ici dans une relative solitude dont j’ai fort besoin. La maison de Hugues, minuscule et incommode, ne permet guère de s’isoler longuement, et lui-même, affectueux, généreux, attentif autant qu’il est possible, ne vous apporte pas une atmosphère bien nourrissante [avec en marge : encore que maints éléments d’inconscient comique], avec cela il est relativement absorbant avec sa manie du bricolage. Tous les jours, il faut l’accompagner à une autre vente, ou chez quelque autre antiquaire. D’ailleurs ai-je fait, grâce à lui, la connaissance de plusieurs milieux intéressants et pu faire aussi plusieurs acquisitions dont je suis contente, entre autres d’une très belle peinture chinoise. Mais enfin, ce n’était pas là le but de ce voyage et le séjour à Tokyo […] fut certainement, par la force des circonstances, un peu long pour l’intérêt qu’il comporte. »69 De la part de Madame Mayrisch, un tableau plus harmonieux, cette fois-ci, que la description d’Hugues comme « cornichon » à peu près à la même époque.


Des albums photo de l’épisode japonais, soigneusement tenus par Pisana et Hugues, l’on peut ressentir une grande quiétude et admiration pour un pays à la culture plusieurs fois millénaire. Des images de temples, de la nature splendide alternent avec des photos, parfois au format extrêmement réduit, de scènes champêtres ou de vues de la maison moderne, spacieuse, de style Bauhaus voire Art Déco que devaient habiter les Le Gallais. Ce fut une maison accueillante, une construction cubique avec un toit terrasse, située sur une colline, qui permettait de recevoir amis et connaissances. Les cartons et menus gardés de ces années témoignent en effet d’une vie sociale bien remplie. Quelques clichés d’hôtels divers laissent deviner quelque séjour prolongé à l’hôtel ou des voyages en dehors de la capitale. Hugues Le Gallais a aussi visité la Muraille de Chine et le Temple du Ciel à Pékin. Une escalade du mont Nantai de presque 2.500 mètres, situé sur l’île japonaise de Honshū, au nord de l’agglomération de Tokyo, semble aussi avoir figuré au programme. Toute cette vie assez unique pour un Luxembourgeois dans les années 1930, alternée d’illusions et de revers, permettait à Hugues de rayonner et de briser de vieilles habitudes et conventions. Ces années étaient ponctuées par des rencontres souvent sophistiquées avec des locaux ou des expatriés, des dîners en smoking et de longues soirées seul et en tête-à-tête avec sa jeune épouse. Pisana était en quelque sorte le double d’Hugues. Elle avait une personnalité forte, ce qui était bien nécessaire face à quelqu’un qui avait l’avantage d’avoir déjà vécu seul en Asie pendant six années, sept même si l’on compte le séjour de 1926, avant qu’elle ne le rejoigne. Vénitienne très chic, Pisana devait être perçue comme glamour voire emblématique dans un Japon formel et hiérarchisé à l’extrême. Une photo d’elle en robe longue et une de lui en smoking, prêts à recevoir ou à sortir, lascifs et philosophes à la fois, témoigne d’un art de vivre voire d’une maîtrise de cette vie mondaine qui avait tout pour plaire à un couple dynamique.

Mariés le lundi 6 novembre 1933, le jeune couple quitta l’Italie à partir de Gênes le 15 novembre à bord du « Super Expresso Conte di Savoia » pour l’Asie lointaine et inconnue pour Pisana. Arrivés dans la capitale japonaise à l’ambiance toute particulière, Pisana attendait rapidement son premier enfant. Loin des siens, elle mit au monde à Tokyo, le 26 août 1934, un fils nommé Norbert Ludovico Marino Maria. L’enfant avait comme marraine Aline Mayrisch-de Saint-Hubert.


Lors de la naissance de leur fils, le couple Le Gallais était bien introduit au Japon, comme en témoignent les innombrables messages de félicitations reçus de locaux (Nantaisan, Junko Hagiwara), d’expatriés comme eux (Tony Rollman,70 qui travaillait également au Japon pour Columeta de 1926 à 1935, certains ambassadeurs et secrétaires d’ambassade, le ministre belge de Bassompierre, le comte et la comtesse de Rechteren-Limpurg) ou encore de parents ou amis en Europe (Madame Mayrisch, famille Mioni Carrara, Elena, Maria, Ludovico Barbara, Alice Grew, Dirksens, Mrs. Wilfried Fleischer, Mme Georges Stoïesco, M. et Mme Luigi Mariani). Il y avait aussi Katharini Sansom, professeur emeritus de japonais à l’université de Colombia, représentante britannique à Tokyo, Singapour, Washington et New York, probablement l’épouse de Sir George Bailey Samson qui a laissé des ouvrages de grande valeur sur le Japon, et de laquelle il y a une trace plusieurs années plus tard dans le « scrap book » organisé à l’ambassade à Washington. D’autres messages provenaient de personnes longtemps oubliées et impossibles à replacer dans le contexte de leur relation avec le jeune couple Le Gallais. Des télégrammes ou de simples cartes de visites avec un mot ou deux étaient envoyés à l’époque. Pisana les a collés dans un album avec des photos de leur séjour et des photos de leur bébé qui remplissait et changeait profondément leur vie. L’une ou l’autre « nanny » était à disposition pour permettre à Pisana de ne pas être trop absorbée par le nourrisson. Il y a des photos du tout jeune Norbert avec tantôt une « nanny » japonaise, tantôt une d’origine européenne.

Durant ces années passées au Japon, un couple assez proche furent le baron et la baronne Albert de Bassompierre.71 Le baron belge était devenu en décembre 1920 envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire à Tokyo, où il est arrivé en mai 1921. Il est resté au Japon jusqu’en février 1939. Grâce au développement des relations entre la Belgique et le Japon, de Bassompierre est devenu le premier diplomate belge au Japon avec le rang d’ambassadeur plénipotentiaire extraordinaire en juin 1922. Le Gallais allait suivre cet exemple de changement de statut en 1955 à Washington. Le baron et la baronne avaient, par exemple, organisé un dîner avec les Le Gallais et les représentants diplomatiques portugais, allemand et français. Un couple luxembourgeois, Joseph Hackin et son épouse Marie dite Ria Parmentier,72 était en contact étroit avec Hugues Le Gallais. Hackin, originaire de Boevange-sur-Attert, était de 1930 jusqu’en 1933 directeur de la Maison franco-japonaise à Tokyo après avoir été conservateur du musée Guimet à Paris. Il s’est lié d’amitié avec Le Gallais, de dix ans son cadet, comme il allait le faire pendant la guerre avec le ministre Bech à Londres où il a rejoint de Gaulle et avant de mourir en héros pour la France, le 24 février 1941, en mer suite au torpillage de son bateau près des Îles Féroé. Hackin écrivit à Madame Mayrisch qu’il « a aiguillé Hugues sur la voie des études d’art. Il m’a donné sur ses paravents une étude qui aura, grâce à mon ami Espezel,73 les honneurs de la Gazette des Beaux-Arts. C’est du bon travail. J’espère que Le Gallais ne s’en tiendra pas là. »74 Il décrit Hugues comme « stoïque et flegmatique » face aux températures d’été insupportables à Tokyo.75 Le Luxembourgeois Tony Rollman, que Jean Monnet a qualifié plus tard dans ses mémoires de « sidérurgiste luxembourgeois précis dont la réputation dépassait les frontières de son pays »,76 travaillait au même moment que Le Gallais au Japon. Nous ignorons les liens privés exacts qui les unissaient. Ce compatriote eut trois enfants durant ces années. Il a œuvré sous la direction de Le Gallais qui restait à Tokyo. Rollman a déménagé douze fois en neuf ans et se déplaçait surtout à Osaka, le centre industriel où Columeta avait ouvert des bureaux en 1928, et à Kobé. Dans la capitale japonaise, Le Gallais avait ses bureaux dans le quartier d’affaires de Marunouchi77 situé dans l’arrondissement de Chiyoda entre la gare de Tokyo et le palais impérial. Alors que le quotidien était qualifié d’exotique, Rollman demanda, dès janvier 1935, de ne plus revenir au Japon pour un nouveau terme de trois ans au bout du congé prévu en Europe, ceci dans l’intérêt de sa famille et de sa santé. Le Gallais devait régler les dernières affaires avant de rentrer à son tour. En fait, le business de Columeta semble avoir connu des difficultés en raison de la chute du Yen et des employés japonais, à un moment donné plus d’une douzaine de personnes, qui ont quitté la représentation luxembourgeoise pour entrer chez des cartels japonais. Hugues Le Gallais a apparemment plaidé pour le recrutement d’Européens, les Japonais préférant négocier avec des représentants étrangers. Il s’est aussi engagé en faveur du versement d’un bonus annuel qui constituait une coutume indispensable au Japon. Un retour plus ou moins régulier au Luxembourg permettait à Le Gallais de rester en contact avec son pays natal, mais aussi de voyager via le canal de Suez et l’Inde ou par le chemin de fer transsibérien ou encore via l’Amérique du Nord et le Pacifique.78

En 1936, c’est Pierre Ruppert qui prit la succession de Le Gallais au Japon. Ce dernier a emporté pas moins de 39 caisses au Grand-Duché, déménagement qualifié de considérable et prenant beaucoup de temps. Il emmenait de nombreuses antiquités et œuvres d’art acquises au fil des ans. En 1936, le 28 février pour être exact, le suicide du Lieutenant Aoshima Kenkichi au milieu d’une rébellion attira toute l’attention de Le Gallais qui avait gardé parmi ses souvenirs et photos un article du 2 mars du journal Hochi Shimbun sur : « Lieutenant Aoshima commits harakiri to show rebels how to die. Wife follows. » Le suicide du membre de la « Imperial guards division transport corps » aurait été dû à un « nervous prostration from studying too hard », une lettre posthume témoignant du fait que le malheureux travaillait jour et nuit. Etrange de voir cet épisode tragique, qui devait rappeler à Hugues Le Gallais le suicide de sa sœur Alice, huit ans plus tôt, figurer de manière aussi crue dans les souvenirs de ce séjour japonais. En fait, l’incident du 26 février ou « incident 2-2-6 » a été une tentative de coup d’État qui eut lieu au Japon, du 26 au 29 février 1936, organisée par la faction ultra-nationaliste de l’Armée impériale japonaise. Cet épisode violent pourrait avoir donné le reste aux Le Gallais. Pisana voulait quitter au plus vite ce pays aux mœurs et coutumes si différentes à maints égards. Avec leur fils de trois ans, le couple rentrait donc en Europe.

Hugues Le Gallais se souviendra longtemps du temps passé au pays du Soleil levant. Dans son discours en anglais prononcé lors de la signature, en septembre 1951, de l’accord de paix avec le Japon, Le Gallais souligne qu’il a passé quelque dix ans au Japon où il est arrivé brièvement après le grand tremblement de terre de 1923 qui avait causé d’énormes dommages, lui permettant de voir de ses propres yeux ce que les efforts au travail peuvent exercer face à un désastre national. Il affirme aussi avoir vu une réelle avalanche d’aide américaine et qu’il a réalisé pour la première fois l’esprit généreux du peuple américain. Il a rendu hommage aussi à cette approche dont ont bénéficié de nombreux peuples, y compris le sien. Il mentionne que durant ces années il a été en contact avec les différentes classes du peuple japonais et qu’en général celui-ci est bon et pacifique par nature. Il rappelle que malheureusement, après l’incident « provoqué » de Mukden79 de 1931 donnant prétexte à l’invasion du sud de la Mandchourie par les troupes japonaises, le Japon a été dirigé par des fanatiques militaires et que la nature conciliante de cet accord de paix était destinée à éviter le retour à de telles circonstances. Il souligne que durant ses dix ans passés au Japon il n’a pas vu un seul Japonais ne pas respecter sa parole. Sa prise de position avait été patiemment réfléchie et élaborée de concert avec sa capitale et ses autorités.

En attendant, ce fut le retour à la case de départ, le Luxembourg, ce pays inconnu pour Pisana. Avec complaisance et désinvolture, le couple rejoignit le Vieux Continent qui se retrouvait aussi sous la menace de totalitarismes, surtout du national-socialisme. Avant de rejoindre Washington, cet endroit de projection du pouvoir par excellence, le couple dut faire face à son propre destin dans cette capitale provinciale avant la nouvelle déflagration qui allait embraser l’Europe. Le Gallais était le gentilhomme aimable par excellence, tout en étant devenu de plus en plus « bourgeois impérial » à l’image de ses ancêtres et de ses familiers. Il allait se faire un nom auprès de la Cour grand-ducale et se réfugier dans l’examen, la préservation, l’étude et la contemplation de sa collection d’art oriental qu’il avait constituée au cours de la décennie passée.

69 Correspondance Mayrisch ‒ Schlumberger, p. 252.

70 Tony Rollman (1899-1986) a travaillé au Japon de 1926 à 1935 et a quitté Columeta en 1948 pour les Communautés européennes avant de retourner en 1950 à l’Arbed.

71 Albert de Bassompierre (1873-1956), baron, ambassadeur au Japon de 1921 à 1939. A écrit ses mémoires en 1943 : « Dix-huit ans d’Ambassade au Japon ».h

72 Joseph Hackin (1886-1941), époux de Ria Parmentier (1905-1941), plus tard conservateur et rénovateur au Musée Guimet, son épouse étant sa principale collaboratrice. Morts en héros pour la France. Dans son tome sur l’année d’exil 1941, Heisbourg décrit le lien entre Bech et Hackin, la disparition duquel il regretta beaucoup, d’autant plus qu’une invitation du couple en octobre 1940 avait fait probablement échapper le ministre luxembourgeois à un bombardement de Londres qui aurait pu lui être fatal.

73 Pierre d’Espezel (1893-1959), archiviste-paléographe, conservateur au Cabinet des médailles et antiques de la Bibliothèque nationale, Paris ; secrétaire de la « Gazette des beaux-arts ».

74 Bourg, Tony : Madame Mayrisch et l’Orient. Letzebuerger Land du 18 décembre 1987 ; lettre du 13 décembre 1932, Fonds Mayrisch ; ANLux.

75 Bourg, Tony : Madame Mayrisch et l’Orient. Letzebuerger Land du 18 décembre 1987 ; lettre du 31 juillet 1932, Fonds Mayrisch ; ANLux.

76 Boy, Marie : L’intelligence sensible du décideur: Relation, intuition, valeurs : des atouts pour développer votre potentiel de dirigeant ; Editions Dunod.

77 Marunouchi signifie « à l’intérieur du cercle », en référence à sa localisation à l’intérieur des douves du palais impérial. Le quartier est le centre financier du Japon, les trois plus grosses banques du pays y ont leur quartier général.

78 Dittrich, Klaus: Selling Luxembourgian steel in Japan: Columeta Tokyo, 1925 to 1941; in: Zeitschrift für Unternehmensgeschichte, 2 (2016).

79 Il s’agit de l’attentat planifié par les Japonais redoutant une unification de la Chine sous l’égide du Kuomintang, perçue comme une menace contre la prééminence japonaise dans la région.