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Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 1/3», sayfa 13

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XXXI

Nous n'avancions que très-lentement vers le but de notre voyage, car nous étions fréquemment forcés de mettre le vaisseau en panne; malgré ces contre-temps, dont s'impatientait de Ruyter, je passai les longues heures du jour d'une manière fort agréable, car nous avions à bord une foule d'amusements. La douceur de la température, jointe à la sobriété de nos natifs, rendait le grab plus facile à gouverner que ne le sont généralement les vaisseaux équipés d'Européens. Ceux que nous avions à bord avaient été choisis avec un grand soin, et ils avaient tous des situations responsables sur le vaisseau. De Ruyter n'était pas seulement un hardi et excellent commandant, mais encore un admirable compagnon, de sorte qu'il m'était impossible de trouver une cause pour me plaindre de ma situation.

Après avoir quitté les îles Laquedives, nous nous arrêtâmes à Diego-Rayes pour y prendre du bois et de l'eau, et après avoir passé les îles des Frères, nous dirigeâmes notre course vers le sud. À quelques jours de là nous nous trouvions entre le grand banc de Galapagos et les îles de Saint-Brandan.

Un matin, l'homme stationné sur le mât cria:

– Deux voiles étrangères à l'ouest! elles sont dans notre chemin.

Une rafale de brouillard et de pluie nous surprit, et pendant quelque temps nous perdîmes de vue les voiles étrangères. Quand la rafale fut passée, elles devinrent encore visibles. J'appelai de Ruyter.

– J'aperçois deux frégates, lui dis-je, et je les crois françaises, du port de Saint-Louis, dans l'île Maurice.

– Elles peuvent l'être, dit-il, mais j'en doute; donnez-moi le télescope. Trop élevées hors de l'eau, murmura de Ruyter, voiles trop sombres, carène trop courte, et les vergues ne sont pas assez carrées pour être françaises; non, ce ne sont pas des Français. Lâchez les voiles, revirez le vaisseau près du vent.

En voyant exécuter cet ordre, le premier vaisseau étranger revira aussi pendant que l'autre continuait sa course. Nous ne faisions tous que tourner contre le vent, qui était très-léger. La première frégate manœuvrait remarquablement bien, et laissait sa compagne en arrière. Mais cependant sa vitesse n'était pas comparable à la nôtre. Toutes nos craintes étaient de voir tomber le vent, ou de perdre la frégate de vue, ce qui arriva après le coucher du soleil. Pendant la nuit, nous fûmes sur le qui-vive, et de Ruyter ne permit pas de lumière, dans l'appréhension que le grab fût aperçu par les frégates.

Nos ponts étaient arrangés pour l'action, les canons apprêtés, et les petites armes furent montées et disposées en faisceaux, non dans la vaine espérance de pouvoir attaquer la frégate, mais dans celle de prévenir les tentatives qu'elle pourrait faire si elle essayait de nous aborder avec les bateaux.

Au milieu de la nuit une légère brise s'éleva du canal de Galapagos, et nous fîmes une longue course vers l'est; puis le vent changea, et la nuit devint tout à fait obscure.

Les frégates ne montraient aucune lumière, et rien ne pouvait nous révéler la position qu'elles avaient prise.

Notre désir était de gagner le groupe d'îles des Frères, et de nous y cacher pour éviter leur rencontre; car, selon toute probabilité, elles devraient tenir position entre nous et le port, dans la direction duquel nous naviguions quand elles nous avaient aperçus.

Le vent était si bas que le grab se mouvait à peine, et la nuit si obscure que nos télescopes ne pouvaient servir.

Nous attendîmes donc le jour avec une horrible anxiété.

Enfin les sombres nuages de l'est commencèrent à disparaître et à changer leur couleur, qui devint pourpre et frangée d'une teinte orange; le cercle de l'horizon s'élargit, et chaque figure s'éclaircissait en considérant le lever de l'aurore. De Ruyter était debout sur un canon, regardant évaporer une épaisse masse d'obscurs nuages sur le côté opposé au vent, quand tout à coup il cria:

– La voici!

Je suivis la direction des yeux de de Ruyter, et je vis une des frégates sortir comme une île de la vapeur dont elle était enveloppée. Elle nous vit, car elle vira dans notre sillage et chargea toutes les petites voiles qu'elle avait. Elle était à peu près à neuf ou dix milles derrière nous; sa compagne se trouvait encore en arrière et à une très-grande distance. Nous mettions tous nos soins à arranger le grab, et nous déployâmes toutes les voiles qu'il avait, puis les vieux effets furent jetés à la mer.

Après avoir examiné la frégate pendant quelques instants, de Ruyter nous dit:

– Par le ciel! elle navigue bien; je crois qu'elle marche aussi vite que nous, et sa rapidité m'étonne d'autant plus que je ne connais pas de vaisseau qui puisse égaler le grab en légèreté. Ce doit être une frégate nouvelle et récemment arrivée d'Europe. D'ailleurs, avec cette assiette, le grab n'est pas lui-même. Je n'aime pas l'apparence du temps; quand le soleil se lèvera, nous n'aurons plus d'air. Il faut donc tout préparer pour ce changement.

Deux heures après, l'eau devint calme. Le soleil sortit du sein des flots comme un globe de feu; il avait l'air terrible, et on ne pouvait qu'avec peine supporter ses rayons, car ils brûlaient jusqu'à la cervelle. J'étais à chaque instant obligé de fermer les yeux; son éblouissant éclat me privait de la vue.

Malgré l'étouffante chaleur qui embrasait l'air, la frégate osa envoyer ses bateaux à notre poursuite; et, en admirant la hardiesse de cette chasse dangereuse, de Ruyter s'écria:

– Ces garçons travaillent inutilement; à midi, nous aurons un vent de mer, ils seront obligés de se rappeler qu'ils perdent du temps.

Comme l'avait prédit notre commandant, vers midi, des bouffées de vent commencèrent à agiter légèrement la surface de la mer; puis un faible courant d'air souleva la girouette ornée de plumes. Nous étendîmes nos mains vers le ciel, comme pour retenir le vent. Les légères voiles de coton du haut le sentirent les premières, et, au lieu de s'attacher au mât comme si elles y avaient été collées, elles se gonflèrent et prirent leur forme arquée.

– On croirait, dis-je à de Ruyter, que vous avez une communication avec les éléments.

– C'est vrai, me répondit-il, toute ma vie je les ai étudiés; mais l'existence d'un homme est trop courte, elle ne lui permet pas d'en pénétrer les mystères. Les éléments sont un livre sur lequel un marin doit toujours avoir les yeux attachés, car il est continuellement ouvert devant lui. Ceux qui ne se livrent pas à cette constante étude ne doivent pas accepter la responsabilité de l'existence des hommes qui se confient à eux.

Nous vîmes la frégate hausser son signal de rappel pour ses bateaux, et donner l'ordre, par signe télégraphique, à sa compagne de se mettre en panne à quelque distance de nous, pour nous intercepter le chemin, si, pendant la nuit, nous tentions de gagner l'île de France. De Ruyter avait une copie des signaux de l'amirauté et de ceux des vaisseaux de guerre. Cette copie lui fut extrêmement utile en plusieurs occasions. Nous continuâmes à avancer vers l'île la plus proche de nous; le vent augmenta de force, et nous fûmes forcés de carguer nos petites voiles. De Ruyter s'impatientait de voir que le grab ne devançait pas la frégate, comme il l'avait toujours fait lorsqu'il était poursuivi par un vaisseau hostile.

– Il est embarrassé dans ses mouvements! s'écria de Ruyter.

Et, pour alléger le grab, les étais du mât furent relâchés, le bateau de la poupe retranché, et les ancres qui pressaient sur l'avant du vaisseau furent mises plus en arrière; puis de Ruyter donna l'ordre aux hommes de venir sur l'avant du vaisseau, chacun avec une balle de dix-huit livres dans les mains; ensuite il les transporta de place en place; mais, malgré tout cela, nous avancions avec une très-grande peine.

– Le cuivre du grab a été gâté, dit de Ruyter, par la maudite vase de Bombay.

– Oui, répondis-je, et la frégate est un vrai clipper (vaisseau rapide).

Le soleil se coucha dans un nuage de sang, la brise fraîchit, et, vers onze heures du soir, étant rapprochés de la terre, de Ruyter se détermina à gagner le côté de l'île opposé au vent et d'y jeter l'ancre. Nous le fîmes, espérant que la frégate continuerait sa course vers le vent et qu'elle nous perdrait de vue. Cependant nous restâmes toute la nuit sur le qui-vive, et ceux qui dormaient avaient leurs armes toutes prêtes.

XXXII

Le docteur avait, pour respirer l'odeur du sang, un nez aussi subtil que celui du tigre; aussi, après avoir fait une plate-forme de caillebotis dans le fond de la cale pour ses blessés futurs, il passa sa tête hors de l'écoutille pour demander à quel heureux moment le massacre commencerait, et il sollicita de deux garçons la promesse de lui servir d'aides.

Dès que la nuit eut obscurci le ciel, Van Scolpvelt se hasarda sur le pont en tirant derrière lui un bandage aussi long qu'un câble, qu'il roulait adroitement autour de ses doigts.

– Mon cher garçon, me dit le docteur, il est temps que je vous instruise. Asseyez-vous pour une minute sur ce canon, je vais vous montrer comment il faut s'y prendre pour appliquer un tourniquet.

En disant ces amusantes paroles, Van Scolpvelt en tira un de son ceinturon.

– Vous êtes absurde, docteur, laissez-moi tranquille, j'ai bien autre chose à faire qu'à perdre mon temps à vous écouter.

– Ah! vous êtes jeune et entêté. Tous les hommes doivent savoir comment on applique un tourniquet, car si ce n'est pas fait avec promptitude, je perds mon patient et le blessé meurt.

Appelé à l'arrière par le rais, je quittai le docteur, qui se dirigea vers de Ruyter en le suppliant de se laisser enseigner comment il fallait mettre les doubles bandages et les bandages en travers. De Ruyter accueillit avec brusquerie la prière du docteur, qui descendit en murmurant:

– Le manque de sommeil crée la fièvre, la fièvre enfante le délire, et le délire amène la folie.

Quelques instants après, Van Scolpvelt fit une seconde apparition sur le tillac, une bouteille et un verre à la main. Il supplia de Ruyter, il m'engagea, il invita l'équipage à prendre un verre de son eau, en disant:

– C'est un breuvage rafraîchissant; il calme la chaleur du corps, il est même plus doux dans ses effets et plus utile que le sommeil.

De Ruyter, qui voulait réparer l'emportement de sa rebuffade, prit un verre de cette eau, en nous assurant que nous pouvions sans danger satisfaire la fantaisie du docteur, parce que son breuvage n'était que de l'acide nitrique et de la soude.

En voyant de Ruyter si docile à suivre ses conseils, Van Scolpvelt tira de nouveau de sa poche quelques brasses de bandages; mais, à la vue de l'énorme ruban qui se déroulait entre les mains frémissantes du chirurgien, de Ruyter se sauva en criant.

Alors le docteur s'attaqua à moi, mais je pris la fuite. À défaut d'auditeurs et de commentateurs sérieux, il se rejeta sur l'équipage; mais celui-ci repoussa insensiblement tous les efforts de cette verbeuse éloquence, qui tendaient à lui faire ingurgiter la précieuse composition.

Désespéré de l'insuccès de ses tentatives, le docteur absorba furieusement un grand verre de son eau, et il aurait infailliblement vidé la bouteille, s'il n'avait songé que, se trouvant sans moyens de défense, les malades lui en épargneraient la peine; en conséquence, il se précipita à travers les écoutilles dans la salle de ses triomphes.

J'attendais le jour avec anxiété, car j'étais harassé de fatigue. Habitués à de pareilles scènes, les vieux marins dormaient profondément, couchés à leur poste, tandis que de Ruyter marchait sur le pont avec un télescope de nuit dans les mains.

À la première et soudaine lueur du jour, nous fûmes très-étonnés de voir la frégate amarrée à trois milles de nous. Elle était stationnée près de la terre, et sa carène nous était cachée par de hauts rochers qui s'avançaient dans la mer. Ces rochers nous avaient empêchés de la voir pendant la nuit.

Les yeux vifs et perçants de de Ruyter découvrirent la frégate avant que celle-ci nous eût aperçus.

Notre câble fut vivement coupé, et le grab mit à la voile avec la rapidité de l'éclair.

La frégate nous suivit bientôt; mais elle avait à naviguer autour d'un sombre rocher de corail, qui était semblable à un énorme crocodile.

Les sinuosités qu'elle eut à suivre, en ralentissant sa marche, nous permirent d'avancer considérablement.

Nous allégeâmes de nouveau le grab, en jetant à la mer toutes les inutilités et du lest; mais, craignant d'être obligé de mettre en panne, de Ruyter disposa sérieusement les préparatifs du combat.

La brise était tombée, et à dix heures la frégate se trouvait à quatre milles de nous et commençait à préparer ses bateaux. Aidés par un peu de vent, et avec une peine infinie, nous réussîmes à continuer notre course. En voyant notre fuite, la frégate envoya sept bateaux à notre poursuite.

– Il n'y a pas d'espérance de vent jusqu'à ce soir, dit de Ruyter, et des efforts surhumains n'empêcheraient pas les bateaux de la frégate de gagner sur nous d'ici à trois ou quatre heures.

Après un instant de silence pensif, le beau front de de Ruyter devint sombre, et son regard ferme et sans peur parut attristé.

– Trelawnay, me dit-il en m'attirant à lui, voyez-vous là-bas ce rocher, celui qui s'avance hardiment dans la mer? il est blanchi par le soleil et possède des cavernes creusées par le temps. Il n'y a point de végétation dans les fentes de son granit, non plus que dans son entourage; il reste là comme une sentinelle surveillante de l'île. Vous remarquerez par la couleur et par la tranquillité de l'eau qu'elle est très-profonde de ce côté, et vous voyez une longue ligne semblable à un banc de poissons, s'étendant aux alentours en forme de croissant: c'est un sillon de corail blanc dont l'île abonde.

Maintenant, voici le but de ma description: je désire que le grab tourne le roc, mais vous vous en tiendrez à une certaine distance pour éviter le cap. Placez des hommes à la barre et à l'avant pour veiller aux écueils. Là, nous trouverons une petite place sablonneuse abritée contre les vents alizés qui soufflent à cette époque, et tout y est si bien protégé par les bancs, les rocs et les courants, que personne ne voudrait en approcher, à moins d'en connaître parfaitement les difficultés; car si le moindre vent chasse le vaisseau, ou si les vagues sont gonflées par la brise, tout est en commotion et fort dangereux même pour un léger bateau, car le corail coupe comme l'acier. Par un vent même modéré, le plus hardi navigateur n'ose pas s'aventurer à quelques lieues du rivage; les fortes lames qui s'élèvent entre cette île et le grand banc de Baragas sont très-redoutables.

Les montagnes de vagues sont brisées – comme des armées régulières par des guérillas – par ces rochers sans nombre dont vous voyez les sommets se réfléchir dans les eaux; alors la mer, retenue mais non arrêtée, couvre la moitié de l'île d'écume et de débris; de l'autre côté, rien ne s'oppose à la course de la mer, et le mugissement de ses vagues étouffe, dans un sourd roulement, le bruit du plus violent tonnerre. Dans la brèche qui conduit au rocher, brèche qui ne semble pas plus grande qu'un nid d'albatros, nous placerons le grab en travers pour donner le combat à ces hommes qui se battent par amour avec autant de férocité que les autres le font guidés par la haine. Avec mes hommes, je pourrais vraiment les rencontrer sur un meilleur terrain, et sans en craindre le résultat.

Mais les jours de la chevalerie sont passés; la ruse, la fourberie et la finesse constituent aujourd'hui l'art de la guerre. Je désire épargner l'effusion du sang, mais il faut que je défende le grab, et je le défendrai à tout hasard, même si la frégate venait côte à côte de nous. Les sauvages malais nous ont appris que la mort était préférable aux prisons. Si tous les hommes pensaient ainsi, il n'en existerait pas. Qu'en dites-vous, mon garçon?

– J'adore les combats, et je déteste l'air impur!

– Mais ils sont…

– J'en suis fâché; les dogues, vous le savez, se battent contre leurs propres parents, et je ne suis pas un métis: je montrerai ma race.

De Ruyter sourit, et je le quittai pour aller encourager les hommes, placer les sentinelles et donner des ordres au timonier.

XXXIII

Suivant le plan tracé par de Ruyter, à deux heures de l'après-midi, nous tournions autour du roc. La frégate était en panne au nord, à l'extrémité de l'île. Ses bateaux gagnaient sur nous rapidement. Quand nous fûmes encapalés parmi les battures et renfermés par le rivage, nous les perdîmes tous de vue, car ils étaient cachés à nos yeux par la proximité du roc. Je fis ferler toutes les voiles, et nous prîmes position à l'entrée intérieure de la petite baie. Des haussières furent suspendues à l'avant et à l'arrière du grab, et, avec une peine inouïe, nous réussîmes à les attacher au roc.

De Ruyter rassembla tous ses hommes; il n'y en avait que cinquante-quatre en état de porter les armes, et parmi eux plusieurs étaient fort ignorants dans l'art de s'en servir.

Tout était prêt, et un pénible silence régna sur le pont pendant qu'on attendait les bateaux, qui traversaient difficilement le cap.

Malgré mon insouciance habituelle et mon ardeur pour les combats, je ressentais une singulière émotion. Ne me trouvais-je pas ligué avec des Maures au teint bruni contre mes compatriotes aux cheveux blonds?

Quand le premier bateau parut, nous entendîmes leur cri d'encouragement, répété de bateau en bateau jusqu'à ce qu'il s'éteignît dans les murmures de l'Océan. Mon cœur battait tumultueusement dans ma poitrine, et des gouttes de sueur glacée tombaient de mon front.

Il régnait sur le grab un écrasant silence, et des pensées peu agréables commençaient à s'emparer de moi, lorsqu'elles furent chassées par la voix expressive, claire et vibrante de de Ruyter, qui s'avançait vers ses hommes le pas ferme et le regard tranquille, leur disant:

– Allons, répondez par le cri de guerre arabe; il n'est point dans vos habitudes d'être silencieux. Regardez si le premier des bateaux est à la portée des canons.

Je fis feu.

– Ce canon, dit de Ruyter, est trop élevé. Je vais essayer celui-ci; apportez une mèche. Oui, c'est cela.

Le boulet partit en ligne droite, frappa l'eau, bondissant comme une balle de crosse (jeu anglais), et passa au-dessus du premier bateau.

J'ai oublié de dire qu'en tirant le premier coup nous avions hissé les couleurs françaises, et que chaque bateau de la frégate avait l'union jack1.

Quand les bateaux furent tous réunis, nous vîmes qu'ils tenaient conseil. À la fin d'une courte séance, ils se divisèrent en deux parties et avancèrent le long du cap; peu effrayés de notre défense, ils répondaient à chaque coup de canon par ce cri: «Courage!» en hâtant leur course vers nous.

– Regardez, de Ruyter, dis-je à mon ami peut-être avec un peu d'exaltation; regardez quel courage héroïque! Un des bateaux, atteint par un boulet, coule à fond, et les autres ne s'arrêtent même pas pour ramasser les hommes! Ils étouffent leurs souffrances et le désespoir de leurs pertes sous des acclamations aussi joyeuses que s'ils se réjouissaient au milieu d'un festin.

De Ruyter me répondit froidement:

– Butin, promotion, habitude font beaucoup. Maintenant donnons-leur une volée de balles: il faut que nous estropiions les chefs.

J'étais placé à l'avant du vaisseau, et presque tous les Européens étaient placés sous mon autorité. Après m'avoir donné les derniers ordres, de Ruyter se mit à l'arrière, entouré de ses Arabes, sur lesquels il avait une grande influence.

Un autre bateau chavira, et les pertes des Anglais devenaient évidemment si effrayantes, que nous les entendions s'appeler audacieux! Ils l'étaient certainement, et nous les vîmes délibérer avec attention sur la manière qu'il fallait employer pour avancer avec plus de vitesse; quant à reculer, ce mot n'était pas connu parmi des hommes que le succès avait rendus présomptueux.

Le plus lourd de leurs bateaux avait une caronade de dix-huit livres; il était rempli de matelots, et il s'avança à l'attaque avec sa barge. J'entendis l'ordre de give way, my luds! (avançons, mes garçons!) et, protégés par un feu bien nourri qui porta quelques dommages sur notre bord, ils s'approchèrent rapidement. Nos ennemis avaient supporté une fatigue énorme, et l'atmosphère était chargée d'un air aussi brûlant que celui qui sort de la bouche d'un fourneau. Il était évident qu'ils ne s'étaient attendus ni à une aussi chaleureuse réception ni à un combat aussi inégal. Le désespoir de leur bravoure caractéristique semblait seul les exciter à continuer.

Cinq bateaux de leur petite escadre vinrent côte à côte de nous, et nous fûmes forcés de repousser leurs attaques à l'aide de nos lances et de nos petites armes. Cependant quelques-uns des plus actifs grimpaient dans nos chaînes, et, quoique toujours repoussés, ils renouvelaient leurs tentatives pour gagner le bord. Pendant que nous étions tous occupés à soutenir le feu de l'avant, la barge passa à travers la proue; une brise et une légère houle tournèrent la proue du grab vers la terre, et plusieurs Anglais se précipitèrent sur le tillac. Cette action imprévue captiva notre attention, et de petites bandes en profitèrent pour aborder à l'arrière.

J'aperçus un lascar dont j'avais, quelques minutes auparavant, tancé la poltronnerie, qui se glissait vers l'écoutille. Toutes étaient fermées, à l'exception de la principale, sous laquelle le docteur devait recevoir les blessés, et de Ruyter, qui se méfiait du courage des matelots de Bombay, avait ordonné à Van Scolpvelt de ne permettre à personne (à l'exception des blessés et des porteurs de poudre) de descendre ou de monter.

– Docteur, avait ajouté de Ruyter en riant, coupez les jambes des lâches qui déserteront leur quartier.

– N'ayez pas peur, capitaine, répondit Van Scolpvelt en saccadant ses mots dans un ricanement joyeux; connaissant le mauvais exemple de la poltronnerie et la rapidité avec laquelle se répand une terreur panique, je ne manquerai pas les petits hérons.

Je laissai au lascar le temps de gagner l'entrée des écoutilles, et, au moment où il posait le pied sur la première marche de l'escalier, je lui cassai la tête d'un coup de mousquet, et il tomba lourdement sur le dos de Van Scolpvelt, qui était déjà en train de tenailler les jambes d'un déserteur. Mais je ne pus répondre aux acclamations de surprise que poussa notre chirurgien, car je reçus en pleine poitrine un affreux coup de couteau.

– Regardez sur la proue à tribord! me cria de Ruyter, qui, à la tête de ses Arabes, ravageait le pont.

Nos adversaires se battaient avec un courage téméraire; les blessés se cramponnaient aux cordages et combattaient vaillamment. Après les avoir repoussés dans les bateaux ou jetés dans la mer, nous les crûmes vaincus; mais ils s'efforcèrent encore de grimper sur le vaisseau. Mes veines semblaient remplies d'une lave brûlante; je ressentis une surexcitation si vive qu'elle me rendait presque fou, et, quoique plusieurs parties de mon corps fussent coupées et mutilées, je ne ressentais aucune douleur.

Deux bateaux ennemis coulèrent encore à fond, et les Anglais qui se trouvaient à bord du grab cessèrent bientôt d'opposer une inutile résistance. J'en entendis un qui disait d'un ton vivement peiné: – Que je sois damné si je baisse pavillon devant un nègre, n'importe comment il me traitera!

Pour mettre en repos sur ce point la scrupuleuse délicatesse de ces hommes, je leur dis avec bienveillance: – Allons, mes garçons, rendez vos armes; je vais vous faire donner une chose qui vous est plus utile en ce moment-ci, un morceau de porc salé et un bon verre de grog.

– Bien, dit un homme en se tournant vers ses compagnons; tout est fini, tout; et quoique ce jeune officier ne soit pas habillé, il parle comme un chrétien.

Les Anglais qui étaient restés à l'avant du vaisseau vinrent à moi, et me tendirent silencieusement leurs armes.

Après l'action, de Ruyter me raconta qu'aussitôt que Van Scolpvelt avait appris que j'étais l'auteur de la mort du lascar, il était monté sur le pont, et qu'au milieu des clameurs du combat il avait crié d'une voix de stentor:

– Trelawnay a agi contrairement aux ordres; il m'a volé d'une manière inadmissible un excellent patient, un patient dont j'avais guetté les allures, et sur lequel je me proposais d'essayer un nouvel instrument de mon invention.

– Et, ajouta de Ruyter, le docteur me poursuivait dans tous les coins du vaisseau, tenant à la main le fameux instrument, qu'il nomme un hexagone, et cet hexagone coupe, dit-il, les chairs sans causer la moindre douleur.

Quand de Ruyter fut parvenu à se débarrasser de Van Scolpvelt, ce dernier, tout en regagnant son poste, continua le cours de ses désolantes plaintes.

– Quel mépris de la science! s'écria le pauvre docteur; certainement Trelawnay complote pour arriver à flétrir dans leur germe les plus belles espérances de ma philanthropie. Ce magnifique instrument restera peut-être inconnu, peut-être incompris!

Cette dernière crainte bouleversa tellement l'esprit du docteur, qu'oublieux de la défense faite par de Ruyter, il reparut sur le pont, cherchant du regard un blessé, un mourant ou un mort. Le souhait du docteur se réalisa: un pauvre matelot, frappé au cœur par une balle, alla tomber sans vie à ses pieds. Van Scolpvelt fondit sur le malheureux comme un faucon sur sa proie; il le saisit par les bras, donna au corps la forme d'un Z, et, l'enlevant sur son épaule avec une force miraculeuse, il se dirigea vers l'écoutille en murmurant:

– Eh bien! si je ne puis essayer ma scie sur un patient vivant, je l'essayerai du moins sur un sujet mort!

1.Drapeau des marins anglais