Kitabı oku: «La vie de Rossini, tome I», sayfa 4
Le jour même où je fais transcrire cette page, je vois que l'on fait chanter le grand rôle bouffe de l'Italiana in Algeri par mademoiselle Naldi.
Un des premiers ouvrages de M. Paër est l'Oro fa Tutto (1793). Son premier chef-d'œuvre est la Griselda (1797). A quoi bon parler de cet opéra qui a fait le tour de l'Europe? Tout le monde connaît l'air délicieux chanté par le ténor. Tout le monde admire Sargine (1803). Je mettrais volontiers ces deux opéras au-dessus de tout ce qu'a fait M. Paër. L'Agnese ne me paraît pas du même rang; elle doit son succès européen à la facilité qu'il y a d'imiter d'une manière effrayante les fous, que personne ne se soucie d'aller étudier avec trop de détails dans les retraites affreuses où les place la pitié publique. L'âme profondément ébranlée par le spectacle horrible d'un père devenu fou parce que sa fille l'a abandonné, s'ouvre facilement aux impressions de la musique. Galli, Pelegrini, Ambrogetti, Zuchelli, ont été sublimes dans le rôle du fou. Ce succès ne m'empêche pas de croire que les beaux-arts ne doivent jamais s'emparer des sujets horribles. La charmante piété filiale de Cordelia me console de la folie de Lear (tragédie de Shakspeare); mais rien ne rend supportable pour moi l'état affreux où se trouve le père de l'Agnèse. La musique centuplant ma sensibilité, me rend cette scène horrible tout à fait insupportable. L'Agnese fait pour moi souvenir désagréable, et d'autant plus désagréable que le sujet est plus vrai. C'est comme la mort: on fera toujours peur aux hommes en leur parlant de la mort; mais leur en parler sera toujours une sottise ou un calcul de prêtre. Puisque la mort est inévitable, oublions-la.
La Camilla (1798), quoique devant en partie son succès à la mode de l'horreur qui, dans ce temps-là, nous valut les romans de madame Radcliffe, a cependant plus de mérite que l'Agnese; le sujet est moins horrible et plus tragique. Bassi, l'un des premiers bouffes de l'Italie, était excellent dans le rôle du valet, lorsque, couché entre les jambes de son maître, et chantant fort pour le réveiller, il lui crie:
Signor, la vita è corta,
Partiam per carità.
A tout moment dans cette pièce on trouve de la déclamation chantée, comme Gluck. C'est la plus triste chose du monde, cela est dur; or, dès qu'il n'y a pas douceur pour l'oreille, il n'y a pas musique.
Madame Paër, femme du compositeur, et fort bonne cantatrice, s'est toujours acquittée, en Italie, du rôle de Camille; elle y a eu les plus grands succès, et ces succès ont duré dix ans; je ne vois guère aujourd'hui que madame Pasta qui pût jouer Camille avec talent. Ce talent amènerait-il la vogue? Rossini nous a accoutumés à la surabondance des idées, Mozart à leur profondeur; il est peut-être bien tard pour la musique de Gluck.
Après MM. Mayer et Paër, les deux hommes célèbres de l'interrègne qui s'écoula entre Cimarosa et Rossini, il me reste à nommer quelques talents inférieurs. Je renvoie ces noms-là à l'appendice14.
IV
MOZART EN ITALIE
J'oubliais qu'il faut encore parler de Mozart, avant de nous occuper pour toujours, et exclusivement, de Rossini.
La scène musicale en Italie était occupée depuis dix ans par MM. Mayer, Paër, Pavesi, Zingarelli, Generali, Fioravanti, Weigl, et par une trentaine de noms plus ou moins oubliés aujourd'hui, et qui y régnaient tranquillement. Ces messieurs se croyaient les successeurs des Cimarosa et des Pergolèse, le public le croyait aussi; Mozart parut tout à coup comme un colosse au milieu de tous ces petits compositeurs italiens, qui n'étaient grands que par l'absence des grands hommes.
Mayer, Paër, et leurs imitateurs, cherchaient depuis longtemps à adapter le genre allemand au goût italien, et, comme tous les mezzo-termine, plaisant aux faibles des deux partis, ils avaient des succès flatteurs pour qui n'est pas difficile en admiration. Mozart, au contraire, comme tous les grands artistes, n'ayant jamais cherché qu'à se plaire à lui-même, et aux gens qui lui ressemblaient, Mozart, tel qu'un conspirateur espagnol, ne pouvait se flatter de prendre la société que par les sommités; ce rôle est toujours dangereux.
D'ailleurs, la présence personnelle lui manquait; il n'était pas là pour flatter les puissants, payer les journaux, et faire mettre son nom dans la bouche de la multitude: aussi n'a-t-il pénétré en Europe que depuis sa mort. Ses rivaux étaient présents, écrivaient leur musique pour les voix des acteurs, composaient de petits duos pour la maîtresse du prince, se conciliaient des protections; et cependant qu'est-ce aujourd'hui qu'une musique de Mayer ou de ***, à côté d'un opéra de Mozart? La position était inverse en Italie vers l'an 1800. Mozart était un barbare romantique, voulant envahir la terre classique des beaux-arts. Il ne faut pas croire que cette révolution, qui nous semble si naturelle aujourd'hui, se soit faite en un jour.
Mozart, encore enfant, avait fait deux opéras pour le théâtre de la Scala à Milan, Mitridate, en 1770, et Lucio Silla, en 177315, avait quatorze ans lorsqu'il écrivit le Mitridate.
16, ou Di tanti palpiti, de Tancrède. Les symphonistes italiens se mirent à travailler, mais il ne sortait rien de cet océan de notes, qui noircissaient la partition de cet étranger. Il fallait d'abord que tout le monde allât en mesure, et surtout entrât et sortît juste, au moment prescrit. Les paresseux appelèrent cela de la barbarie; ce mot fut sur le point de prendre, et l'on faillit renoncer à Mozart. Cependant, quelques jeunes gens riches, que je pourrais nommer, et qui avaient plus d'orgueil que de vanité, trouvèrent ridicule, pour des Italiens, de renoncer à de la musique comme trop difficile; ils menacèrent de retirer leur protection au théâtre où l'opéra allemand était en répétition, et l'on donna enfin l'œuvre de Mozart. Pauvre Mozart! des personnes qui se trouvaient à cette représentation, et qui, depuis, ont appris à aimer ce grand homme, m'ont assuré n'avoir jamais vu de tel charivari. Les morceaux d'ensemble, et surtout les finales, produisaient une cacophonie épouvantable; on eût dit un sabbat de diables en colère. Deux ou trois airs, et un duetto, surnagèrent au milieu de cet océan de cris discordants, et furent assez bien exécutés.
Le même soir il se forma deux partis. Le patriotisme d'antichambre, comme disait M. Turgot à propos du Siège de Calais, tragédie nationale, en 1763; le patriotisme d'antichambre, qui est la grande maladie morale des Italiens, se réveilla dans toute sa fureur, et déclara dans tous les cafés que jamais homme né hors de l'Italie ne parviendrait à faire un bon air. Le chevalier M… dit alors avec cette mesure parfaite qui le caractérise: Gli accompagnamenti tedeschi non sono guardie d'onore pel canto, ma gendarmi.
L'autre parti, guidé par deux ou trois jeunes militaires, qui avaient été à Munich, soutenait qu'il y avait dans Mozart, non pas assurément des morceaux d'ensemble, mais deux ou trois petits airs, ou duetti, écrits avec génie, et, mieux encore, écrits avec nouveauté. Les gens à honneur national eurent recours à leur grand argument, ils déclarèrent qu'il fallait être mauvais Italien pour admirer de la musique faite par un ultramontain. Au milieu de ces cris, les représentations de l'opéra de Mozart arrivèrent à leur fin, l'orchestre jouant plus mal chaque soir. Les gens supérieurs (et il y a souvent dans une grande ville d'Italie, deux ou trois hommes à vues profondes, mais génies à la Machiavel, défiants, persécutés, sombres, qui se gardent bien de parler à tout venant, et à plus forte raison d'écrire), ces gens dirent: «Puisque le nom de Mozart excite tant de haine, puisqu'on met tant d'acharnement à prouver qu'il est médiocre, puisque nous lui voyons prodiguer des injures qu'on n'a jamais adressées aux Nicolini et aux Puccita (les plus faibles des compositeurs de l'époque), il serait bien possible que cet étranger eût un coin de génie.»
Voilà ce qu'on disait chez la comtesse Bianca et dans d'autres loges de personnes de la première distinction de la ville, que je ne nomme pas pour ne point les compromettre. Je passe sous silence les injures grossières des journaux écrits par les agents de la police. La cause de Mozart semblait perdue, et scandaleusement perdue.
Un amateur de musique, fort noble et fort riche, mais qui n'avait pas grand sens, de ces gens qui se font une existence dans le monde en adoptant, tous les six mois, quelque paradoxe qu'ils répètent partout et à tue-tête, ayant su, par une lettre qu'une de ses maîtresses lui écrivait de Vienne, que Mozart était le premier musicien du monde, se mit à en parler avec mystère. Il fit appeler les six meilleurs symphonistes de la ville, qu'il éblouissait de son luxe, et étourdissait du fracas de ses chevaux anglais et de ses calèches fabriquées à Londres, et il fit essayer en secret à ces musiciens le premier finale de Don Juan. Son palais était immense; il leur abandonna tout un corps de logis situé sur les jardins. Il menaça de toute sa colère quiconque oserait parler; et quand un homme riche en vient à ces paroles en Italie, il est sûr d'être obéi. Celui dont je parle avait à ses ordres cinq ou six buli de Brescia, capables de toutes les violences.
Il ne fallut pas moins de six mois aux symphonistes du prince pour parvenir à jouer in tempo (en mesure) le premier finale de Don Juan. Alors pour la première fois, ils virent apparaître Mozart. Le prince prit six chanteurs et chanteuses, auxquels il ordonna la discrétion. En deux mois de travail, les chanteurs furent instruits. Le prince fit exécuter à sa maison de campagne, toujours avec le secret d'une conspiration, les finales et les principaux morceaux d'ensemble de Don Juan. Il a de l'oreille comme tous les gens de son pays, il les trouva bien. Assuré de cet effet, il devint un peu moins mystérieux en parlant de Mozart; il se laissa attaquer, il arriva enfin à engager un pari considérable pour l'amour-propre, et qui, au milieu de cette tranquillité profonde d'une ville d'Italie, devint bientôt la grande nouvelle de toute cette partie de la Lombardie. Il avait parié qu'il ferait exécuter quelques morceaux de Don Juan, et que messieurs tels et tels, des juges impartiaux, des noms desquels l'on convint sur-le-champ, diraient que Mozart était un homme à peu près du mérite de Mayer et de Paër, péchant comme eux par trop d'amour pour le tapage et le fatras germanique mais en tout presque aussi fort que les auteurs de Sargine et de Cora. On mourait de rire, à ce que l'on m'a conté, rien qu'à entendre ces assertions. Le prince, dont la vanité goûtait des plaisirs très vifs, retarda le grand jour sous divers prétextes; il vint enfin ce jour mémorable. Le concert d'épreuve eut lieu à la maison de campagne du prince, qui gagna tout d'une voix; et pendant deux ans, il en a été plus fat de moitié.
Cet événement fit du bruit; on se mit à jouer Mozart en Italie. A Rome, vers 1811, on estropia Don Juan. Mademoiselle Eiser, celle qui a joué un rôle au congrès de Vienne, et qui fit un instant oublier l'Apocalypse à de grands personnages, jouait aussi un rôle dans Don Juan, et fort bien. Sa voix était admirable, mais l'orchestre n'allait en mesure que par hasard, les instruments couraient les uns après les autres; cela ressemblait toujours à une symphonie de Haydn jouée par des amateurs (ce dont le ciel veuille nous garder). Enfin, en 1814, on donna Don Juan à la Scala, succès d'étonnement. En 1815, on donna les Noces de Figaro, qui furent mieux comprises. En 1816, la Flûte enchantée tomba et ruina l'entreprise Petrachi; mais la reprise de Don Juan eut enfin un succès fou, si l'on peut appeler fou un succès lorsqu'il s'agit de Mozart.
Aujourd'hui Mozart est à peu près compris en Italie, mais il est loin d'y être senti. Son principal effet dans l'opinion publique a été de jeter au second rang Mayer, Weigl, Winter, et toute la faction allemande.
En ce sens, il a aplani les voies à Rossini, dont l'immense réputation ne date que de 1815, et qui, en paraissant sur l'horizon, n'a trouvé de rivaux que MM. Pavesi, Mosca, Guglielmi, Generali, Portogallo, Nicolini, et autres derniers imitateurs du style des Cimarosa et des Paisiello. Ces messieurs jouaient à peu près le rôle que font aujourd'hui en France les derniers copistes du style épique et magnifique, et des scènes nobles de Racine. Ils étaient sûrs d'être extrêmement applaudis, extrêmement loués, et en beau style; mais il restait toujours un peu d'ennui au fond de l'âme de leurs prôneurs, qui, partant, étaient toujours prêts à se fâcher. C'étaient des succès comme ceux de Saül, du Maire du palais, de Clytemnestre, de Louis IX; personne dans la salle n'osait convenir de l'ennui, et chacun, tout en bâillant, prouvait à son voisin que c'était fort beau.
V
DU STYLE DE MOZART
Aujourd'hui, en 1823, les Italiens, après une belle résistance de dix ans, ayant cessé d'être hypocrites en parlant de Mozart leur voix mérite d'être comptée, et leur jugement pris en considération.
Mozart n'aura jamais en Italie le succès dont il jouit en Allemagne et en Angleterre; c'est tout simple, sa musique n'est pas calculée pour ce climat; elle est destinée surtout à toucher, en présentant à l'âme des images mélancoliques, et qui font songer aux malheurs de la plus aimable et de la plus tendre des passions. Or, l'amour n'est pas le même à Bologne et à Königsberg; il est beaucoup plus vif en Italie, plus impatient, plus emporté, se nourrissant moins d'imagination. Il ne s'y empare pas peu à peu, et pour toujours, de toutes les facultés de l'âme; il l'emporte d'assaut, et l'envahit tout entière et en un instant; c'est une fureur; or, la fureur ne peut pas être mélancolique, c'est l'excès de toutes les forces, et la mélancolie en est l'absence. L'amour italien n'a encore été peint, que je sache, dans aucun roman, et de là vient que cette nation n'a pas de romans. Mais elle a Cimarosa, qui, dans le langage du pays, a peint l'amour supérieurement, et dans toutes ses nuances, depuis la jeune fille tendre, Ha! tu sai ch'io vivo in pene, de Carolina, dans le Matrimonio segreto, jusqu'au vieillard, fou d'amour, Io venia per sposarti. J'abandonne ces idées sur la différence de l'amour dans les divers climats, qui nous mèneraient à une métaphysique infinie. Les âmes faites pour comprendre ces sortes de pensées, qui sont presque des sentiments, m'entendront de reste, sur le peu que j'en ai dit; quant aux autres, et c'est l'immense majorité, elles n'y verront jamais que de la métaphysique ennuyeuse; tout au plus, si la mode en venait, elles daigneraient apprendre par cœur une vingtaine de phrases sonores sur cet objet, mais je ne me sens pas d'humeur à faire des phrases pour ces sortes de gens.
Revenons à Mozart et à ses chants pleins de violence, comme disent les Italiens. Il a paru sur l'horizon avec Rossini, vers l'an 1812; mais j'ai grand'peur qu'on ne parle encore de lui quand l'astre de Rossini aura pâli. C'est qu'il a été inventeur de tous points et dans tous les sens; il ne ressemble à personne, et Rossini ressemble encore un peu à Cimarosa, à Guglielmi, à Haydn.
La science de l'Harmonie peut faire tous les progrès qu'on voudra supposer, on verra toujours avec étonnement que Mozart est allé au bout de toutes les routes. Ainsi, quant à la partie mécanique de son art, il ne sera jamais vaincu. C'est comme un peintre qui entreprendrait de faire mieux que le Titien, pour la vérité et la force des couleurs; ou mieux que Racine, pour la beauté des vers, la délicatesse et la convenance des sentiments.
Quant à la partie morale, Mozart est toujours sûr d'emporter avec lui, dans le tourbillon de son génie, les âmes tendres et rêveuses, et de les forcer à s'occuper d'images touchantes et tristes. Quelquefois la force de sa musique est telle, que l'image présentée restant fort indistincte, l'âme se sent tout à coup envahie et comme inondée de mélancolie. Rossini amuse toujours, Mozart n'amuse jamais; c'est comme une maîtresse sérieuse et souvent triste, mais qu'on aime davantage, précisément à cause de sa tristesse; ces femmes-là, ou manquent tout à fait de faire effet, et passent sous le nom de prudes, ou, si elles touchent une fois, font une impression profonde et s'emparent de l'âme tout entière et pour toujours. Mozart est à la mode dans la haute société, qui, quoique nécessairement sans passions, prétend toujours faire croire qu'elle a des passions, et qu'elle est éprise des grandes passions. Tant que cette mode durera, l'on ne pourra pas juger avec sûreté du véritable effet de sa musique sur le cœur humain.
En Italie, il y a certains amateurs qui, quoique en petit nombre, parviennent, à la longue, à faire l'opinion dans les beaux-arts. Leur succès vient: 1º de ce qu'ils sont de bonne foi; 2º de ce que peu à peu leur voix se fait entendre de tous les esprits faits pour avoir une opinion, et qui n'ont besoin que de l'entendre énoncer; 3º enfin, de ce que, pendant que tout change autour d'eux, suivant les caprices de la mode, eux n'élèvent jamais la voix, mais, quand ils sont interrogés, répètent toujours et avec modestie le même sentiment.
Ces gens-là ont été amusés par Rossini, ils ont applaudi avec transport la Pietra del Paragone et l'Italiana in Algeri; ils ont été touchés du quartetto de Bianca e Faliero; ils disent que Rossini a porté la vie dans l'opéra seria; mais, au fond, ils le regardent comme un brillant hérésiarque, comme un Pierre de Cortone (peintre du plus grand effet, qui éblouit l'Italie pendant un temps, et fit presque tomber Raphaël, qui semblait froid; Raphaël avait justement plusieurs des qualités tendres et des perfections modestes qui caractérisent Mozart. Rien ne fait moins de fracas en peinture que l'air modeste et la céleste pureté d'une vierge du peintre d'Urbin; ses yeux divins sont abaissés sur son fils: si ce cadre ne s'appelait pas Raphaël, le vulgaire passerait sans daigner s'arrêter devant une chose si simple, et qui, pour les âmes communes, est une chose si commune).
Il en est de même du duetto:
Là ci darem la mano
Là mi dirai di si.
Si cela ne s'appelait pas Mozart, cette mesure lente paraîtrait le comble de l'ennui à la plupart de nos dandys.
Ils sont au contraire réveillés et électrisés par l'air Sono docile de Rosine dans le Barbier de Séville. Qu'importe que cet air soit un contre-sens? est-ce qu'ils voient les contre-sens?
La durée de la réputation de Mozart a un bonheur, c'est que sa musique et celle de Rossini ne s'adressent presque pas aux mêmes personnes; Mozart peut presque dire à son brillant rival ce que la tante dit à la nièce, dans la comédie des Femmes de Dumoustier:
Va,
Tu ne plairas jamais à qui j'aurai su plaire.
Ces gens de goût d'Italie, dont je parlais naguère, disent que si Rossini ne brille pas par la verve comique et la richesse d'idées au même degré que Cimarosa, il l'emporte sur le Napolitain par la vivacité et la rapidité de son style. On le voit sans cesse syncoper les phrases que Cimarosa prend toujours le soin de développer jusque dans leurs dernières conséquences. Si Rossini n'a jamais fait un air aussi comique que
Amicone del mio core,
Cimarosa n'a jamais fait de duetto aussi rapide que celui d'Almaviva avec Figaro,
Oggi arriva un reggimento
È mio amico il colonello,
(1er acte du Barbier).
ou un duetto aussi léger que celui de Rosine avec Figaro (1er acte). Mozart n'a rien de tout cela, ni légèreté, ni comique; il est le contraire, non-seulement de Rossini, mais presque de Cimarosa. Jamais il ne lui serait venu de ne pas mettre de mélancolie dans l'air
Quelle pupille tenere,
des Horaces.
Il ne comprenait pas qu'on pût ne pas trembler en aimant.
Plus on se laisse ravir, plus on se nourrit de la musique de Rossini et de Cimarosa, plus on se cultive pour la musique de Mozart; plus on sera saturé des mesures vives et des petites notes de Rossini, plus on reviendra avec plaisir aux grosses notes et aux mesures lentes de l'auteur de Così fan tutte.
Mozart n'a, je crois, été gai que deux fois en sa vie; c'est dans Don Juan, lorsque Leporello engage à souper la statue du commandeur, et dans Così fan tutte; c'est justement aussi souvent que Rossini a été mélancolique. Il n'y a rien de sombre dans la Gazza ladra, où un jeune militaire voit condamner à mort sous ses yeux, et mener au supplice, une maîtresse adorée. Il n'y a de mélancolique dans Otello que le duetto des deux femmes, la prière et la romance. Je citerai ensuite le quartetto de Bianca e Faliero, le duetto d'Armide, et même le superbe trait instrumental au moment où Renaud, agité de mille passions, s'éloigne pour se rapprocher ensuite: ce duetto sublime est précisément de l'amour italien, et ce n'est pas de la mélancolie qu'il exprime. C'est de la passion sombre et forte ou bien délirante.
Il n'y a pas une idée de commune entre les véritables chefs-d'œuvre de Rossini, la Pietra del Paragone, l'Italiana in Algeri, Tancredi, Otello, et les opéras de Mozart. La ressemblance, mais ressemblance qui ne pénètre pas plus avant que le physique du style, la ressemblance, si ressemblance y a, est venue plus tard, quand, dans la Gazza ladra et dans l'introduction de Moïse, Rossini a voulu se rapprocher du style fort des Allemands.
Jamais Rossini n'a fait quelque chose d'aussi touchant que le duetto:
Crudel, perchè finora farmi languir così?
Jamais il n'a fait quelque chose d'aussi comique que:
Mentr'io ero un mascalzone,
ou bien encore le duel des Nemici generosi, de Cimarosa, si bien joué à Paris, il y a quinze ans, par l'inimitable Barilli.
Mais jamais Mozart et Cimarosa n'ont fait quelque chose d'aussi vif et d'aussi léger que le duetto:
D'un bel uso di Turchia
du Turco in Italia. Cela est Français dans tout le beau de l'expression.
C'est, ce me semble, dans ce sens qu'il faut marcher pour bien se pénétrer du style de ces trois grands maîtres, qui, suivis chacun de la tourbe de ses imitateurs, se partagent maintenant en Europe la scène musicale. Pour qui sait entendre, on les imite même dans les petites musiques de Feydeau. Mais occupons-nous enfin de Rossini.