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Kitabı oku: «Les bases de la morale évolutionniste», sayfa 12

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Remarquez maintenant que la condition première pour arriver à ce résultat est d'observer le contrat. Si les membres d'une partie manquent souvent de payer ou ne payent pas la somme convenue, alors, comme les uns sont ruinés et que les autres renoncent à leur occupation, la partie diminue, et, si auparavant elle était simplement capable de remplir son devoir, elle en est incapable maintenant, et la société souffre. Ou bien si les besoins sociaux donnent un grand accroissement à une fonction, et que les membres qui la remplissent soient mis en état d'obtenir pour leurs services des prix extraordinairement élevés, la fidélité aux engagements pris de leur payer ces prix élevés est le seul moyen d'attirer à cette partie un nombre de membres supplémentaires assez considérable pour la rendre capable de suffire à l'augmentation des demandes. Car les citoyens ne viendront pas à cette partie s'ils s'aperçoivent que les hauts prix dont on est convenu ne sont pas payés.

Ainsi, en un mot, la base de toute coopération est la proportion établie entre les bénéfices reçus et les services rendus. Sans cela, il ne peut y avoir de division physiologique du travail; sans cela, il ne peut y avoir de division sociologique du travail. Et puisque la division du travail, physiologique ou sociologique, profite au tout et à chaque partie, il en résulte que le bien-être à la fois spécial et général dépend du maintien des arrangements qui lui sont nécessaires. Dans une société, de pareils arrangements sont maintenus seulement si les marchés, exprès ou tacites, sont observés. De telle sorte qu'outre cette première condition pour la coexistence harmonique des membres d'une société, à savoir que les unités qui la composent ne doivent pas s'attaquer directement les unes les autres, il y a cette seconde condition qu'elles ne doivent pas s'attaquer indirectement en violant les conventions.

54. Mais nous avons maintenant à reconnaître que l'observation complète de ces conditions, primitives et dérivées, ne suffit pas. La coopération sociale peut être telle que personne ne soit empêché d'obtenir la récompense normale de ses efforts, que chacun, au contraire, soit aidé par un échange équitable de services, et cependant il peut encore rester beaucoup à faire. Il y a une forme théoriquement possible de société, purement industrielle dans ses activités, qui, tout en s'approchant de l'idéal moral dans son code de conduite plus qu'aucune autre société non purement industrielle, n'atteint pas pleinement cet idéal.

Car si l'industrialisme veut que la vie de chaque citoyen soit telle qu'elle puisse se passer sans agressions directes ou indirectes contre les autres citoyens, il n'exige pas que la vie de chacun soit telle qu'elle favorise directement le développement de celle des autres. Ce n'est pas une conséquence nécessaire de l'industrialisme, en tant qu'il est ainsi défini, que chacun, outre les avantages procurés et reçus par l'échange des services, procure ou reçoive d'autres avantages. On peut concevoir une société formée d'hommes dont la vie soit parfaitement inoffensive, qui observent scrupuleusement leurs contrats, qui élèvent avec soin leurs enfants, et qui cependant, en ne se procurant aucun avantage au delà de ceux dont ils sont convenus, n'atteignent pas à ce degré le plus élevé de la vie qui n'est possible qu'autant que l'on rend des services gratuits. Des expériences journalières prouvent que chacun de nous s'exposerait à des maux nombreux et perdrait beaucoup de biens, si personne ne nous donnait une assistance sans retour. La vie de chacun de nous serait plus ou moins compromise s'il nous fallait sans secours et par nous seuls affronter tous les hasards. En outre, si personne ne faisait rien de plus pour ses concitoyens que ce qui est exigé pour la stricte observation d'un contrat, les intérêts privés souffriraient de cette absence de tout souci pour les intérêts publics. La limite de l'évolution de la conduite n'est donc pas atteinte, jusqu'à ce que, non content d'éviter toute injustice directe ou indirecte à l'égard des autres, on soit capable d'efforts spontanés pour contribuer au bien-être des autres.

On peut montrer que la forme de nature qui ajoute ainsi la bienfaisance à la justice est une forme que produit l'adaptation à l'état social. L'homme social n'a pas encore mis sa constitution en harmonie avec les conditions qui forment la limite de l'évolution, tant qu'il reste de la place pour l'accroissement de facultés qui, par leur exercice, causent aux autres un avantage positif et à l'individu lui-même une satisfaction. Si la présence d'autres hommes, en mettant certaines limites à la sphère d'activité de chacun, ouvre certaines autres sphères d'activité dans lesquelles les sentiments, tout en arrivant à leur propre fin, n'ôtent rien, mais ajoutent aux fins des autres, de semblables sphères seront fatalement occupées. La reconnaissance de cette vérité cependant ne nous oblige pas à modifier beaucoup la conception de l'état industriel exposée plus haut, puisque la sympathie est la racine à la fois de la justice et de la bienfaisance.

55. Ainsi le point de vue sociologique de la morale complète les points de vue physique, biologique et psychologique, en permettant de découvrir les seules conditions dans lesquelles des activités associées peuvent s'exercer de telle sorte que la vie complète de chacun s'accorde avec la vie complète de tous et la favorise.

A l'origine, le bien-être de groupes sociaux, ordinairement en antagonisme avec d'autres groupes semblables, prend le pas sur le bien-être individuel, et les règles de conduite, auxquelles on doit alors se conformer, empêchent le complet développement de la vie individuelle, pour que la vie générale puisse être conservée. En même temps, les règles doivent satisfaire autant que possible aux droits de la vie individuelle, puisque le bien-être de l'agrégat dépend, dans une large proportion, du bien-être des unités.

A mesure que les sociétés deviennent moins dangereuses les unes pour les autres, le besoin de subordonner les existences individuelles à la vie générale décroît, et, quand on approche d'un état pacifique, la vie générale, dont le but éloigné a été dès le commencement de favoriser les existences individuelles, fait de ce but son but prochain.

Pendant la transition, des compromis successifs sont rendus nécessaires entre le code moral qui affirme les droits de la société contre ceux des individus et le code moral qui affirme les droits de l'individu contre ceux de la société. Evidemment, aucun de ces compromis, bien qu'ils aient de l'autorité pour un temps, n'a d'expression durable ou définitive.

Par degrés, à mesure que la guerre diminue; par degrés, à mesure que la coopération imposée par la force, indispensable pour lutter avec les ennemis du dehors, perd de sa nécessité et fait place à la coopération volontaire qui contribue efficacement à assurer la conservation intérieure, le code de conduite qui implique une coopération volontaire devient de plus en plus clair. Et ce code final, permanent, peut seul être formulé en termes définitifs; il constitue ainsi la science de la morale, par opposition à la morale empirique.

Les traits essentiels d'un code sous lequel le développement complet de la vie est assuré par une coopération volontaire, peuvent être indiqués simplement. Ce qui est essentiellement exigé, c'est que les actes utiles à la vie que chacun peut accomplir lui rapportent séparément les sommes et les sortes d'avantages auxquels ils tendent naturellement; cela suppose d'abord qu'il ne souffrira dans sa personne ou sa propriété aucune agression directe, et, en second lieu, qu'il ne souffrira aucune agression indirecte par violation de contrat. L'observation de ces conditions négatives de toute coopération volontaire ayant facilité la vie au plus haut degré par l'échange de services dont on est convenu, la vie doit être en outre favorisée par l'échange de services qui n'ont été l'objet d'aucune convention, le plus haut développement de la vie étant atteint seulement lorsque, non contents de s'aider mutuellement à rendre leur vie complète par une assistance réciproque spécifiée, les hommes s'aident encore autrement à rendre mutuellement leur vie complète.

CHAPITRE IX
CRITIQUES ET OBSERVATIONS

56. La comparaison des chapitres précédents les uns avec les autres suggère diverses questions auxquelles il faut répondre en partie, sinon complètement, avant d'entreprendre de ramener les principes moraux de leurs formes abstraites à des formes concrètes.

Nous avons vu qu'admettre que la vie consciente est désirable, c'est admettre que la conduite doit être telle qu'elle produise une conscience qui soit désirable, une conscience aussi agréable, aussi peu pénible que possible. Nous avons vu également que cette supposition nécessaire correspond à cette inférence à priori, que l'évolution de la vie a été rendue possible seulement par l'établissement de connexions entre les plaisirs et les actions avantageuses, entre les peines et les actions nuisibles. Mais la conclusion générale atteinte par ces deux voies, bien qu'elle couvre le terrain de nos conclusions spéciales, ne nous aide pas à atteindre ces conclusions spéciales.

Si les plaisirs étaient tous d'un seul genre et différaient seulement en degré; si les peines étaient toutes du même genre et ne différaient que par leur degré; si la comparaison des plaisirs aux peines pouvait donner des résultats précis, les problèmes de la conduite seraient grandement simplifiés. Si les plaisirs et les peines, qui nous portent à certaines actions ou nous en détournent, étaient simultanément présents à la conscience avec la même vivacité, ou s'ils étaient tous également imminents ou également éloignés dans le temps, les problèmes seraient encore simplifiés par là. Ils le seraient plus encore, si les plaisirs et les peines étaient exclusivement ceux de l'agent. Mais les sentiments désirables et ceux qui ne le sont pas sont de différents genres; la comparaison quantitative est par là rendue difficile; quelques-uns sont présents et d'autres futurs; la difficulté de la comparaison quantitative s'accroît d'autant; elle s'augmente encore de ce que les uns concernent l'individu lui-même et les autres d'autres personnes. Il en résulte que la direction donnée par le principe auquel nous arrivons d'abord est peu utile, à moins qu'on ne la complète par la direction de principes secondaires.

Déjà, en reconnaissant la subordination nécessaire des sentiments présentatifs aux sentiments représentatifs, et la nécessité qui en résulte de sacrifier dans un grand nombre de cas le présent à l'avenir, nous nous sommes approchés d'un principe secondaire propre à diriger la conduite. Déjà aussi, en reconnaissant les limitations que l'état d'association impose aux actions humaines, avec le besoin qui en résulte de restreindre des sentiments de certains genres par des sentiments d'autres genres, nous avons aperçu un autre principe secondaire. Il reste encore beaucoup à décider touchant les droits relatifs de ces principes de conduite, généraux et spéciaux.

On obtiendra quelque éclaircissement des questions soulevées, en discutant ici certaines vues et certains arguments proposés par les moralistes passés et contemporains.

57. En se servant du nom d'hédonisme pour désigner la théorie morale qui fait du bonheur la fin de toute action, et en distinguant deux formes d'hédonisme, égoïste et général suivant que le bonheur cherché est celui de l'auteur lui-même ou celui de tous, M. Sidgwick fait observer que pour les partisans de cette théorie les plaisirs et les peines sont commensurables. Dans sa critique de l'hédonisme égoïste empirique, il dit:

«L'hypothèse fondamentale de l'hédonisme, clairement établie, est que tous les sentiments, considérés purement comme sentiments, peuvent être disposés de manière à former une certaine échelle de sentiments désirables, de telle sorte que la mesure dans laquelle chacun est désirable ou agréable soit dans un rapport défini avec celle où tous les autres le sont.» (Méthodes de morale, 2e édit., p. 115.)

En affirmant que c'est là l'hypothèse de l'hédonisme, il entreprend de montrer toutes les difficultés auxquelles ce calcul donne lieu, apparemment pour en conclure que ces difficultés sont autant d'arguments contre la théorie hédonistique.

Mais, bien qu'on puisse montrer qu'en désignant l'intensité, la durée la certitude et la proximité d'un plaisir ou d'une peine comme autant de traits dont on doit tenir compte pour en apprécier la valeur relative, Bentham a lui-même fait l'hypothèse dont il s'agit, et bien qu'on puisse peut-être avec assez de raison prendre pour accordé que l'hédonisme tel qu'il le représente est identique à l'hédonisme en général, il ne me semble pas cependant que l'hédoniste, empirique ou autre, doive nécessairement admettre cette hypothèse. Que le plus grand excès possible des plaisirs sur les peines doive être la fin de l'action, c'est une croyance qu'il peut encore soutenir sans contradiction après avoir reconnu que les évaluations des plaisirs et des peines sont communément vagues et souvent erronées. Il peut dire que, bien que des choses indéfinies ne soient pas susceptibles de mesures définies, on peut cependant apprécier avec assez de vérité leurs valeurs relatives, lorsqu'elles diffèrent considérablement; il peut dire en outre que, même si leurs valeurs relatives sont impossibles à déterminer, il est encore vrai que celle dont la valeur est plus grande doit être choisie. Ecoutons-le.

«Un débiteur qui ne peut me payer m'offre de racheter sa dette en mettant à ma disposition l'un des différents objets qu'il possède, une parure de diamants, un vase d'argent, un tableau, une voiture. Toute autre question écartée, j'affirme que c'est mon intérêt pécuniaire de choisir parmi ces objets celui qui a le plus de valeur, mais je ne puis dire quel est celui qui a la valeur la plus grande. Cette proposition, que c'est mon intérêt pécuniaire de choisir l'objet le plus précieux, devient-elle douteuse par là? Ne dois-je pas faire mon choix le mieux possible, et, si je choisis mal, dois-je renoncer pour cela à mon principe? Dois-je inférer qu'en affaires je ne puis agir selon cette règle que, toutes choses égales, la transaction la plus profitable est celle qu'il faut préférer, parce que dans plusieurs cas je ne puis dire quelle est la plus profitable et que j'ai souvent choisi celle qui l'est le moins? Parce que je crois que de plusieurs manières d'agir différentes je dois prendre la moins dangereuse, est-ce que je fais «l'hypothèse fondamentale» que les manières d'agir peuvent être classées au point de vue du danger qu'elles offrent, et dois-je abandonner ma croyance si je ne puis les classer ainsi? Si je puis sans contradiction ne pas faire cette classification, je puis également sans contradiction ne pas rejeter le principe que le plus grand excès possible des plaisirs sur les peines doit être la fin de la conduite, sous prétexte que l'on ne peut affirmer que «les plaisirs et les peines soient commensurables».

A la fin de ses chapitres sur l'hédonisme empirique, M. Sidgwick lui-même dit qu'il «ne pense pas que l'expérience commune du genre humain, examinée impartialement, prouve réellement que la théorie de l'hédonisme égoïste se détruise nécessairement elle-même;» il ajoute cependant que «l'incertitude du calcul hédonistique, on ne peut le nier, a un grand poids.» Mais, ici encore, l'hypothèse fondamentale de l'hédonisme, à savoir que le bonheur est la fin de l'action, est supposée envelopper l'hypothèse que «les sentiments peuvent être disposés de manière à former une échelle en proportion de leur valeur désirable». Nous avons vu qu'il n'en est rien: l'hypothèse fondamentale de cette doctrine n'est en aucune façon invalidée par ce fait que les sentiments ne peuvent être ainsi classés.

Il y a encore contre l'argument de M. Sidgwick, une objection non moins sérieuse, à savoir que tout ce qu'il dit contre l'hédonisme égoïste vaut, et à plus forte raison, contre l'hédonisme général, ou l'utilitarisme. Il admet que la valeur de cet argument est la même dans les deux cas; «tout le poids, dit-il, que l'on donnera à l'objection faite contre cette hypothèse (que les plaisirs et les peines sont commensurables), retombera nécessairement sur la présente méthode.» Non seulement il en sera ainsi, mais l'objection aura une double valeur. Je n'entends pas seulement par là que, comme il le fait remarquer, l'hypothèse devient singulièrement compliquée si nous tenons compte de tous les êtres sensibles, et si nous considérons la postérité en même temps que la génération actuelle. J'entends que, si l'on prend pour fin à atteindre le plus grand bonheur des individus formant actuellement une seule nation, la série des difficultés que l'on rencontre sur la route de l'hédonisme égoïste se complique d'une autre série de difficultés non moindres, quand nous passons à l'hédonisme général. Car, s'il faut remplir les prescriptions de l'hédonisme général, ce sera sous la direction des jugements individuels, ou des jugements portés par des groupes, ou des uns et des autres à la fois. Or, l'un quelconque de ces jugements, issus d'un seul esprit ou d'un agrégat d'esprits, contient nécessairement des conclusions relatives au bonheur d'autres personnes: de celles-ci, peu sont connues, et l'on n'en a jamais vu le plus grand nombre. Toutes ces personnes ont des natures qui diffèrent de mille manières et à mille degrés des natures de celles qui forment les jugements, et le bonheur dont elles sont capables individuellement diffère de l'une à l'autre, et diffère du bonheur de celles qui forment les jugements. Par conséquent, si à la méthode de l'hédonisme égoïste on peut objecter que les plaisirs et les peines d'un homme en particulier, dissemblables au point de vue du genre, de l'intensité, des circonstances, sont incommensurables, on peut faire valoir contre la méthode de l'hédonisme général qu'à l'impossibilité de mesurer ensemble les plaisirs et les peines de chaque juge en particulier (plaisirs et peines dont il doit se servir comme d'étalons), il faut ajouter maintenant l'impossibilité bien plus manifeste encore de mesurer ensemble les plaisirs et les peines qu'il conçoit comme éprouvés par la foule immense des autres hommes, tous constitués autrement que lui et différemment les uns des autres.

Bien plus, il y a une triple série de difficultés dans la méthode de l'hédonisme général. A la double impossibilité de déterminer la fin s'ajoute celle de déterminer les moyens. Si l'hédonisme, égoïste ou général, doit passer de la théorie morte à la pratique vivante, des actes d'un genre ou d'un autre doivent être résolus pour atteindre les objets qu'on se propose; pour apprécier les deux méthodes, nous avons à considérer jusqu'à quel point peut être jugée l'efficacité des actes respectivement requis. Si, en poursuivant ses propres fins, l'individu est exposé à être conduit par des opinions erronées à mal ajuster ses actes, il est bien plus exposé encore à être conduit par des opinions erronées à mal ajuster des actes plus complexes aux fins plus complexes, qui consistent dans le bien-être d'autres hommes. Il en est ainsi s'il agit isolément pour le bien d'un petit nombre d'autres personnes; et c'est bien pire s'il coopère avec plusieurs pour le bien de tous. Faire du bonheur général l'objet immédiat de ses efforts, implique des instrumentalités gouvernées par des milliers de personnes invisibles et dissemblables, agissant sur des millions d'autres personnes que l'on ne voit pas non plus et qui diffèrent entre elles. Même les facteurs peu nombreux qui sont connus dans cet immense agrégat d'applications et de processus, le sont très imparfaitement; mais la grande majorité est inconnue. De telle sorte que même en supposant l'évaluation des plaisirs et des peines pour la communauté en général plus praticable, ou même aussi praticable que l'évaluation de ses plaisirs ou de ses peines par l'individu, cependant le gouvernement de la conduite, en se proposant la première de ces fins, est bien plus difficile que le gouvernement de la conduite en se proposant l'autre. Par suite, si la méthode de l'hédonisme égoïste n'est pas satisfaisante, bien moins satisfaisante encore pour les mêmes raisons et pour des raisons analogues est la méthode de l'hédonisme général, ou de l'utilitarisme.

Nous découvrons ici la conclusion à laquelle nous nous proposions d'aboutir dans la critique précédente. L'objection faite à la méthode hédonistique contient une vérité; mais elle contient aussi une erreur. Car, tandis que cette proposition, à savoir que le bonheur, individuel ou général, est la fin de l'action, n'est pas affaiblie si l'on démontre que l'on ne peut sous aucune de ces deux formes l'apprécier en mesurant les éléments qui le composent, cependant on peut admettre que la direction dans la poursuite du bonheur donnée par une pure balance des plaisirs et des peines est, si elle est partiellement praticable dans certains cas, futile dans un nombre de cas beaucoup plus considérable. On ne se contredit en aucune manière en affirmant que le bonheur est la fin dernière des actes et en niant, en même temps, qu'on puisse y arriver en faisant du bonheur son but immédiat. Je m'accorde avec M. Sidgwick dans cette conclusion que «nous devons admettre qu'il est désirable de confirmer ou de corriger les résultats de telles comparaisons (des plaisirs et des peines) par une autre méthode à laquelle nous puissions trouver une raison de nous fier;» et je vais plus loin: je dis que dans un grand nombre de cas la direction de la conduite par de semblables comparaisons doit être entièrement mise de côté et remplacée par une autre direction.

58. L'opposition sur laquelle nous insistons ici entre la fin hédonistique considérée d'une manière abstraite, et la méthode que l'hédonisme courant, égoïste ou général, associe à cette fin; l'acceptation de l'une, le rejet de l'autre, nous amènent à une franche discussion de ces deux éléments cardinaux d'une théorie morale. Je puis fort bien commencer cette discussion en critiquant une autre des critiques de M. Sidgwick sur la méthode de l'hédonisme.

Bien que nous ne puissions donner aucune explication des plaisirs simples que les sens nous procurent, parce qu'ils sont indécomposables, nous connaissons distinctement leurs caractères comme états de conscience. D'autre part, les plaisirs complexes, formés par la composition et la recomposition des idées de plaisirs simples, bien qu'on puisse théoriquement les résoudre en leurs éléments, ne sont pas faciles à résoudre, et la difficulté de s'en former des conceptions intelligibles s'accroît en proportion de l'hétérogénéité de leur composition. Tel est spécialement le cas pour les plaisirs qui accompagnent nos jeux. En traitant de ces plaisirs, en même temps que de ceux de la poursuite en général, pour montrer que «pour se les procurer il ne faut pas y penser», M. Sidgwick s'exprime ainsi:

«Un homme qui met toujours en pratique la doctrine épicurienne, ne s'appliquant qu'à rechercher son propre plaisir, n'est pas dans les véritables dispositions d'esprit que demande cette sorte de chasse; son ardeur n'atteint jamais précisément cette âpreté, ce tranchant qui donne au plaisir tout son goût, toute sa saveur. Ici apparaît ce que nous pouvons appeler le paradoxe fondamental de l'hédonisme, à savoir que l'inclination au plaisir, quand elle est trop prédominante, détruit elle-même son objet. Cet effet n'est pas visible, ou il l'est à peine, dans le cas des plaisirs sensuels passifs. Mais dès qu'il s'agit de nos jouissances actives en général, que les activités auxquelles elles se rapportent soient classées comme «corporelles» ou comme «intellectuelles» (et il en est de même d'un grand nombre de plaisirs émotionnels), il est certain que nous ne pouvons nous les procurer, du moins sous leur forme la meilleure, tant que nous concentrons sur elles tous nos efforts.» (Méthodes de morale, 2e édition, p. 41.)

Eh bien, je ne crois pas que nous devions regarder cette vérité comme paradoxale après avoir analysé comme il faut le plaisir de la poursuite. Les principaux éléments de ce plaisir sont: premièrement, une conscience renouvelée du pouvoir personnel (rendue vive par un succès actuel et partiellement excitée par un succès imminent), laquelle conscience du pouvoir personnel, liée dans l'expérience avec des résultats obtenus de chaque genre, éveille une vague, mais solide conscience d'avantages à obtenir; et, secondement, une représentation des applaudissements que la reconnaissance de ce pouvoir par les autres nous a valus auparavant, et nous vaudra encore. Les jeux d'adresse nous le prouvent clairement. Considéré comme une fin en lui-même, le beau carambolage que fait un joueur de billard ne procure aucun plaisir. D'où vient donc le plaisir que l'on a à le faire? En partie de la preuve d'habileté que le joueur se donne à lui-même, en partie de l'admiration supposée chez ceux qui sont témoins de cette démonstration d'habileté; et cette dernière cause est la principale, car on se fatigue bientôt de faire des carambolages s'il n'y a personne pour les regarder. Si des jeux qui, tout en procurant les plaisirs du succès, ne procurent aucun plaisir qui dérive de la fin considérée en elle-même, nous passons aux exercices dans lesquels la fin, comme source de plaisir, a une valeur intrinsèque, nous voyons en substance la même chose. Bien que l'oiseau qu'un chasseur rapporte soit bon à manger, cependant sa satisfaction vient principalement de ce qu'il a bien tiré et de ce qu'il a ajouté aux témoignages qu'il pourra donner de son adresse. Il éprouve immédiatement le plaisir de l'amour-propre, et il éprouve aussi le plaisir des éloges, sinon immédiatement et pleinement, du moins par représentation; car le plaisir idéal n'est pas autre chose qu'un renouvellement affaibli du plaisir réel. Ces deux sortes de stimulants agréables présents à l'esprit du chasseur pendant la chasse, constituent la masse des désirs qui l'excitent à la continuer: car tous les désirs sont des formes naissantes de sentiments à acquérir par les efforts qu'ils provoquent. Et, bien que pendant la recherche d'un plus grand nombre d'oiseaux ces sentiments représentatifs ne soient pas aussi vivement excités que par le succès récemment obtenu, ils le sont encore par l'imagination de nouveaux succès, et ils font ainsi une jouissance des activités qui constituent la poursuite. Ainsi, en reconnaissant comme vrai que les plaisirs de la poursuite sont beaucoup plus des plaisirs dérivés de l'emploi efficace des moyens que des plaisirs dérivés de la fin elle-même, nous voyons disparaître «le paradoxe fondamental de l'hédonisme».

Ces remarques concernant la fin et les moyens, et les plaisirs qui accompagnent l'usage des moyens comme ajoutés aux plaisirs dérivés de la fin, je les ai faites pour attirer l'attention sur un fait d'une profonde importance. Pendant l'évolution, il y a eu une superposition de séries nouvelles et plus complexes de moyens sur des séries de moyens plus anciennes et plus simples, et une superposition des plaisirs qui accompagnent l'emploi de ces séries successives de moyens, avec le résultat que chacun de ces plaisirs a fini par devenir lui-même une fin. Nous avons affaire au commencement à un simple animal qui avale tout simplement pour se nourrir ce que le hasard met sur sa route; et ainsi, comme nous pouvons le supposer, il apaise un certain genre de faim. Nous avons ici la fin primitive de la nutrition avec la satisfaction qui l'accompagne, sous leur forme la plus simple. Nous passons à des types plus élevés qui ont des mâchoires pour saisir et déchirer une proie; des mâchoires qui, par leur action, facilitent l'achèvement de la fin primitive. En observant les animaux pourvus de ces organes, nous arrivons à nous convaincre que l'usage que ces animaux en font devient agréable par lui-même indépendamment de la fin; par exemple, un écureuil, toute préoccupation de nourriture mise à part, prend plaisir à ronger tout ce qu'il peut attraper. Passant des mâchoires aux membres, nous voyons que ceux-ci, servant à quelques êtres pour la poursuite, à d'autres pour la fuite, sont également une cause de plaisir par le seul exercice; c'est ainsi que bondissent les agneaux et que les chevaux se cabrent. Comment l'usage combiné des membres et des mâchoires, primitivement destiné à la satisfaction de l'appétit, devient graduellement agréable par lui-même, nous le découvrons tous les jours si nous remarquons les jeux des chiens. En effet, dans leurs simulacres de combats, ils s'amusent à jeter par terre et à déchirer leur proie, quand ils l'ont saisie, avant de la dévorer. Si nous en venons à des moyens encore plus éloignés de la fin, en particulier à ceux par lesquels on capture les animaux auxquels on fait la chasse, nous reconnaissons encore par l'observation des chiens que, même lorsqu'il n'y a aucun animal à prendre, c'est encore un plaisir que de prendre n'importe quoi. L'ardeur avec laquelle un chien se précipite sur les pierres qu'on jette devant lui, ou avec laquelle il saute et aboie avant de se jeter à l'eau pour y saisir le bâton que l'on tient encore à la main, fait bien voir que, abstraction faite de la satisfaction de saisir une proie, il trouve un plaisir à poursuivre avec succès un objet qui se meut. Nous voyons donc, par tous ces exemples, que le plaisir relatif à l'emploi des moyens pour arriver à une fin devient lui-même une fin.

Si maintenant nous considérons ces moyens comme des phénomènes de conduite en général, nous pouvons discuter quelques faits dignes de remarque, faits qui, si nous en apprécions l'importance, nous aideront à développer nos conceptions morales.

L'un d'eux est que, parmi les séries successives de moyens, les dernières sont les plus éloignées de la fin primitive, sont, comme coordonnant des moyens antérieurs et plus simples, les plus complexes, et sont accompagnées de sentiments qui sont plus représentatifs.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
410 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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