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Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 1/3», sayfa 11

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XXVI

Après un entretien nautique, de Ruyter changea le sujet de la conversation et me dit en souriant:

– Tout ce que je vous ai raconté à Bombay est vrai, mon cher enfant; là, j'étais simplement un marchand, mais, comme j'ai fini mes affaires mercantiles, je suis prêt à fréter un vaisseau ou à me battre; mais généralement, quelques bonnes et pacifiques que soient mes intentions, je suis toujours forcé de commencer par le dernier. Ma conduite n'est cependant pas invariable, le grab et moi nous sommes à la merci des circonstances.

– Comment allons-nous régler notre course maintenant?

– Dans cette vaste mer, sillonnée en tous sens par des aventuriers européens en guerre ouverte avec les rajahs, se disputant entre eux la pâture, se déchirant, se coupant la gorge les uns aux autres pendant que les loups anglais s'insinuent au milieu de la bagarre et filent avec les bestiaux, l'occupation ne peut pas nous manquer, quoiqu'il soit nécessaire de faire un choix avant de décider un plan d'attaque. D'abord, il faut que nous allions à Goa, et après y avoir réglé quelques affaires et rendu le dow, nous nous réunirons. Quel âge avez-vous, Trelawnay?

– Dix-sept ans.

– Dix-sept ans! je croyais que vous en aviez vingt-quatre. C'est bien, n'importe votre âge, un tronc vert produit souvent le plus mûr et le plus riche des fruits. L'expérience que vous acquerrez bientôt et beaucoup de contrôle sur vos passions vous donneront toutes les qualités nécessaires pour faire un bon chemin dans la vie, soit que vous adoptiez la carrière maritime, soit que vous en choisissiez une autre, car vous êtes et serez toujours libre de vos actions. Si vous préférez travailler sur terre, j'ai des amis çà et là qui, par amitié pour vous et par considération pour moi, seront heureux de vous employer. Si vous restez avec moi, je n'ai pas besoin de vous dire que vous serez toujours le bienvenu. Mais ma vie est une vie rude, et si vous allez juger mes actions d'après les narquois raisonnements du monde, vous pourrez voir leur légalité comme étant quelque chose de plus que douteux; il vaut peut-être mieux ne pas hasarder votre réputation.

– Au diable tout cela, de Ruyter! Avec votre permission, je resterai où je suis; je vous ai déjà dit que je désirais partager votre existence, et, je vous le répète encore, je ne veux pas connaître vos projets; vous m'apprendrez ce que vous voudrez, lorsque vous me croirez assez d'expérience pour vous aider de mes conseils.

– Vous êtes un homme pour l'intelligence, et vous avez plus de fermeté dans le caractère que la plupart de ceux avec lesquels j'ai eu des relations. Pour quelque chose que j'ai fait, les sauterelles dévorantes de l'Europe m'ont dénoncé comme boucanier. Ces sordides fripons, qui arracheraient les yeux de leurs pères, s'ils étaient des muscades, ne permettent à aucun homme de chauffer son sang avec de l'épice ou de le rafraîchir avec du thé, sans qu'ils y trouvent leur profit, comme ils nomment cela, leur dustoory. Ils accaparent tout, et dès que dans un coin il y a quelque chose à gagner, ils en trouvent, ils en suivent la piste, et ils la suivraient au travers du sang et de la boue sans vouloir admettre personne au partage du butin.

Maintenant, j'aime aussi l'épice et le thé, et leur système de droit exclusif n'étant pas en harmonie avec mes idées, j'entrepris un commerce pour moi-même. Ils me dénoncèrent, saisirent mon vaisseau, et me firent faire banqueroute. Mais je ne me suis ni laissé pourrir en prison, ni anéantir par un abject désespoir. Je n'ai pas non plus prodigué mon temps à écrire de misérables pétitions. Je me suis relevé seul, comme un lion blessé et non vaincu; et, quoique borné par d'étroites limites, je pris la résolution de rendre coup pour coup.

Entre ma ruine et mon retour à une vie maritime, je satisfis mon désir de voir l'intérieur de l'Inde, et j'en traversai la plus grande partie. Je demeurai quelque temps avec Tippoo Saïb. Lui seul possède toutes les grandeurs de la noblesse. Je l'accompagnai dans quelques-unes de ses principales batailles; mais vous connaissez sa destinée. À cette époque, je fus du nombre de ces enthousiastes visionnaires qui, poussés par un amour ardent de la liberté, essayaient d'arrêter le courant qui emporte les hommes faibles et sans résistance.

Comme un pauvre torrent de la montagne se débattant contre l'entraînement d'une puissante rivière, j'écumai et je luttai pour soutenir ma cause; mais ce fut en vain, je fus emporté comme les autres jusqu'à ce que, mêlé avec eux, je me trouvai perdu dans le vaste océan. Je croyais sottement qu'on pouvait persuader aux hommes de mettre de côté pendant une saison leurs propres intérêts, et laisser dormir leurs passions, comme dorment les scorpions en hiver, jusqu'à ce que le soleil de la liberté apparût et leur donnât le loisir, sans être interrompus par une invasion étrangère, de reprendre leurs dissensions civiles et religieuses.

Je conjurai les princes et les prêtres (les avoués du monde) de relâcher leur prise sur la gorge des uns et des autres, jusqu'à ce que l'ennemi général fût chassé du pays à la mer d'où il était venu. Mais la vérité ressemble à une arme meurtrière dans la main d'un enfant, elle n'est dangereuse que pour lui seul. Ma doctrine fut trouvée damnable; je me sauvai avec difficulté pour éviter de voir mon nom compléter la longue liste des martyrs.

Dans toutes les parties de l'Est, j'ai vu la nécessité d'une grande révolution morale. Le vieux système est établi là dans toute la grisâtre horreur de la désolation et de la décadence; il y restera triste et hideux jusqu'à ce qu'un autre, entièrement nouveau, précipite sa chute par son élévation. Le temps seul peut opérer cette métamorphose, et les efforts des mains semblables aux miennes, pour hâter son pas de tortue, sont vains et puérils.

– Il me semble, de Ruyter, qu'en Europe il y a des hommes dont les esprits, aussi bien que les mains, ont déjà commencé l'ouvrage de la régénération.

– Oui, mais pour eux-mêmes, comme parmi les natifs ici. L'Europe est l'enfant d'un vieillard, un avorton dénaturé et ridé, créé des débris de l'Est, raccommodés et unis ensemble avec ingénuité, mais sans force. L'Europe est un bronze antique rapiécé et barbouillé de cosmétique; un petit modèle de plâtre d'après une statue de granit. Le doigt de la destruction est déjà dessus comme celui d'une mère spartiate sur son chétif enfant.

Mais je fus éveillé de mes rêves de réformation; j'avais dépensé mon or; je manquais de pain; je résolus donc d'aller vers le courant, en disant avec ce sage philosophe, le vieux Pistol:

 
«Le monde est mon huître; je l'ouvrirai avec mon épée!»
 

XXVII

Je retournai à la mer; j'allai à l'île Maurice, j'équipai à crédit un vaisseau armé, et j'eus bientôt quadruplé mon capital. Ma personne n'est pas beaucoup connue, cependant je ne me hasarde que rarement dans les résidences. Ma visite à Bombay avait un but, une affaire importante; ce n'était point pour y disposer de la mesquine cargaison du grab. Cependant, ajouta de Ruyter en riant, on pouvait m'attraper là; qu'en pensez-vous? Cette même cargaison, ils l'ont déjà payée une fois, et peut-être deux, si les premiers vendeurs n'en ont pas été fraudés. Il y a six mois que, croisant dans le grab sous les couleurs françaises, je détruisis un fainéant vaisseau de la compagnie d'Amboine, qui se mouvait lentement derrière son convoi. La cargaison du grab était la sienne. Je sais qu'il y a d'autres vaisseaux chargeant à Banda, et peut-être les rencontrerons-nous. Quand ils seraient ventrus comme des sangsues gorgées de sang, je les serrerai jusqu'à ce qu'ils en meurent.

Mais le soleil s'abaisse dans les vagues, et son manteau couleur de sang nous présage une brise. Je n'ai que ceci à ajouter: je ne suis pas un chien affamé, assis tranquille dans l'espoir de ronger un des os que ces nobles marchands blanchissent en général avec assez de succès avant de les laisser tomber. Laissons-les se gorger jusqu'à ce que, comme le vautour, le poids de leur ventre entraîne leurs ailes; alors, semblables aux faucons, après les avoir guettés attentivement, nous tomberons sur eux. Il n'y a pas de mal à dépouiller les voleurs. Un convoi de vaisseaux de pays, appartenant à la Compagnie, est parti pour les îles épicières. À propos, Trelawnay, il faut que vous vous transformiez en Arabe. Sous ce déguisement, ils ne pourront pas vous découvrir. J'ai écrit tout ce qu'il faut faire. Continuez votre course jusqu'à Goa, où je vous suivrai. Ne quittez pas le vaisseau jusqu'à mon arrivée. Le marchand perse, pour lequel j'ai préparé une lettre, fera tout ce que vous désirerez. Voyez, la brise s'élève; tirez le bateau bord à bord.

De Ruyter me serra la main, sauta dans le bateau et remonta sur le vieux dow.

Rien d'extraordinaire ne se présenta jusqu'à notre arrivée à Goa. Je m'étais habillé en Arabe, avec un large pantalon de couleur sombre, une veste écarlate et un grand chapeau de Mantois d'Astracan. Un châle de cachemire entourait ma taille, et dans ses plis j'avais mis un élégant poignard. Mes cheveux étaient rasés, à l'exception de la précieuse mèche du milieu de la tête, par laquelle les houris aux yeux noirs devaient m'emporter dans le paradis de Mahomet. Mes dents étaient teintes de la brillante couleur rouge des échecs; mon cou, mes bras et mes jointures, soigneusement frottés d'huile, étaient luisants et polis comme de l'ivoire. Les hommes du bord s'assemblèrent autour de moi, et d'une voix unanime, je fus déclaré un véritable Arabe.

Nous nous arrêtâmes près de la pointe du cap Ramas, et j'attendis toute la nuit l'arrivée du dow.

Vers le matin, je donnai l'ordre de jeter l'ancre dans le port de Goa. Le soleil s'était levé magnifiquement; il enveloppait dans ses rayons d'or les monastères de marbre, les arches des ponts et les colléges en ruines de l'ancienne ville. Ces ruines, disséminées sur une vaste étendue de terrain, montraient qu'autrefois elles avaient paré de leurs splendeurs éteintes une belle et florissante cité. La jetée était entaillée par la mer, et dans le port il n'y avait qu'un assemblage bigarré de petits bateaux appartenant à la Compagnie.

J'envoyai le rais dans la ville avec les papiers du vaisseau et la lettre de Ruyter destinée au marchand perse, puis, vers le soir, le dow arriva et vint jeter l'ancre sous notre poupe.

Le lendemain, de Ruyter alla dans la campagne à la rencontre de quelques agents envoyés par le rajah du Mysore et par un prince mahratte, me laissant à Goa pour y décharger le reste de la cargaison de café et de riz, y prendre lest et renouveler notre provision d'eau.

Quand de Ruyter reparut à Goa, il était accompagné par un Grec et par un Portugais, deux espions qu'il employait à la surveillance de ceux dont il avait à redouter le pouvoir. Les conférences de mon ami avec ces deux hommes avaient lieu pendant la nuit, dans les ruines d'un monastère de l'ancienne ville, tout près de la mer. Pour se rendre à ces rendez-vous, de Ruyter venait à bord du grab chercher un des bateaux, et l'équipage de ce bateau était choisi par lui-même.

Après avoir fait tous mes préparatifs pour nous remettre en mer, nous transportâmes hors du dow, qui devait être rendu à son propriétaire, les hommes et les choses dont nous avions besoin. Je touai le grab en dehors du port, et tous les soirs, au coucher du soleil, je guindais les bateaux à bord, afin d'être prêt à partir au premier signal.

Le dixième jour de notre arrivée dans le port de Goa, et au milieu de la nuit, je vis une lumière phosphorique et brillante sur la surface noire de l'eau, qui s'avançait vers nous avec une vitesse extraordinaire. Le bruit lointain du havre était calme et toute la ville était plongée dans une nuit profonde; cependant j'avais cru voir du mouvement sur la jetée, mais le bruit presque insaisissable de ce mouvement avait été emporté par les brises de la terre, et tout était redevenu silencieux.

Tout à coup j'entendis distinctement héler un bateau dans le port; ce cri se répéta plusieurs fois, et les intonations s'élevèrent à la rudesse d'un ordre donné avec fureur; puis des lumières apparurent le long du rivage, puis enfin un bruit d'avirons, de barres et de bateaux, comme s'il y en avait un qui se détachât des autres pour prendre sa course vers la terre. Le fracas augmentant, je dirigeai mes regards vers le premier objet qui avait attiré mon attention, et quoique tout parût tranquille, je distinguais toujours le bouillonnement de l'eau et la ligne de lumière qui, semblable à une étoile volante, courait dans le sillage du bateau. Par le bruit des avirons et par les coups longs et lourds que de Ruyter avait appris aux rameurs de son bateau préféré, je reconnus son approche, tout en m'étonnant de le voir rentrer avant l'heure habituelle. Je compris tout de suite qu'il courait un danger, et mon cœur battit sans qu'il me fût possible d'en préciser la cause. J'appelai vivement le sérang qui dormait (le rais était dans le bateau), je lui dis d'éveiller les hommes, et, dans mon impatience, je les jetai à bas des hamacs avec des coups de pied.

– Vite! armez le cabestan, détachez la misaine, lâchez les grandes voiles de l'avant à l'arrière!

Je retournai à l'embelle, d'où je vis distinctement le bateau, que je hélai.

Mais, au lieu de recevoir la réponse habituelle de Acbar, j'entendis une voix basse et contenue murmurer: Yup! yup! (silence! silence!) Ayant reçu des instructions à l'égard de ce signal, je me précipitai à l'avant, je saisis la hache qui était là toute prête, et j'ordonnai de lever le beaupré, afin de tourner le vaisseau. Impatienté de n'être pas assez lestement obéi, je coupai le câble et un morceau de la jambe d'un Arabe qui se trouvait à côté.

À ce moment, de Ruyter franchissait le bord:

– Vous avez bien fait de couper le câble, mon garçon, me dit-il; mais soyez moins emporté; vous avez blessé ce pauvre diable: envoyez-le à l'infirmerie. Chargez toutes les voiles immédiatement, j'irai à l'arrière. Les limiers ont trouvé la piste; ils croyaient nous prendre comme on prend les poules des jungles, mais ils trouveront une panthère qui n'est jamais endormie.

Le vaisseau se tourna lentement, et, comme je maudissais la longueur de sa quille et la légèreté de la brise qui le faisait se mouvoir avec une incroyable lourdeur, de Ruyter s'approcha de moi et me dit à voix basse:

– Armez les hommes, mais seulement avec leurs lances; ne laissez aucun bateau venir côte à côte du grab, ni même l'essayer. Parlez doucement; mais si un homme met la main sur l'échelle, tuez-le comme vous tueriez un sanglier. Pas de salpêtre, cela fait du bruit. Harponnez-les, mais seulement quand je vous le dirai. Il faut que je me tienne en arrière, afin de ne pas être vu; s'ils vous interrogent sur le marchand de Witt, dites que vous ne le connaissez pas.

Deux bateaux s'approchaient.

Le premier nous salua de ces paroles:

– Grab! holà! Arrêtez, je désire voir le capitaine.

Je dis au sérang de laisser tomber la grande voile, de détacher celle du perroquet, et je répondis:

– Nous allons en pleine mer; j'ai mes acquits du port, les papiers du vaisseau sont tous signés, je suis en règle, que voulez-vous? me faire perdre cette brise?

– Arrêtez de suite, monsieur, où nous allons vous y contraindre par l'ordre de faire feu sur vous.

– Ce serait un ordre absurde! m'écriai-je.

Nous n'avions pas assez de voiles sur notre vaisseau pour l'éloigner du premier bateau, qui appartenait au capitaine du port. De Ruyter ordonna aux hommes de se coucher sur le pont, tandis qu'il se tenait debout au gouvernail. De Ruyter allait me dire de me mettre à l'abri, quand, avec un éclat de lumière venant du bateau, une balle siffla près de ma tête et alla se loger dans le mât. Pour obéir aux ordres de Ruyter, mais bien à contre cœur, je ne rendis pas le coup. Bientôt après, comme le bateau s'élançait pour nous aborder, de Ruyter élargit le grab, et les agresseurs se trouvèrent à notre côté, sous le vent. Ne pouvant pas nous aborder là, ils perdirent du temps en reculant en poupe, avant qu'il leur fût possible de se servir des avirons. De cette manière (le vent s'était levé), nous les tînmes éloignés quelques minutes, pendant lesquelles aucune parole ne fut prononcée.

De Ruyter resta au gouvernail, tandis que moi et une partie des hommes armés de lances nous étions prêts à empêcher l'abordage. Le second bateau s'approchait; celui-là avait déjà tiré sur nous plusieurs coups de mousquet, mais ils furent perdus, car nous étions protégés par les bastingages du vaisseau. Le premier bateau avait saisi les chaînes de la poupe, et ils s'occupaient avec le plus grand sang-froid à tenter l'abordage. De Ruyter dit tout à coup: Cheela chae! (avancez, mes garçons!) Nous poussâmes nos lances à travers les sabords et trois ou quatre hommes tombèrent blessés en jetant des cris de douleur.

Malgré les ordres que donna un officier de recommencer l'attaque, ils ne voulurent pas la tenter; mais comme l'autre bateau s'avançait vers la poupe, j'avançai un des canons de l'arrière, et, le mettant hors du sabord, je hélai les deux bateaux en leur disant:

– Si vous tirez un autre coup dans notre sillage ou si vous continuez vos feux d'artifice sous notre poupe, vous entendrez le rugissement de ce serpent d'airain. Commandez où vous avez le pouvoir de forcer à l'obéissance, et non ici, où vous n'en avez aucun.

Je soufflai sur la mèche de coton, et ils virent abaissée au niveau de leur coquille de noix la brillante bouche d'airain du canon, avec laquelle je pouvais les faire sauter en l'air brisés en mille morceaux.

Ils retournèrent lentement au rivage, et les injures menaçantes de leur rage inassouvie se mêlèrent aux murmures des vagues, et furent emportées par le vent, pendant que notre vaisseau, chargé de voiles, glissait majestueusement hors du port.

XXVIII

Après avoir examiné la position de la terre, de Ruyter me frappa sur l'épaule en me disant d'un air joyeux:

– Ceux qui se battent sous la bannière du silence remportent la victoire; mais ceux qui s'amusent à faire du bruit et à menacer de leur attaque sont vaincus. La force de l'air et celle du feu comprimés sont irrésistibles, souvenez-vous de cela, mon jeune ami; souvenez-vous aussi qu'un homme silencieusement armé est plus à craindre qu'un fanfaron. Je suis content de vous, Trelawnay; votre prudence s'est montrée aussi prévoyante que celle d'un vieux loup de mer. Dites-moi, pour quelle raison êtes-vous donc si alerte? pour quelle raison avez-vous tout préparé pour mettre à la voile, même avant que je vous eusse hélé? J'ai cru un instant que ces hiboux du rivage m'avaient devancé auprès de vous.

– Quelques mouvements sur la jetée, un bruit de rames, peut-être un pressentiment, m'ont fait craindre un danger pour vous.

– Merci, mon cher enfant, merci; j'avais déjà pour vous une haute estime, mais je m'aperçois aujourd'hui que votre jugement n'a pas besoin des leçons de l'expérience. Vous m'égalez en tout; vous êtes digne de l'affection que je vous porte. Mais allez dormir, mon garçon, allez; je veillerai pendant le reste de la nuit.

J'étais à moitié endormi, ma tête appuyée sur l'écoutille, et je n'entendais que confusément les bienveillantes paroles de mon ami. De Ruyter me secoua le bras en me disant d'un ton amical:

– La rosée du soir, mêlée au vent de la terre, est aussi pernicieuse ici que la morsure d'un serpent, car elle est chargée de la vapeur des jungles. Bonsoir, mon enfant, bonsoir, bonne nuit.

– Laissez-moi dormir sur le pont, de Ruyter; il fait horriblement chaud dans la cabine, et puis nous pourrions encore être attaqués.

– N'ayez point cette crainte avant l'aurore; l'œil d'un aigle perché sur la plus haute montagne ne nous découvrirait pas.

J'obéis aux ordres réitérés de de Ruyter, mais je fus bientôt éveillé par le changement de l'atmosphère, et ce changement s'opère une heure avant l'apparition du jour. Je montai en trébuchant l'échelle qui conduisait sur le pont, et ce ne fut qu'en meurtrissant mes jambes contre l'affût d'un canon que je parvins à me réveiller. Un télescope de nuit à la main, de Ruyter était debout près de la poupe: la lune éclairait sa figure livide d'insomnie, ses cheveux et ses moustaches étaient humides de rosée, et toute sa personne révélait une horrible fatigue physique, mais soutenue par l'énergie de la volonté.

– Déjà levé, mon garçon! s'écria de Ruyter; les jeunes gens et les heureux du monde reposent pendant la disparition du soleil, mais quand vous aurez mon âge, vous tiendrez compagnie à la lune, et vous préférerez le sombre silence de la nuit à l'éblouissante clarté du jour.

Nous dirigions notre course, toutes voiles déployées, vers le midi-ouest; les sentinelles dormaient sous l'abri des demi-ponts, et un calme enchanteur régnait dans l'air et sur l'Océan. Nous étions à une si grande distance du havre que tous les objets étaient confondus dans une masse d'ombres enveloppées de légères vapeurs. Nous quittâmes la terre, et, avant de se retirer dans sa cabine, de Ruyter marqua sur la carte marine la course du vaisseau, me donna ses instructions, et, en les suivant, je dirigeai le grab vers le sud-est, afin de gagner la plus méridionale des îles Laquedives.

En entrant dans la latitude de ces îles, nous fûmes forcés de rester en panne pendant quelques jours. Ce contre-temps ne m'apporta aucun ennui, car j'aimais la mer, n'importe sous quelle forme. Pendant la journée, je m'occupais du vaisseau; et quoique le grab restât aussi stationnaire que s'il avait pris racine dans les profondeurs de la mer, les heures passaient pour moi avec la rapidité d'un vol de mouette. Pour la première fois dans ma vie, mes goûts et mes devoirs se trouvaient confondus ensemble, et le stupide et paresseux garçon s'était transformé, comme par magie, en un jeune homme actif, énergique et courageux.

De Ruyter désira donner à son vaisseau un air plus martial. Il fit donc transporter sur le pont quatre canons de neuf livres, ordonna de remplir les boîtes à balles, fit faire des cartouches et préparer des fourneaux pour chauffer les balles. Nous mîmes le magasin en ordre, de Ruyter passa la revue des hommes, les divisa en quatre parties et les exerça à tirer les canons ainsi que les petites armes. Moi, j'appris à manier la lance sous la tutelle du rais.

Nous avions à bord quatorze Européens: des Suédois, des Hollandais, des Portugais et des Français, de plus quelques Américains et un échantillon de tous les natifs de l'Inde qui vont sur mer, des Arabes, des musulmans, des Daccamen, des Lascars et des cooleys.

Notre munitionnaire était un métis français; le mousse, Anglais; le chirurgien, Hollandais; l'armurier et le maître d'armes, Allemands. De Ruyter ne faisait aucune distinction entre ses hommes, ni par rapport au pays qui les avait vus naître, ni à la religion qui gouvernait leur conscience; il ne les distinguait les uns des autres que pour leur mérite personnel. J'étais parfois extrêmement étonné de voir tant d'ingrédients incongrus et dissemblables mêlés et fraternellement unis avec la plus parfaite entente.

L'adresse de la main du maître opérait journellement ce miracle; sa manière d'agir, froide et ferme, dirigeait tout, et avant que le murmure du mécontentement se fût fait entendre, il y trouvait le remède. De Ruyter travaillait sur le vaisseau comme un manœuvre: actif, infatigable, il était toujours le premier au-devant du danger; mais les actions de de Ruyter dépeindront mieux son caractère que ne le ferait une brève analyse.

Le quatrième jour de notre station en pleine mer, la monotonie de la scène du ciel bleu et de l'eau limpide subit un changement: des masses de nuages commencèrent à se mouvoir et à se rencontrer, jusqu'à ce que l'horizon se revêtit d'un voile d'ombre.

Nous carguâmes nos petites voiles et celles du perroquet. Les pattes de chat ou les vents légers glissèrent le long des eaux parmi les éclairs et les sourds roulements d'un tonnerre bas.

La pluie tomba par torrents; les bouillonnements de la mer furent bientôt accompagnés par une brise ferme, et à la place du violent orage que nous avions attendu, nous eûmes un temps magnifique.

Au point du jour, nous vîmes en face de nous les îles Laquedives.

La surprenante rapidité des canots de ce pays m'étonnait beaucoup. Les Européens appellent ces légères embarcations des proues volantes. Un de ces canots s'avança vers nous, et quoique, sous l'influence d'une excellente brise, le grab filât onze nœuds à l'heure, le canot passa auprès de nous comme si nous avions été stationnaires. Deux ou trois hommes se tenaient debout sur les agrès de dehors; ils semblaient voler sur l'eau. Le canot ne glissait pas entre les vagues, mais il passait au travers, car de minute en minute il disparaissait sous des flots d'écume.

Tout en me la décrivant, de Ruyter fit une esquisse de cette embarcation.

– Ces ignorantes gens, me dit-il, ont complété dans la construction de ce bateau le triomphe de la perfection de l'architecture navale, dans laquelle, malgré notre érudition, nos études et les encouragements qui nous ont été donnés, nous ne sommes pas allés au delà de l'A B C pour la vitesse, la dextérité, et surtout pour la simplicité de manœuvre. Ce bateau les surpasse tous. La construction de leur proa est complétement en désaccord avec nos idées sur l'architecture navale. Nous bâtissons la proue ou la poupe d'un vaisseau aussi dissemblables que possible; ces gens les construisent de la même forme et dans les mêmes proportions.

Les côtés de nos vaisseaux sont, au contraire, précisément les mêmes; mais, dans le proa, vous voyez que les côtés sont tout à fait différents. Le proa ne revire jamais; il navigue indifféremment avec l'un ou avec l'autre bout en avant, selon l'occasion, mais le même côté est toujours celui du côté du vent. Le côté gauche (ou côté opposé au vent) est aussi plat qu'une ligne de plomb peut le faire. Le côté du vent est rond, et, à cause de sa longueur et de son étroit timon, le proa chavirerait; pour l'empêcher, un agrès de dehors, construit de bambous, saillit considérablement dans la mer et supporte un grand billot de bois de coco: cela lui donne un immense timon artificiel, sans opposer beaucoup de résistance à l'eau. Entre cet agrès de dehors et le côté plat du proa, l'eau passe sans peine: voilà la cause de sa rapidité.

Le proa lui-même, ou le corps du bateau, est composé seulement de quelques planches cousues ensemble et bourrées entre les joints avec de l'étoupe, car il n'y a ni un clou, ni un morceau de métal. Les voiles sont du paillasson, les mâts et les vergues du bambou.

Quand ceux qui conduisent le canot veulent virer, ils larguent, tournent la poupe au vent et meuvent le talon de la voile triangulaire jusqu'à ce qu'ils l'attachent à l'autre extrémité, en même temps ils transportent la barre dans la direction opposée, de sorte que ce qui était la poupe est maintenant la proue.

Il y a toujours un homme ou deux pour naviguer le vaisseau. Il peut être dit d'eux qu'ils marchent aussi rapidement que le vent. Pas un seul vaisseau européen n'a pu avantageusement lutter de vitesse avec eux.

Ces canots sont admirablement adaptés pour la navigation des îles situées dans la latitude des vents alizés, car ils peuvent passer d'un vent à l'autre avec un essor aussi sûr que celui d'une grue, tandis que, dans nos vaisseaux, si nous allons contre le vent, nous laissons échapper l'objet de nos poursuites. Il est vrai que ces canots sont d'une très-petite dimension et ne peuvent être employés que pour l'échange des produits superflus ou pour les choses absolument nécessaires. Le canot indien ordinaire ne servirait pas à leurs besoins, car il coule à fond dans les rafales imprévues, ou il est chassé par le vent loin de sa destination. Les natifs ont ingénieusement inventé le proa, et ils ont obtenu les importantes améliorations que je viens de vous désigner.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
280 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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