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Kitabı oku: «La vie de Rossini, tome I», sayfa 12

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CHAPITRE XIV
OPÉRAS DE ROSSINI A NAPLES

Mademoiselle Colbrand chanta, dans une même année, l'Élisabeth de Rossini, la Gabrielle de Vergy de Caraffa, la Cora et la Médée de Mayer, et tout cela d'une manière sublime, et surtout avec une agilité incroyable dans la voix. San-Carlo présentait alors un des plus beaux spectacles que puisse désirer l'amateur le plus passionné et le plus difficile; mademoiselle Colbrand était secondée par Davide le fils, et par Nozzari, Garcia et Siboni. Mais ce beau moment dura peu; dès l'année suivante, 1816, la voix de mademoiselle Colbrand faiblit, et ce fut déjà une bonne fortune dont on se félicitait, que de lui entendre chanter un air sans fautes. La seule crainte d'être toujours tout près d'une note fausse empêchait le charme de naître; ainsi, même en musique, pour être heureux, il ne faut pas en être réduit à examiner: voilà ce que les Français ne veulent pas comprendre; leur manière de jouir des arts, c'est de les juger.

On attendait les premières mesures de l'air de mademoiselle Colbrand; voyait-on qu'elle eût pris son parti de chanter faux, on prenait aussi le sien, et l'on faisait la conversation, ou l'on allait au café prendre une glace. Au bout de quelques mois, le public, ennuyé de ces promenades, avoua tout haut que la pauvre Colbrand avait vieilli, et attendit qu'on l'en débarrassât. Comme on ne se pressait pas, il murmura; ce fut alors que la fatale protection dont la Colbrand était honorée parut dans tout ce qu'elle avait de dur pour un peuple qui se voyait enlever à la fois son dernier plaisir et l'éternel sujet de ses vanteries et de son orgueil envers les étrangers. Le public témoigna de mille manières sa profonde impatience; toujours le pouvoir sans bornes se fit sentir, et, comme une main de fer, arrêta tout court l'indignation du peuple le plus bruyant de l'univers. Cet acte de complaisance du roi pour son M. Barbaja, lui a plus aliéné de cœurs que tous les actes de despotisme possibles exercés envers un peuple qui sera peut-être digne de la liberté dans cent ans.

En 1820, pour procurer une vraie joie aux habitants de Naples, ce n'est pas la constitution d'Espagne qu'il fallait leur donner, c'est mademoiselle Colbrand qu'il fallait ôter.

Rossini n'avait garde d'entrer dans toutes les intrigues de Barbaja. On vit bientôt que, par caractère, c'était l'homme le plus étranger à l'intrigue, et surtout à l'esprit de suite qu'elle exige, mais, appelé par M. Barbaja à Naples, lié d'amour avec mademoiselle Colbrand, il était difficile que les Napolitains ne lui fissent pas sentir quelquefois le contre-coup de leurs ennuis. Ainsi le public de Naples, toujours séduit par le talent de Rossini, a toujours eu la meilleure envie de le siffler. Lui, de son côté, ne pouvant plus compter sur la voix de mademoiselle Colbrand, s'est jeté de plus en plus dans l'harmonie allemande, et surtout s'est éloigné de plus en plus de la véritable expression dramatique. Mademoiselle Colbrand le persécutait sans cesse pour qu'il plaçât dans ses airs les agréments dont sa voix avait l'habitude.

On voit par quel enchaînement de circonstances fatales le pauvre Rossini a eu quelquefois les apparences de la pédanterie en musique. C'est un grand poëte, et un poëte comique forcé à être érudit, et érudit sur des choses tristes et sérieuses. Qu'on se figure Voltaire obligé, pour vivre, à écrire l'histoire des juifs du ton de Bossuet.

Rossini a été quelquefois Allemand, mais c'est un Allemand aimable et plein de feu78.

Après l'Élisabeth, il courut à Rome, où il donna dans le même carnaval (1816) Torvaldo e Dorliska et le Barbier; il reparut à Naples et fit jouer la Gazetta, petit opéra buffa, demi-succès, et ensuite Otello au théâtre del Fondo. Après Otello il alla à Rome pour la Cenerentola, et fit son voyage de Milan pour la Gazza ladra. A peine de retour à Naples, il donna l'Armide.

Le jour de la première représentation, le public le punit de la voix incertaine de mademoiselle Colbrand, et l'Armide réussit peu, malgré le superbe duetto. Vivement piqué de la froideur qu'on lui montrait, Rossini chercha à conquérir un succès sans employer la voix de mademoiselle Colbrand; comme les Allemands, il eut recours à son orchestre, et de l'accessoire fit le principal. Il prit une revanche complète de l'irréussite d'Armide dans le Moïse. Le succès fut immense. De ce moment le goût de Rossini fut faussé. Il écrit de l'harmonie légère et spirituelle en se jouant: il avait, au contraire, assez de peine, après vingt opéras, à trouver des cantilènes nouvelles. La paresse, d'accord avec la nécessité, lui fit adopter le genre allemand. Moïse fut immédiatement suivi de Ricciardo e Zoraïde, d'Ermione, de la Donna del Lago et de Maometto secondo. Tous ces opéras allèrent aux nues, à l'exception d'Ermione, qui était un essai. Rossini, pour varier, avait voulu se rapprocher du genre déclamé, donné aux Français par Gluck. De la musique sans plaisir physique pour l'oreille n'était pas faite pour plaire beaucoup à des Napolitains. D'ailleurs, dans Ermione, tout le monde se fâchait, et toujours, et il n'y avait qu'une seule couleur, celle de la colère. La colère, en musique, n'est bonne que comme contraste. C'est un axiome napolitain, qu'il faut la colère du tuteur avant l'air tendre de la pupille.

Pour les derniers opéras que je viens de nommer, Rossini eut une ressource, la voix de mademoiselle Pisaroni, superbe contr'alto et cantatrice décidément du premier ordre.

Les hommes pour lesquels il a écrit sont Garcia, Davide le fils et Nozzari, tous les trois ténors; Davide, le premier ténor existant, et qui met du génie dans son chant: il improvise sans cesse, et quelquefois se trompe; Garcia, remarquable par la sûreté étonnante de sa voix; et enfin Nozzari, la moins belle voix des trois, et qui cependant a été un des meilleurs chanteurs de l'Europe.

CHAPITRE XV
TORVALDO E DORLISKA

Après l'éclatant succès de l'Élisabeth, Rossini fut appelé à Rome pour le carnaval de 1816; il y composa, au théâtre Valle, un opéra semi-serio assez médiocre, Torvaldo e Dorliska; et au théâtre Argentina, son chef-d'œuvre du Barbier de Séville. Rossini écrivit Torvaldo pour les deux premières basses d'Italie, Galli et Remorini, en 1816; Lablache et Zuchelli étaient encore peu connus. Il eut pour ténor Domenico Donzelli, alors excellent, et surtout plein de feu.

Il y a un cri de passion dans le grand air de Dorliska,

 
Ah! Torvaldo!
Dove sei?
 

qui, lorsqu'il est chanté avec hardiesse et abandon, produit toujours beaucoup d'effet. Le reste de cet air, un terzetto entre le tyran, l'amant et un portier bouffon:

 
Ah! qual raggio di speranza!
 

et l'on peut dire tout l'opéra, ferait la réputation d'un maestro ordinaire, mais n'ajoute rien à celle de Rossini. C'est comme un mauvais roman de Walter Scott, le rival du maestro de Pesaro en célébrité européenne. Certainement un inconnu qui aurait fait le Pirate ou l'Abbé, serait sorti à l'instant des rangs vulgaires de la littérature. Ce qui distingue le grand maître, c'est la hardiesse du trait, la négligence des détails, le grandiose de la touche; il sait économiser l'attention pour la lancer tout entière sur ce qui est important. Walter Scott répète le même mot trois fois dans une phrase, comme Rossini le même trait de mélodie, exécuté successivement par la clarinette, le violon et le hautbois.

J'aime mieux une ébauche du Corrège, qu'un grand tableau fort soigné de Charles Lebrun, ou de tel de nos grands peintres.

Le tyran, dans l'opéra de Dorliska, lequel a la niaiserie uniforme et visant au sublime du style, et par le manque total d'originalité et d'individualité dans les personnages, me semble une traduction de quelque mélodrame du boulevard, le tyran chante un superbe agitato: c'est un des plus beaux airs que l'on puisse choisir pour une voix de basse; aussi Lablache et Galli ne manquent-ils guère de le placer dans leurs concerts. J'ajouterai, pour diminuer les regrets de ceux des lecteurs qui ne le connaîtraient pas, que cet air n'est autre chose que le fameux duetto de la lettre, dans le second acte d'Otello,

 
Non m'inganno, al mio rivale.
 

CHAPITRE XVI
IL BARBIERE DI SIVIGLIA

Rossini trouva l'imprésario du théâtre Argentina à Rome, tourmenté par la police, qui lui refusait tous les libretti (poëmes), sous prétexte d'allusions. Quand un peuple est spirituel et mécontent, tout devient allusion79. Dans un moment d'humeur, l'imprésario romain proposa au gouverneur de Rome le Barbier de Séville, très-joli libretto mis jadis en musique par Paisiello. Le gouverneur, ennuyé ce jour-là de parler mœurs et décence, accepta. Ce mot jeta Rossini dans un cruel embarras, car il a trop d'esprit pour n'être pas modeste envers le vrai mérite. Il se hâta d'écrire à Paisiello à Naples. Le vieux maestro, qui n'était pas sans un grand fonds de gasconisme, et qui se mourait de jalousie du succès de l'Élisabeth, lui répondit très poliment qu'il applaudissait avec une joie véritable au choix fait par la police papale. Il comptait apparemment sur une chute éclatante.

Rossini mit une préface très modeste au-devant du libretto, montra la lettre de Paisiello à tous les dilettanti de Rome, et se mit au travail. En treize jours, la musique du Barbier fut achevée. Rossini croyant travailler pour les Romains, venait de créer le chef-d'œuvre de la musique française, si l'on doit entendre par ce mot la musique qui, modelée sur le caractère des Français d'aujourd'hui, est faite pour plaire le plus profondément possible à ce peuple, tant que la guerre civile n'aura pas changé son caractère.

Les chanteurs de Rossini furent madame Giorgi pour le rôle de Rosine, Garcia pour celui d'Almaviva; Zamboni faisait Figaro, et Boticelli le médecin Bartholo. La pièce fut donnée au théâtre d'Argentina, le 26 décembre 181680. (C'est le jour où la stagione du carnaval commence en Italie.)

Les Romains trouvèrent le commencement de l'opéra ennuyeux et bien inférieur à Paisiello. Ils cherchaient en vain cette grâce naïve, inimitable, et ce style le miracle de la simplicité. L'air de Rosine sono docile parut hors de caractère; on dit que le jeune maestro avait fait une virago d'une ingénue. La pièce se releva au duetto entre Rosine et Figaro, qui est d'une légèreté admirable et le triomphe du style de Rossini. L'air de la Calunnia fut jugé magnifique et original, les Romains ne comprenaient pas Mozart en 1816.

Après le grand air de Bazile, on regretta sans cesse davantage la grâce naïve et quelquefois expressive de Paisiello. Enfin, ennuyés des choses communes qui commencent le second acte, choqués du manque total d'expression, les spectateurs firent baisser la toile. En cela, le public de Rome, si fier de ses connaissances musicales, fit un acte de hauteur qui se trouva aussi, comme il arrive souvent, un acte de sottise. Le lendemain la pièce alla aux nues; l'on voulut bien s'apercevoir que si Rossini n'avait pas les mérites de Paisiello, il n'avait pas aussi la langueur de son style, défaut cruel qui gâte souvent les ouvrages, si semblables d'ailleurs, de Paisiello et du Guide. Depuis vingt ou trente ans que l'ancien maître a écrit, le public romain s'étant mis à faire moins de conversation à l'opéra, il lui arrive de s'ennuyer aux récitatifs éternels qui séparent les morceaux de musique des opéras de 1780. C'est comme si, parmi nous, le parterre s'avise, dans trente ans d'ici, de trouver incompréhensibles les entr'actes éternels de nos tragédies actuelles, parce qu'on aura trouvé le moyen de l'amuser dans les entr'actes, soit avec deux ou trois jeux d'orgues, qui se répondent et font assaut81, soit par des expériences de physique, ou le jeu de loto. Quel que soit l'état de perfection où nous avons porté tous les arts, il faut bien s'attendre que la postérité aura l'impertinence d'inventer aussi quelque chose.

L'ouverture du Barbier amusa beaucoup à Rome; on y vit ou l'on crut y voir les gronderies du vieux tuteur amoureux et jaloux, et les gémissements de la pupille. Le petit terzetto

 
Piano, pianissimo,
 

du second acte, alla aux nues. «Mais c'est de la petite musique, disait le parti contraire à Rossini; cela est amusant, sautillant, mais n'exprime rien. Quoi! Rosine trouve un Almaviva fidèle et tendre, au lieu du scélérat qu'on lui avait peint, et c'est par d'insignifiantes roulades qu'elle prétend nous faire partager son bonheur!»

 
Di sorpresa, di contento
Son vicina a delirar.
 

Hé bien, les roulades si singulièrement placées sur ces paroles, et qui faillirent, même le second jour, entraîner la chute de la pièce à Rome, ont eu beaucoup de succès à Paris; on y aime la galanterie et non l'amour. Le Barbier, si facile à comprendre par la musique, et surtout par le poëme, a été l'époque de la conversion de beaucoup de gens. Il fut donné le 23 septembre 1819, mais la victoire sur les pédants qui défendaient Paisiello comme ancien, n'est que de janvier 1820. (Voir la Renommée, journal libéral d'alors.) Je ne doute pas que quelques dilettanti ne me reprochent de m'arrêter à des lieux communs inutiles à dire; je les prie de vouloir bien relire les journaux d'alors et même ceux d'aujourd'hui, ils ne les trouveront pas mal absurdes, quoique le public ait fait d'immenses progrès depuis quatre ans.

La musique aussi a fait un pas immense depuis Paisiello; elle s'est défaite des récitatifs ennuyeux et a conquis les morceaux d'ensemble. Il est ridicule, disent les pauvres gens froids, de chanter cinq ou six à la fois. – Vous avez raison; il est même souverainement absurde de chanter deux ensemble; car, quand est-ce qu'il arrive, même sous l'empire de la passion la plus violente, de parler un peu longtemps deux à la fois? Au contraire, plus le mouvement de passion est vif, plus on accorde d'attention à ce que dit la personne que nous voulons persuader. Voyez les sauvages82 et les Turcs, qui ne cherchent pas à se faire une réputation de vivacité et d'esprit. Rien de plus judicieux que ce raisonnement. Ne vous semble-t-il pas parfait? Hé bien, l'expérience le détruit de fond en comble. Rien de plus agréable que les duetti. Donc, pauvres littérateurs estimables qui appliquez votre dialectique puissante à juger des arts que vous ne voyez pas, allez faire une dissertation pour prouver que Cicéron nous amuse, ou que M. Scoppa vient enfin de trouver le vrai rhythme de la langue française et l'art de faire de beaux vers.

La vivacité et le crescendo des morceaux d'ensemble chasse l'ennui et réveille un peu ces pauvres gens solides que la mode jette impitoyablement dans la salle de Louvois83.

Rossini luttant contre un des génies de la musique dans le Barbier, a eu le bon esprit, soit par hasard, soit bonne théorie, d'être éminemment lui-même.

Le jour où nous serons possédés de la curiosité, avantageuse ou non pour nos plaisirs, de faire une connaissance intime avec le style de Rossini, c'est dans le Barbier que nous devons le chercher. Un des plus grands traits de ce style y éclate d'une manière frappante. Rossini, qui fait si bien les finals, les morceaux d'ensemble, les duetti, est faible et joli dans les airs qui doivent peindre la passion avec simplicité. Le chant spianato est son écueil.

Les Romains trouvèrent que si Cimarosa eût fait la musique du Barbier, elle eût peut-être été un peu moins vive, un peu moins brillante, mais bien plus comique et bien autrement expressive. Avez-vous été militaire? avez-vous couru le monde? vous est-il arrivé de retrouver tout à coup aux eaux de Baden, une maîtresse charmante que vous aviez adorée, dix ans auparavant, à Dresde ou à Bayreuth? Le premier moment est délicieux; mais le troisième ou quatrième jour, vous trouvez trop de délices, trop d'adorations, trop de douceur. Le dévouement sans bornes de cette bonne et jolie Allemande vous fait regretter, sans peut-être oser en convenir avec vous-même, le piquant et les caprices d'une belle Italienne pleine de hauteur et de folie. Telle est exactement l'impression que vient de me faire l'admirable musique du Matrimonio segreto, à la reprise qu'on vient d'en donner à Paris, pour mademoiselle de Meri. Le premier jour, en sortant du théâtre, je ne voyais dans Rossini qu'un pygmée. Je me souviens que je me dis: Il ne faut pas se presser de juger et de porter des décisions, je suis sous le charme. Hier (19 août 1823), en sortant de la quatrième représentation du Matrimonio, j'ai aperçu bien haut l'obélisque immense, symbole de la gloire de Rossini. L'absence des dissonances se fait cruellement sentir dans le second acte du Matrimonio. Je trouve que le désespoir et le malheur y sont exprimés à l'eau rose. Nous avons fait des progrès dans le malheur depuis 179384. Le grand quartetto du premier acte,

 
Che triste silenzio!
 

paraît long; en un mot, Cimarosa a plus d'idées que Rossini, et surtout de bien meilleures idées, mais Rossini a le meilleur style.

Comme, en amour, c'est le piquant des caprices de l'Italie qui manque à une tendre Allemande; par un effet contraire, en musique, c'est le piquant des dissonances et du genre enharmonique allemand qui manque aux grâces délicieuses et suaves de la mélodie italienne. Rappelez-vous le ti maledico du second acte d'Otello, ne devrait-il pas y avoir dans le Matrimonio quelque chose dans ce genre lorsque le vieux marchand Geronimo, si entiché de la noblesse, découvre que sa fille Carolina a épousé un commis? Un dilettante auquel j'ai soumis ce chapitre sur le Barbier, pour qu'il corrigeât les erreurs de fait où je tombe souvent, comme l'astrologue de La Fontaine dans un puits, en regardant au ciel, me dit: «Est-ce là ce que vous nous donnez pour une analyse du Barbier? C'est de la crème fouettée. Je ne puis me faire à ces phrases en filigrane. Allons, mettez-vous à l'ouvrage sérieusement, ouvrons la partition, je vais vous jouer les principaux airs; faites une analyse serrée et raisonnable.»

On sent bien dans le cœur des donneurs de sérénade, qui forme l'introduction, que Rossini lutte avec Paisiello; tout est grâce et douceur, mais non pas simplicité. L'air du comte Almaviva est faible et commun; c'est un amoureux français de 1770. En revanche, tout le feu de Rossini éclate dans le chœur

 
Mille grazie, mio signore!
 

et cette vivacité s'élève bientôt jusqu'à la verve et au brio, ce qui n'arrive pas toujours à Rossini. Ici son âme semble s'être échauffée aux traits de son esprit. Le comte s'éloigne en entendant venir Figaro; il dit en s'en allant:

 
Già l'alba è appena, e amor non si vergogna.
 

Voilà qui est bien italien. Un amoureux se permet tout, dit le comte; on sait de reste que l'amour est une excuse qui couvre toutes choses aux yeux des indifférents. L'amour, dans le Nord, est au contraire timide et tremblant, même avec les indifférents.

La cavatine de Figaro

 
Largo al factotum,
 

chantée par Pellegrini, est et sera longtemps le chef-d'œuvre de la musique française. Que de feu! que de légèreté, que d'esprit dans le trait:

 
Per un barbiere di qualità!
 

Quelle expression dans

 
Colla donnetta…
Col cavaliere…
 

Cela a plu à Paris, et pouvait fort bien être sifflé à cause du sens leste des paroles. Je ne sais si jamais Préville a joué Figaro autrement que Pellegrini. Dans ce premier acte, cet acteur inimitable a, ce me semble, toute la légèreté gracieuse, toute l'allure scélérate et prudente d'un jeune chat. Lorsque, plus tard, il est dans la maison de Bartholo, sur sa mine seule il est pendable. Je voudrais voir jouer ce rôle aux Français aussi bien que Pellegrini. Un des dictons de nos littérateurs estimables est de représenter les acteurs de Louvois comme des bouffons à mille lieues de toute vérité et de toute expression dramatique, et auxquels, par conséquent, il serait impertinent de demander de l'intérêt. Encore hier soir, j'ai entendu développer cette théorie; un homme à ailes de pigeon l'expliquait à deux pauvres jeunes femmes qui approuvaient du geste, et cela à un théâtre qui vient de voir le second acte de la Gazza ladra joué par Galli, sans parler de madame Pasta dans Roméo, Desdemona, Médée, et partout.

Ne serions-nous pas plus ridicules que nos pédants, d'entreprendre de les raisonner? Oui, messieurs, le vrai pathétique est au Théâtre-Français; allez-y voir Iphigénie en Aulide, et goûtez-y bien ce récitatif lamentable qui n'attend plus qu'un accompagnement de contrebasse pour passer à l'état de mauvaise musique de Gluck.

La situation du balcon, dans le Barbier, est divine pour la musique; c'est de la grâce naïve et tendre. Rossini l'esquive pour arriver au superbe duetto bouffe:

 
All'idea di quel metallo!
 

Les premières mesures expriment d'une manière parfaite l'omnipotence de l'or aux yeux de Figaro. L'exhortation du comte

 
Su, vediam di quel metallo,
 

est bien, au contraire, d'un jeune homme de qualité qui n'a pas assez d'amour pour ne pas s'amuser, en passant, de la gloutonnerie subalterne d'un Figaro, à la vue de l'or.

J'ai parlé ailleurs de l'admirable rapidité de

 
Oggi arriva un reggimento,
– Sì, è mio amico il colonello.
 

Il me semble que ce passage est, en ce genre, le chef-d'œuvre de Rossini, et par conséquent de l'art musical. Je regrette de remarquer une nuance de vulgarité dans

 
Che invenzione prelibata!
 

Je trouve, au contraire, un modèle de vrai comique dans ce passage de l'ivresse du comte:

 
Perchè d'un che non è in se
Che dal vino casca giù,
Il tutor, credete a me,
Il tutor si fiderà.
 

J'admire toujours la sûreté de la voix de Garcia dans le passage

 
Vado… ma il meglio mi scordavo.
 

Il y a là un changement de ton, dans le fond de la scène, sans entendre l'orchestre, qui est le comble de la difficulté.

Je regarde la fin de ce duetto, depuis

 
La bottega? non si sbaglia,
 

comme au-dessus de tout éloge. C'est ce duetto qui tuera le grand Opéra français. Il faut convenir que jamais plus lourd ennemi n'aura succombé sous un assaillant plus léger. C'est en vain que l'Opéra français assommait les gens de goût dès le temps de La Bruyère, il n'y a guère que cent cinquante ans; il a résisté à une soixantaine de ministères différents. Il fallait, pour lui porter le dernier coup, l'apparition de la vraie musique française. Les plus grands criminels, après Rossini, sont MM. Massimino, Choron et Castil-Blaze.

Je ne serais point étonné qu'en désespoir de cause, on n'arrivât à supprimer l'opéra buffa; on le trahit déjà: voir la manière scandaleuse dont on vient de remettre les Horaces de Cimarosa.

La cavatine de Rosine:

 
Una voce poco fa,
 

est piquante; elle est vive, mais elle triomphe trop. Il y a beaucoup d'assurance dans le chant de cette jeune pupille persécutée, et bien peu d'amour. Il est hors de doute qu'avec tant de courage elle attrapera son tuteur.

Le chant de victoire sur les paroles:

 
Lindoro mio sarà
 
 
Una vipera sarò,
 

est le triomphe d'une belle voix. Madame Fodor y était excellente et l'on pourrait dire parfaite. Sa superbe voix a quelquefois un peu de dureté (école française), et la dureté n'est pas tout à fait hors de place dans le chant d'une fille aussi résolue. Quoique je regarde ce ton-là comme calomniant la nature, même à Rome, j'y vois une preuve nouvelle de l'immense distance qui sépare l'amour mélancolique et tendre des belles Allemandes que l'on rencontre dans les jardins anglais des bords de l'Elbe, du sentiment vif et tyrannique qui enflamme les jeunes filles du midi de l'Italie85.

L'air célèbre de la calomnie,

 
La calunnia è un venticello,
 

me donne la même idée que le fameux duetto du second acte de la Cenerentola:

 
Un segreto d'importanza.
 

J'ai eu le courage de dire que, sans Cimarosa et le duetto des deux voix de basse du Mariage secret, jamais nous n'aurions eu le duetto de la Cenerentola: je braverai encore une fois l'accusation de paradoxe. L'air de la Calunnia ne me semble qu'un extrait de Mozart, fait par un homme d'infiniment d'esprit, et qui lui-même écrit fort bien. Pour l'effet dramatique, cet air est trop long; mais il fait un contraste admirable avec la légèreté de tous les chants qui précèdent. Le Matrimonio segreto, par exemple, manque d'un tel contraste. Cet air était admirablement chanté au théâtre de la Scala, à Milan, par M. Levasseur, qui y obtenait un très grand succès. Ce chanteur, quoique Français et la gloire du Conservatoire, n'étant pas applaudi à Louvois, il chante avec timidité; et la seule sensation qu'il donne, c'est la crainte de le voir se tromper. Voltaire disait que pour réussir dans les arts, et surtout au théâtre, il faut avoir le diable au corps.

MM. Meyerbeer, Morlachi, Paccini, Mercadante, Mosca, Mayer, Spontini et autres contemporains de Rossini, ne demandent pas mieux sans doute que de copier Mozart; mais jamais ils n'ont trouvé dans les partitions du grand homme un air comme celui de la Calunnia. Sans prétendre égaler Rossini à Raphaël, je dirai que c'est ainsi que Raphaël copiait Michel-Ange dans la belle fresque86 du prophète Isaïe, à l'église de Saint-Augustin, près la place Navone à Rome.

Le Matrimonio segreto n'a rien d'aussi fort dans le genre triste que:

 
E il meschino calunniato.
 

Le duetto

 
Dunque io son… tu non m'inganni?
 

nous représente une jolie femme de vingt-six ans, assez galante et fort vive, qui consulte un confident sur les moyens d'accorder un rendez-vous à un homme qui lui plaît. Je ne croirai jamais que l'amour chez une jeune fille, même à Rome, soit à ce point privé de mélancolie, et j'oserai dire d'une certaine fleur de délicatesse et de timidité.

 
Lo sapevo pria di te,
 

est une phrase musicale qui, au nord des Alpes, pourrait sembler hors de la nature. C'est, suivant moi, bien gratuitement que Rossini s'est privé d'une grâce charmante: l'amour même le plus passionné ne vit que de pudeur; le priver de ce sentiment, c'est tomber dans l'erreur vulgaire des hommes grossiers de tous les pays. Je sais que quand on a seize opéras à se reprocher, on cherche le nouveau. Le bon et grand Corneille avoue un sentiment analogue dans l'examen de Nicomède; mais ce n'est pas ainsi que j'explique le manque de délicatesse de cet air de Rossini. Il eut à Rome, précisément pendant qu'il écrivait Torvaldo et le Barbier, de drôles d'aventures, bien plutôt dans le genre de Faublas que dans celui de Pétrarque. Involontairement, et par suite de cette susceptibilité de sentiment qui fait l'homme de génie dans les arts, il peignit les femmes qui l'aimaient, et que peut-être il aimait un peu. Sans s'en douter, il prenait pour juges de l'air qu'il écrivait à trois heures du matin, les femmes avec lesquelles il venait de passer la soirée, et aux yeux desquelles le sentiment timide et tendre eût passé pour le ridicule di un colegiale.

Rossini dut des succès incroyables et flatteurs à un sang-froid et à un désintérêt singuliers. L'opéra du Barbier, et plusieurs de ceux qu'il a écrits depuis, me portent à redouter ces succès; ne les devrait-il point à l'absence de toute différence entre les femmes? Je craindrais que ses succès auprès des grandes dames romaines ne l'aient rendu insensible à la grâce féminine. Dans le Barbier, dès qu'il faut être tendre, il devient élégant et recherché, mais ne sort pas du style tempéré; c'est presque Fontenelle parlant d'amour. Cette manière est fort bien dans l'usage de la vie, mais elle ne vaut rien pour la gloire. Je trouve bien plus d'énergie et d'abandon dans les premiers ouvrages de Rossini: comparez la Pietra del Paragone, Demetrio e Polibio, l'Aureliano in Palmira au Barbier. Je soupçonne qu'il est devenu un peu incrédule en amour: c'est un grand pas de fait comme philosophe pour un homme de vingt-quatre ans; tant mieux pour sa tranquillité, mais tant pis pour son talent. Canova et Vigano avaient le ridicule d'aimer.

Une fois le genre du roman de Crébillon adopté pour la couleur générale du Barbier, il est impossible de voir plus d'esprit et de cette originalité piquante qui fait le charme de la galanterie, que dans:

 
Sol due righe di biglietto
 
 
Il maestro faccio a lei!
Donne, donne, eterni Dei!
 

Voilà encore de la vraie musique française dans toute sa pureté et dans tout son brillant. Les partis et les v… ont beau faire pour nous rendre sérieux, nous pourrons encore longtemps être accusés d'indifférence en beaucoup de matières. Il y a peut-être encore un siècle d'intervalle entre nos jeunes gens et le Claverhouse ou le Henri Morton d'Old Mortality. Grâces au ciel, la France est encore pour longtemps le pays de la galanterie aimable et légère. Or, tant que cette galanterie fera le trait principal de notre société et du caractère national, le Barbier de Séville et le duetto Sol due righe di biglietto seront les modèles éternels de la musique française. Remarquez qu'en supposant Rosine une veuve de vingt-huit ans, comme la Céliante du Philosophe marié, ou la Julie du Dissipateur, l'on ne trouve presque plus rien à reprendre dans le ton de son amour. Rappelons-nous encore que la musique ne peut pas plus rendre un ton affecté, que la peinture peindre des masques. On voit qu'avec une idée, quelque agréable qu'elle soit, Rossini a toujours peur d'ennuyer. Comparez ce duetto, Sol due righe di biglietto, avec celui de Farinelli, dans le Mariage secret, entre le Comte et Elisetta (mademoiselle Cinti et Pellegrini, les mêmes acteurs qui chantent le duetto du Barbier), vous remarquerez à chaque instant, et surtout vers la fin, des phrases que Rossini eût syncopées dans la crainte de paraître long.

Il y a du bonheur véritable, mais toujours du bonheur de veuve alerte, et non pas de jeune fille de dix-huit ans, dans

 
Fortunati i affetti miei!
 

Reprenant l'ensemble de ce morceau, il y a peu de duetti tragiques dans lesquels Rossini se soit élevé à cette hauteur de force et d'originalité. J'en conclurais volontiers que si Rossini fût né avec cinquante mille livres de rente, comme son collègue M. Meyerbeer, son génie se fût déclaré pour l'opéra buffa. Mais il fallait vivre; il trouva mademoiselle Colbrand qui ne chante que l'opéra séria, toute puissante à Naples; et dans le reste de l'Italie, cette police, aussi ridicule dans les détails qu'impuissante pour les grandes choses, a établi que le billet d'entrée au théâtre se paierait un tiers de plus pour l'opéra semi-seria, comme l'Agnese, que pour l'opéra buffa, comme le Barbier; ce qui fait voir que les sots de tous les pays, littéraires ou non, s'imaginent que le genre comique est le plus facile. Auraient-ils la conscience du rôle qu'ils jouent dans le monde, et celle de leur nombre? Ce sont les premières idées de cette même police, inventée il y a quarante ans par Léopold, grand-duc de Toscane, qui ont privé l'Italie de ce beau genre de littérature indigène, la commedia dell'arte, celle qu'on jouait à l'impromptu, et que Goldoni crut remplacer par son plat dialogue. Le peu de vraie comédie qui existe encore en Italie, se trouve aux marionnettes, admirables à Gênes, à Rome, à Milan, et dont les pièces non écrites échappent à la censure, et sont filles de l'inspiration du moment et des intérêts du jour. Croirait-on qu'un homme d'État tel que le cardinal Consalvi, un homme qui sait gouverner son maître d'abord, et ensuite l'État pas trop mal, et qui eut jadis l'esprit d'être l'ami intime de Cimarosa, passe trois heures à éplucher les paroles d'un misérable libretto d'opéra buffa (historique, 1821)! Le lecteur est bien loin d'être à même de juger de tout le ridicule de cette conduite. Le cardinal trouvait que le mot cozzar (lutter) était répété trop souvent dans le libretto. Il se donnait tant de soins par tendresse pour les mœurs romaines, et pour les conserver pures et sans taches.

78.Je demande pardon aux Allemands de parler de leur musique d'opéra avec peu de respect; je suis sincère. Du reste, l'on ne peut pas douter de mon estime pour le peuple qui a produit Luther. Les Allemands peuvent voir que je ne ménage pas la musique de mon propre pays, au risque de passer pour mauvais citoyen.
79.La guerre du gendarme contre la pensée présente partout des circonstances burlesques. En 1823, l'on ne veut pas permettre à Talma la représentation de Tibère, tragédie de Chénier, qui est mort il y a dix ans, de peur des allusions. Allusions à qui? et de la part d'un poëte mort en 1812 en exécrant Napoléon.
  A Vienne, l'on vient de suspendre les représentations d'Abufar, charmant opéra de M. Caraffa, comme pouvant porter les peuples à un amour illicite. D'abord, il n'y a pas amour criminel, puisque Farhan n'est pas frère de Salema; et plût à Dieu que les jolies Viennoises ne pussent être fourvoyées que par le sentiment! Ce n'est pas l'amour, quel qu'il soit, c'est le châle qui est funeste à la vertu.
80.En réalité le 20 Février 1816. N. D. L. E.
81.Comme à l'église de Gesù, à Rome, les 31 décembre et 1er janvier de chaque année.
82.Mœurs et Coutumes des nations indiennes, ouvrage traduit de l'anglais de Jean Heckewelder, par M. du Ponceau. Paris, 1822.
83.L'Allemand, qui met tout en doctrine, traite la musique savamment; l'Italien voluptueux y cherche des jouissances vives et passagères; le Français, plus vain que sensible, parvient à en parler avec esprit; l'Anglais la paie et ne s'en mêle pas. (Raison, Folie, tome I, page 230.)
84.Première représentation du Matrimonio segreto en 1793 à Vienne. L'empereur Joseph s'en fait donner une seconde représentation dans la même soirée.
85
  Voir le croquis des amours de la Zitella Borghèse, dans les lettres du président de Brosses sur l'Italie, tome II, page 250
Et sequitur leviterFilia matris iter.

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86.Edition de 1824: «Dans le bel à fresque»
  N.D.L.E.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
271 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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