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3. PRATIQUES ÉDITORIALES
La figure du libraire dans les préfaces du théâtre imprimé
Véronique LOCHERT
Université de Haute-Alsace/ Institut universitaire de France
Le paratexte accompagne au XVIIe siècle le développement de l’édition théâtrale dont il constitue un outil publicitaire majeur. La préface s’inscrit en effet aussi bien dans la stratégie promotionnelle de « messieurs les auteurs1 » que dans celle des libraires, qui la réclament aux auteurs « pour grossir le livre2 » et vendre un texte qui a déjà connu une première publication sur la scène. La figure du libraire demeure assez discrète dans le discours paratextuel : elle n’apparaît que dans 7,5 % des paratextes édités sur la base de données « Les Idées du théâtre », qui rassemble un vaste corpus paratextuel français, espagnol et italien des XVIe et XVIIe siècles3. Mais les dédicaces, préfaces et avis qui la convoquent – composés soit par l’auteur, soit par le libraire lui-même4 – mettent en lumière les enjeux de la commercialisation du théâtre imprimé.
« Auteur » de la publication comme les comédiens ont été « auteurs » de la représentation, le libraire invite à interroger la représentation de l’auctorialité ou, plus largement, de l’autorité dans la pièce imprimée. Les paratextes se caractérisent par une rhétorique stéréotypée et par la répétition infinie des mêmes lieux communs, à travers lesquels se construisent simultanément les figures de l’auteur et de l’éditeur. On voit s’y rejouer sous diverses formes un même scénario, qui confronte deux personnages principaux, l’auteur et le libraire, repose sur un contraste spatial entre la « boutique du libraire » d’une part et la scène du théâtre ou le cabinet du poète, d’autre part, et met principalement en scène deux actions : l’arrivée du texte « entre les mains » du libraire et sa transformation en objet de lecture. Ces personnages et ces histoires sont révélateurs des rapports entre poètes dramatiques et libraires-imprimeurs mais aussi, plus profondément, de la nature même du texte théâtral.
Le poète et le libraire : du conflit à la collaboration
Dès 1637, Discret tourne en dérision les arguments avancés par les auteurs dans leurs préfaces pour s’excuser de publier et de proposer aux lecteurs un texte imparfait :
Les autres diront que leur absence a causé le désordre et les fautes qui se rencontrent dans leurs livres, qu’ils ont été imprimés à leur insu sur des copies mal polies qui leur avaient été dérobées, ou qu’ils avaient données à l’un de leurs amis, mais qu’à la seconde édition ils seront vêtus des robes de la merveille et qu’on ne les reconnaîtra plus.1
Le discours préfaciel est d’emblée perçu comme un discours de mauvaise foi, où l’auteur prend une posture, celle qui lui est la plus utile dans sa stratégie de promotion personnelle et qui consiste ici à se démarquer de la pose stéréotypée de l’auteur. Discret suggère aussi que le libraire peut jouer un rôle important dans la configuration de cette pose auctoriale. Les figures du libraire et de l’auteur se construisent en effet simultanément dans un certain nombre de préfaces, à travers une série de personnages-types. Du côté de l’éditeur, se trouvent opposés le mauvais imprimeur, caractérisé par son « avarice » et son « empressement » à publier tout ce qui lui passe dans les mains (c’est notamment celui que met en scène Alexandre Hardy2), et le bon, celui qui met tout son « zèle » ou sa « diligence » à imprimer « correctement » les pièces qui lui sont confiées. Du côté de l’auteur, négligence et désinvolture sont des traits assez fréquents. Dans la préface de La Fillis de Scire de Simon Du Cros (1630), Augustin Courbé semble d’abord avoir recours au motif topique de l’absence de l’auteur et de l’attribution des fautes d’impression à l’éditeur, mais ne s’interdit pas quelques remontrances à l’auteur, qu’il n’a pu « assujettir à voir les épreuves qu’on tirait tous les jours, ni à tracer lui-même cet avertissement3 ». Le scénario mettant en scène l’auteur et le libraire prend une ampleur inédite dans la dédicace du Poète basque de Poisson, en écho avec le sujet de la comédie et son personnage principal. Éminemment parodique, la saynète proposée par Poisson inverse les rapports habituels : l’auteur à succès poursuivi par un libraire cupide est ici remplacé par un auteur malchanceux publié malgré tout par un libraire amical et généreux. Le traditionnel topos humilitatis se voit ainsi réinvesti d’un fort potentiel comique, qui donne aussi à réfléchir sur le statut du poète. Poisson suggère en effet clairement que c’est le libraire qui fait l’auteur : « entendre son nom éclater dans le Palais par la bouche d’un libraire est quelque chose de bien glorieux ». Mais la gloire de l’auteur est évidemment peu de chose par rapport au nombre d’exemplaires vendus, ici réduit à zéro : « celle de se voir vendre est tout autre ; et c’est celle-là que je n’ai point encore sentie4 ».
Mettant aux prises auteurs et libraires, la préface met en scène des actions qui donnent une histoire au texte et font valoir sa nouveauté. Promettant au lecteur de « galantes nouveautés », des « livre[s] nouveau[x]5 », le libraire cherche à valoriser l’acte de publication et à aiguiser la « curiosité » du public. Les préfaces qu’il rédige évoquent très fréquemment la manière inopinée dont le texte lui est parvenu : « elles me tombèrent l’une et l’autre entre les mains, sans en savoir l’auteur6 » ; « voici une pièce que le hasard a mis entre mes mains7 » ; « elle me fut mise ès mains naguère par un inconnu qui […] ne me voulut jamais nommer son auteur8 ». En insistant sur le caractère accidentel de la découverte du texte, il s’agit évidemment de masquer toute intention éditoriale peu scrupuleuse, ainsi que les voies détournées empruntées par les textes pour parvenir à leur éditeur. Comme l’a montré Hélène Baby, le mensonge de Sommaville publiant anonymement la tragi-comédie de Rotrou n’est guère crédible vu la réputation du dramaturge, qui a d’ailleurs intenté un procès au libraire à la suite de cette publication pirate9.
Si ce conflit entre Rotrou et Sommaville ne transparaît pas directement dans la pièce imprimée, de nombreuses préfaces mettent en scène le conflit opposant l’auteur et le libraire : François Targa, dans la préface de La Pucelle d’Orléans, évoque très concrètement la saisie des exemplaires et les poursuites dont il a fait l’objet10. Mais lors de la publication, et à moins qu’il ne s’agisse d’une édition pirate, ce conflit a généralement trouvé une résolution et fait place à une collaboration, beaucoup plus profitable à l’auteur comme à l’éditeur, ainsi que le suggère Alexandre Hardy, qui a trouvé à Rouen en David du Petit Val « un imprimeur digne de sa profession » dont « [l]a diligence contribu[e] à [s]on labeur11 ». L’évocation du conflit passé se transforme alors en argument publicitaire, valorisant l’événement que constitue la publication. Elle contribue aussi à préciser la distribution des rôles à travers laquelle se configurent réciproquement la fonction-auteur et la fonction-éditeur. L’auteur prend la pose du poète désintéressé, qui pratique l’écriture comme un loisir et échappe ainsi aux soupçons de vanité et de vénalité attachés à la publication. À la fin du XVIIe siècle, le libraire Arnoul Seneuze utilise encore ce lieu commun dans sa préface à l’Arlequin comédien de Laurent Bordelon (1691) :
L’auteur de cet ouvrage ne l’avait point fait pour le donner au public, mais seulement pour divertir honnêtement son esprit dans ses heures de récréation et de repos après ses études et ses occupations sérieuses : aussi ai-je eu bien de la peine à obtenir de lui la permission de le faire imprimer.12
Les préfaces auctoriales développent également ce motif en évoquant le caractère forcé de la publication, à laquelle ils ont été contraints13, et en déléguant le souci des aspects matériels au libraire, comme le fait Rotrou : « le soin de te donner mes pièces correctes doit être celui de mes libraires14 ». C’est donc au libraire que reviennent l’initiative de la publication et la transformation de l’œuvre poétique en un produit proposé à la vente. Le libraire apparaît d’abord comme celui qui rend le texte public, qui le met à la disposition du public15 :
comme la profession que je fais m’oblige de ne pas profiter seul d’un bien qui peut être utile et agréable à plusieurs ; aussitôt que j’en ai été le maître, j’ai cru que je le devais donner au public […].16
Puisque c’est la nature des belles choses, que pour être utiles, elles doivent être communiquées, j’ai cru qu’il serait dommage que cette pièce ne fût point mise au jour.17
Deux champs lexicaux entrent ici en concurrence : d’un côté, celui du don, qui continue à entretenir la définition de la pratique des Belles-Lettres comme une activité noble et désintéressée (le libraire fait ainsi au public « un présent », qui appelle sa « reconnaissance »), et d’un autre côté, celui du commerce, qui introduit les enjeux économiques du marché éditorial. L’association de ces deux discours est particulièrement frappante dans l’avis de Pierre Baudouin à L’Intrigue des carrosses à cinq sous de Chevalier, où le libraire invite le lecteur à lui exprimer sa « reconnaissance pour le zèle qu[‘il] fait paraître pour [s]on contentement » en « précipit[ant] le débit de tous les exemplaires18 ». Face au poète désintéressé, le libraire campe généralement l’homme d’affaires, qui fait le « compte » de ses « avances », de sa « dépense » et vise le « profit », et le technicien de la publication, comptant les « main[s] de papier » et prompt à « faire rouler la presse19 ».
Auteurs et libraires ne sont cependant pas les seuls personnages qui comptent sur cette scène éditoriale où « la mode est à présent des pièces de théâtre20 ». La célèbre affirmation du libraire mis en scène par Corneille dans La Galerie du Palais suggère que le théâtre est devenu un marché en pleine expansion, qui répond à une demande croissante du public. Les préfaces composées par les libraires mettent aussi en scène cette autre instance essentielle qu’est le public : là où le poète prétend n’écrire que pour sa propre satisfaction, le libraire répond aux attentes du lecteur, qui est aussi un consommateur. La satisfaction de la demande du public apparaît ainsi comme la principale justification de la publication :
Cette pièce ayant toujours reçu au théâtre beaucoup d’approbation, j’ai cru obliger sensiblement les personnes qui aiment ces ouvrages, de leur en donner une édition plus correcte que toutes celles qui l’ont précédées, et j’ai cru d’autant plus l’obliger que cette pièce est très rare, et qu’il s’en fait tous les jours une recherche très exacte […].21
J’ai cru, Monsieur, que je ne devais pas laisser échapper une occasion de satisfaire aux lois que je m’étais imposées, et que tous les gens d’esprit demandant tous les jours cette pièce, pour avoir le plaisir de la lecture comme ils ont eu celui de la représentation, ils seraient bien aises de rencontrer votre nom à la tête […].22
Quoique j’en sois maintenant possesseur, je ne me fusse point hâté de mettre cette comédie sous la presse sans la juste impatience que témoigne ce qu’il y a d’honnêtes gens dans Paris.23
Comme les comédiens, qui doivent remplir le théâtre pour gagner leur vie, les libraires se montrent attentifs aux aspects matériels et économiques de la diffusion du théâtre et remplissent une fonction d’intermédiaire entre le poète et le public. Le paratexte dramatique invite ainsi à considérer la publication comme une seconde représentation.
La publication imprimée, une seconde représentation
La relation du texte dramatique avec son public est toujours médiatisée. Le paratexte théâtral met en relief la participation des intermédiaires à l’élaboration du sens1. La spécificité de l’œuvre dramatique est de s’offrir à deux médiatisations successives : d’abord représentée sur scène par les comédiens, elle est ensuite imprimée et vendue par le libraire.
Contrairement à ce que suggèrent certains auteurs, la publication ne donne pas un accès direct à l’œuvre originale, mais constitue une autre forme de transposition, susceptible des mêmes défauts que la représentation. De nombreux auteurs se plaignent ainsi de la déformation, voire de la mutilation, que leur texte a subie lors de l’impression par des libraires peu scrupuleux. Les termes très forts employés par Alexandre Hardy, qui craint que son œuvre ne soit « démembrée » par les fautes d’impression2, ou par Corneille, qui se plaint que ces mêmes erreurs aient « changé » et « déguisé » L’Illusion comique au point qu’elle en soit devenue « méconnaissable3 », ne sont pas sans faire écho aux termes tout aussi violents que l’abbé d’Aubignac inspire à Targa pour se plaindre du jeu des comédiens, accusés d’avoir « défiguré » La Pucelle d’Orléans, alors que l’édition prétend au contraire présenter le texte « dans son état naturel et sous ses propres ornements4 ». Ces protestations font apparaître la fragilité de la figure auctoriale au théâtre, en concurrence avec l’autorité des comédiens à la scène et avec celle des libraires dans le livre. L’auteur court d’ailleurs le risque d’être tout simplement court-circuité par ces deux instances, comme Rotrou s’en inquiète dans la préface de La Bague de l’oubli : « tous les comédiens de la campagne en ont des copies, et beaucoup se sont vantés qu’ils en obligeraient un imprimeur5 ».
Comment la publication peut-elle transformer un texte ? Les préfaces livrent là encore des informations intéressantes sur les aspects concrets de la mise en texte du théâtre. Parmi les premiers éléments accrochant le regard sur l’étal du libraire, le titre constitue évidemment un lieu stratégique. Dans la préface du Véritable Capitan Matamore, André Mareschal commente ainsi cette « distinction de libraire » qui consiste à utiliser l’adjectif « vrai » ou « véritable » pour distinguer plusieurs pièces portant un titre similaire6. Vient ensuite le nom de l’auteur, qui joue un rôle croissant dans la publication, comme le suggère la remarque de Vion d’Alibray, qui sort de l’anonymat en 1634 avec La Pompe funèbre :
Mais puisque je ne me cachais que pour le profit du libraire, et afin qu’il pût faire passer pour auteur de ce que je lui donnais un plus habile que moi, maintenant qu’il m’a témoigné que quelques-uns rebutaient comme mauvais les livres que personne n’avouait, n’impute pas à une vaine ambition si j’ai souffert qu’il contentât par là, quoique inutilement, son envie.7
La marchandisation du nom d’auteur concerne particulièrement les auteurs à succès comme Molière. Si les libraires français ne vont pas jusqu’à attribuer massivement à Molière les pièces d’autres auteurs comme le font les éditeurs espagnols, publiant tout ce qui leur passe sous la main sous le nom du dramaturge le plus en vogue, ils exploitent néanmoins sa renommée. Toujours prompt à tirer profit de la conjoncture littéraire, Donneau de Visé publie en 1660 une Cocue imaginaire, présentée comme la version féminine de la pièce de Molière. Le libraire Jean Ribou, avec qui Donneau vient précisément de publier une édition pirate du Cocu imaginaire, en fait la promotion en invitant le lecteur à acheter ensemble les deux pièces :
L’une est la Cocue imaginaire, qui peut servir de regard au Cocu imaginaire, de l’Illustre Monsieur de Molière, puisque l’on voit dans l’une toutes les raisons qu’un homme a de se plaindre d’une femme infidèle, et dans l’autre, celles qu’une femme a de se plaindre d’un homme qui lui manque de foi ; qui vous divertira beaucoup lorsque vous les confronterez ; c’est pourquoi je vous conseille de ne pas les acheter l’une sans l’autre, afin d’avoir le mari et la femme.8
C’est enfin le paratexte lui-même qui apparaît comme un élément important de la plus-value apportée au texte par la publication. Épîtres dédicatoires, préfaces, arguments permettent aux auteurs et aux libraires de construire une relation privilégiée avec leur nouveau public, celui des lecteurs, auxquels ils offrent des instruments permettant de renouveler leur perception du texte. La préface en particulier doit une partie de son développement aux libraires, qui la réclament aux auteurs. Toussaint du Bray regrette ainsi de n’avoir pu obtenir la préface de Racan pour ses Bergeries9, tandis que l’imprimeur d’Ésope regrette que Le Noble n’ait pas souhaité suivre l’usage de « mendier par une épître dédicatoire la protection de quelque homme de qualité, ni même prévenir ses lecteurs par aucune préface ou dissertation10 ». Les libraires pallient l’absence de préface auctoriale par des « lettres » commentant la pièce11 et par leurs propres « avertissements ». Témoignant souvent du statut problématique de la figure auctoriale, ils construisent une autorité de substitution, au service de la promotion de l’œuvre. Ils remplacent ainsi un auteur absent – qu’il soit mort au moment de la publication ou simplement en voyage – ou mal déterminé, lorsque la pièce est le fruit d’une collaboration entre plusieurs dramaturges12. Aux côtés de la préface, dont la pratique s’installe au cours du XVIIe siècle, malgré certaines critiques, l’argument se développe dans les années 1620 et 163013, avant de décliner à partir des années 1640. L’avis du libraire Martin Collet dans La Philine de La Morelle souligne l’un de ses inconvénients. Si la destruction de la suspension par le récit complet de l’action a été dénoncée dès le XVIe siècle, les dommages causés par l’argument sont ici envisagés sur le plan matériel et financier :
[…] s’il y fallait faire un argument il faudrait une main de papier entière, joint que la principale raison pourquoi on [n’]en fait point, c’est le peu de curiosité que beaucoup de personnes ont d’en acheter après que tout un matin ou une après-dînée ils en ont lu l’argument sur la boutique d’un libraire qui leur apprend pour rien ce qu’ils ne sauraient que pour de l’argent ; chacun aime son profit, ne t’en étonne pas.14
Soucieux de leur profit, les libraires se montrent attentifs à adapter le texte à son nouveau public et à diversifier ses usages. Robert Estienne a ainsi demandé à Jean de Schelandre de « tracer un modèle retranché » de sa tragi-comédie Tyr et Sidon « pour la commodité de ceux qui voudraient s’en donner le plaisir en des maisons particulières » : « composée proprement à l’usage d’un théâtre public », l’œuvre se voit ainsi offerte à un nouvel usage, celui de la représentation privée15. Le principal usage reste néanmoins celui de la lecture, dont les préfaces vantent tous les mérites. « Le libraire », « la boutique du libraire », « la Galerie du Palais » deviennent alors autant de métonymies de la lecture. Là où les auteurs s’excusent souvent de l’infériorité du texte imprimé par rapport au texte incarné sur scène, les libraires développent plus volontiers le lieu commun de l’équivalence entre la représentation et la lecture : « tu ne recevras pas moins de contentement à la lecture qu’à la représentation », affirme Martin Collet dans l’avis liminaire de La Philine16. La rhétorique mise en œuvre dans l’« Avis du libraire au lecteur » de L’Intrigue des carrosses à cinq sous convoque tous les topoï utilisés pour articuler l’expérience de la lecture à celle de la représentation et la valoriser. Le libraire commence par garantir la valeur de l’œuvre par le succès qu’elle a rencontré sur scène, rappelant au lecteur qu’il a déjà été spectateur et qu’il ne peut se déjuger :
L’Intrigue des Carrosses à cinq sous que je te donne, et que j’expose à toute ta censure a paru sur le Théâtre du Marais si avantageusement et a acquis tant de gloire à son auteur par les applaudissements que peut-être toi-même tu lui as donnés, que de peur de te faire tort dans l’inégalité de tes jugements je veux croire que tu lui rendras la même justice.
La lecture est ainsi présentée comme le renouvellement du plaisir procuré par la représentation ou comme une expérience de remplacement pour ceux qui n’ont pu assister au spectacle : « Ceux qui l’ont vue aspirent à la voir encore pour goûter la même satisfaction qu’ils ont déjà reçue peut-être plus d’une fois. » Elle permet aussi de l’approfondir en offrant la possibilité de « digérer à loisir toutes les beautés qu’ils y ont remarqué[es] en peu de temps, pour y rencontrer tout le plaisir qu’ils y trouveront quand ils y appliqueront des réflexions nécessaires17 ».
Bien qu’elle soit relativement discrète dans la pièce imprimée, la présence du libraire rappelle que le texte dramatique ne doit pas être envisagé comme une œuvre poétique autonome, ni comme une simple partition livrée à l’interprétation des comédiens. Elle met en lumière une autre facette du texte théâtral, qui est aussi un produit de librairie, une marchandise qui a un prix, qui doit s’adapter à divers usages et répondre aux attentes du public, friand à la fois de nouveautés et de valeurs sûres. Même s’il fait parfois mine de n’écrire que pour son propre plaisir, l’auteur dramatique doit trouver les moyens de collaborer avec les deux instances créatrices concurrentes que sont les acteurs et les éditeurs et de s’adapter aux attentes d’une instance réceptrice complexe, composée à la fois de spectateurs et de lecteurs. Cette triple dépendance est soulignée par Baron, dans la préface de tonalité ironique de L’Homme à bonne fortune : le dramaturge sait devoir compter pour le succès de sa pièce sur « des acteurs zélés pour la représenter, des auditeurs favorables à l’applaudir, et un libraire intéressé pour l’imprimer sans l’en avoir prié18 ».