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Kitabı oku: «Les bases de la morale évolutionniste», sayfa 16

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CHAPITRE XII
L'ALTRUISME OPPOSÉ A L'ÉGOÏSME

75. Si nous définissons l'altruisme toute action qui, dans le cours régulier des choses, profite aux autres au lieu de profiter à celui qui l'accomplit, alors, depuis le commencement de la vie, l'altruisme n'a pas été moins essentiel que l'égoïsme. Bien que primitivement il dépende de l'égoïsme, secondairement l'égoïsme dépend de lui.

Dans l'altruisme pris dans ce sens large, je fais rentrer les actes par lesquels les enfants sont élevés et l'espèce conservée. Bien plus, parmi ces actes, nous devons ranger non seulement ceux qui sont accompagnés de conscience, mais encore ceux qui contribuent au bien-être des enfants sans représentation mentale de ce bien-être, actes d'altruisme automatique, comme nous pouvons les appeler. Nous ne devons pas non plus laisser en dehors de notre classification ces actes altruistes encore inférieurs qui servent à la conservation de la race sans supposer même des processus nerveux automatiques, actes qui ne sont pas psychiques dans le sens le plus éloigné du mot, mais physiques en un sens littéral. Toute action, inconsciente ou consciente, qui entraîne une dépense de la vie individuelle au profit du développement de la vie chez les autres individus, est incontestablement altruiste en un sens, sinon dans le sens ordinaire du mot, et nous devons ici l'entendre en ce sens pour voir comment l'altruisme conscient procède de l'altruisme inconscient.

Les êtres les plus simples se multiplient habituellement par division spontanée. L'altruisme physique du genre le plus bas, distinct de l'égoïsme physique, peut être considéré dans ce cas-là comme n'en étant pas encore indépendant. En effet, puisque les deux moitiés qui avant la division constituaient l'individu ne disparaissent pas en se divisant, nous devons dire que, bien que l'individualité de l'infusoire ou d'un autre protozoaire qui est comme le parent se perde par la cessation de l'unité, cependant l'ancien individu continue d'exister en chacun des nouveaux individus. Toutefois lorsque, comme il arrive généralement pour les animaux les plus petits, un intervalle de repos aboutit à une rupture du corps entier en un grand nombre de parties minuscules dont chacune est le germe d'un jeune, nous voyons que le parent se sacrifie entièrement à la formation de sa progéniture.

On pourrait raconter ici comment chez des êtres d'un rang plus élevé, par division ou par bourgeonnement, les parents lèguent des parties de leurs corps, plus ou moins organisées, pour former des descendants, au prix de leur propre individualité. On pourrait donner aussi de nombreux exemples des manières dont les oeufs se développent au point que le corps de la mère devient pour eux un simple récipient: il faut en conclure que toute la nourriture qu'elle absorbe est employée au profit de sa postérité. On pourrait enfin parler des cas nombreux où, comme il arrive généralement dans le monde des insectes, la vie finit dès que la maturité est atteinte et le sort d'une nouvelle génération assuré: la mort suit les sacrifices faits pour la race.

Mais, laissant ces types inférieurs, dans lesquels l'altruisme est purement physique, ou dans lesquels il est seulement physique et automatiquement psychique, élevons-nous à l'étude de ceux dans lesquels il est aussi conscient à un haut degré. Bien que chez les oiseaux et les mammifères, de telles activités des parents, guidées comme elles le sont par l'instinct, ne soient accompagnées d'aucune représentation, ou seulement d'une représentation vague des avantages qui en résultent pour les jeunes, elles comportent cependant des actions que nous pouvons regarder comme altruistes dans le sens le plus élevé du mot. L'agitation que ces êtres manifestent lorsque leurs petits sont en danger, jointe souvent à des efforts pour leur venir en aide, aussi bien que la douleur qu'ils laissent paraître s'ils les ont perdus, prouve bien qu'en eux l'altruisme paternel a pour concomitant une émotion.

Ceux qui entendent par altruisme seulement le sacrifice conscient de soi-même dans l'intérêt des autres, tel qu'il se produit parmi les hommes, trouveront étrange et même absurde d'étendre autant que nous le faisons le sens de ce mot. Mais nous avons pour agir ainsi des raisons plus fortes que celles dont on a pu juger déjà. Je ne prétends pas simplement que dans le cours de l'évolution il y a eu un progrès par gradations infinitésimales, depuis les sacrifices purement physiques et inconscients de l'individu pour le bien-être de l'espèce jusqu'aux sacrifices accomplis d'une manière consciente. J'entends que, du commencement à la fin, les sacrifices, lorsqu'on les ramène à leurs termes les plus humbles, ont la même nature essentielle: à la fin comme au commencement, ils impliquent une perte de la substance corporelle. Lorsqu'une partie du corps maternel se détache sous forme de bourgeon, ou d'oeuf, ou de foetus, le sacrifice matériel est manifeste, et lorsque la mère fournit le lait dont l'absorption assure la croissance du jeune, il est hors de doute qu'il y a là aussi un sacrifice matériel. Mais, bien qu'un sacrifice matériel ne soit pas apparent lorsque les jeunes profitent des activités déployées en leur faveur, comme il ne peut se produire aucun effort sans une usure équivalente de quelque tissu, et comme la perte corporelle est en proportion de la dépense qui se fait sans compensation de nourriture consommée, il s'ensuit que les efforts au bénéfice de la race représentent réellement une partie de la substance des parents; elle est seulement donnée indirectement cette fois, au lieu de l'être directement.

Le sacrifice de soi n'est donc pas moins primordial que la conservation de soi. Absolument nécessaire en sa forme simple, physique, pour la continuation de la vie depuis l'origine; étendu sous sa forme automatique, comme indispensable, à la conservation de la race dans les types considérablement avancés; se développant jusqu'à prendre une forme semi-consciente et une forme consciente, à mesure que se continuent et se compliquent les soins par lesquels la progéniture des êtres supérieurs est conduite à la maturité, l'altruisme a eu son évolution parallèle à celle de l'égoïsme. Comme nous l'avons marqué dans un chapitre précédent, les mêmes supériorités qui ont rendu l'individu capable de mieux se préserver lui-même, l'ont rendu capable de mieux préserver les individus dérivés de lui, et chacune des espèces les plus élevées, usant de ses facultés excellentes d'abord pour son avantage égoïste, s'est étendue en proportion de l'usage qu'elle en a fait secondairement pour un avantage altruiste.

La manière dont s'impose l'altruisme tel qu'il est ainsi compris, n'est pas autre, en réalité, que la manière dont s'impose l'égoïsme comme nous l'avons montré dans le dernier chapitre. Car tandis que, d'un côté, en manquant à accomplir des actes d'égoïsme normal, on s'expose à l'affaiblissement ou à la perte de la vie, et par suite à l'incapacité d'accomplir des actes altruistes, d'un autre côté, un pareil défaut d'actes altruistes, de même qu'il cause la mort des descendants ou leur développement incomplet, implique dans les générations futures la disparition de la nature qui n'est pas assez altruiste, par suite la diminution de la moyenne de l'égoïsme. En un mot, chaque espèce se débarrasse continuellement des individus qui ne sont pas égoïstes comme il convient, tandis que les individus qui ne sont pas convenablement altruistes sont perdus pour elle.

76. De même qu'il y a eu un progrès graduel de l'altruisme inconscient des parents à l'altruisme conscient du genre le plus élevé, il y a eu un progrès graduel de l'altruisme dans la famille à l'altruisme social.

Un fait à noter d'abord est que là seulement où les relations altruistes dans le groupe domestique ont atteint des formes très développées, naissent les conditions qui rendent possible un plein développement des relations altruistes dans le groupe politique. Les tribus dans lesquelles règne la promiscuité ou dans lesquelles les relations conjugales sont transitoires, et les tribus où la polyandrie amène d'une autre manière les relations mal définies, ne sont pas capables d'une véritable organisation. Les peuples qui admettent habituellement la polygamie ne se montrent pas non plus capables eux-mêmes d'atteindre à ces formes élevées de coopération sociale qui demandent une légitime subordination de soi-même aux autres. Là seulement où le mariage monogamique est devenu général et éventuellement universel, là seulement où se sont par suite établis le plus étroitement les liens du sang, où l'altruisme familial s'est le plus développé, l'altruisme social est devenu le plus manifeste. Il suffit de se rappeler les formes composées de la famille aryenne, comme les a décrites M. Henry Maine avec d'autres auteurs, pour voir que le sentiment de la famille, s'étendant d'abord à la gens et à la tribu, et ensuite à la société formée par des tribus unies par des liens de parenté, a préparé la voie au sentiment qui unit des citoyens de familles différentes.

En reconnaissant cette transition naturelle, nous avons surtout à considérer ici que dans les dernières phases du progrès, comme dans les premières, l'accroissement des satisfactions égoïstes a dépendu surtout du progrès des égards pour les satisfactions des autres. Si nous considérons une série de parents et de descendants, nous voyons que chacun d'eux, après avoir dû la vie pendant sa jeunesse aux sacrifices accomplis par ses prédécesseurs, fait à son tour, lorsqu'il est adulte, des sacrifices équivalents dans l'intérêt de ses successeurs, et que, sans cette balance d'avantages reçus et d'avantages procurés, la série dont nous parlons prendrait fin. De même, il est manifeste que dans une société chaque génération, redevable aux générations précédentes des avantages d'une organisation sociale qui est le fruit de leurs travaux et de leurs sacrifices, doit faire pour les générations suivantes des sacrifices analogues, tout au moins pour conserver cette organisation si elle ne peut la perfectionner; l'autre alternative amènerait la décadence et peut-être la dissolution de la société, en impliquant une diminution graduelle des satisfactions égoïstes de ses membres.

Nous sommes ainsi préparés à étudier les diverses manières dont le bien-être personnel, dans les conditions sociales, dépend d'une attention convenable au bien-être des autres. Les conclusions à tirer ont été déjà indiquées d'avance. De même que dans le chapitre sur le point de vue biologique étaient esquissées les inférences définitivement établies dans le dernier chapitre, de même dans le chapitre sur le point de vue sociologique ont été esquissées les inférences que nous avons à établir ici définitivement. Plusieurs d'entre elles sont assez connues, mais il faut cependant les spécifier; notre démonstration serait sans cela incomplète.

77. Il faut d'abord parler de l'altruisme négatif que suppose la répression des impulsions égoïstes qui sert à prévenir toute agression directe.

Comme nous l'avons montré plus haut, si les hommes, au lieu de vivre séparément, s'unissent pour la défense ou pour d'autres entreprises, ils doivent individuellement recueillir plus de bien que de mal de leur union. En moyenne, chacun doit perdre moins par suite des antagonismes de ceux avec qui il est associé qu'il ne gagne par l'association. Ainsi, à l'origine, l'accroissement de satisfactions égoïstes que produit l'état social ne peut être obtenu que par un altruisme suffisant pour causer une reconnaissance des droits d'autrui, sinon volontaire, du moins forcée.

Tant que la reconnaissance de ces droits est seulement du genre inférieur dû à la crainte des représailles ou d'un châtiment déterminé par la loi, le gain qui résulte de l'association est petit, et il devient considérable seulement à mesure que la reconnaissance devient volontaire, c'est-à-dire plus altruiste. Lorsque, comme chez certains sauvages d'Australie, il n'y a pas de limite au droit du plus fort, et que les hommes se battent pour s'emparer des femmes, tandis que les femmes d'un même homme se le disputent elles-mêmes en se battant, la poursuite des satisfactions égoïstes est fort empêchée. Outre la peine physique qui pour chacun peut résulter de la lutte, et le plus ou moins d'inaptitude à atteindre les fins personnelles qui en est la conséquence, il y a encore à compter la perte d'énergie produite par la nécessité d'être toujours prêt à se défendre, et les émotions ordinairement pénibles qui en sont la suite. Bien plus, la fin la plus importante, à savoir la sûreté en présence des ennemis du dehors, est d'autant moins atteinte qu'il y a des animosités au dedans; il n'y a rien qui favorise les satisfactions dont une coopération industrielle serait la source, et il y a peu de raisons pour demander au travail un supplément d'avantage, lorsque les produits du travail ne sont pas assurés. De ce premier degré aux degrés relativement récents du progrès, nous pouvons suivre, dans le fait de porter des armes, dans la perpétuation des querelles de familles, dans le fait de prendre chaque jour des précautions pour sa sûreté, les manières dont les satisfactions égoïstes de chacun sont diminuées par le défaut de cet altruisme qui réfrène les attaques ouvertes des autres.

Les intérêts privés de l'individu sont en moyenne mieux défendus, non seulement dans la mesure où il s'abstient lui-même d'attaques directes, mais aussi, en moyenne, dans la mesure où il réussit à diminuer les agressions de ses semblables les uns contre les autres. La prédominance des antagonismes parmi ceux qui nous entourent entrave les activités que chacun développe pour se procurer quelque bien, et le désordre qui en résulte rend plus douteux l'heureux effet de ces activités. Par suite, chacun profite d'une manière égoïste de l'accroissement d'un altruisme qui conduit chacun à prévenir ou à diminuer pour sa part la violence des autres.

Il en est de même quand nous passons à cet altruisme qui réprime l'égoïsme illégitime manifesté dans la violation des contrats. L'acceptation générale de la maxime que l'honnêteté est la meilleure politique implique l'expérience générale que la satisfaction des inclinations personnelles est en définitive favorisée par le fait de les réprimer de manière à assurer l'équité dans les relations commerciales. Ici, comme plus haut, chacun est intéressé personnellement à faire régner de bonnes relations parmi ceux qui l'entourent. Car il ne peut résulter que des maux et de mille manières d'un excès de transactions frauduleuses. Comme tout le monde le sait, plus un marchand a de comptes en souffrance, plus il est obligé de faire payer cher aux autres pratiques. Plus un fabricant perd sur la qualité de la matière première ou par la maladresse des ouvriers, plus il doit faire payer aux acheteurs. Moins les gens sont dignes de confiance, plus s'élève le taux de l'intérêt, plus s'accroît la somme des capitaux accumulés, plus l'industrie est entravée. Enfin si les négociants, et tout le monde en général, dépassent leurs moyens et hypothèquent par spéculation la propriété d'autrui, ces paniques commerciales, qui sont un désastre pour une foule de gens et entraînent une ruine universelle, sont d'autant plus sérieuses en proportion.

Cela nous amène à remarquer une troisième manière dont le bien-être personnel, tel qu'il résulte de la proportion des avantages obtenus au travail accompli, dépend de certains sacrifices faits au bien-être social. Celui qui consacrerait uniquement son énergie à ses propres affaires, et refuserait de s'inquiéter des affaires publiques, confiant dans sa sagesse à combiner ce qui le concerne, ne voit pas que ses propres affaires ne peuvent réussir qu'autant que l'état social est prospère, et qu'il a tout à perdre si le gouvernement est défectueux. Que la majorité pense comme lui, que les fonctions publiques, par suite, soient remplies par des aventuriers politiques et l'opinion gouvernée par des démagogues; que la corruption s'étende à l'administration de la loi, et rende habituelles des transactions politiques frauduleuses; la nation en général, et, entre tous, ceux-là surtout qui n'ont songé qu'à eux sans jamais rien faire pour la société, en subissent lourdement la peine. Pour ces derniers, le recouvrement des dettes est difficile, les opérations commerciales sont incertaines, et la vie même est moins sûre qu'elle ne l'aurait été dans d'autres conditions.

Ainsi, des actions altruistes qui consistent d'abord à pratiquer la justice, en second lieu à faire régner la justice parmi les autres, et troisièmement à favoriser et à développer tout ce qui contribue à l'administration de la justice, dépendent dans une large mesure les satisfactions égoïstes de chacun.

78. Mais l'identification de notre avantage personnel avec l'avantage de nos concitoyens est encore bien plus complète. Il y a bien d'autres manières dont le bien-être de chacun naît et disparaît avec le bien-être de tous.

Un homme faible qu'on laisse pourvoir seul à ses besoins souffre de ce qu'il ne peut se procurer ou la nourriture ou les autres choses nécessaires à la vie comme il le ferait s'il était plus fort. Dans une peuplade formée d'hommes faibles, qui se partagent leurs travaux et en échangent les produits, tous ont à souffrir de la faiblesse de leurs compagnons. La quantité de chaque genre de produit est rendue insuffisante par l'insuffisance des forces, et la part que chacun retire en retour de la part de produit qu'il peut donner est relativement petite. De même que l'entretien des pauvres, des malades dans un hôpital, des malheureux que l'on recueille dans les asiles, de tous ceux enfin qui consomment sans produire, diminue la quantité des choses utiles à partager entre les producteurs, et la rend moindre qu'elle ne serait s'il n'y avait pas d'incapables, plus est grand le nombre des producteurs insuffisants ou plus les forces en moyenne laissent à désirer, moins il y a d'avantages à se partager. Par suite, tout ce qui diminue la force des hommes en général restreint les plaisirs de chacun en augmentant le prix de toute chose.

Un homme est encore plus directement et plus évidemment intéressé au bien-être corporel, à la santé de ses concitoyens; car leurs maladies, quand elles prennent certaines formes, peuvent lui être communiquées. S'il n'est pas lui-même atteint du choléra, ou de la petite vérole, ou du typhus, alors que ces maux attaquent ses voisins, il est souvent exposé à voir frappés ceux qui lui tiennent de près. Dans ces conditions, sa femme peut être malade d'une diphthérie, son domestique d'une fièvre scarlatine, ses enfants sont atteints par telle ou telle épidémie. Ajoutez tous les maux immédiats ou éloignés qui résultent pour lui de ces fléaux d'année en année, et vous verrez manifestement que ses satisfactions égoïstes seront grandement favorisées s'il se montre altruiste, de manière à rendre ces fléaux plus rares.

Ses propres plaisirs dépendent en mille manières des états mentals aussi bien que des états corporels de ses compatriotes. La sottise, comme la faiblesse, fait augmenter le prix des choses utiles à la vie. Si l'on ne fait pas faire de progrès à l'agriculture, les prix des vivres sont plus élevés qu'ils ne le seraient autrement; si l'on suit dans le commerce l'ancienne routine, tout le monde souffre de dépenses inutiles; s'il n'y a pas d'inventions, tout le monde perd le bénéfice des nouvelles applications de la science. Ce ne sont pas seulement des maux économiques qui résultent de l'inintelligence moyenne, périodiquement, dans ces folies et ces paniques où l'on voit tous les négociants comme un troupeau acheter ou vendre tous ensemble, et, habituellement, dans la mauvaise administration de la justice, pour laquelle le peuple et les législateurs montrent un égal mépris en poursuivant leurs caprices. Le rapport de notre propre bien avec les états mentals des autres est plus étroit et plus visible; chacun peut en faire l'expérience pour son compte. Le défaut d'exactitude, de régularité est une cause perpétuelle d'ennuis. L'ignorance du cuisinier produit souvent des malaises et quelquefois une indigestion. Le manque de prévoyance de la servante peut, dans un passage obscur, nous faire tomber sur un seau. Si l'on ne rend pas bien compte d'un message, ou qu'on oublie de le transmettre, il en résulte qu'une importante affaire est manquée. Ainsi tout le monde a à gagner, au point de vue égoïste, à un altruisme qui contribue à élever le niveau moyen de l'intelligence. Je ne veux pas parler de cet altruisme qui consisterait à remplir l'esprit des enfants de dates, de noms, de détails sur l'histoire des rois, de récits de batailles et d'autres sujets inutiles dont tout l'entassement ne fera pas d'eux des travailleurs utiles ou de bons citoyens, mais bien d'un altruisme qui contribue à répandre une connaissance exacte de la nature des choses et à développer le pouvoir d'appliquer cette connaissance.

En outre, chacun de nous a un intérêt particulier à l'existence d'une morale publique, et gagne à ce qu'elle se perfectionne. Ce n'est pas seulement dans les cas importants, par suite des agressions, des violations de contrats, des fraudes et de l'emploi de faux poids, que chacun souffre d'un défaut général de moralité; c'est aussi de mille autres manières moins graves. C'est tantôt par l'indélicatesse d'un homme qui donne un bon certificat à un mauvais serviteur; tantôt par l'insouciance d'une blanchisseuse qui se sert d'agents chimiques pour s'épargner de la peine, et détruit ainsi son linge; tantôt par le mensonge d'un voyageur de chemin de fer, qui disperse ses bagages autour de lui pour faire croire que toutes les places du compartiment sont prises quand elles ne le sont pas. Hier, l'indisposition d'un enfant due à des gaz délétères a fait découvrir qu'un tuyau de dégagement s'était bouché parce qu'il avait été mal fait par un maçon peu scrupuleux, sous la direction d'un entrepreneur négligent ou corrompu. Aujourd'hui, les ouvriers employés à le réparer causent de la dépense et des ennuis, par leur lenteur; ils ne se proposent pas de dépasser le modèle, car l'esprit de corps défend aux meilleurs ouvriers de discréditer les pires en faisant mieux, et ils partagent cette croyance immorale que le moins digne doit être aussi bien traité que le meilleur. Demain, on verra que les dégâts causés par les maçons ont préparé de la besogne au plombier.

Ainsi le perfectionnement des autres, au point de vue physique, au point de vue intellectuel et au point de vue moral, importe personnellement à chacun: en effet, leurs imperfections se traduisent par une élévation du prix de toutes les choses utiles que nous avons à acheter, par un accroissement des taxes et des impôts que nous avons à payer, ou par les pertes de temps et d'argent qui résultent journellement pour nous de la négligence, de la sottise ou de l'immoralité de nos semblables.

79. Certaines connexions plus immédiates entre le bien-être personnel et le souci du bien-être d'autrui sont tout à fait évidentes. On les reconnaît en considérant ce qu'ont à souffrir ceux qui ne savent inspirer aucune sympathie, et les avantages qu'obtiennent ceux qui agissent d'une manière désintéressée.

Qu'un homme ait formulé son expérience en disant que les conditions du succès sont un coeur dur et un bon estomac, on a de la peine à le comprendre si l'on considère combien de faits démontrent que le succès, même d'un genre matériel, dépendant en grande partie comme il le fait des bons offices des autres, est rendu facile par tout ce qui provoque la bonne volonté de nos semblables. Le contraste entre la prospérité de ceux qui joignent à des aptitudes seulement médiocres une nature qui leur gagne des amis par sa douceur, et l'insuccès de ceux qui, malgré des facultés supérieures et de plus grandes connaissances, se font haïr pour leur dureté ou leur indifférence, forcerait avant tout à reconnaître cette vérité que les jouissances égoïstes sont facilitées par des actions altruistes.

Cet accroissement d'avantages personnels obtenus par des services rendus à autrui ne se produit que partiellement, lorsqu'un motif intéressé nous pousse à accomplir une action désintéressée en apparence; il se produit complètement dans le cas seulement où l'acte est réellement désintéressé. Bien que les services rendus avec l'intention de profiter un jour de services réciproques soient utiles dans une certaine mesure, ils ne le sont cependant, d'ordinaire, que dans la mesure où ils sont la cause de services réciproques équivalents. Ceux qui rapportent plus que l'équivalent sont ceux qui ne sont inspirés par aucune pensée d'équivalence. C'est évidemment en effet la manifestation spontanée d'une bonne nature, non seulement dans les principaux actes de la vie, mais dans tous ses détails, qui provoque chez tous ceux qui nous entourent les attachements d'où naît une bienveillance illimitée.

Outre qu'elles favorisent le développement de la prospérité, les actions accomplies dans l'intérêt d'autrui nous procurent des plaisirs personnels par cette raison encore qu'elles font régner la joie autour de nous. Avec une personne sympathique, chacun éprouve plus de sympathie qu'avec les autres. Tous montrent plus d'amabilité qu'ils n'ont l'habitude de le faire, à celui qui laisse paraître à chaque instant un naturel aimable. Ce dernier est en réalité entouré de gens meilleurs que celui qui a moins de qualités attrayantes. Si nous opposons l'état d'un homme qui a tous les moyens matériels d'être heureux, mais qui est isolé par son égoïsme absolu, avec l'état d'un homme altruiste, relativement pauvre d'argent, mais riche d'amis, nous voyons que les divers plaisirs que l'argent ne peut donner viennent en abondance à celui-ci et sont inaccessibles au premier.

Ainsi, tandis qu'il y a un genre d'actions concernant l'intérêt des autres, favorables à la prospérité de nos concitoyens en général, et qu'il faut délibérément accomplir en vertu de motifs tirés indirectement de notre propre intérêt, car nous sommes convaincus que notre propre bien-être dépend dans une large mesure du bien-être de la société, il y a un autre genre d'actions concernant l'intérêt des autres, auxquelles ne se mêle aucune conscience de notre propre intérêt, et qui contribuent grandement néanmoins à nous procurer des satisfactions égoïstes.

80. Il y a d'autres manières encore de montrer que l'égoïsme pèche habituellement quand il n'est pas modéré par l'altruisme. Il diminue la totalité du plaisir égoïste en diminuant dans plusieurs directions la capacité d'éprouver le plaisir.

Les plaisirs personnels, considérés ensemble ou séparément, perdent de leur intensité si l'on y insiste trop, c'est-à-dire si l'on en fait l'objet exclusif de ses recherches. La loi que la fonction entraîne une déperdition, et que les facultés dont l'exercice est une cause de plaisir ne peuvent agir continuellement sans qu'il s'ensuive un épuisement et la satiété, a pour conséquence que les intervalles pendant lesquels les actions altruistes absorbent les énergies sont des intervalles pendant lesquels la capacité d'éprouver des plaisirs égoïstes recouvre toute sa vigueur. La sensibilité pour les jouissances purement personnelles se conserve à un plus haut degré chez ceux qui s'emploient aux plaisirs des autres, que chez ceux qui se dévouent entièrement à leurs propres plaisirs.

Cette vérité, manifeste même lorsque le niveau de la vie est élevé, est encore plus frappante lorsqu'il s'abaisse. C'est dans la maturité et dans la vieillesse que nous voyons d'une manière spéciale comment, à mesure que les plaisirs égoïstes deviennent plus faibles, les actions altruistes servent à les reproduire en leur donnant des formes nouvelles. Le contraste entre le plaisir qu'un enfant prend aux nouveautés qui lui sont chaque jour révélées, et l'indifférence qui s'accroît à mesure que le monde nous est plus connu, jusqu'à ce que dans l'âge adulte il reste relativement peu de choses dont nous jouissions véritablement, fait comprendre à tout le monde que les plaisirs diminuent à mesure que les années passent. Pour ceux qui réfléchissent, il est clair que la sympathie seule nous fait trouver indirectement du plaisir dans les choses qui ont cessé de nous en procurer directement. On le voit avec évidence pour les plaisirs que les parents retirent des plaisirs de leurs enfants. Quelle que soit la banalité de cette remarque que les hommes revivent dans leurs enfants, nous avons besoin de la répéter ici pour nous rappeler la manière dont l'altruisme, alors que les satisfactions égoïstes s'affaiblissent dans le cours de la vie, renouvelle ces satisfactions en les transfigurant.

Nous sommes amenés ainsi à une considération plus générale, celle de l'aspect égoïste du plaisir altruiste. Ce n'est pas que ce soit le moment de discuter la question de savoir si l'élément égoïste peut être exclu de l'altruisme, ou de distinguer entre l'altruisme que l'on poursuit avec la prévision d'un plaisir à en retirer, et l'altruisme qui, tout en procurant ce plaisir, n'en fait pas son objet. Nous considérons seulement le fait que l'état qui accompagne une action altruiste étant un état agréable, qu'on y parvienne sciemment ou non, doit être compté dans la somme des plaisirs que l'individu peut recevoir, et, en ce sens, ne peut pas ne pas être un plaisir égoïste. Nous devons évidemment le considérer ainsi, car ce plaisir, comme les plaisirs en général, a pour résultat la prospérité physique du moi. Comme toute autre émotion agréable élève le niveau de la vie, ainsi fait l'émotion agréable qui accompagne un acte de bienveillance. On ne peut nier que la peine causée par la vue d'une souffrance déprime les fonctions vitales, quelquefois même au point de suspendre l'action du coeur, comme chez ceux qui s'évanouissent en assistant à une opération chirurgicale; de même, on ne peut nier que la joie ressentie en présence de la joie d'autrui n'exalte les fonctions vitales. Par suite, bien que nous devions hésiter à classer le plaisir altruiste comme une espèce plus élevée de plaisir égoïste, nous sommes obligés de reconnaître le fait que ses effets immédiats, en augmentant la vie et en favorisant ainsi le bien-être personnel, ressemblent à ceux des plaisirs qui sont directement égoïstes. Le corollaire à en déduire est que le pur égoïsme, même dans ses résultats immédiats, est moins avantageusement égoïste que ne l'est l'égoïsme convenablement tempéré par l'altruisme, lequel, outre les plaisirs additionnels qu'il nous procure, nous donne aussi, par l'accroissement de la vitalité, une plus grande capacité pour éprouver des plaisirs en général.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
410 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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